RAIFFET 2008 Des pratiques professionnelles de prévention des risques aux savoirs de référence : le cas des professionnels du génie climatique Hélène Cheneval-Armand & Jacques Ginestié

Des pratiques professionnelles de prévention des risques aux savoirs de référence le cas des professionnels du génie climatiqueHélène Cheneval-Armand & Jacques Ginestié

Des pratiques professionnelles de prévention des risques aux savoirs de référence le cas des professionnels du génie climatique
Hélène Cheneval-Armand & Jacques Ginestié 

Summary

Curricula of professional training for instruction to the health and the occupational safety (ES & ST) are they making place for the implicit knowledge with the practices implemented by the professionals? To study the question, we carried out the audio-visual, during one day, of two professionals intervening in the field of the installation and the maintenance of the energy and climatic systems. That analysis led us enables to qualify the variations between what is proposed to the pupils and the effective practices of the professionals in the companies. This variation concerns the nature of the problems with which are confronted the technicians. They must think their actions within concrete and real frameworks: in daily practices, safety is expressed in terms of compromise, between the regulation to apply, and the obligation of optimization of the interventions under conditions of the economic competition. In the school system, it is the control of the methodological steps, already tested by the health professionals and of safety to the work which is privileged.

Keywords: Professional practices, real and prescribed, prevention of the occupational hazards.

Introduction

Cet article s’intéresse à l’introduction de l’Enseignement de la Santé et à la Sécurité du Travail (ES&ST), dans les formations professionnelles et plus particulièrement celle des baccalauréats professionnels. L’intégration de ces nouvelles conduites de prévention dans l’activité ordinaire des professionnels interroge les institutions de formation et in fine, les savoirs de références qui vont être choisis par l’enseignant pour construire des situations d’enseignement ; il s’agit d’organiser des situations à même de permettre aux élèves de développer des conduites professionnelles qui intègrent dans leurs gestes familiers une prévention des conduites à risque que ce soit pour assurer leur propre sécurité, celle de leur entourage ou encore celle des matériels. Selon Raisky (1996) : Les curricula doivent prendre en compte l’ensemble des savoirs impliqués dans l’acte professionnel qui devient alors l’ultime référence des contenus d’enseignement. Dans le domaine de l’enseignement à la santé et à la sécurité du travail, les curricula des formations professionnelles prennent-ils en compte les savoirs sous-jacents aux pratiques mises en œuvre par les professionnels ?

L’organisation institutionnelle de l’ES&ST

En France, les curricula des formations ayant une finalité professionnelle (certificat d’aptitudes professionnelles, brevet d’études professionnelles, baccalauréat professionnel et le brevet de technicien supérieur) prennent la forme de référentiels. Ces référentiels sont élaborés au sein des commissions professionnelles consultatives (CPC) qui associent des représentants des fédérations (employeurs et employés) et des membres de l’éducation nationale (enseignants et inspecteurs). Ainsi la légitimation des savoirs à enseigner (Chevallard, 1991) se fait à la fois par les représentants des milieux professionnels et par l’éducation nationale. En ce qui concerne l’enseignement de la santé et à de la sécurité du travail, suite à l’accord-cadre (1993, 1997), les commissions professionnelles consultatives ont intégrés des spécialistes de la prévention comme le montre cet extrait du rapport annuel du comité de pilotage pédagogique national pour l’enseignement de la prévention des risques professionnels (CERP) : la collaboration de l’institut national de recherche et de sécurité (INRS) avec les commissions professionnelles consultatives (CPC)… (1993,1994).

