La mise en œuvre de l’approche par compétence : retour sur une expérience Victor Njonbi victor.njonbi@etu.u-cergy.fr Pierre Fonkoua pfonkoua2001@yahoo.fr

La mise en œuvre de l’approche par compétence  retour sur une expérience Victor Njonbi victor.njonbi@etu.u-cergy.fr  Pierre Fonkoua pfonkoua2001@yahoo.fr

La mise en œuvre de l’approche par compétence retour sur une expérience
Victor Njonbi victor.njonbi@etu.u-cergy.fr Pierre Fonkoua pfonkoua2001@yahoo.fr

Résumé

En 2013, le ministère des enseignements secondaires du Cameroun a validé de nouveaux programmes des Écoles Normales d’Instituteurs de l’Enseignement Technique (ENIET) élaborés selon l’Approche par Compétences (APC). Dans le cadre des activités de l’inspection de pédagogie chargée de l’enseignement normal, nous avons entrepris de former les enseignants des ENIET à l’appropriation de ces nouveaux programmes.

Nous sommes partis du principe que de très bons gestes professionnels non formalisés, non verbalisés ont beaucoup de chance de disparaître avec leurs auteurs. Or dans un dispositif de formation des formateurs, il serait plus rentable que ces gestes, ces bonnes pratiques soient rendus conscients pour permettre aux élèves-maitres en formation de les apprendre de manière consciente.

Le présent article rend compte de la méthode et des résultats d’une analyse réflexive des pratiques des enseignants des ENIET du Cameroun avec une focalisation sur deux activités de tous les jours à savoir : la préparation d’une situation d’enseignement/apprentissage et la préparation d’une évaluation.

Mots-clés

Approche par compétence, brainstorming, analyse réflexive, situation-problème

Introduction

Entamée depuis quelques années, la réforme curriculaire des Écoles Normales d’Instituteurs de l’Enseignement Technique (ENIET) a abouti le 30 août 2013 à la signature par le Ministre des Enseignements Secondaires au Cameroun de la décision n° 493/13 portant application de dix nouveaux programmes de formation des ENIET. Ces programmes avaient été élaborés par les Inspecteurs Pédagogiques Nationaux (IPN) selon l’approche par compétences (APC) appliquée suivant les principes de la pédagogie de l’intégration (Roegiers, 2005, 2006) qui veut que l’on apprenne à l’élève à mobiliser ses ressources acquises en classe pour résoudre des situations complexes. Après la publication officielle des nouveaux programmes, les rédacteurs devaient se tourner vers les utilisateurs que sont les enseignants et les Inspecteurs Pédagogiques Régionaux (IPR) pour leur expliquer l’esprit et la lettre de la nouvelle boussole. C’est dans ce cadre que nous avons conduit une équipe de quinze IPN dans neuf ENIET au courant du mois de février 2014 pour former les IPR et tous les enseignants des ENIET à s’approprier les nouveaux programmes et à les utiliser de manière efficiente. À l’occasion de cette formation, nous avons évité des exposés prescriptifs et ennuyeux. Nous avons privilégié une méthode active et participative qui mette l’apprenant dans l’action à travers le brainstorming. Comme le souligne Faingold (2006) nous avons choisi de différer le dire pour écouter, accompagner, donner la parole, étayer…

De manière spécifique les participants aux travaux devaient pouvoir choisir et rédiger des situations-problèmes adaptées aux nouveaux programmes en respectant l’approche par les compétences. Ensuite, ils devaient aussi pouvoir formaliser cette activité. Nous nous sommes focalisés sur cet objectif pour deux raisons : (1) l’ENIET forme des formateurs, (2) la qualité des outils d’évaluation certificative produits par les enseignants des ENIET ne satisfait pas toujours les IPN chargés de les valider.

Dans le cadre de la formation des formateurs, nous admettons que les futurs enseignants poseront des actes comme ceux qui les enseignent aujourd’hui le font. Il convient alors de verbaliser l’activité du formateur afin que l’apprenant puisse s’en approprier de manière consciente et non par mimétisme non lucide. L’avantage de la verbalisation pour le formateur lui-même est qu’il donne toutes les étapes d’une activité au moment de la démonstration devant ses élèves. La verbalisation lui donne l’opportunité d’énoncer les étapes en respectant leur ordre d’exécution ou d’apparition. Nous voulions donc nous assurer que les enseignants sont conscients des actes qu’ils posent devant les élèves-maîtres. Très souvent, les enseignants préparent leurs cours et à l’occasion, ils apprêtent un scénario formel qui peut servir de guide pour les novices. Ce n’est pas toujours le cas avec les épreuves de synthèse (situations-problèmes) qu’ils utilisent pour évaluer les élèves.

