RAIFFET 2008 Nouvelles technologies et métiers féminins : essai d’analyse des effets d’une acculturation par la formation Marie Zoë Mfoumou

RAIFFET 2008 Nouvelles technologies et métiers féminins : essaid’analyse des effets d’une acculturation par la formation Marie Zoë Mfoumou

RAIFFET 2008 Nouvelles technologies et métiers féminins : essai d’analyse des effets d’une acculturation par la formation
Marie Zoë Mfoumou

Summary

In the beginning masculine, the trade of secretary was gradually feminized. This process, occurred in the Thirties of 20th century, contributed to transform waiting of the recruiters: the secretary must from now on have, in addition to an aptitude for the confidentiality but also, intellectual qualities, and especially, with natural or female behaviors. With the mechanization of the tasks and the advent of the technology, the technical skill will become the principal asset in recruitment to the woman’s jobs. Not to be in margin of the expectations of the market of employment, the training organizations will privilege the acquisition of the technical skill, thus standardizing social competence. This situation seems to be at the origin of incomprehension and the communication conflicts which one observes in the workspaces, where the woman is main actor: one reproaches her for more knowing to communicate. To cure it, the urgency is with the taking into account of the culture in the formation with the woman’s jobs, in order to make it possible the woman to acquire, obviously, a technological competence, but also a cultural performance.

Keywords: Woman’s job; Secretariat; Communication; Formation; Acculturation.

Introduction

La femme, tout comme l’homme, est actrice du développement en Afrique. Cette responsabilité nécessite qu’elle reçoive d’abord une éducation et ensuite une formation qui lui permettent de tenir son rôle avec habilité et de répondre aux attentes de son environnement social ou professionnel. En s’appuyant sur les auteurs comme Chinua Achébé et Ousmane Sembène, il devient difficile de poser la problématique du développement en Afrique sans considérer l’importance de l’effondrement de la société traditionnelle africaine. Ici, toute la question consiste à se demander si les problèmes relatifs à la compétence ou à l’incompétence de la femme travaillant dans les structures administratives modernes ne résultent pas directement d’un choc culturel, lequel choc résulte de la rencontre entre la culture occidentale moderne transmise par la nouvelle école (décrite dans l’aventure ambiguë) et la culture traditionnelle africaine. De tous les métiers féminins30 exercés au Gabon, nous avons choisi de travailler sur celui du secrétariat. Précisons que le secrétariat est une des plus anciennes activités de l’administration gabonaise. Originellement pratiquée par les commis de bureau dans les administrations décentralisées pour établir les actes d’état-civil tels que les mariages, les naissances, le secrétariat s’est féminisé progressivement sous l’influence de la mécanisation des tâches de bureau. De longues années passées à observer les secrétaires en activité, ont permis de comprendre que les qualités nécessaires à l’exercice de leur métier ne diffèrent pas de celles exigées à la femme, de manière générale. C’est, du moins, ce qui ressort de

30 Un métier de femme, au sens de Michèle Perrot (1998), est celui qui met en œuvre des qualités innées, physiques  et morales : souplesse du corps, agilité des doigts […] dextérité, patience, voire passivité qui prédispose à l’exécution, douceur, ordre. Il s’inscrit dans le prolongement des fonctions naturelles, maternelles et ménagères. Dans ce type de métier, la présentation, l’implication, la disponibilité, le sens de l’écoute et la discrétion deviennent des qualités professionnelles et non plus des qualités naturelles. Perrot M., 1998, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris Flammarion.