L’analyse de l’organisation institutionnelle de l’ES&ST montre que cet enseignement est construit de manière formelle autour d’un triptyque : enseignement d’hygiène prévention et secourisme (HPS), enseignement technologique et professionnel et périodes de formation en milieu professionnel. Les deux premiers composants de ce triptyque relèvent d’un contexte scolaire et rentrent dans la classification proposée par Martinand (1992) en deux catégories : (i) les disciplines de formation car elles sont constitutives du cœur d’une filière, lieux d’appropriation de la culture développée dans cette filière (Martinand, 1992). C’est le rôle qui est dévolu à l’enseignement technologique et professionnel et (ii) les disciplines de service car elles ont comme objectif de construire des connaissances qui deviendront opératoires dans la discipline de formation (Martinand, 1992). C’est le rôle qui est dévolu à l’enseignement de l’hygiène prévention et secourisme. L’enseignement à la santé et à la sécurité du travail (ES & ST) repose sur l’articulation de deux disciplines : l’enseignement d’Hygiène Prévention et Secourisme et l’enseignement technologique et professionnel. Le dernier composant de ce triptyque de formation, les périodes de formation en milieu professionnel, est présenté comme un moyen de découverte du milieu industriel afin d’appréhender l’entreprise dans sa réalité technique et commerciale mais aussi comme un lieu d’application de la formation réalisée dans l’établissement. Dans ce contexte, on peut considérer que les périodes de formation en entreprise sont des occasions de mettre en pratique les connaissances acquises en cours de formation dans des cas concrets, sous contraintes industrielles. D’un point de vue plus pragmatique, ces interrelations entre ces trois composantes de la formation professionnelle se traduisent par une répartition des savoirs en jeu, selon leur nature et leur organisation. Ce qui entraîne une catégorisation en trois niveaux de ces savoirs.

Le premier niveau concerne les savoirs scientifiques, réglementaires et méthodologiques. L’enseignement de ces savoirs apparaît essentiellement dans l’enseignement de l’hygiène prévention et secourisme comme le montre cet extrait du programme de l’épreuve facultative d’HPS : à partir de document présentant notamment une situation professionnelle d’entreprise, il est demandé : une analyse de la situation donnée selon une méthode adaptée, une justification scientifique des effets de la situation donnée ou des mesures de prévention, une ou des questions relatives à la réglementation et/ou aux organismes de prévention (BO hors série n°9 du 5 octobre 2000). Le deuxième niveau concerne la mise en usage des savoirs scientifiques, réglementaires et méthodologiques enseignés en hygiène prévention et secourisme. L’enseignement technologique et professionnel est le lieu privilégié de construction de ces savoirs. Le troisième niveau concerne la mise en usage, dans un contexte industriel, des savoirs enseignés en hygiène prévention et secourisme et outillés dans l’enseignement technologique et professionnel. Cette élaboration se fait en entreprise. D’un point de vue plus pragmatique, ces interrelations entre ces trois niveaux de savoirs se traduisent par une catégorisation en trois types de ces pratiques. Le premier type concerne les pratiques prescrites dans les programmes officiels. Elles apparaissent essentiellement dans l’enseignement de l’hygiène prévention secourisme et elles mettent en œuvre des savoirs scientifiques, réglementaires et méthodologiques. Le deuxième type concerne les pratiques professionnelles mise en œuvre à l’école dans le cadre de l’enseignement technologique et professionnel ; ces pratiques relèvent de la mise en usage des savoirs scientifiques, réglementaires et méthodologiques enseignés en Hygiène Prévention Secourisme. Le troisième type concerne les pratiques effectives des techniciens dans leur activité ordinaire ; celles-ci relèvent de la mise en usage, dans un contexte industriel, des savoirs scientifiques, réglementaires et méthodologiques enseignés en hygiène, prévention, secourisme et outillés dans le cadre de l’enseignement technologique  et professionnel. Dans ce contexte, la formation professionnelle à la santé et à la sécurité du travail s’inscrit dans un réseau d’interrelations entre lieux/disciplines, savoirs et pratiques (Cf. tableau 1 ci-dessous).

