Résumé
En visant un savoir les pratiques didactiques visent la genèse d’un signe, un signe qui renvoie à une pratique sociale de référence. L’organisation par les pratiques didactiques de l’accès au signe pour l’apprenant comporte une difficulté d’ensei- gnement que celle-ci aurait tendance à éluder en limitant l’activité de l’apprenant à l’apprentissage béat de la pratique.
Comment conceptualiser et spécifier les stipulations d’une genèse, en classe, de savoirs, lorsque ceux-ci sont conçus comme signes qui renvoient à des pratiques sociales de référence ?
Dans quelle mesure est-il nécessaire pour les pratiques didactiques de tenir compte de ces stipulations.
Nous avons demandé à une proportion assez importante d’étudiants appartenant à des sections à teneur mathématique, de réaliser l’écriture fractionnaire en se basant sur une pratique originale. Nous considérons cette pratique comme devant être la pratique de référence pour l’écriture fractionnaire en mathématique. Ainsi, seule une proportion de moins de 4 % a pu réaliser l’écriture correspondante.
Ces résultats ont montré que la pratique classique de « fractionnement/partage » bien qu’elle soit une pratique qu’on sténographie avec l’écriture fractionnaire, ne constitue pas la pratique de référence idoine pour cette écriture. En effet, celle-ci admet comme pratique de référence certaines actions que nous pouvons classer dans la catégorie d’actions de « coupage/collage ».
Pour conclure, nous pouvons avancer que ce qui est valable pour l’écriture fractionnaire dans son rapport avec la pratique du fractionnement et du partage serait valable aussi pour les autres savoirs et les pratiques de références associées.
Mots clés
Pratique de référence, motricité, mission
Introduction
Tout objet de savoir renvoie à une pratique sociale. En vertu de quoi, toute intervention didactique construite autour d’un objet de savoir vise instituer, de manière médiate, la pratique sociale à laquelle renvoie cet objet. Pris avec ce renvoi, l’objet est signe. La genèse, en classe, du signe et celle de la pratique ne sont pas de même nature car ils ne s’appuient pas sur les mêmes ressorts. En effet, s’accomplissant à travers une activité strictement opératoire voire mécanique et routinière, l’apprentissage d’une pratique peut se contenter de moyens de dressage d’un opérateur humain ou de programmation d’une machine dédiée à cette pratique. Quant au signe, en tant qu’il offre un point de vue de décentration par rapport à l’effectuation mécanique de la pratique, le signe n’est pas d’un accès aussi direct. Ainsi, l’organisation par les pratiques didactiques de cet accès pour l’apprenant comporte une difficulté d’enseignement que celles-ci auraient tendance à éluder en limitant l’activité de l’apprenant à l’apprentissage béat de la pratique.
Cette communication vise à apporter des éléments de réponse aux deux questions suivantes :
- Comment conceptualiser et spécifier les stipulations d’une genèse, en classe, de savoirs, lorsque ceux-ci sont conçus comme signes qui renvoient à des pratiques sociales de référence ?
- Dans quelle mesure est-il nécessaire pour les pratiques didactiques de tenir compte de ces stipulations ?
Ces deux questions constituent le contexte général de ce travail. Mais qui peut en être le contexte local ?
Fractionner un tout en vue, par exemple, d’un partage où la prise d’une partie dans ce tout est, relativement à l’écriture fractionnaire, une pratique de référence. Se poser la question de savoir si les pratiques didactiques érigent ou non cette pratique au niveau du signe renvoyant à cette écriture constitue le contexte local de ce travail.
Plus précisément, parce que tout porte à croire que la réponse à la question ci-dessus est par l’affirmative, nous estimons important d’apporter des arguments qui soient en faveur du contraire ; étant entendu que ce qui est valable pour l’écriture fractionnaire dans son rapport avec la pratique du fractionnement et du partage serait valable aussi pour les autres savoirs et les pratiques de références associées. Le calcul fractionnaire estconfronté à des difficultés quantà son enseignement.
En effet, bien que la notion de fraction fasse partie des objets d’enseignement destinés aux élèves du primaire (9-10 ans), l’opération qui consiste à rendre au même dénominateur deux fractions pour les additionner n’est pas, comme objet d’enseignement, destiné qu’aux élèves dont le niveau d’enseignement se situe au milieu de l’enseignement collégial, voire vers la fin de l’enseignement obligatoire (12-14 ans). Ce trop grand écart entre le moment de l’introduction de l’écriture fractionnaire et le moment de son institutionnalisation témoignent de ces difficultés. Nous avançons l’hypothèse selon laquelle :
- ces difficultés sont dues au fait que le « fractionnement/partage » bien qu’il soit une pratique qu’on sténographie avec l’écriture fractionnaire, il se peut qu’il ne constitue pas la pratique de référence idoine pour cette écriture ;
- les pratiques scolaires fonctionnent, à propos de l’écriture fractionnaire, comme si le « fractionnement/partage » en constitue la pratique de référence idoine ;
- l’écriture fractionnaire admet comme pratique de référence certaines actions que nous présentons ici-même et que nous pouvons classer dans la catégorie d’actions de « coupage/collage » : nous qualifions cette catégorie de pratique de référence car elle est susceptible d’être érigée au niveau d’un signe, en tant qu’elle est capable de renvoyer à toutes les conséquences logiques qu’on peut tirer de l’écriture fractionnaire en tant que sténographie des actions rentrant dans cette catégorie ;
- cette catégorie d’actions est un point aveugle des contrats didactiques successifs que les systèmes didactiques nouent autour de l’écriture fractionnaire.