L’insatisfaction des IPN par rapport aux propositions des outils d’évaluation certificative vient du fait que les propositions faites par les enseignants des ENIET sont la plupart du temps une juxtaposition des exercices tirés des manuels scolaires, sans aucune cohérence. Cela signifie probablement que ces enseignants ne maitrisent pas le processus d’élaboration d’une activité d’intégration. Par mimétisme, ils se retrouvent en train de recopier les anciens sujets d’examen et les exercices trouvés dans des manuels sans pouvoir les contextualiser et les mettre à jour le cas échéant.

Cadre théorique

Les nouveaux programmes des ENIET ont été élaborés suivant l’APC et leur mise en œuvre suppose l’application de la pédagogie de l’intégration. L’apprenant devra désormais être au centre du processus enseignement/apprentissage. Il devra donc être l’acteur principal de son apprentissage. Il cherche, il agit, il construit ses compétences sous la conduite de l’enseignant qui est alors le guide, l’encadreur, le facilitateur. L’enseignant construit des situations d’intégration à partir desquelles l’apprenant mobilise ses savoirs et savoir-faire acquis au préalable pour résoudre un problème nouveau. Pour avoir une idée plus nette sur le sujet, nous avons besoin d’éclairer les notions de compétence et de pédagogie de l’intégration.

La notion de compétence

A l’origine, la notion de compétence était admise dans le domaine juridique pour désigner le droit conféré à une institution de juger. Par la suite la notion s’est étendue à toute capacité d’un individu due au savoir ou à l’expérience (Bronckart & Dolz, 2002). La notion de compétence a également intéressé les ergonomes. Ceux-ci interrogent le processus cognitif mis en œuvre par les acteurs pour accomplir des tâches. Ce sont ces deux derniers aspects qui nous intéressent dans le cadre de la formation des formateurs. La compétence est comprise comme la mobilisation de façon concrète des acquis en termes de connaissances, savoir-faire, procédures, attitudes, etc., pour résoudre une situation-problème donnée (Roegiers, 2006). Dans le référentiel de compétences de l’Instituteur de l’Enseignement Technique (IET), l’une des compétences à acquérir à l’issue de la formation est intitulée : « préparer et dispenser des leçons ». Une autre est intitulée : « préparer et administrer les évaluations formatives et sommatives ». Il est donc question que les IET puissent mobiliser des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être pour, d’une part, préparer et dispenser des enseignements et d’autre part, préparer et administrer des évaluations. Ils doivent apprendre cela au cours de leur formation initiale. Comment leurs enseignants s’y prennent-ils pour les y amener ?

La pédagogie de l’intégration

La pédagogie de l’intégration suppose que l’enseignant construise des activités d’intégration qui sont des moments pour que l’élève mobilise ses savoirs, savoir-faire et savoir-être pour résoudre des problèmes concrets. Ces activités d’intégration peuvent se dérouler progressivement ou bien en fin d’apprentissage. Dans les deux cas, l’enseignant prévoit un moment pour l’activité d’intégration et prévoit un autre moment pour l’évaluation et la remédiation. L’enseignant construit des situations-problèmes auxquelles il confronte ses élèves (Roegiers, 2006). Mais comment construire des situations d’intégration efficaces ?

En fin de formation, construire une situation d’intégration semble évident du fait que tous les programmes sont en principe achevés. À partir des contenus des programmes, l’enseignant peut construire une situation d’intégration sans avoir besoin de s’en référer à un collègue. En cours de formation, par contre, construire une situation d’intégration devient plus complexe dans le contexte camerounais où chaque enseignant est libre d’élaborer individuellement sa progression annuelle, en choisissant dans quel ordre il étudiera les différents thèmes inscrits au programme. L’essentiel est qu’il ait tout enseigné avant le terme de l’année scolaire. Construire une situation d’intégration requiert une forte collaboration entre les différents enseignants en vue d’une programmation concertée des enseignements. Les enseignements sont imbriqués. Certaines notions apprises dans une discipline à un moment donné deviennent des prérequis pour l’apprentissage dans une autre discipline. Il est donc important que ces prérequis aient été préalablement programmés et enseignés par l’enseignant concerné afin de permettre à son collègue de progresser normalement. Tenir compte des progressions des autres enseignants suppose une collaboration étroite et une diligence de chaque enseignant dans la mise en œuvre des enseignements, afin de ne pas retarder les autres. Pour aider les enseignants à mieux s’organiser, nous avons choisis de questionner leur activité de tous les jours avec eux-mêmes par le biais du brainstorming et de l’analyse réflexive.