 

Lieux/ Disciplines Savoirs Pratiques
Hygiène prévention et secourisme Scientifiques, réglementaires et méthodologiques Pratiques prescrites par les programmes officiels
Enseignement technique et professionnel Savoirs scientifiques,

réglementaires et méthodologiques outillés

Pratiques mises en œuvre dans

l’enseignement technique et professionnel

Période de formation en milieu professionnel Savoirs sous jacents aux pratiques mises en œuvre par les professionnels Pratiques des professionnels

Tableau 1 : Interrelations lieux/disciplines, savoirs et pratiques dans la formation professionnelle à la santé et à la sécurité du travail

Les interrelations entre lieux/disciplines, savoirs et pratiques nous permettent d’envisager la prise en compte dans les pratiques prescrites par les programmes officiels de l’enseignement à la santé et à la sécurité du travail, des savoirs sous jacents aux pratiques mises en œuvre par les professionnels. En d’autres termes, les curricula des formations professionnelles prennent-ils en compte les savoirs sous jacents aux pratiques mises en œuvre par les professionnels ? Pour étudier cette question, nous avons fait le choix d’analyser les pratiques des techniciens en installation, maintenance et mise en œuvre des systèmes énergétiques et climatiques. Cette analyse doit nous permettre de caractériser ce qui se passe réellement dans la pratique, ce que font les professionnels, à quoi ils font références. En d’autres termes, qu’est-ce que les pratiques traduisent comme types de savoirs ?

Méthodologie de la recherche

Le choix du champ d’investigation : le génie climatique et énergétique

Le choix du champ d’investigation est motivé par un ensemble de considérations. Tout d’abord, les entreprises du génie énergétique et climatique connaissent un fort développement économique. Elles sont donc un secteur porteur d’emploi pour les jeunes diplômés des baccalauréats professionnels. Ensuite, c’est un secteur professionnel qui requiert une multitude de compétences (électricité, plomberie, …) et les professionnels sont donc confrontés à une multitude de risques. Enfin, c’est un secteur d’emploi qui est essentiellement situé dans les TPE et les PME car elles représentent environ 90% des entreprises. Or ces entreprises ne possèdent généralement pas de l’expertise en interne pour régler les problèmes de santé et de sécurité au travail (pas de CHSCT).

Les tâches professionnelles analysées

Le choix des tâches professionnelles est en relation avec le Référentiel des Activités Professionnelles (RAP) des deux baccalauréats professionnels du génie énergétique et climatique. Le premier est spécialisé dans l’installation des systèmes énergétiques et climatiques, le deuxième dans la maintenance des systèmes énergétiques et climatiques.

Le recueil des données

Nous avons procédé à l’enregistrement audiovisuel de la journée de travail de deux équipes de techniciens. Ces données audiovisuelles ont fait l’objet d’une retranscription sous la forme d’un corpus écrit. L’analyse des corpus écrits et des enregistrements audiovisuels nous permet de dégager deux types de données susceptibles de mettre en lumière les savoirs sous jacents aux pratiques mises en œuvre par les professionnels. Les verbalisations, qui peuvent être spontanées ou provoquées (pourquoi ? quels sont les risques..), immédiates (pendant la réalisation de l’activité) ou différées (après la réalisation de l’activité) et les comportements non verbaux qui peuvent être révélateurs du caractère conscient de la prise de risque par le technicien.

Les savoirs en jeu

Dans cette partie de notre travail, il s’agit pour nous de développer une analyse d’un corpus constitué des retranscriptions des discours des techniciens pour essayer d’inférer les savoirs nécessaires à la prévention des risques professionnels. Pour cela, le modèle de transposition didactique spécifique à l’enseignement de la prévention des risques (Cheneval-Armand, 2005) proposé ci-dessous, nous servira de cadre de référence pour analyser les savoirs mis en jeux dans les pratiques professionnelles. Quels sont les savoirs scientifiques ou savants ? Quels sont les savoirs experts ? Quelle est l’origine de ces savoirs experts ? Conduites individuelles ? Normes locales ? Règlements, normes, outils d’analyse ?