L’enquête sur le métier de secrétaire réalisée en 2003. Celle-ci montre, par exemple, que le sens de l’organisation arrive en tête des ces qualités. Sur la base des résultats de cette enquête et en convoquant la sociologie des professions, la sociologie de l’interculturel, la sociologie des genres et l’anthropologie de la communication, nous avons voulu montrer, en cinq points, comment la course à la technologie, comme critère essentiel dans la construction d’une identité professionnelle collective, peut provoquer des dysfonctionnements communicationnels dans les métiers féminins. Le premier point tente une brève analyse du secrétariat en tant que métier féminin. Le second donne une idée des exigences du secrétariat. Ces exigences ont permis, à travers une enquête, de comprendre que la génération actuelle des secrétaires est en décalage avec ce qu’on attend d’elles. Effectivement, de nombreuses observations et enquêtes réalisées sur ce monde professionnel ont montré que ce corps de métier comporte trois générations au Gabon : c’est ce que nous analysons dans le troisième point. Le quatrième permet de comprendre finalement que la nouvelle génération de secrétaires est victime d’une acculturation dont les origines sont multiples, la plus importante étant ici liée aux contenus de formation. Enfin, dans le dernier point, nous montrons la nécessité d’une formation à la communication, au sens anthropologique du terme, car les anthropologues de la communication pensent qu’elle est le prolongement de la culture.

Essai d’analyse de l’activité du secrétariat

Le secrétariat est, non seulement, une fonction, un lieu de travail, mais aussi un groupe professionnel dont les membres ont la charge de tâches administratives dans les différents lieux où ils/elles sont affecté(e)s. Quelles sont alors ces tâches ?

Le secrétariat est une activité d’échanges

Claudia Canilli (1993 : 19)31 répond que, généralement, les secrétaires s’occupent de la coordination du travail du secrétariat, la gestion du personnel sous ses ordres et  les rapports avec le directeur ; elles ont également la charge des lettres et les documents confidentiels, ainsi que des rapports avec le chef […], elles accueillent enfin les visiteurs et répondent au téléphone. Cette courte description des secrétaires donne déjà un aperçu de l’importance du relationnel dans cette activité. Laurence Combescot (2005 : 5)32 vient compléter cette mission dans son Guide pratique de l’assistante de direction en précisant que les standardistes, secrétaires, employées de bureau, secrétaires-assistantes, assistantes de direction confirmées, adjointes du dirigeant […] sont des intermédiaires entre le patron, les salariés et l’extérieur ; elles occupent une position que les professionnels du recrutement et quelques employeurs qualifient de poste clé au sein de l’entreprise. Pour elle, les postes du secrétariat sont des postes d’échanges où chaque personne est en contact avec des services différents en fonction des spécialisations de l’entreprise (Combescot, 2005 : 23). De ce fait, la/le secrétaire se trouve au centre des interactions. L’interaction, au sens de Dominique Picard (1983 : 5)33, comporte l’idée d’une action mutuelle, d’une action réciproque ; elle suppose la co-présence des individus qui interagissent. Cependant, lorsque des personnes se trouvent en situation d’interaction, la communication entre elles ne passe pas uniquement (ni peut-être de façon primordiale) par la parole. D’autres éléments entrent en jeu : l’habillement dans sa référence à des modes, aux conventions des groupes sociaux et à la manière dont chacun  interprète  ces références ; la présentation de soi (aisée ou embarrassée) et la tenue (recherchée, affectée, neutre ou excentrique) ; les mimiques aussi, les gestes, la posture du corps, la tonalité de la voix… Tous ces facteurs qui ont le corps pour support constituent des indices, des

31 Canilli C., 1993, Profession secrétaire. Formation, Personnalité, Présentation, Paris, Éd. de Vecchi.

32 Combescot L., 2005, Guide pratique de l’assistante de direction, Paris, Éd. Chiron.

33 Picard D, 1983, Du code au désir. Le corps dans la relation sociale, Paris Dunod.

symboles ou des signes qui tissent un réseau dense de messages qui circulent entre les individus. Ils tendent à être codifiés par la culture sous formes de règles de politesse, d’usages, de normes esthétiques ou morales (Picard, 1983 : 6). Les interactions se posent ainsi comme un ensemble de phénomènes d’une multiplicité infinie : gestes, attitudes, postures, relations, comportements conventionnels, mises en scènes, émotions, croisements de regards, échanges de signes (Picard, 1983). Autant de signes qui contribuent au succès ou à l’échec des communications. Si le secrétariat est une activité d’échanges, l’expérience montre aussi que ce travail se trouve à plus de 80% entre les mains de femmes. Pourquoi ce choix ?

