Abstract
In Senegal, the threshold of the third millennium is strongly marked by the reform of Technical and Vocational Training, which proposes, among some, creating the conditions of the quality in education to all the levels of education and formation. This article enabled us to lean particularly on one of the strategic axes of the aforesaid reform, namely increasing the quality of teacher training. Specifically, our interest relates to teacher training carried out to the École Normale Supérieure de l’Enseignement Technique et Professionnel (ENSETP) of Dakar. Our reflection aims at contributing to the design of a device of reinforcement of the capacities of the trainers of the ENSETP, about the concepts and tools of the Competences-based Approach. It was a question for us of defining strategies making it possible to set up a device of continuing education intended for these trainers, who meets the needs for professional development of the latter, and which constitutes a support for the installation of teaching innovations with the ENSETP. These innovations, in their turn, are likely to contribute to the installation of the Reform of the TVET, through the improvement of the qualification of the teachers, and thus to the increase in the quality of the TVET on all the levels. The recommendations made for this device invite us to stress that it is connected with a professional device of coaching, within the meaning of a “accompaniment of people or teams for the development of their potential and their know-how within the framework of professional objectives” (Société Française de Coaching, in Fortin, 2006a, p. 1-07).
Introduction
Ayant longtemps été placée au rang de solution de dernier recours consistant en la résorption des déperditions scolaires, la Formation Professionnelle et Technique (FPT) au Sénégal connaît depuis une décennie un regain notoire de dynamisme marqué par une redéfinition de ses missions. Désormais, la principale logique déterminante amenée par la Réforme de la FPT consiste à rechercher la satisfaction de la demande du marché du travail et des besoins de l’économie. C’est ainsi qu’entre autres orientations, la rationalisation et l’optimisation des structures, la redynamisation et l’augmentation de qualité de la formation des formateurs, la valorisation de l’offre de formation, l’organisation de l’apprentissage et l’insertion des jeunes, le développement de la coopération et l’intégration régionale…, constituent les principaux axes stratégiques de la réforme de ce sous-secteur.
Selon le Plan Sectoriel Stratégique à Moyen Terme 2009-2011 (METFP, 2010, p. 7), un des objectifs de la Réforme de la FPT vise à « créer les conditions d’une éducation de qualité à tous les niveaux d’enseignement et de formation » ; pour ce faire, il apparaît nécessaire d’en augmenter le taux de qualification du personnel enseignant, estimé à 44,4 % en 2008. Dans ce processus, les structures nationales de formation (initiale et continue) des formateurs de la FPT jouent un rôle capital, en particulier l’École Normale Supérieure d’Enseignement Technique et Professionnel (ENSETP) qui est le seul établissement de niveau supérieur à assurer la formation de ces formateurs. L’Association pour la Promotion de l’Éducation et de la Formation à l’Étranger (APEFE / Communauté française de Belgique Wallonie-Bruxelles) apporte sa contribution au renforcement de l’ENSETP à travers le Projet SN 101, qui vise à améliorer la formation (initiale et continue) des formateurs en Sciences et Techniques Industrielles, de même qu’en Économie Familiale et Sociale, d’une part, et des corps d’encadrement et de contrôle d’autre part. À travers cet article, nous souhaitons contribuer à la conception d’un dispositif prévu dans le cadre de ce Projet, et dont l’objectif sera de renforcer les capacités des formateurs de l’ENSETP, au sujet des concepts et outils de l’Approche Par Compétences (APC).