Figure 2 Processus d'élaboration des savoirs et transposition didactique des savoirs dans le domaine de l’enseignement de la prévention des risques professionnels

Figure 2 Processus d’élaboration des savoirs et transposition didactique des savoirs dans le domaine de l’enseignement de la prévention des risques professionnels

Figure 2 : Processus d’élaboration des savoirs et transposition didactique des savoirs dans le domaine de l’enseignement de la prévention des risques professionnels

Les savoirs savants ou scientifiques

L’analyse du discours des pratiques professionnelles nous permet de dégager deux extraits où les techniciens font référence à des savoirs scientifiques ou savants, comme le montre l’extrait suivant dans l’intervention de maintenance :

La châtaigne je l’ai prise si je compte 20-30 fois donc je la prends régulièrement, ça fait 15 ans que je travaille bientôt et je l’ai pris plusieurs fois, plus ou moins forte. Et je connais moi un électricien, un vieux de la vieille, qui a touché qui était chez un particulier qui avait 40 ans d’expérience et puis un jour il a touché une machine à laver et il a mis les mains mais il a pas fait gaffe, mais comme ça a dû se passer 100 fois dans sa vie, sauf que ce jour- là et ben le courant il est passé, vous savez c’est par rapport au rythme cardiaque, donc quand le courant passe, il est passé à un moment donné où le corps il a pas accepté et il s’est arrêté.

Dans cet entretien, les références aux savoirs savants sont faites par le technicien sur le danger du courant électrique qui est lié au passage par le cœur, qui vient stopper le rythme cardiaque. Le trajet du courant dans l’organisme est ici mis en regard entre le point d’entrée (la main) et le point de sortie (les pieds). Nous retrouvons également cette référence aux savoirs scientifiques dans le discours d’un autre technicien lors de la phase de raccordement électrique de l’installation :

Alors tu vois, toutes les installations ont une protection en tête (il me montre un disjoncteur différentiel). Ça c’est en fait s’il y a une fuite de courant. Cet appareil il mesure ce qui part et ce qui revient comme courant sur les lignes donc si au passage quelqu’un prend le courant qui dépasse 30 milliampères, ce qui n’est pas énorme, ça va disjoncter, ça va couper la ligne. C’est un appareil qui est taré très bas puisque c’est normalement ce qu’on met dans les salles d’eau.

Dans cet entretien, les références aux savoirs savants sont faites par le technicien qui met en regard les dispositifs de protection mis en place sur l’installation et les effets éventuels sur son organisme en cas de contact accidentel avec le courant. Pour lui, le dispositif disjoncteur différentiel assure sa sécurité puisqu’il coupe la ligne lorsque le courant de fuite dépasse 30 milliampères.

Ces deux extraits montrent que les techniciens font appel à des savoirs scientifiques ou savants pour évaluer la dangerosité des situations de travail. Pour la situation de maintenance, la dangerosité d’une intervention en présence de courant est liée au trajet du courant dans l’organisme et son passage par le cœur. Alors que pour la situation d’installation, elle est liée à l’intensité du courant susceptible de le traverser.

Les savoirs experts

Les conduites individuelles. L’analyse du discours des pratiques professionnelles nous permet de dégager deux extraits où les techniciens mettent en œuvre des conduites individuelles ou savoirs faire de prudence (Cru, 1995) comme le montre l’extrait suivant dans l’intervention de maintenance.

Là, dans l’absolu, c’était pas un travail, là où j’ai demandé d’être accompagné c’est parce que justement y avait un gars qui allait être dans un endroit où il pouvait pas se dégager seul s’il avait un gros problème et qu’il était en train de travailler avec du feu et éventuellement des vapeurs. Donc moi je demande à avoir quelqu’un pour assister d’une part il doit y avoir 150 kg de matériel à monter sur une échelle par skydome, euh, seul tout est faisable, mais à un moment donné il faut arriver à dire oui je le fais ou est-ce qu’on m’oblige de le faire parce que des fois la société chez nous ça va très bien mais y a des sociétés où tu te démerdes quoi, y a personne tu te démerdes, tu y vas, tu te démerdes. Ou après, à un moment donné, on dit bon là j’ai pas envie de faire ça seul parce que s’il y a un souci je reste coincé là et j’ai le feu.