La femme est un être de communication

Certaines fonctions telles que les fonctions infirmières, d’assistante sociale ou d’institutrice (Perrot, 1998) reproduisent tellement bien le modèle de la femme qui aide […] dans le monde rural, qui soigne et qui console qu’elles sont confiées aux femmes dans la mesure où, dira Josiane Pinto, citée par Pascale Molinier (2006 : 104) : la gestion en souplesse des relations sociales quotidiennes est favorisée par la présence des femmes qui mettent au service de l’harmonie collective le don de tempérer les humeurs et d’adoucir les caractères. Ce don s’exprime par excellence par le sourire, disposition permanente de l’hexis corporelle qui, dans les rites d’interaction, fonctionne comme le signal d’une attitude faste, comme une invitation à chasser de l’esprit les pensées négatives ou chagrines. Dans l’univers sérieux du travail soumis aux enjeux économiques ou symboliques de la concurrence masculine, le sourire apparaît comme la garantie presque miraculeuse d’une reconnaissance obtenue sans lutte et sans blessure (Pinto). Ainsi, le choix des femmes dans certains métiers a pour objectif principal de pacifier les rapports sociaux et de rationaliser les échanges et les contacts. Autant de critères qui rappellent son rôle dans l’espace domestique de la vie privée tel que cela ressort également de l’enquête sur le métier de secrétaire réalisée en 2003.

Les critères déterminants dans le secrétariat

Pour recueillir les attentes de l’environnement de la secrétaire, nous avons réalisé une enquête auprès de 286 personnes en juin 2003. Il était demandé aux enquêtés de donner leur préférence pour les sept facteurs ci-dessous, en les classant du plus important au moins important34 : la polyvalence, le sens de l’organisation, la prise d’initiatives, l’autonomie, la facilité de contact avec les autres, l’adaptabilité, la maîtrise des situations conflictuelles. Les résultats suivants ont été enregistrés.

 

Traits de caractères (ou qualités nécessaires à la fonction secrétariat) Réponses par priorité nsp
1 2 3 4 5 6 7
Polyvalence 90 39 38 28 21 10 19 41
Sens de l’organisation 92 41 55 33 14 10 4 37
Prise d’initiatives 39 60 35 40 34 16 10 52
Autonomie 17 16 25 36 33 38 57 64
Facilité de contact avec les autres 30 26 27 30 49 38 31 55
Adaptabilité 49 28 25 30 38 35 20 61
Maîtrise des situations conflictuelles 25 9 13 17 25 47 53 97

Tableau 1 : propositions de classement obtenues par compétences

34 La note 1 devait être attribuée au critère le plus important.

Classement Qualités exigées d’une secrétaire Nbre de réponses obtenues
1 Sens de l’organisation 92
2 Polyvalence 90
3 Adaptabilité 49
4 Prise d’initiatives 39
5 Facilité de contact avec les autres 30
6 Maîtrise des situations conflictuelles 25
7 Autonomie 17

Tableau 2 : classement des compétences

Une comparaison avec les conclusions de la même enquête réalisée en 2001 en France par AGEFOS PME Perspectives et qui ont été publiés par l’Agence Phénix35, nous donne les résultats suivants :

Critères France Gabon
% Rang % Rang
La polyvalence 28% 1 85 % 2
Le sens de l’organisation 18% 2 87 % 1
La prise d’initiatives 13% 4 81 % 3
L’autonomie 15% 3 77 % 6
La facilité de contact avec les autres 7% 5 80 % 4
L’adaptabilité 15% 3 78 % 5
La maîtrise des situations conflictuelles 2% 6 66 % 7

Tableau 3 : comparaison de classement des compétences entre la France et le Gabon

