L’intégration de la santé sexuelle et de la reproduction dans l’enseignement technique et professionnel : qu’en pensent les enseignants des écoles techniques et professionnelles ? Rénovate Irambona renirambona@yahoo.com Damien Bahenda, damienbahenda@gmail.com Venant Nyandwi vetydwi@yahoo.fr

L’intégration de la santé sexuelle et de la reproduction dans l’enseignement technique et professionnel  qu’en pensent les enseignants des écoles techniques et professionnelles

L’intégration de la santé sexuelle et de la reproduction dans l’enseignement technique et professionnel qu’en pensent les enseignants des écoles techniques et professionnelles

Résumé

L’intégration de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires au Burundi est une initiative du ministère ayant en charge l’éducation et qui est appuyée par des bailleurs comme l’Unesco, le FNUAP et bien d’autres. Le bien-fondé de cette initiative est que les élèves doivent développer des compétences de base, mettant l’accent sur le développement des capacités à manifester un comportement positif et adapté permettant de faire face aux exigences et défis de la vie quotidienne. L’intégration effective des contenus d’éducation sexuelle dans les curricula constitue un défi majeur pour les planificateurs et tous les partenaires de l’éducation. Quel accueil sera réservé à cette réforme qui revêt un caractère révolutionnaire ?

Quarante-quatre enseignants des écoles techniques et professionnelles de Bujumbura, capitale du Burundi ont été soumis à un questionnaire sur ce qu’ils pensentde l’intégration de l’éducation sexuelle dans les programmes de leurs écoles.

Les résultats de cette étude montrent que cette nouvelle matière est la bienvenue dans l’enseignement technique et professionnel. Seulement, les enseignants ont besoin d’une formation en la matière et une approche méthodologique adaptée doit être sérieusement repensée.

Mots clés

Formation des enseignants, enseignement technique et professionnel, éducation sexuelle, santé sexuelle et reproductive

Introduction

L’une des stratégies de la politique nationale de planification familiale et de lutte contre le SIDA au Burundi est la mise en place dans toutes les écoles, des programmes intégrant l’éducation sexuelle et la santé de la reproduction. L’Unesco soutient cette initiative (Unesco, 2010). Par ailleurs, le taux de grossesse en milieu scolaire est très élevé. Quant au taux de prévalence du VIH, il est de 2,97 % au niveau national. Le ministère en charge de l’Éducation nationale est entré depuis 2013 dans un processus d’intégration de l’éducation sexuelle et de la santé de la reproduction dans les curricula. Les écoles techniques et professionnelles devront aussi suivre ces programmes, car leurs lauréats s’intègrent très jeunes dans la vie active et ont besoin d’être outillés en rapport avec ces compétences à la vie afin de prendre de décisions responsables pour se protéger et protéger leur entourage. Il est aussi nécessaire que les apprenants possèdent les informations, les connaissances et compétences et qui leur permettent de prendre des décisions responsables en matière de sexualité, des relations interpersonnelles, de l’infection à VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles.

En juin 2013, les conseillers pédagogiques étaientconviés à suivre une formation sur la santé sexuelle et de la reproduction, avant d’élaborer les contenus matière qui pourront figurer dans les programmes pour l’année scolaire 2014-2015. Les conseillers du Bureau d’études de l’enseignement technique (BEET) actuelle DDCTP (Direction du développement des compétences techniques et professionnelles) ont suivi ces formations et comptent vulgariser les connaissances acquises au niveau des enseignants de toutes les écoles techniques et professionnelles du Burundi avant l’intégration effective des programmes dans les curricula.

Cela constitue une véritable réforme curriculaire du système éducatif surtout que les contenus d’enseignement doivent être étayés par des infor- mations scientifiquement précises, culturellement pertinentes, adaptées et pédagogiquement conçues en rapport avec l’âge et le niveau d’étude des apprenants (International sexuality and HIV curriculum working group, 2011).

Des défis majeurs commencent à poindre à l’horizon face à cette réforme :

  • Quelle est la motivation de ces conseillers pédagogiques de l’enseignement technique et professionnel par rapport à ces formations en sexualité et santé de la reproduction ?
  • Quel va être l’accueil réservé à cette nouvelle matière par les enseignants des écoles techniques et professionnelles ?
  • Est-ce que la méthodologie et les contenus proposés pour l’enseignement de la santé sexuelle et de la reproduction rencontrent l’approche pédagogique déjà en place ?
  • Quelles sont les difficultés d’intégration de cette matière considérée maintenant comme transversale au Burundi, dans les programmes déjà en place ?

Cet article donnera une ébauche de réponse à ces questionnements.

Méthodologie

Des enseignants des écoles techniques et professionnelles de Bujumbura, la capitale du Burundi ont été interrogés sur plusieurs thèmes en rapport avec l’intégration de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires : leur motivation à intégrer cette matière dans les programmes habituellement vus, sur le bien-fondé de cette intégration, les difficultés qu’ils prévoient dans l’enseignement de l’éducation sexuelle à l’école et la méthodologie qu’ils pensent adaptée à cette nouvelle matière. Les enseignants qui ont collaboré à cette recherche ont donné des informations qualitatives et quantitatives qui ont été ensuite traitées statistiquement et par analyse de contenus pour les items qualitatifs. Les résultats sont présentés et discutés dans cet article.