Dans cet entretien, la prise en compte du caractère confiné du lieu de l’intervention pouvant induire des risques lors de l’opération de soudure ainsi que les difficultés à accéder à la toiture avec l’ensemble du matériel d’intervention (150 kg) ont conduit le technicien à mettre en œuvre une conduite individuelle sécuritaire qui vient compléter les blancs laissés par les normes ou les règlements de sécurité. En effet, aucune prescription réglementaire ne précise le caractère obligatoire d’une intervention à deux sur ce type d’opération. De ce fait, nous pouvons considérer la demande faite par le technicien de disposer de la présence d’une deuxième personne pour réaliser l’intervention comme la mise en œuvre d’une conduite individuelle. Nous retrouvons également la référence à des conduites individuelles dans le discours d’un autre technicien lors de la phase de raccordement électrique de l’installation :

Je sais pas où il faut couper le courant, c’est le bordel t’imagine un peu. Il faut que je coure après quelqu’un qui me montre où est le disjoncteur de ça et tout. C’est sûr que je peux perdre une heure à aller chercher quelqu’un dans les étages, tu vois ce que je veux te dire. C’est qu’un problème de temps en fait.

Alors tu vois, toutes les installations ont une protection en tête (il me montre un disjoncteur différentiel). Ça c’est en fait s’il y a une fuite de courant. Cet appareil il mesure ce qui part et ce qui revient comme courant sur les lignes donc si au passage quelqu’un prend le courant qui dépasse 30 milliampères, ce qui n’est pas énorme, ça va disjoncter, ça va couper la ligne. C’est un appareil qui est taré très bas puisque c’est normalement ce qu’on met dans les salles d’eau.

Dans cet entretien, la prise en compte par le technicien des dispositifs intrinsèques de protection (disjoncteur différentiel de 30 milliampères) présents sur l’installation, les effets éventuels sur son organisme en cas de contact accidentel avec le courant et la perte de temps lié à la recherche d’une personne compétente pour procéder à la mise hors tension de l’installation (consignation) conduisent ce dernier à intervenir en présence de courant électrique. Pourtant, une prescription réglementaire met en évidence que les opérations doivent être effectuées, chaque fois que c’est possible hors tension. Les travaux peuvent être effectués sous tension chaque fois que les conditions d’exploitation rendent  dangereuse ou impossible la mise hors tension ou si la nature du travail requiert la présence de la tension (INRS, ED1456). Dans ce contexte, nous pouvons considérer que le  technicien met en œuvre une conduite individuelle qui se substitue à la norme ou au règlement. Les normes locales. L’analyse du discours des pratiques professionnelles nous permet de dégager un extrait dans l’intervention de maintenance où le technicien met en œuvre des normes locales :

C’est pour ça que bon récemment on a été obligé de faire des stages de sécurité pour l’utilisation des nacelles donc on est parti deux jours en stage pour avoir la formation de sécurité concernant les nacelles. Et lorsqu’on parle avec les formateurs à la base il faut prendre des précautions mais à une extrême incroyable quoi donc on peut pas travailler, c’est pas possible, la société elle vit pas. Nous, on perd trop de temps et y a des fois où c’est même pas possible.

C’est des règles, c’est des obligations. Lorsqu’on prend une nacelle, il faut toujours être deux, il faut toujours qu’il y en ait un qui reste en bas pour éventuellement piloter la nacelle si le gars qui est en haut ne peut plus piloter, il faut baliser, il faut faire gaffe qu’il n’y ait pas trop de vent, il faut voilà. Et puis après quand on commence à parler parce que dans un stage ça tourne toujours quand on parle de risque de travail moi j’ai pas pu m’empêcher de dire mais on est obligé de faire des fautes, de prendre des risques. Alors le formateur de suite il était outré mais comment voulez vous faire ? Là, aujourd’hui, si on avait pas pris de risque on serait pas encore en train de travailler parce que déjà monter à l’échelle sur le toit comme ça c’est interdit alors comment on serait monté je sais pas.