Le questionnement à l’origine de cette réflexion concerne le souhait de définir des stratégies permettant de mettre sur pied un dispositif de formation continue destiné à ces formateurs, qui réponde aux besoins de développement professionnel de ces derniers, et qui constitue un support pour la mise en place d’innovations pédagogiques à l’ENSETP. Ces innovations, à leur tour, sont susceptibles de contribuer à la mise en place de la Réforme de la FPT, à travers l’amélioration de la qualification des enseignants, et ainsi à l’augmentation de la qualité de la FPT à tous les niveaux. Au moment où la modélisation et la formalisation de la formation des formateurs d’enseignants sont encore relativement peu développées au niveau international, et dans des contextes où de manière assez paradoxale, de nombreuses réformes de l’Éducation ne se penchent que très peu sur l’innovation pourtant nécessaire dans la formation des enseignants, il apparaît en effet pertinent de veiller à mettre sur pied un dispositif adéquat compte tenu des orientations théoriques et des considérations empiriques existantes. Notre réflexion sera orientée en particulier par le phénomène d’isomorphie à l’œuvre dans le contexte de la formation des formateurs, que Ferry (1983, in Mante, 1998) décrit comme l’analogie structurelle qui existe entre le lieu de la formation et le lieu de la pratique professionnelle à laquelle conduit cette formation (dans la mesure où le rapport maître-élèves se retrouve dans les deux situations). En effet, il résulte de cette isomorphie que le modèle pédagogique adopté par le formateur tend à s’imposer comme modèle de référence pour les formés ; l’auteur souligne donc que les effets d’imprégnation produits par le dispositif de formation risquent d’être plus forts que le discours tenu. Cette situation invite à accorder une attention toute particulière à l’élaboration d’un dispositif de formation de formateurs d’enseignants présentant un niveau élevé de cohérence entre les contenus abordés et la méthodologie adoptée. Nous réaliserons cette analyse à partir du cadre théorique suivant : d’abord, celui de l’efficacité externe en tant que critère de qualité du système de formation de formateurs ; ensuite, celui lié à l’émergence des notions de compétence et de professionnalisation dans le monde organisationnel en général et chez les enseignants en particulier, et enfin, celui des caractéristiques spécifiques de l’apprentissage de l’adulte en formation et du transfert de cet apprentissage à sa pratique professionnelle.
L’efficacité externe, critère de qualité du système
Selon Fadiga & De Ketele (2006), l’efficacité externe du système éducatif prend en compte les produits ou effets générés par ce système, mais observés hors de lui ; elle implique des considérations d’impact en référence à la population scolaire ; elle se mesure à l’adéquation entre les produits du système par rapport aux besoins actuels ou futurs de la société ; elle tient compte également des besoins du marché et même, des aspirations individuelles des diplômés. Appliquer l’évaluation de ce critère de qualité à la formation de formateurs, et plus particulièrement à l’ENSETP, reviendra à l’aborder suivant une double approche quantitative et qualitative et à :
- mesurer par exemple l’adéquation entre le nombre de diplômés de l’ENSETP et les besoins en formateurs dans le système,
- comparer les compétences acquises en cours de formation aux compétences requises pour les formateurs par le système.