Résultats et discussion

Présentation de l’échantillon

L’échantillon était composé de 44 enseignants travaillant dans 4 écoles secondaires techniques de Bujumbura. Ils avaient un âge compris entre 26 et 60 ans avec une moyenne de 40 ans. 78 % de ces enseignants étaient de sexe masculin. 46 % avaient le niveau d’étude licence, 22 % un niveau inférieur à la licence et 32 % un niveau supérieur à la licence. Parmi ces enseignants, 14 % n’ont jamais reçu des informations concernant l’éducation sexuelle. Les 86 % qui restent et qui ont déjà entendu parler de ce thème ont reçu ces informations principalement par les médias (émissions radiodiffusées, journaux) ou par des formations organisées par des associations et organisations non gouvernementales (ONG). D’autres ont entendu parler de l’éducation sexuelle à l’église, à l’école dans les cours de civisme et de biologie, et enfin dans les clubs scolaires appelés clubs « Stop SIDA ».

Motivation des enseignants à intégrer l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires

Parmi les enseignants enquêtés, 95 % disent sentir le besoin d’en savoir plus sur l‘éducation sexuelle pour pouvoir répercuter des contenus y étant relatifs à travers les différentes matières enseignées habituellement à l’école.

Cette attitude des enseignants est compréhensible étant donné que la plupart d’entre eux n’ont pas eu une formation à proprement parler en matière d’éducation sexuelle. Comme ils disent entendre cela dans des émissions radiodiffusées et le lire dans les journaux, certains contenus scientifiques ne s’y retrouvent pas forcément. Il est à noter que les personnes qui n’ont pas reçu l’éducation sexuelle ont elles aussi de la peine à communiquer sur ce thème (Kirby, 2012).

Le bien-fondé de l’intégration de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires

Cent pour cent (100 %) des participants à cette étude reconnaissent que les contenus d’éducation sexuelle devraient être intégrés dans les programmes scolaires pour réduire certains problèmes comme les grossesses précoces, les maladies sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA, les rapports sexuels précoces chez les élèves, les abandons scolaires dus aux mariages précoces, etc.

Un des enquêtés s’exprime ainsi « oui, ces programmes d’éducation sexuelle sont nécessaires non seulement dans les écoles techniques et professionnelles mais aussi dans tous les niveaux d’études parce que la jeunesse d’aujourd’hui semble être désorientée ». Un autre affirme que « les lauréats de ces écoles ont des diplômes qui leur donnent accès à la vie professionnelle et beaucoup d’entre eux fondent des familles et là je crois que s’ils ne sont pas informés sur l’éducation sexuelle, ils font de faux départs dans leur vie de couple ».

Ces témoignages font état des problèmes des jeunes, qui sont par ailleurs corroborés par différents rapports des études qui ont été faites au Burundi. Selon le rapport de l’Étude sur les grossesses en milieu scolaire au Burundi (FNUAP, 2013), le phénomène des grossesses en milieu scolaire prend une allure inquiétante : selon le rapport annuel du ministère de l’Enseignement de base et secondaire, de l’enseignement des métiers, de la formation professionnelle et de l’alphabétisation, au cours de l’année scolaire 2011-2012, sur 6 120 élèves réintégrant l’école après un abandon pour causes diverses, 1 000 filles avaient interrompu leur scolarité pour raison de grossesse, soit 16 %.

Selon le même rapport, 1 287 cas de grossesses non désirées ont été enregistrés dans les écoles secondaires et 707 dans les écoles primaires au cours de l’année scolaire 2010-2011. Pour l’année scolaire 2011-2012, les chiffres n’ont pas beaucoup changé avec 1 286 cas. Ces grossesses sont liées essentiellement aux harcèlements  sexuels, aux viols, à la « prostitution pédagogique », à l’ignorance des méthodes contraceptives, à l’abus de l’alcool et à la prise de drogues.

D’après les données du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2008, sur une population des jeunes filles de 12 à 18 ans ; 5,2 % ont un enfant ou plus ; 28 % des mineures ayant un enfant ont entre 12 et 14 ans.

Selon les résultats de la deuxième enquête démographique et de santé, EDSII (ISTEEBU, 2012) menée au Burundi en 2010, pour l’ensemble des adolescents de 15-19 ans, 11 % ont déjà commencé leur vie procréative, ce qui montre un état d’une fécondité précoce. Un pourcentage non négligeable de jeunes, (53 % de jeunes hommes et 55 % de jeunes femmes âgés de 15 à 24 ans), ne connaissent pas correctement les moyens de prévention contre le VIH/SIDA.