Le brainstorming

Le brainstorming ou remue-méninges est une technique d’étude qualitative et de créativité utilisée pour générer des concepts, des idées ou des marques (Isaksen, 1998). Lors d’une réunion, chaque participant émet des idées en rapport avec le sujet de l’étude. Les idées peuvent être recueillies à tour de rôle ou bien de manière spontanée. L’animateur canalise les débats et s’assure que des jugements négatifs ne sont pas portés sur les idées et suggestions des uns et des autres. Il encourage les participants à formuler autant d’idées nouvelles que possible. De même, les participants ont la possibilité d’améliorer les idées énoncées par d’autres personnes. L’animateur retient finalement les meilleures idées et en fait la synthèse. Au démarrage de l’activité, un règlement intérieur est adopté par tous les membres. Pour maintenir le groupe éveillé, des petits jeux d’enfants sont organisés. Il peut par exemple être demandé à un participant volontaire d’interpréter une chanson ou d’exécuter une danse. Les idées des participants sont notées sur un paperboard ou bien sur des post-it. Elles sont regroupées et classées. Les participants votent pour les meilleures. Le groupe peut utiliser les cartes mentales pour organiser les idées.

L’analyse réflexive

Un enseignant est en principe un praticien réflexif. Il a la capacité de porter un regard distant sur son activité et de la modifier en fonction des résultats de l’observation. La pratique réflexive est de plus en plus une exigence dans la formation des enseignants. Dewey est à l’origine de ce courant de pensée. En 1933, ce philosophe et pédagogue américain souligne que l’intervention d’un enseignant devrait être le fruit d’un processus de réflexion qui puisse lui permettre de justifier et de prévoir les conséquences de son action. Ce processus doit permettre à l’enseignant d’expliquer pourquoi il a réussi ou pourquoi il n’a pas été efficace dans ses interventions.

Au cours de ses recherches, Schön (1983), s’est préoccupé de la relation entre le savoir scientifique et l’action professionnelle d’un praticien. Il a montré qu’un praticien en action ne semblait pas surmonter les défis en s’appuyant sur des modèles appris au cours de sa formation (savoir scientifique), mais plutôt en improvisant à partir uniquement de ses expériences antérieures (action professionnelle ou savoir-faire). Schön a observé que le praticien éprouvait des difficultés à justifier le choix de ses interventions et à expliquer les raisons de ses réussites et de ses échecs. En fait, une rupture semblait exister entre deux types de savoir : l’expérience professionnelle et les connaissances scientifiques. L’enseignant réflexif est celui capable de rétablir cette relation qui doit nécessairement exister entre le savoir scientifique et le l’action professionnelle.

L’analyse réflexive exige de l’enseignant une réflexion en cours d’action et sur l’action (Boutin & Lamarre, 2000). L’enseignant réflexif tient compte de ses expériences antérieures qu’il analyse pour améliorer ses expériences futures. Perrenoud (2004) affirme que « toute analyse pointue s’appuie sur des savoirs ». Wentzel (2010) précise que « les concepts théoriques sont ici des outils au service d’une lecture possible du réel ». En effet, d’après Perrenoud (2004) :

« il ne suffit pas d’être intelligent, courageux, cohérent et disponible pour analyser sa pratique. Cette analyse mobilise des savoirs, comme l’analyse de n’importe quelle autre réalité complexe. Ce sont ces savoirs qui permettent de mettre de l’ordre, de distinguer des aspects et des traits, d’isoler des variables et des processus, de comparer, de classer, d’ordonner, de mettre en relation, de formuler des questions ou des hypothèses ».

Chaque action de l’enseignant enrichit ses savoirs, ses savoir-faire et ses savoir-être qui guident sa réflexion sur les actions ultérieures. L’enseignant réflexif est capable de prendre en compte des situations imprévues qui surviennent dans le cours de son activité. Il peut alors modifier son action pour l’adapter aux circonstances nouvelles. Il y arrive en prenant des distances par rapport à son activité. Boutin & Lamarre (2000) estiment que l’enseignant réflexif doit être capable de décrire, d’analyser, de critiquer et d’innover à l’intérieur de sa démarche d’enseignement. Ils illustrent leurs propos avec le modèle simplifié du processus de la démarche réflexive de Holborn dont le schéma est présenté ci-dessous.