Pour ce faire, on pourrait recourir, selon Fadiga (2003), entre autres, à différents indicateurs sociaux objectifs tels que le nombre de diplômés en chômage quelques années après l’obtention du diplôme, le nombre de diplômés occupant une profession de niveau supérieur, égal ou inférieur au diplôme, l’échelle des salaires des diplômés, les sources de rémunération secondaires… Ces indicateurs objectifs n’en excluent pas d’autres qui sont complémentaires mais à caractère subjectif tels que le degré de satisfaction exprimé par le professionnel lui-même ou par ses responsables, et le degré de transférabilité des compétences acquises (De Ketele et Roegiers, 1996) aux besoins de la société. Compte tenu de ce qui précède, l’objectif du présent article sera de montrer dans quelle mesure le futur dispositif de formation continue en APC destiné aux formateurs de l’ENSETP pourrait favorablement influer sur le fait que les compétences acquises par les diplômés de l’ENSETP soient en adéquation avec les besoins du système éducatif, ce qui revient à montrer comment ce dispositif est susceptible de renforcer l’efficacité externe de l’ENSETP. À son tour, la réalisation de ce critère de qualité pourra contribuer à l’atteinte des objectifs de la Réforme de la FPT au Sénégal, et par voie de conséquence, des Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Compétences, professionnalisation et formation
S’étant progressivement imposé au sein des organisations, en raison des changements socio-économiques observés à l’échelle internationale au cours des dernières décennies, le concept de compétence est analysé par de nombreux auteurs. Bien que cette notion soit qualifiée de « caméléon conceptuel » par Le Boterf (2000b, p. 14), la définition proposée par Roegiers (2000, p. 166) semble toutefois cibler les aspects principaux faisant l’objet d’un consensus. Selon celle-ci, « la compétence est la possibilité, pour un individu, de mobiliser de manière intériorisée un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une famille de situations-problèmes ». Le Boterf (2000a) souligne que parallèlement au développement de la notion de compétence, dans un contexte de crise et de recherche de compétitivité accrue, s’est également développée la notion de professionnalisme au sein des organisations, en particulier depuis le début des années 1990. Le professionnel est considéré comme capable de mobiliser l’ensemble des ressources de sa personnalité pour trouver une solution au problème qui se présente à lui ; la dimension morale et/ou éthique de son travail revêt une grande importance ; enfin, le professionnel possède un métier qui lui confère une identité déterminée et dans lequel il atteint un certain niveau d’excellence. Selon cet auteur, les compétences se combinent entre elles pour former la compétence du professionnel, qui consiste essentiellement à savoir gérer une situation professionnelle complexe au moment et dans les conditions dans lesquelles elle se présente. Au-delà de toutes les compétences qui déterminent le professionnalisme, Le Boterf (2000b) souligne également l’importance de la métacognition chez le professionnel. En effet, le professionnel est celui qui non seulement agit avec pertinence dans une situation particulière, mais aussi tente de comprendre pourquoi et comment il agit.
De nombreux auteurs se penchent sur les stratégies à développer en vue de la professionnalisation, et en particulier sur les facteurs permettant à la formation d’être professionnalisante. Pour ce faire, Perrenoud (1997, 2000) souligne que la formation doit être conçue comme un espace de construction de compétences s’enracinant dans les situations de travail qui, en dépit de la singularité de chacune, pourront être dominées grâce à des compétences d’une certaine généralité. Dans le secteur spécifique de l’éducation, une unanimité est progressivement apparue concernant la nécessité de professionnaliser le métier d’enseignant, comme la seule stratégie défendable pour l’avenir de l’enseignement, en raison de la complexité croissante de la situation de travail, due notamment aux réformes mises en place dans de nombreux pays ces dernières années. Selon le paradigme de l’enseignant professionnel, l’élément dominant de la profession ne serait plus la dépendance croissante à l’égard de programmes contraignants ou de didactiques, procédures d’évaluation et méthodes de travail pensées par d’autres, mais bien une professionnalisation croissante de l’enseignant au travers de laquelle celui-ci pourrait se débrouiller efficacement à partir d’objectifs généraux et de principes éthiques, dans tout contexte spécifique d’enseignement (Perrenoud, 1998).
Cette nécessité de la professionnalisation des enseignants apparaît bien dans le secteur de la FPT au Sénégal, et a été notamment traduite par l’indicateur « taux de qualification du personnel enseignant »mentionné plus haut. Plusieurs chercheurs s’attèlent à la définition des compétences attendues des enseignants professionnels en regard des réformes, en particulier celles qui consistent à passer d’une approche basée sur la transmission de connaissances à une approche basée sur la construction de compétences dans l’enseignement-apprentissage. Il n’entre pas dans le propos de cet article de détailler ces compétences ; nous nous limiterons à citer la dimension principale vers laquelle convergent les auteurs (Le Boterf, 2000a ; Perrenoud, 1994, in Charlier, 1996), à savoir la capacité de résoudre des problèmes, de réfléchir à leurs pratiques et de choisir et élaborer leurs propres stratégies pédagogiques. Cette forme de métacognition correspond au paradigme de l’enseignant réflexif de Schön (1983, 1987, in Paquay, 1996). Le corollaire de cette définition de l’enseignant nouveau concerne la nécessité de sa professionnalisation, soulignée par les auteurs. Cette nécessité de professionnalisation des enseignants implique de concevoir différemment leur formation initiale et continue, ce qui fait l’objet des travaux de nombreux chercheurs. Tout en soulignant l’importance de la formation comme moyen pour atteindre cette professionnalisation, ceux-ci justifient la nécessité de modifier le paradigme de cette formation, qui reste encore fortement empreint de la transmission de connaissances (Perrenoud, 1997) malgré les discours des réformes prônant la mise en place de l’APC dans l’enseignement.