Cette comparaison révèle que la polyvalence et le sens de l’organisation sont les deux critères les plus importants dans l’exercice du secrétariat aussi bien en France  qu’au Gabon. Pour compléter nos analyses, nous avons consulté le répertoire français des emplois édité par le Centre de recherches en qualifications (CEREQ)36. La lecture de ce document montre que sur les treize fonctions du secrétariat examinées, le sens du relationnel est exigé pour onze d’entre elles, l’autonomie pour neuf fonctions, le sens de l’organisation pour sept, la rigueur pour six, la souplesse, la réactivité, la maîtrise de l’écrit, le sens de la confidentialité pour cinq fonctions, le sens du service, la rapidité et le dynamisme pour quatre fonctions. En définitive, il apparaît que pour le secrétariat, le sens de l’organisation, la polyvalence et le sens du relationnel sont en tête des exigences des clients et des usagers. L’observation de la configuration des secrétariats valide pleinement ces conclusions. A partir de ces constats, la question de la formation des secrétaires devient fondamentale. A quoi les forme-t-on ? Avant de répondre à cette question nous avons fait une étude sociologique des secrétaires au Gabon.

Le secrétariat au Gabon : un métier et trois générations

Notre recherche doctorale montre qu’au Gabon, il y a trois générations de secrétaires. (i) Le modèle de l’employée de bureau maternelle des indépendances à la fin des années 70 est surtout une femme âgée sachant lire et écrire, dont les outils principaux de travail sont : la

35 Disponible sur http://www.phenix-fm.com/, consulté en mai 2003.

36 CEREQ, 1990, Répertoire Français des emplois. Les emplois-types de l’Information et de la Communication, Information et communication de l’entreprise, Paris, La documentation française.

machine à écrire (avec le carbone), le téléphone et le télex. Son activité consiste à dactylographier les situations administratives rédigées par ceux qu’on appelait à l’époque les rédacteurs et à répondre au téléphone. Les compétences des secrétaires de ce modèle sont plus relationnelles que techniques. (ii) Le modèle de la secrétaire particulière développée entre 1980 et 1993 débute donc avec la création de l’école nationale supérieure de secrétariat en 1984. Le modèle de la secrétaire particulière est la transition entre l’ère mécanique et le multimédia. C’est pourquoi, pour assurer leur adéquation aux exigences du monde du travail, l’école de secrétariat se dotait du matériel utilisé dans les organisations gabonaises. L’incompétence technique des secrétaires de ce modèle a des raisons structurelles liées au niveau d’équipement des organisations, phénomène surtout observable dans les administrations publiques. (iii) Le modèle de la secrétaire/assistante de direction toujours en expérimentation depuis 1994 semble souffrir du rejet des clients et usagers, alors qu’elle devrait être plus appréciée du fait des évolutions du travail et de la technique. Nous nous sommes intéressées aux raisons de ce rejet.

La formation actuelle des secrétaires comme facteur d’acculturation

Quel que soit le niveau de formation aux fonctions du secrétariat au Gabon, la technologie y occupe une place centrale au détriment de la culture37 alors qu’en France, les nouveaux programmes de d’Information et Communication (pour ne prendre que l’exemple de la 1ère STG), accordent désormais une place de choix à l’étude du comportement humain.

Un aperçu des programmes de formation de niveau BTS

En BTS Communication des entreprises par exemple, s’il est vrai que les élèves sont initiés aux actions professionnelles appliquées à la vie professionnelle (dont l’objectif est de leur permettre de développer des qualités professionnelles de base telles que le goût de l’action, le sens de la relation, le sens du travail en équipe, la souplesse et la rigueur), on constate cependant que celles-ci se focalisent surtout sur des tâches telles que la réalisation des publicités, l’édition des dépliants, plaquettes, l’organisation des événements, des opérations de parrainage, et sur des études de marché. La réalisation des dépliants, par exemple, nécessite la maîtrise de l’outil informatique et de logiciels spécifiques. Dans les sections d’assistanat de direction également, le cours de gestion et organisation administratives se contente de montrer aux enfants comment récolter, traiter et organiser l’information écrite. Dans l’option Assistant de gestion PME/PMI, la situation n’est guère différente : l’enseignement d’information, communication et organisation met davantage l’accent sur le message professionnel écrit, la technologie. Cette banalisation de la culture dans les programmes d’enseignement aux métiers féminins, surtout dans un contexte où la tradition reste encore fortement ancrée dans les mentalités, participe largement au processus d’acculturation des personnes qui reçoivent ces formations.