Cadre théorique
Martinand et les pratiques de référence en enseignement technologique
Selon le didacticien de la physique, Martinand (1986), la transposition didactique ne renvoie pas seulement aux savoirs savants. Et ce, soit parce que ce savoir n’existe tout simplement pas soit parce que la finalité de l’acte d’enseignement le pousse à avantager d’autres références. Ces savoirs ne constituent en définitive qu’une ressource, parmi d’autres possibles, pour l’élaboration des contenus d’enseignement. Autrement dit, la didactisation ne procède pas uniquement à partir de savoirs savants, elle peut aussi procéder à partir de pratiques sociales dites de référence. Pour ce didacticien de la physique, les pratiques sociales sont des activités ou des interventions qui ont cours dans un milieu donné et qui concernent l’ensemble d’un secteur social (Martinand, 1986). Elles désignent l’ensemble des activités sociales (vécues, connues ou imaginées) qui peuvent servir de référence pour construire des savoirs à enseigner et des savoirs enseignés. Ainsi, selon Martinand, pour peu que des savoirs disciplinaires soient cristallisés dans des pratiques sociales, celles-ci peuvent s’avérer être un vecteur précieux pour la didactisation de ces savoirs et un potentiel d’apprentissage.
Les trois régimes de l’action selon Rastier
Stipulations d’une sémiotisation forte de l’activité enseignante
Les ressorts de la genèse en classe du signe qui renvoie à une pratique sociale de référence sont ceux qui sont à l’œuvre dans le passage d’une motricité contrôlée à une motricité stylisée. Ce passage s’effectue en plusieurs étapes : la première est la proposition, par l’apprenant actant, de styles alternatifs de motricités. Cette proposition est accompagnée de preuves de validation du style, avancées par le proposant. La deuxième étape est la mise à l’épreuve par le groupe social de la validité du style proposé et des preuves l’appuyant. La troisième est l’approbation définitive du style par le groupe. Ce à quoi renvoie le signe c’est la réalisation effective de ces trois étapes. La motricité stylisée, comme un des résultats de la complexité croissante de sémiotisation d’une pratique sociale a été introduite par Rastier (2001) dans son étude théorique des actions situées. Celles-ci sont considérées par cet auteur comme substratum d’une théorie générale de la sémiotique des cultures.
Or, cette théorie admet comme modèle une typologie des actions à propos de la croissance de la complexité sémiotique d’une pratique sociale. Celle-ci connaît trois régimes successifs : d’abord activité, elle devient ensuite action pour qu’elle se stabilise en fin comme acte. Par rapport aux trois niveaux de motricité, l’activité correspond à de la motricité contrôlée, l’action à de la motricité codifiée et l’acte à la motricité stylisée. Par ailleurs, deux types de motricités peuvent être déployés par un opérateur :
- la motricité consommatrice de l’énergie musculaire (agilité, dextérité…) : c’est une motricité endogène que l’on peut qualifier de thermodynamique ;
- la motricité exogène à l’opérateur et qui se manifeste à travers la morphogenèse, procédé de construction ou de destruction de Nous la qualifions de motricité morphogénétique.
Nous faisons nôtres les trois niveaux de motricité ainsi que les trois régimes de toute action identifiés par Rastier.
Quand la motricité de l’élève s’érige au niveau de la motricité codifiée, la motricité contrôlée et la motricité stylisée interviennent dans l’évolution de la relation didactique en deux attracteurs opposés qui attirent chacun vers sa zone d’influence la motricité de l’élève. Si le type de motricité sollicitée par le professeur est la motricité thermodynamique, le premier attracteur l’emporte sur le second. Par contre, il est nécessaire de faire appel à la motricité morphogénétique pour que la motricité codifiée évolue vers la motricité stylisée.
Faire appel la motricité morphogénétique à propos de l’écriture fractionnaire nécessite de solliciter une catégorie d’actions à sténographier avec cette écriture : il s’agit des actions de « coupage/collage » que nous avons mentionnées ci-dessus et que nous abordons à travers un exemple prototypique dans le paragraphe qui suit.
L’écriture fractionnaire comme sténographie des actions
« coupage/collage »
Un exemple de l’opération « coupage/collage » est l’opération qui consiste à découper les 4 parties jaunes des 4 pièces de la première ligne de la Figure 1 pour composer, par leur collage, une pièce dont les parties ont toutes la même couleur. Une des 4 pièces bleues restantes est à découper en trois morceaux identiques, chacun de ces morceaux est à coller à la place de la partie jaune retirée auparavant. On obtient des pièces entières de la seconde ligne chacune de ces pièces admet une seule couleur, soit jaune soit bleue.