Les institutions chargées de la formation initiale et continue des enseignants deviennent donc le point de mire des théoriciens, qui font reposer sur elles l’espoir majeur de professionnalisation des enseignants, et donc de succès des réformes de l’enseignement. Dans leurs travaux, il apparaît qu’au-delà des dispositifs de formation initiale et continue des enseignants, il devient également important de s’interroger sur les qualités requises des formateurs qui les mettent en place, et sur les implications que le souci de professionnalisation des enseignants peut engendrer pour eux. Perrenoud (1994, in Mante, 1998) soutient ainsi l’idée selon laquelle la condition nécessaire de la transformation du métier d’enseignant en une profession à part entière est que la formation de ces derniers soit assurée par des professionnels également. Certains auteurs se penchent de manière spécifique sur la problématique de la construction du professionnalisme des formateurs d’enseignants, en l’absence de programmes officiels de formation initiale pour les formateurs d’enseignants. Altet, Paquay et Perrenoud (2002) posent le problème de la professionnalisation de ces formateurs comme la recherche de conditions leur permettant de devenir des praticiens réflexifs capables de travailler sur la prise de conscience, sur l’habitus et sur l’identité professionnelle.
L’apprentissage de l’adulte en formation
Altet et al (2002) définissent le formateur d’enseignants comme doté de deux figures identitaires. D’une part, le profil de ce formateur correspond à celui d’un enseignant-expert, amené à œuvrer comme un conseiller appartenant au même métier que ceux qu’il forme, avec un peu d’avance et une capacité de formaliser et de transmettre des savoirs et savoir- faire professionnels. D’autre part, est mise en évidence une identité se rapprochant de celle d’un formateur d’adultes qui transposerait aux métiers de l’éducation des compétences pertinentes dans d’autres secteurs d’activités. Pour concevoir les modalités à développer pour assurer la formation des formateurs d’enseignants, il importe donc de tenir compte du fait qu’avant d’être un formateur, le formateur d’enseignant est aussi un adulte. La prise en compte des travaux touchant à la formation d’adultes prend donc ici tout son sens. Nous le ferons d’abord par une référence à la modélisation de l’apprentissage adulte proposée par Bourgeois et Nizet (1999), dont l’ambition a été d’articuler divers travaux et courants théoriques relativement cloisonnés, pour aboutir à un modèle théorique inscrit de manière cohérente dans une théorie générale du fonctionnement et du développement humain, en particulier du développement cognitif. De ce modèle partant de l’hypothèse d’une possibilité d’extension du constructivisme piagétien au développement des connaissances déclaratives (en tant que « concepts et théories utilisées par l’individu pour décrire, interpréter et juger le monde », p. 46), nous retiendrons en particulier un apport important pour notre propos, à savoir la mise en évidence de la propension naturelle du sujet à préserver une certaine inertie des structures déclaratives pour appréhender le monde qui l’entoure. Bourgeois et Nizet (1999) soulignent que cette inertie tend à s’accentuer quand ces structures sont étroitement liées aux systèmes de valeurs, identités et pratiques sociales et culturelles des personnes concernées. Selon ce modèle, la réussite d’une formation d’adultes implique donc de rechercher les facteurs permettant de favoriser le dénouement en spirale ouverte de la dynamique d’assimilation / accommodation en présence. Les auteurs insistent également sur le fait que les structures de connaissances acquises en formation exercent différentes fonctions, dont une fonction d’étiquetage, qui correspond à la mise en mots de comportements ou de caractéristiques.