L’acculturation par la formation

L’acculturation est un ensemble de phénomènes résultant d’un contact continu et direct entre groupes d’individus et cultures différentes et qui entraînent des modifications dans les modèles culturels initiaux de l’un des deux groupes. Reprenant les conclusions des recherches de l’Américain J.W Powell, Denys Cuche (2001)38, rapporte que le terme serait apparu en 1880 pour désigner les transformations des modes de vie et de pensée des immigrants au contact de la société américaine. L’acculturation serait donc un processus

37 Les anthropologues, à l’exemple d’E.T. Hall cité par Chevrier dans Le Management interculturel, (2003 : 41) définissent la culture comme un ensemble de règles tacites, de comportements inculqués dès la naissance, lors du processus de socialisation précoce dans le cadre familial. Chevrier S., 2003, Le management interculturel, Paris, Presses Universitaires de France, coll., Que sais-je.

38 Cuche D., 2004, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, Éd. La découverte, Coll., Repères.

dynamique par lequel une société évoluerait au contact d’une autre, adoptant les éléments importés de cette autre culture. Cette analyse semble se focaliser sur l’immigrant qui, dans un souci d’intégration, abandonne sa culture d’origine pour incorporer celle du pays d’accueil. Si le contact direct de deux cultures semble être la principale source d’acculturation, il semblerait qu’il en existe d’autres qui, finalement, se révèlent tout aussi efficaces. C’est le cas, ici, des formations aux métiers du tertiaire souvent exercés par les femmes.

Se posent donc le problème de l’opérationnalité des référentiels de formation et celui de leur appropriation par les apprenants. En effet, le temps d’appropriation souvent rallongé à cause du défaut d’infrastructures fait que la priorité est accordée à l’enseignement technique au détriment de l’enseignement relationnel pourtant essentiel aux métiers féminins en Afrique où il semblerait que pour être une bonne professionnelle, la femme doit d’abord être une bonne enfant, une bonne sœur, une bonne épouse. Si l’éducation est chargée de lui inculquer ce principe fondamental, il convient de ne pas minorer le rôle de la formation dans cette conscientisation de la femme et dans la quête de la bonne professionnelle. Or, reproduisant les référentiels, conçus pour un autre contexte, sans les adapter, il apparaît évident que ces derniers se révéleront inopérants dans un autre contexte : c’est ce qui  arrive au Gabon où les codes communicationnels et culturels semblent échapper aux secrétaires. Quelles sont les conséquences de  ces  dysfonctionnements communicationnels ? Une révision des contenus de formation s’impose donc : il faut désormais former à la culture

De la nécessité de former à la culture

De nos jours, la communication n’est plus réduite à la simple transmission d’un message ou d’une donnée, à son transfert, à sa circulation, à sa diffusion, elle est maintenant vue comme un système, une matrice sociale, un ensemble de contextes emboîtés (interactionnels, institutionnels, culturels). De ce fait, elle met en rapport des hommes entre eux et ne peut donc plus se réduire à de la techné (au sens étymologique du terme), soit à des rapports de sujet à objet dira Denis Benoît (2000)39. Exemple en France Circulaire n°82-