Figure 1  Modèle simplifié du processus de la démarche réflexive de Holborn

Figure 1 Modèle simplifié du processus de la démarche réflexive de Holborn

Pour Vacher (2011) la pratique réflexive permet une diminution de la charge affective lors de l’interaction avec les élèves et augmente la disponibilité cognitive pour la réflexion dans l’action. L’enseignant qui pose des actes sans savoir pourquoi il les pose aura beaucoup de difficultés face aux élèves désireux de comprendre. Incapable de répondre aux questions des élèves, il deviendra un dictateur du savoir qui impose des idées sans pouvoir expliquer. Il tiendra des propos du genre : « retenez comme ça » ou encore « faites comme je vous ai dit ». Il peut aussi démissionner. Il évitera les parties embarrassantes du cours et refusera de répondre aux questions de ses élèves qu’il trouvera sans intérêt. Pour résoudre ce type de situations, Campanale (2007) préconise une formation à la pratique réflexive qui permettra de passer d’un enseignant expérimenté à un enseignant réflexif. L’enseignant expérimenté résout les problèmes connus qu’il a enregistrés dans son répertoire alors que l’enseignant réflexif analyse en cours d’action ou juste après pour comprendre et apporter la solution adéquate à des problèmes nouveaux.

La formalisation

Pour un enseignant, il ne suffit pas de savoir faire, il faut pouvoir transférer ce savoir-faire à ses élèves. L’une des options consiste à faire et demander aux apprenants de faire comme le maître. Le problème ici est qu’en l’absence du maître il n’y a plus d’apprentissage. Du moins l’apprenant ne peut pas profiter des acquis de l’expérience du maître. La formalisation de l’activité résout ce problème dans la mesure où le savoir-faire du maître est verbalisé. La verbalisation est donc un élément de la maîtrise de la compétence. Enseigner la facturation signifie que l’enseignant sache facturer et qu’il sache aussi dire comment on facture. Dans l’enseignement explicite (Gauthier, Bisonnette & Richard, 2013), on parle de modelage, c’est-à-dire montrer comment faire en le disant à haute voix en classe. L’enseignant associe sa pratique d’un métier à sa capacité à décrire ce qu’il fait (verbalisation).

La notion d’activité

L’activité est ce qui est fait, ce qui est mis en jeu par le sujet pour réaliser l’objectif qu’il se fixe dans une situation donnée. L’activité ne se réduit pas au comportement, elle inclut l’activité intellectuelle, ainsi que les discours sur l’action, les interactions avec autrui.

Cette notion renvoie à l’action humaine, sa nature, ses motivations… Ici, nous nous focalisons sur l’homme en tant que sujet qui agit, transforme la réalité et se transforme lui-même. L’action est orientée par des ressources internes (connaissances, savoir-faire) et externes (langage, outils, etc.) ainsi que par des contraintes. L’enseignement professionnel privilégie l’homme « capable » mais l’homme « qui connait » ne peut être négligé. Il s’agit d’un dosage intelligent que l’enseignant doit faire. De plus, il est question pour nous d’être attentifs au décalage qu’il y a entre la prescription de l’activité (par l’enseignant) et la réalité exécutée (par l’élève). Cette prise de conscience par l’enseignant permettra alors de mener les remédiations nécessaires.

La notion de situation-problème

Pour avoir une idée de ce qu’est une situation-problème, nous reprenons une adaptation des travaux de Astolfi (1993) que nous avons réalisée en 2011 dans le cadre du master ACREDITE :