Par ailleurs, il nous semble pertinent de nous pencher sur les travaux portant sur le transfert des apprentissages des adultes en formation aux pratiques professionnelles de ces derniers. En effet, selon Toupin (1995, p. 118), « lorsque les apprentissages effectués au cours d’un programme de formation ne sont pas transférés à la situation de travail sous la forme d’une amélioration de la performance, c’est comme si la formation n’avait pas eu lieu ». Nous touchons ici au concept d’efficacité organisationnelle de la formation tel que défini par Huybens et al (1993), qui revient à se demander dans quelle mesure elle a permis d’améliorer le fonctionnement de l’organisation et de résoudre les difficultés ou problèmes qui l’avaient rendue nécessaire. Vue sous cet angle, la réflexion réalisée dans cet article vise donc à maximiser l’efficacité organisationnelle du dispositif de formation continue à l’APC destiné aux formateurs de l’ENSETP, afin de contribuer à l’amélioration de l’efficacité externe de l’ENSETP. Le Boterf (2000b) définit le transfert comme un processus de recontextualisation, de mise à l’épreuve de la réalité de concepts et théories d’action appris, notamment dans le cadre d’une pratique de réflexivité amenant le sujet à conceptualiser, modéliser ou formaliser son expérience professionnelle. Il apparaît que le transfert est fortement lié à la problématique de la mobilisation des connaissances. Selon Toupin (1995), au sens large, le transfert peut se concevoir comme la mobilisation des connaissances acquises, dans d’autres contextes que celui de la formation. Toute compétence, de par la dimension de mobilisation qui la constitue, comporterait donc une dimension de transfert, et la construction de compétences professionnelles en situation de formation devrait d’office impliquer le transfert et la mobilisation des ressources acquises. Un des aspects saillants mis en évidence par les recherches sur le transfert concerne le caractère non spontané de ce processus (Frenay, 2001 ; Rey, 1996). Sur base d’une revue de différents travaux, Rey (1996) signale en effet que le transfert n’a lieu que si l’identité de structure entre les situations est reconnue par le sujet, et que celui-ci domine les spécificités contextuelles de chaque problème. La nécessité de traitement cognitif au sein de l’opération de transfert met en évidence l’importance de la métacognition au sein de ce processus, que Le Boterf (2000b) décrit comme le point de départ du transfert des compétences à d’autres contextes. Ces constats amènent de nombreux auteurs à réfléchir sur les stratégies à mettre en place pour que les situations de formation favorisent chez les formés l’amorce de processus de transfert à la pratique professionnelle. Notamment, Le Boterf (2000b) insiste sur l’importance d’introduire la préoccupation pour la transférabilité dès le début de l’apprentissage.
Recommandations pour un dispositif de formation continue à l’APC destiné aux formateurs de l’ENSETP
À la suite du cadre théorique qui vient d’être présenté, sont développés ci-dessous un ensemble d’éléments qui en découlent, sous la forme de recommandations pour un dispositif professionnalisant de formation continue à l’APC destiné aux formateurs de l’ENSETP.