Là, logiquement, il doit y avoir une ligne de vie c’est un câble qui est tiré avec des ancrages fixes et on doit être attaché même si on travaille là et qu’on va jamais là-bas, on doit être attaché.

Dans cet entretien, il s’agit des formations à la sécurité, où on enseigne aux techniciens procédures, règles : la réglementation y fonctionne comme un outil de référence. Le rapport du professionnel avec la réglementation est ici perçu comme un rapport d’obligation d’exécution. Or, pour les techniciens confrontés à des problèmes concrets, réels et quotidiens, la sécurité doit être pensée en termes de compromis entre la nécessité d’appliquer la réglementation pour assurer sa propre sécurité et l’obligation de réaliser les interventions dans des conditions imposées par la concurrence inhérente au système économique en cours. Ce passage des principes réglementaires à des principes applicables aux cas particuliers relève d’une adaptation locale visant à concilier sécurité et production. En effet, les techniciens doivent procéder au dépannage de l’installation mais l’utilisation d’une échelle pour accéder à la toiture est interdite. D’autre part, la toiture du bâtiment doit être équipée d’une ligne de vie afin de permettre l’accrochage. On constate ici que les contraintes réglementaires entraînent ipso facto l’arrêt de l’activité. Pourtant le travail sera réalisé et des normes locales seront mises en place par les techniciens : blocage de l’échelle, aucune circulation des techniciens ne se fera à proximité des bordures car l’installation de climatisation est relativement centrée.

Ces extraits montrent que les techniciens mettent en place des normes locales issues d’une adaptation des prescriptions réglementaires visant à concilier sécurité et production. Dans ce contexte, nous pouvons avancer que les prescriptions nécessitent un apprentissage pour être adaptées et intégrées dans le système d’action des futurs professionnels. Les règlements, les normes et les outils méthodologiques. L’analyse du discours des pratiques professionnelles nous permet de dégager un extrait dans l’intervention de maintenance où  le technicien fait référence à des savoirs réglementaires ou normatifs :

On a fait la formation, ça c’est une sécurité pour le patron parce que lui il se protège pour lui- même. Parce que s’il y a un accident électrique, il va pouvoir dire lui il a été habilité, il savait ce qu’il faisait. Si c’est n’importe qui, qui n’est pas habilité et qui se débrouille et qui se prend la châtaigne et qu’il reste par terre, il va falloir expliquer à je sais pas qui, la CRAM ou l’inspection du travail ou je sais pas qui, parce que après il va payer à vie, il va aller en prison pour ça donc là il se protège pour ça. Là aussi, on nous dit ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire.

Dans cet entretien, la formation à l’habilitation électrique est perçue comme une transmission des bonnes conduites puisqu’on leur dit ce qu’il faut faire ou ne faut pas faire. Ces bonnes conduites renvoyant à l’application de procédures issues de prescriptions réglementaires et normatives. Les techniciens connaissent les prescriptions réglementaires puisqu’ils évoquent la responsabilité pénale et financière du chef d’entreprise en cas d’accident si le salarié n’est pas habilité à intervenir sur des installations électriques. Cependant, à aucun moment du discours, les techniciens n’évoquent l’utilisation des outils méthodologiques préconisés par l’INRS pour procéder à l’analyse des risques présents dans les situations professionnelles. Ces extraits montrent que les savoirs transmis dans le cadre de la formation des salariés reflètent essentiellement une stratégie de réglementation où la prédominance des normes et des règlements conduit à définir d’en haut ce qui est bon et ce qui n’est pas bon pour les travailleurs.