C’est ce type d’actions, où on fait passer un système de pièces de l’état x à l’état y, que nous désignons par « coupage/collage ». Les actions de cette catégorie sont constitutives de la pratique de référence pour l’écriture fractionnaire : en effet si le passage de l’état x à l’état y du système de pièces s’est fait sans déperdition alors ce passage réalise les deux équations suivantes : si a+b vaut une valeur v, au sens économique du mot valeur, alors « 4 fois a » valent v et « 4 fois b » valent 3 fois v. Ainsi, si v est une unité de valeur alors le passage de l’état x à l’état y, par « coupage/collage » sans déperdition a comme sténogramme : a+b=1, 4*a=1 et 4*b= 3 ou a+b=1, a=1/4 et b = 3/4.
Méthodologie
Pour apporter des éléments de réponse aux quatre questions ci-dessus, notre méthodologie, outre la proposition d’une pratique originale comme devant être la pratique de référence pour l’écriture fractionnaire, va donc s’articuler autour de la question suivante :
Question : Quelle proportion d’étudiants est capable de voir en la figure ci-dessus une réalisation des actions que sténographie le nombre 3/4 ou, plus précisément, les écritures : a+b=1, a=1/4 et b = 3/4 ?
Nous pouvons dire que l’opération classique « fractionnement/partage » n’est pas la pratique idoine à considérer comme pratique de référence pour l’écriture fractionnaire si une certaine proportion d’une certaine catégorie d’étudiants n’arrive pas à voir en le changement d’état représenté par la figure ci-dessus une réalisation des écritures en question. Nous choisissons comme proportion, a priori, de 50 % dans une population de plus de 120 individus pris au hasard parmi les étudiants ayant poursuivi deux années des études supérieures à teneur scientifique et/ou techniques.
Population testée et résultat obtenu
La population testée est formée de 30 étudiants licenciés ès mathématiques (bac +4), 56 sont licenciés ès physique chimie (bac +4), 22 sont en 2e année BTS Électronique industrielle (bac +2), 27 en Génie électrique et informatique industrielle (bac +2), 23 ont obtenu un DEUG en sciences mathématiques appliquées (bac +2). Respectivement à ces cinq groupes, seuls 2, 1, 0, 1 et 2 ont pu reconnaître les deux formules ; soit 6 étudiants sur un total de 158. Avec cette proportion de moins de 4 % on se situe bien en dessous des 50 % fixés comme seuil pour qualifier la pratique classique « fractionnement/partage », pratique idoine comme pratique de référence pour l’écriture fractionnaire.
Conclusion
Les enseignements de sciences et techniques bien que censés, en tant qu’unités abstraites, voir leur substance sémantique provenir de la relation d’unités et de modèles qui intègre toute énonciation relative aux savoirs correspondants, ils restent chez une grande proportion d’étudiants dépendant de l’expérience sensorielle sollicitée lors de ces enseignements (motricité contrôlée). Ceci se traduit par le fait que ces enseignements ne permettent guère la désambiguïsation de ces énonciations (motricité stylisée). Autrement dit, les enseignements sont censés abstraire le savoir à partir d’expérience sensorielles, mais sur le terrain, chez une grande proportion des étudiants, il y a prégnance de ces expériences. En ce sens que ces expériences se constituent en un obstacle à l’abstraction visée du savoir. Les résultats du test auquel nous avons soumis les étudiants attestent cela. En effet, l’opération classique « fractionnement/partage’ » se constitue en un obstacle à l’intelligibilité de l’écriture fractionnaire.
Bibliographie
Bachimont, B. (1999). Le contrôle dans les systèmes à base de connaissances, contribution à l’épistémologie de l’intelligence artificielle. Paris : Hermès
Gruber (s.d.). Techno-Science.net, disponible sur site http://www.technoscience.net/?onglet=glo ssaire&definition=324
Guitart, R. (2003). Disponible sur site :
http://rene.guitart.pagesperso-orange.fr/textespublications/guitart03cdameadi.pdf
Johsua, S. et Dupin, J. J. (1993). Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques. Paris : Presses Universitaires de France.
Martinand, J. L. (1986). Connaître et transformer la matière. Bern : Peter Lang Verlag.
Najoua, A., Bahra, M., Talbi M. (2011). Interdisciplinarité et différenciation fonctionnelle du savoir, Nécessité d’un outil universel de métacognition. Saarbrücken : Éditions universitaires européennes.
Najoua, A., Knouzzi, N. Bahra, M. (2012). Établissement et validation d’un schéma de structuration des contenus d’enseignement à teneur praxéologique « Cas de l’enseignement des sciences et des techniques ». Thèse de doctorat en Ingénierie de la formation et didactique des sciences et techniques, faculté des sciences Ben M’Sik, université Hassan II, Mohammedia- Casablanca, Maroc.
Rastier, F. (2001, mai). L’action et le sens pour une sémiotique des cultures. [version électronique].
Journal des anthropologues, no 85–86, p. 183-219.
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