Un dispositif de formation favorisant l’articulation entre théorie et pratique
L’aspect principal vers lequel convergent l’ensemble des théories et travaux de recherche analysé concerne l’importance de la relation entre la théorie et la pratique. En effet, il apparaît que les formations purement théoriques n’ont plus de raison d’être dans le cadre de la professionnalisation, étant donné que les compétences se construisent essentiellement à partir de la pratique, et que la relation avec cette pratique conditionne les possibilités de transfert des apprentissages réalisés à l’organisation-cible du changement souhaité. Mais il s’avère que cette pratique n’est pas spontanément enseignante. Il s’agit donc de mettre en place un dispositif de formation qui permette aux apprenants d’articuler théorie et pratique. Selon Euzet (1998), la problématique de l’articulation entre théorie et pratique se pose par le biais des deux questions suivantes. D’une part, il s’agit de se demander à quelles conditions (de mise en œuvre) la pratique peut interroger efficacement la théorie à des fins de formation. D’autre part, se pose la question de savoir à quelles conditions (de mise en référence) la théorie peut intervenir efficacement dans la pratique à des fins de formation. La plupart des auteurs (Lamy, 2002 ; Le Boterf, 2000a ; Paquay, 1996 ; Perrenoud, 2002 ; E. Charlier et B. Charlier, 1998) abordant le thème de l’articulation entre théorie et pratique évoquent comme clef de celle-ci la réflexion dans et sur la pratique telle que décrite par Schön. Schön (1994, in E. Charlier et B. Charlier, 1998) insiste cependant sur le fait que le processus de réflexion dans l’action échappant à tout contrôle, il est difficile d’apprendre à apprendre à partir de ce processus. En situation de formation, c’est donc prioritairement à partir du processus de réflexion sur l’action qu’il faudra travailler.
Les dispositifs de formation professionnalisante doivent favoriser cette réflexion, de façon à stimuler chez les sujets la mise en place de processus métacognitifs, eux-mêmes susceptibles de favoriser la mise en œuvre dans la pratique professionnelle des apprentissages réalisés (Le Boterf, 2000a). Concrètement, de nombreux auteurs (Lamy, 2002 ; Le Boterf, 2000b) mentionnent la formation en alternance, fondée sur une succession de moments de théorisation et de moments d’immersion professionnelle, de retours à la pratique, comme un dispositif propice pour générer la réflexivité et la distanciation de l’apprenant. Les auteurs insistent toutefois sur l’importance de ne pas se contenter d’une juxtaposition de moments de théorie et de pratique, mais bien de mettre en place une véritable articulation entre les deux instances. Il s’agit, selon Etienne (1998), de passer d’une situation d’alternance à une véritable formation par l’alternance. Selon Lamy (2002), cette alternance est la plus profitable quand elle s’étend sur une durée d’un à deux ans de formation. Pour répondre à cette préoccupation d’une théorie qui puisse contribuer à organiser et à structurer les pratiques, certains auteurs émettent des propositions de méthodes et techniques, comme le travail en groupes d’analyse de la pratique, la vidéo- formation, les simulations, les entretiens d’explicitation, la verbalisation, les études de cas, la résolution de problèmes, la pédagogie de projet, l’observation mutuelle, les jeux de rôles,… (Le Boterf, 2000a ; E. Charlier et B. Charlier, 1998 ; Perrenoud, 1996, 1998). D’autres soulignent la difficulté de ce travail de formalisation. Selon Le Boterf (2000a, p. 86),
« il convient … de ne pas minimiser les difficultés à développer la réflexivité et la formalisation ». Lévy-Leboyer (1992, p. 80) le rejoint, en soulignant que « l’individu compétent peut démontrer sa compétence, mais est beaucoup plus embarrassé si on lui demande de la verbaliser ».