  1. Une situation-problème est organisée autour du franchissement d’un obstacle par la classe, obstacle préalablement bien identifié. Si par exemple, le but de la correspondance est de produire des écrits à l’adresse d’un correspondant, il reste que les circonstances de rédaction de chaque lettre sont uniques. La situation-problème doit donc être organisée pour que l’élève trouve le motif précis de l’écrit à produire.
  2. L’étude s’organise autour d’une situation à caractère concret. Ainsi l’enseignant devra s’arranger à placer l’élève dans un cadre qui reflète la réalité, en utilisant par exemple les imprimés, les outils, les machines réellement utilisés dans les entreprises au lieu de les schématiser. Une photocopie d’un chèque est plus réaliste qu’un dessin.
  3. Les élèves doivent se sentir concernés par la situation qui leur est proposée. Un jeu de rôle dans la classe ou dans le groupe est de nature à motiver les élèves. Dans le cadre d’un chantier de construction d’un immeuble, la situation-problème pourrait attribuer à chaque élève du groupe ou de la classe un rôle qui l’amène à développer des compétences particulières (chef de chantier, contremaitre, aide maçon …).
  4. Les élèves ne disposent pas, au départ, des moyens de la solution recherchée, en raison de l’existence de l’obstacle qu’ils doivent franchir pour y parvenir. C’est le besoin de résoudre un problème qui conduit l’élève à élaborer ou à s’approprier les instruments intellectuels qui seront nécessaires à la construction d’une solution.
  5. Les élèves doivent se retrouver face à une difficulté qui les oblige à faire recours à leurs connaissances antérieures. Leurs conceptions actuelles doivent buter à la difficulté pour les amener à élaborer de nouvelles idées. L’élève doit se sentir coincé à un moment et se battre pour trouver la solution. Par exemple, pourquoi dire à l’élève qu’il y a une erreur dans le chèque au lieu de le laisser découvrir ?
  6. Pour autant la solution ne doit pourtant pas être perçue comme hors d’atteinte pour les élèves, la situation-problème n’étant pas une situation à caractère problématique (sans solution exacte). L’activité doit être menée dans une zone proximale, propice au défi intellectuel à relever et à l’intériorisation des « règles du jeu ».
  7. La validation de la solution et sa sanction n’est pas apportée de façon extérieure par l’enseignant, mais résulte du mode de structuration de la situation elle-même.
  8. Le réexamen collectif du cheminement parcouru est l’occasion d’un retour réflexif, à caractère métacognitif. Il aide les élèves à conscientiser les stratégies qu’ils ont mises en œuvre de façon heuristique, et à les stabiliser en procédures disponibles pour de nouvelles situations-problèmes. C’est ainsi qu’après en avoir rédigé deux ou trois rapports d’activité, on pourra en élaborer une procédure de production.

Dans le cadre de notre expérience, la situation-problème apparait sous deux angles, d’abord comme situation d’enseignement/apprentissage et ensuite comme une situation d’évaluation. La situation d’enseignement/apprentissage, est une situation-problème élaborée pour servir de base à un enseignement ou un apprentissage. Elle permet alors aux apprenants de découvrir, d’élaborer un processus, de développer de nouvelles compétences dans le cadre d’une activité guidée et suivie par l’enseignant de bout en bout. La situation d’évaluation est une situation-problème qui permet d’évaluer les aptitudes et les compétences de l’apprenant après qu’un enseignement ait été dispensé. Elle peut être simple dans le cadre d’une évaluation formative c’est-à-dire au moment où l’enseignant veut s’assurer que les élèves ont compris son message. L’intention étant de remédier au cas où le message n’aurait pas été correctement perçu avant de continuer la formation. La situation d’évaluation peut être complexe dans le cadre d’une évaluation certificative finale. La complexité tient à ce qu’elle fait appel à plusieurs connaissances et aptitudes variées. Les savoirs, savoir-faire et savoir-être à mobiliser pour résoudre le problème peuvent couvrir plusieurs années d’apprentissage. L’épreuve d’étude de cas à l’examen de sortie de l’ENIET est une situation d’intégration complexe. Une situation d’évaluation simple est par exemple la vérification d’une définition ou d’un concept qui vient d’être enseigné. Elle fait appel généralement appel à un savoir ou un savoir-faire. Elle est généralement brève.

Méthodologie

Au moment d’engager cette formation, nous avions pour objectif d’amener les participants à formaliser le processus d’élaboration d’une situation-problème et de l’enseigner pour que les futurs instituteurs l’apprennent théoriquement avant de sortir de l’ENIET. Il ne nous était pas possible de regrouper tous participants au même endroit. L’équipe des IPN, encadreurs, s’est déplacée dans chacune des neuf régions concernées. A chaque étape, nous avons regroupé les IPR de la région et tous les enseignants de l’ENIET concernée pour une journée. Il existe une ENIET par région. La journée était organisée en trois temps forts : l’exposé introductif, les travaux en atelier et la restitution en séance plénière.