Conclusion

Cette analyse du rapport à la prévention des risques dans l’activité de professionnels intervenant sur des installations de climatisation met en lumière les savoirs en jeux dans leurs pratiques professionnelles. Ces savoirs relèvent d’une articulation qui mêle savoirs savants et savoirs experts. Dans une référence savante, les savoirs mobilisés permettent au technicien d’apprécier la dangerosité de la situation de travail. Dans une référence experte, les savoirs réglementaires et normatifs permettent la mise en œuvre de normes locales, de conduites individuelles visant à concilier prévention des risques et objectifs de production. Ainsi cette analyse montre que les experts mobilisent des connaissances scientifiques et des connaissances locales dans le cadre de situations de travail qui présentent des risques pour leur environnement mais également susceptibles de porter atteinte à leur santé et leur intégrité physique. Par ailleurs, cette analyse montre l’absence, dans leur discours sur leurs pratiques professionnelles, de référence à des savoirs méthodologiques, par exemple les outils d’analyse développés et préconisés par les experts de l’Institut National de Recherche en Sécurité. Le travail d’analyse conduit nous permet de qualifier les écarts entre ce qui est proposé aux élèves et les pratiques effectives des professionnels dans les entreprises. Or, même s’il existe toujours une différence entre le travail prescrit (ce qu’on demande, la tâche) et le travail réel (ce que fait réellement l’opérateur, l’activité), la confrontation de l’apprenant à ces deux types de pratiques (prescrite et effective) ne risque-t-elle pas d’engendrer la construction de représentations professionnelles (Bataille, 2000) pouvant se constituer en obstacle à l’apprentissage ?

 

 

 

Bibliographie

Bataille, M., (2000). Représentation, implicitation, implication ; des représentations sociales aux représentations professionnelles. In Garnier, C., Rouquette, M.L. (Éd), Les représentations en éducation et formation. Montréal, Éditions Nouvelles. (pp. 165-189)

Bulletin officiel de l’Éducation Nationale (2000). Hygiène Prévention Secourisme. Hors série n°9 du 5 octobre 2000. Arrêté du 11 juillet 2000.

Cheneval- Armand, H., (2005). Approche didactique de l’enseignement de la prévention des risques professionnels en baccalauréat professionnel énergétique, Mémoire Master 2, Université de Provence Aix- Marseille 1, Département des sciences de l’Éducation.

Chevallard, Y., (1985, 1991). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné.

Grenoble, La Pensée sauvage.

INRS ED 1456 (1995, 2004). L’habilitation en électricité. Démarche en vue de l’habilitation du personnel, Paris, INRS.

Martinand, J.-L., (1992). Enjeux et ressources de l’éducation scientifique. Introduction au thème. In A. Giordan, J-L. Martinand & D. Raichvarg (éd). Actes des XIV° journées internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifiques et techniques. Cachan, DIRES. pp. 57-65.

Raisky, C., (1996). Doit-on en finir avec la transposition didactique ? Essai de contribution à une théorie didactique. In Raisky, C. et Caillot, M. (1996) Au-delà des didactiques, le didactique ; débats autour de concepts fédérateurs, Paris, Bruxelles, De Boeck Université

 

Résumé

Les curricula des formations professionnelles de l’enseignement à la santé et à la sécurité du travail (ES & ST) prennent-ils en compte les savoirs sous jacents aux pratiques mises en œuvre par les professionnels ? Pour étudier la question, nous avons procédé à l’enregistrement audiovisuel de la journée de travail de deux professionnels intervenant dans le domaine de l’installation et de la maintenance des systèmes énergétiques et climatiques. Le travail d’analyse conduit nous permet de qualifier les écarts entre ce qui est proposé aux élèves et les pratiques effectives des professionnels dans les entreprises. Cet écart relève de la nature des problèmes auxquels sont confrontés les techniciens qui doivent penser leurs actions dans des cadres concrets et réels, dans des pratiques quotidiennes, où la sécurité s’exprime en termes de compromis entre la réglementation à appliquer et l’obligation d’optimisation des interventions dans des conditions de concurrence économique. Alors que dans le système scolaire, c’est la maîtrise des démarches méthodologiques déjà éprouvées par les professionnels de la santé et de la sécurité au travail qui est privilégiée.

Mots-clés : Pratiques professionnelles, prescrites, prévention des risques professionnels

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