La prise en compte de tous ces problèmes concernant les jeunes devrait être une priorité dans la planification de l’enseignement. Par ailleurs, les enseignants enquêtés reconnaissent que les contenus d’éducation sexuelle figurant dans les programmes scolaires sont insuffisants ou presque inexistants. Là où les enseignants font un effort d’enseigner ces matières, qui ne sont pas par ailleurs obligatoires, ils se heurtent à un manque d’outils pédagogiques. Et l’on sait que dans les familles et les communautés, le thème de sexualité est tabou. Les parents ont des difficultés à parler aux jeunes des thèmes concernant la sexualité et la santé reproductive (CARE International Burundi, 2013). Or, l’ignorance est la principale cause des problèmes de santé sexuelle et reproductive qui touchent les jeunes. Il est important par conséquent que les jeunes puissent bénéficier d’une éducation sexuelle complète à l’école.

Méthodologie à adopter pour l’enseignement des matières relatives à l’éducation sexuelle

Comme les contenus relatifs à l’éducation sexuelle sont développés aléatoirement dans les écoles, les enseignants des écoles techniques et professionnelles pensent qu’il faudrait renforcer ces notions en les mettant prioritairement dans les enseignements parascolaires, comme dans le cadre des clubs scolaires. Toutes les écoles ont créé des clubs « Stop SIDA » qui sont favorables alors aux échanges entre enseignants et élèves en ce qui concerne la sexualité et la santé reproductive. Il serait utile d’utiliser dans ces clubs du matériel audiovisuel, de partir des cas concrets, de créer un cadre participatif où chaque élève peut s’exprimer librement, de ne pas essayer d’imposer des solutions toutes faites aux élèves, et de causer de façon simple et amicale, bref de créer un espace de convivialité, différent de ce qu’on voit en classe.

D’autres enseignants proposent que les notions d’éducation sexuelle passent à travers les cours de civisme et de biologie, mais que cela soit consistant et qu’il y ait du matériel nécessaire et des formations spécifiques pour cette matière d’abord pour les formateurs. Les cours d’éducation sexuelle programmés à part,  en parallèle avec les autres cours, créeraient une surcharge pour les élèves. C’est pourquoi certains enseignants proposent aussi une méthodologie ludique par des chants, des danses, des poèmes, etc., tout cela en conformité avec les normes culturelles et sociales.

Par ailleurs, cette éducation sexuelle respectant l’âge de l’enfant, s’adaptant à la culture et donnant information correcte et complète, dénuée de jugements de valeur, ne peut qu’être utile à tous les enfants et les jeunes (Unesco, 2010).

Conclusion

Au Burundi, les apprenants sont exposés à plusieurs contradictions émanant des parents, des enseignants, des médias et des pairs. Ils sont de ce fait fréquemment confrontés à des valeurs différentes, voire opposées, sur le genre, l’égalité des sexes et la sexualité. De surcroît, les parents sont souvent réticents à parler de la sexualité avec les apprenants en raison des normes culturelles, de leur propre ignorance ou de la gêne qu’ils éprouvent sur ces questions. Les enseignants comme les parents sont victimes des mythes sur la sexualité et la santé de la reproduction. Certains formateurs restent convaincus que parler de l’éducation sexuelle en milieu scolaire incite à des rapports sexuels précoces alors qu’il est établi qu’une bonne éducation sexuelle encourage des pratiques sexuelles plus responsables et plus tardives. Comme il subsiste encore des contradictions et des irrégularités dans les curricula, l’intégration de la santé sexuelle et de la reproduction devra s’adapter au contexte local, culturel et social.

À cet effet, les concepteurs des programmes d’enseignement devraient s’entendre pour adapter les normes sociales aux bonnes pratiques éducatives sans porter atteinte aux droits de la personne humaine. Les programmes d’enseignement devraient contenir des connaissances qui permettent d’acquérir des capacités de faire des choix responsables dans leur vie. Les enseignants eux-mêmes devraient avoir une certaine formation avant de pouvoir donner ces matières d’éducation sexuelle. Certains thèmes concernant cette matière n’ont jamais été vus par ces enseignants. Le contenu des formations touche pratiquement les thèmes comme les droits humains, le genre, le leadership, la sexualité, la santé de la reproduction, les infections sexuellement transmissibles, le VIH/SIDA, les relations interpersonnelles, les aptitudes à la communication.

Bibliographie

CARE International Burundi (2013). Rapport de l’étude sur les droits sexuels et reproductifs. Bujumbura. FNUAP (2013). Étude sur les grossesses en milieu scolaire. Bujumbura

International Sexuality and HIV Curriculum Working Group (2011). Un seul programme : Pour une approche pédagogique unifiée de la sexualité, du genre, du VIH et des droits humains. New York : The population Council.

Institut de statistiques et d’études économiques du Burundi (ISTEEBU), ministère de la Santé publique et de la lutte contre le SIDA [Burundi] (MSPLS), et ICF International. (2012). Enquête démographique etde santé Burundi 2010. Bujumbura : ISTEEBU, MSPLS, et ICF International.

Kirby, D (2012). Réduire les comportements sexuels à risques chez les jeunes : Kit de formation à l’intention des concepteurs de programmes scolaires. CA : ETR Associates.

Unesco (2010). Principes directeurs internationaux sur l’éducation   sexuelle: Uneapprochefactuelle à l’intention des établissements scolaires, des enseignants etdes professionnels de l’éducation à la santé. Paris : Unesco

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