L’exposé introductif permettait à chaque fois de planter le décor. A l’occasion, nous dressions l’historique de la naissance des nouveaux programmes et en présentions les spécificités pour terminer par les attentes de la hiérarchie vis-à-vis des enseignants. En effet, la hiérarchie avait opté pour l’APC mise en œuvre en suivant les principes de la pédagogie de l’intégration.

D’une durée moyenne de trois heures, les travaux en atelier étaient l’occasion d’entrer dans le vif du sujet. Dans les ENIET à grands effectifs de personnels notamment Douala, Soa et Mbengwi, les participants ont été regroupés par spécialité. Par contre, dans les établissements à petits effectifs d’enseignants, les participants ont été regroupés par affinité de la manière suivante :

Tableau 1 : Répartition des ateliers

Spécialité 1
Spécialité 2
Spécialité 3
Atelier 1
Comptabilité et Gestion
Bureautique et Communications Administratives
Atelier 2
Industries de l’Habillement
Couture flou
Restauration
Atelier 3
Electricité
Maintenance Industrielle
Froid et Climatisation
Atelier 4
Installation Sanitaire
Construction en maçonnerie et Béton Armé
Menuiserie-Ameublement
Atelier 5
Sciences de l’Education

 

Les enseignants des disciplines transversales étaient répartis dans les différents ateliers. Le département de sciences de l’éducation a eu droit à un atelier.

D’un établissement à l’autre, la consigne de travail est restée la même : « Elaborer une situation d’apprentissage et une situation d’évaluation et pour chacune d’elle, énoncer le processus d’élaboration ». Les exemples d’application devaient changer à chaque étape. Cela avait pour avantage d’éviter la routine et de permettre aux IPN de faire le tour de plusieurs thèmes inscrits au programme dans le sens de vérifier qu’ils sont pertinents et compréhensibles par les acteurs de terrain.

Le scénario dans chaque atelier était simple. L’animateur choisit un thème dans le programme à partir duquel il amène le groupe à créer une situation d’apprentissage. À partir de l’analyse de cette situation-problème les membres du groupe ressortent le processus théorique qu’ils ont suivi pour l’élaborer. Le but ici était de faire transparaître l’aspect méthode dans la création d’une situation-problème, afin que le processus devienne conscient et formel. Car c’est à partir du moment où il est conscient et formel que ce processus peut être valablement enseigné théoriquement aux futurs enseignants. Il faut préciser que la création d’une situation-problème n’est pas un exercice nouveau pour les enseignants des ENIET. En effet, l’épreuve d’Etude de Cas à l’examen du Certificat d’Aptitude Pédagogique d’Instituteur de l’Enseignement Technique (CAPIET) est en soi une situation-problème. Seulement, ces enseignants avaient-ils une méthode de travail pour élaborer cette épreuve ? Etaient-ils capables d’enseigner cette méthode aux élèves-maîtres ? Il y a lieu d’en douter. C’est pourquoi nous nous sommes servis de cette activité pour former les enseignants à la pratique réflexive. Au bout du compte les enseignants devaient pouvoir conceptualiser leur activité, notamment en ce qui concerne la préparation de l’acte d’enseigner et la préparation de l’évaluation dans un contexte où l’APC est mise en œuvre avec la pédagogie de l’intégration.

Lors des séances de travail, l’IPN modérateur posait le problème à résoudre et laissait les participants contribuer sous forme de brainstorming. Il n’a pas été donné aux participants une base de connaissances sur les notions de processus et de situation-problème. Ceci avait pour but d’éviter de les enfermer dans des « a priori » qui auraient empêché le brainstorming de se réaliser à fond. Le modérateur avait alors la charge de canaliser les débats pour que les participants ne s’éloignent pas du sujet. Il pouvait alors en cas de nécessité définir certains termes théoriques en rapport avec le sujet.

Au cours de la séance plénière chaque atelier présentait publiquement les résultats de ses travaux que les autres participants pouvaient interroger, critiquer et améliorer. L’occasion nous était donnée de corriger les insuffisances de compréhension de certaines notions théoriques. C’était le moment pour les IPN d’ajuster leurs bases de connaissances théoriques aussi. Cela leur permettait d’être mieux outillés et autonomes au fur et à mesure que nous passions d’un établissement à un autre. C’est ainsi qu’à la fin du processus les IPN devaient détenir la meilleure version des deux processus d’élaboration après avoir collecté toutes les idées de tous les enseignants et IPR. Ils avaient alors la charge de diffuser cette version dans toutes les régions pour qu’elle serve de support à tous les enseignants.