261 du 21 juin 1982. Rappelons qu’à l’origine la société africaine traditionnelle ne se caractérise pas simplement par l’oralité, mais surtout par l’absence de machinisme : il s’agit d’une civilisation sans machine. Dans cette Afrique-là, comme le souligne Léopold Sédar Senghor (1964 : 202-203) dans Liberté, Négritude et humanisme : « l’homme vit traditionnellement de la terre, dans et par le cosmos. C’est un sensuel, un être aux sens ouverts, sans intermédiaire entre le sujet et l’objet, sujet et objet à la fois. Il est sons, odeurs, rythmes, formes, et couleurs ; je dis tact avant que d’être œil, comme le Blanc européen. Il sent plus qu’il ne voit : il se sent. C’est en lui-même, dans sa chair, qu’il reçoit et ressent les radiations qu’émet tout existant-objet. Ébranlé, il répond à l’appel et s’abandonne, allant du sujet à l’objet, du moi au Toi, sur les ondes de l’Autre40 ». Ici, Senghor évoque de façon implicite la gestion des distances dans les communications, donc la proxémique (développée par E.T Hall, 1971, La dimension cachée). Cela dit, le mode culturel africain, selon Senghor, consiste en une manière de vivre qui ne privilégie pas l’individualisme. Au regard de cette approche senghorienne, on peut admettre que la femme gabonaise appartient à une culture qui privilégie la communication au point de l’étendre au-delà de la communauté humaine. C’est pourquoi il est contradictoire de constater que la secrétaire ne maîtrise pas les enjeux (à la fois identitaires et relationnels) de la communication pour privilégier des valeurs qui entrent en contradiction avec son propre monde. Senghor ne dit-il pas que le Nègre ne se comporte rationnellement pas selon les schèmes occidentales, sa

39   Benoît  D.,  2000,  Former  à  la  communication,  est-ce  véritablement  possible ?,  pp  9-28,  in :  Romeyer,  éd.,

L’impossible formation à la communication ? Paris, Éd. l’harmattan.

40 Senghor L. S., 1964, Liberté1 Négritude et humanisme, Paris, Seuil.

raison ne le coupe pas de l’autre, elle le pousse plutôt à mourir à lui-même afin de renaître dans l’autre ? (Senghor, 1964). Par notre modeste expérience du secrétariat, nous en déduisons que privilégier la technique dans les formations aux métiers de femmes revient   à tomber irrémédiablement dans cette idéologie technique qui nous instrumentalise. Si bien que nous en venons à nous penser nous-mêmes comme des machines à penser, des machines de traitement de l’information, des machines à recueillir des données (Benoît, 2000 : 23-25).

La nouvelle communication servant à créer et à maintenir le lien, celle-ci doit être envisagée comme une performance de la culture, dira l’anthropologue de la communication Yves Winkin (2000)41 pour qui la communication est moins la somme des paroles, des gestes, des messages, en tous genres que les hommes peuvent produire, que la vision qui permet de les percevoir dans leur contribution à l’accomplissement permanent de la société, donc à son développement. Pour ce qui est de l’Afrique, la femme apparaît être un maillon essentiel de son développement : elle doit être préparée à tenir cette responsabilité par l’éducation et par la formation professionnelle. Pour être une bonne professionnelle, la femme doit d’abord être appréciée dans son espace domestique à travers les différents rôles qu’elle y tient. C’est ce à quoi doit s’atteler toute éducation, complétée par une solide formation générale ou professionnelle. Dans le cas des métiers féminins et particulièrement du secrétariat, les pratiquantes doivent être formées à l’acquisition de la compétence sociale considérée comme la capacité objective d’un individu à entrer en relation avec autrui (Lipiansky & Picard, 2000). Si la communication est coextensive à la culture, l’enseignement ne doit pas se cantonner à l’étude des médias ou s’en tenir à la formation aux techniques électroniques de conservation ou de transmission d’informations ; elle doit notamment faire une place à l’ethnographie, à l’anthropologie et porter sur l’ensemble des codes et des règles qui rendent possibles et maintiennent dans la régularité et la prévisibilité les interactions et les relations entre membres (Winkin, 1977). Car, n’oublions pas que chaque culture porte en elle des normes communicationnelles qui orientent le comportement de ses membres.