Résultats

Dans un processus de réflexivité et de brainstorming, les participants ont formalisé un processus de création d’une situation d’enseignement/apprentissage et un processus de création d’une situation d’évaluation. Les séances de restitution en plénière nous ont permis de donner des éclairages sur les notions d’activité, de situation-problème, situation d’enseignement/apprentissage et situation d’évaluation.

A l’issue de la première étape, nous avons remarqué que les résultats étaient loin des attentes, parce que les participants n’avaient pas encore vraiment compris ce qui leur était demandé, que ce soit le processus de création d’une situation d’apprentissage ou celui de création d’une situation d’évaluation. Il leur était demandé de verbaliser leur propre activité. Mais ils n’arrivaient pas à se détacher de leur posture d’enseignant détenteur du savoir à partager. Ils continuaient à donner des instructions et des consignes en utilisant des expressions comme : « l’on doit », «il faut »… Pourtant il était demandé à l’enseignant de décrire son action personnelle. Certains ateliers ont tout simplement listé les savoirs contenus dans la situation-problème qu’ils ont choisi d’élaborer. Aucun groupe n’avait utilisé les verbes d’action. Les participants n’avaient pas compris qu’ils devaient se détacher de leur action pour s’observer eux-mêmes. Certains groupes ont tout simplement cité quelques éléments de contenu de l’exercice qu’ils ont pris comme exemple de situation-problème. Les productions des différents ateliers étaient restées très sommaires.

L’atelier que nous nommerons ici X a proposé le processus d’élaboration d’une situation d’enseignement/apprentissage suivant :

1 – Le contenu retenu

Les ordres de classement principaux :

  • Le classement alphabétique et
  • Le choix d’un procédé ou mode de classement

2 – Les savoirs associés nécessaires

Il s’agit du Français, l’alphabet français, la grammaire notamment la nature des mots.

Un autre atelier que nous nommons Y a proposé le Processus d’élaboration d’une situation d’évaluation que voici :

Pour procéder à une bonne évaluation par la rédaction d’un bon sujet d’étude de cas il faut les éléments suivants :

  1. Identification de l’objet de l’étude ;
  2. La préparation des questionnaires ;
  3. Le temps et le moment de l’évaluation ;
  4. La pondération (poids de chaque partie de l’étude ;
  5. Élaboration du corrigé de l’épreuve ;

Nous devons relever ici que le déficit de compréhension est aussi celui des animateurs d’ateliers. Rappelons que nous avons voulu les mettre eux-mêmes face à la difficulté pour qu’ils perçoivent à travers l’exercice la particularité de la pratique réflexive. Ils n’ont pas toujours eu l’occasion de la mettre en pratique.

A partir de la deuxième étape, les participants ont commencé à comprendre qu’il est question pour eux de décrire une activité qu’ils ont l’habitude de mener. C’est à ce moment qu’on trouve dans les productions les verbes d’action tels que : Consulter, Identifier… Seulement, ces verbes qui décrivent une action sont encore mélangés avec des expressions plus floues du genre : « Partir des questions simples aux complexes », qui veut dire en fait que l’enseignant posera des questions en partant des plus simples aux plus complexes. Ceci dénote de la difficulté à pouvoir se détacher de soi et se voir dans un miroir.

A partir de la troisième étape, la consigne de travail semblait désormais comprise. Les productions correspondaient de mieux en mieux à la description d’une activité. De plus en plus, les verbes d’action étaient utilisés par les participants. Dès lors nous avons insisté sur la finesse de la description pour qu’aucune action importante ne soit sous-entendue ou oubliée. Voici le processus d’élaboration d’une situation d’évaluation que nous propose l’Atelier X à l’issue de la quatrième étape :

  1. Analyser le programme pour connaître les compétences à évaluer ;
  2. Lister les compétences à évaluer ainsi que les conditions de réalisation ;
  3. Respecter la structure de l’épreuve ;
  4. Élaborer le cas ;
  5. Déterminer les critères d’appréciation et élaborer le corrigé.

Cette proposition est encore sommaire. Elle est structurée. Les verbes analyser et respecter prêtent encore à équivoque. Leur contenu a besoin d’être explicité pour que leur enseignement soit efficace.