Conclusion

Pour préparer la secrétaire à acquérir la compétence sociale (qui semble encore lui faire défaut dans l’exercice de ses fonctions), plusieurs solutions sont possibles. La première vient, naturellement, de la communication. En effet, il devient urgent de développer ou de maintenir le dialogue entre les générations pour assurer aux jeunes une meilleure connaissance des traditions, des coutumes et des codes linguistiques ; c’est à ce prix qu’on peut garantir l’efficacité professionnelle de la femme au travail. La deuxième solution est liée aux contenus de formation. La situation de crise communicationnelle actuelle, qui entraîne  la péjoration de certains métiers féminins, interpelle sur la nécessité d’adapter les référentiels importés, pour éviter que la professionnalisation de ces métiers ne se fasse en marge des attentes des principaux acteurs, parmi lesquels les usagers et clients, pour ce  qui est du secrétariat. Le moment est donc à se poser la question de savoir si l’importation des valeurs occidentales, à travers la reproduction des systèmes éducatifs occidentaux, ne pousse pas les Africaines à la méconnaissance de leurs propres valeurs, au point qu’elles peuvent les renier dans le cadre de l’exercice de leurs différentes fonctions. Aussi, la femme en Afrique se trouverait-elle face à une issue fatale, si tant est qu’elle est troublée par la double origine de ses repères : le monde des valeurs occidentales, mettant en avant la moralité chrétienne dans le traitement des genres, et le monde traditionnel qui conçoit la femme avec d’autres repères, qui présentent la solidarité comme une valeur capitale ? Autant de questions que je laisse à votre appréciation.

41 Winkin Y, 2000, L’anthropologie de la communication comme disposition intellectuelle. Quelques propositions pour une formation alternative en sciences de l’information et de la communication ?, pp 199-227, in : Hélène Romeyer H., L’impossible formation à la communication ? Paris, Éd. L’harmattan.

Bibliographie

Benoît D., 2000, Former à la communication, est-ce véritablement possible ?, pp 9-28, in : Romeyer, éd., L’impossible formation à la communication ? Paris, Éd. l’harmattan.

Canilli C., 1993, Profession secrétaire. Formation, Personnalité, Présentation, Paris, Éd. de Vecchi. CEREQ,   1990,   Répertoire  Français   des   emplois.   Les   emplois-types   de  l’Information   et de  la

Communication, Information et communication de l’entreprise, Paris, La documentation française. Chevrier  S.,   2003,   Le   management   interculturel,   Paris,  Presses  Universitaires  de  France, coll.

Que sais-je.

Combescot L., 2005, Guide pratique de l’assistante de direction, Paris, Éd. Chiron.

Cuche D., 2004, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, Éd. La découverte, Coll., Repères.

Lipiansky E.M., Picard D., 2000. Relations et communication interpersonnelles. Paris, Dunod. Perrot M., 1998, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris Flammarion.

Picard D, 1983, Du code au désir. Le corps dans la relation sociale, Paris Dunod. http://www.phenix-fm.com/, consulté en mai 2003.

Winkin Y, 2000, L’anthropologie de la communication comme disposition intellectuelle. Quelques propositions pour une formation alternative en sciences de l’information et de la communication ?, pp 199-227, in : Hélène Romeyer H., L’impossible formation à la communication ? Paris, Éd. L’harmattan.

Résumé

À l’origine masculin, le métier de secrétaire s’est progressivement féminisé. Ce processus intervenu dans les années 30 a contribué à transformer les attentes des recruteurs : la secrétaire devra désormais posséder, outre une aptitude à la confidentialité mais aussi, des qualités intellectuelles, et surtout, naturelles ou féminines. Avec la mécanisation des tâches et, par la suite, l’avènement de la technologie, la compétence technique va devenir le principal atout dans le recrutement aux métiers féminins. Pour ne pas être en marge des attentes du marché de l’emploi, les organismes de formation vont privilégier  l’acquisition  de  la compétence technique, banalisant ainsi la compétence sociale. Cette situation semble être à l’origine des incompréhensions et des conflits communicationnels que l’on observe dans les espaces de travail (comme le secrétariat) où la femme est actrice principale : on lui reproche de ne plus savoir communiquer. Pour y remédier, l’urgence est à la prise en compte de la culture dans la formation aux métiers féminins, afin de permettre à la femme d’acquérir, bien évidemment, une compétence technologique, mais également une performance culturelle.

Mots-clés : métier féminin ; secrétariat ; communication ; formation ; acculturation


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