Dès cet instant, les IPN aguerris à la tâche ont continué l’animation sans plus réclamer du soutien de notre part. Au bout de tout le processus, les IPN se sont réunis pour synthétiser les différentes productions pour en sortir les deux processus suivants :

Processus d’élaboration d’une situation d’apprentissage

  1. Identifier à partir du programme d’étude et de la progression, la compétence à enseigner ;
  2. Définir la durée de la leçon ;
  3. Rechercher la documentation qui traite de la compétence, objet de la leçon ;
  4. Identifier les prérequis et les savoirs associés à la compétence à enseigner ;
  5. Vérifier que ces savoirs associés sont/seront enseignés à une date antérieure à celle de la leçon (se servir par exemple des progressions des autres collègues enseignants concernés…) ;
  6. Choisir un thème ou support de l’enseignement/apprentissage de la compétence, objet de la leçon (le choix est ici guidé par le niveau des apprenants, la disponibilité ou l’accessibilité de ce support…) ;
  7. A partir du thème ci-dessus choisi, formuler les questions allant de la plus simple à la plus complexe, aboutissant ainsi à la compétence faisant l’objet de l’enseignement/apprentissage ;
  8. Organiser les postes de travail (Identifier la salle ou l’atelier dans lequel la leçon sera conduite, recenser la matière d’œuvre, l’outillage et l’équipement nécessaires, constituer des groupes d’apprenants si nécessaire, vérifier l’état de fonctionnement des équipements nécessaires, faire au besoin les réglages…).

Processus d’élaboration d’une situation d’évaluation

  1. Identifier la ou les compétence(s) enseignée(s) devant faire l’objet de l’évaluation ;
  2. Définir la durée de l’évaluation ;
  3. Choisir un thème ou support de l’évaluation en rapport avec le niveau de la classe ;
  4. À partir du thème, choisir les outils à utiliser pour évaluer chaque aspect de la compétence ciblée. Parmi ces outils nous pouvons avoir les questions, des observations, des productions, etc. Lorsqu’il s’agit de questions, celles-ci doivent être claires, précises et autant que faire se peut indépendantes ;
  5. Organiser les postes de travail (Identifier la salle ou l’atelier dans lequel l’évaluation aura lieu, recenser la matière d’œuvre, l’outillage et l’équipement nécessaires, vérifier l’état de fonctionnement des équipements nécessaires, faire au besoin les réglages…) ;
  6. Établir le barème de notation en tenant compte du poids de chaque question (les questions simples sont les moins payées et les plus complexes les plus payées) ;
  7. Élaborer le corrigé qui sert entre autres à vérifier si les questions sont bien posées.

Conclusion

Cette expérience nous a permis de constater que la pratique réflexive s’acquiert au fur et à mesure de l’exercice. Il a fallu trois séances d’animation pour que les IPN comprennent clairement ce qu’il fallait faire. La pratique réflexive nécessite une réelle volonté de la part du praticien. Il s’agit de la volonté de se remettre en cause pour s’améliorer.

La pratique réflexive est un exercice complexe parce qu’il n’est pas facile de se détacher pour analyser sa propre activité. Elle doit donc être enseignée et travaillée afin que les enseignants prennent conscience de ce que leurs pratiques quotidiennes doivent évoluer pour faire face aux défis et dilemmes du métier : amélioration des résultats scolaires, respect de l’éthique, respect des prescriptions administratives, hétérogénéité des apprenants, volume important des apprentissages… Cette formation devrait être structurée. La formation en groupe a l’avantage de l’interaction entre les participants qui très souvent sont mieux outillés qu’on y pense (Faingold, 2006).

Au bout du compte, les IPN disposent d’un outil utile dans l’élaboration des situations-problèmes d’enseignement-apprentissage et d’évaluation. C’est outil doit maintenant être diffusé et suivi. Il est évident qu’une séance de quelques heures reste insuffisante pour former un enseignant réflexif. Les enseignants devraient être encouragés à réaliser des séances de travail au cours desquelles ils critiquent leurs pratiques quotidiennes au niveau des conseils d’enseignement dans chaque ENIET. Un cadre de concertation interdisciplinaire devrait également voir le jour dans chaque ENIET pour permettre aux enseignants de construire des progressions harmonisées qui facilitent la construction de situations d’intégration. Les IPN devraient développer des outils qui amènent les enseignants à revenir sur leurs pratiques quotidiennes.

Bibliographie

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Sites web consultés

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www.iaat.org/telechargement/guide_methodo/2_1_brainstorming.pdf

Animer un brainstorming https://docs.google.com/document/d/11-gCmrav8R0dEebj7-sh3RztxziDgS2yjtLF87Dw76g/pub

 

 


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