En ce qui concerne les contenus de la formation, certains se positionnent en faveur d’une centration sur les savoirs pratiques des formés. D’autres insistent sur la nécessité de fournir également des éléments théoriques pertinents aux apprenants, afin d’enrichir le processus de formalisation. C’est ainsi que Le Boterf (2000a, p. 248) affirme à propos de la formation théorique que « bien conçue, elle peut représenter une formidable opportunité pour comprendre des situations nouvelles, faire face à l’inédit, élargir le champ d’application de ce que le professionnel sait faire ». Bourgeois et Nizet (1999) soulignent l’importance du fait que la formation puisse fournir les outils métathéoriques et méthodologiques appropriés. Lamy (2002) suggère que les formations doivent se réaliser en synergie avec les chercheurs spécialistes des domaines concernés. En ce qui concerne notre problématique de formation continue des formateurs de l’ENSETP, il s’avère donc pertinent que notre dispositif octroie une large place à l’articulation entre théorie et pratique et à la réflexion sur l’action. Les contenus théoriques pertinents dans ce cadre pourraient concerner la construction de situations de formation, la conception et l’organisation pédagogique et matérielle des stages, l’acte d’apprendre, d’enseigner, et de former, la gestion des groupes en formation, les différents paradigmes de l’évaluation, la relation d’aide, et certains contenus susceptibles d’aider le formateur à devenir un praticien réflexif (Lamy, 2002).
La formation comme accompagnement du développement professionnel des formateurs d’enseignants
Sans vouloir négliger la nécessité des connaissances théoriques, il importe toutefois d’avoir à l’esprit que l’articulation de la théorie avec la pratique conduit à relativiser leur importance et leur rôle dans la formation des formateurs d’enseignants. Les connaissances théoriques ne peuvent en effet plus être considérées comme centrales, mais doivent être envisagées comme des ressources à mobiliser dans le cadre de l’exercice d’une compétence (Perrenoud, 1997), ou comme des éléments permettant d’alimenter le processus de réflexion sur la pratique (Le Boterf, 2000a). Ce nouveau statut pour les connaissances au sein de la formation des formateurs d’enseignants amène à réfléchir sur le rôle du formateur chargé de cette formation. Il ne s’agit pas, en effet, de concevoir le formateur comme un expert infaillible, comme le détenteur du savoir professionnel à transmettre, mais plutôt comme un médiateur dont l’intervention facilite la construction des savoirs et du professionnalisme, étant donné que ce travail de construction ne peut résulter de la spontanéité (Le Boterf, 2000a). Toupin (1995) définit la fonction de médiation comme un accompagnement de l’adulte dans ses apprentissages, et comme une facilitation de la mise en place des conditions favorisant un transfert réussi de ces apprentissages. L’importance accordée par Bourgeois et Nizet (1999) au fait d’appréhender l’apprenant comme sujet justifie également cette médiation, étant donné que la fonction du formateur consiste selon les auteurs à créer, de manière délibérée et systématique, les conditions susceptibles de favoriser des changements dans les structures de connaissances, mais sans préjuger de la manière dont l’apprenant va tirer parti des opportunités qui lui sont offertes. Le but de la formation serait selon ces auteurs de favoriser la prise de distance critique des apprenants par rapport aux savoirs préalables, et de mettre à la disposition de ces derniers un certain nombre d’outils permettant une transformation éventuelle des structures cognitives. Dans le cadre de cette fonction de médiation, plusieurs auteurs soulignent l’importance du recadrage au sein de la formation. Selon Watzlawick et al (1975, in E. Charlier et B. Charlier, 1998, p. 23), “recadrer signifie modifier le contexte émotionnel d’une situation, ou le point de vue selon lequel elle est vécue, en la plaçant dans un autre cadre qui correspond aussi bien ou même mieux aux ‘faits’ de cette situation, dont le sens par conséquent change complètement ». Le Boterf (2000a), d’une part, et Bourgeois et Nizet (1999), d’autre part, soulignent également cette fonction de recadrage du formateur d’adultes, qui consiste à apporter un nouvel éclairage de la situation vécue, permettant ainsi aux apprenants de sortir de leur propre point de vue et d’inscrire celui-ci dans une perspective nouvelle. Le concept de recadrage peut être rapproché de celui de restructuration, que Russell et Munby (1996) caractérisent comme un point-clé de la théorie de Schön. Restructurer consiste selon les auteurs (p. 253) à « ‘voir’ ou ‘entendre’ les choses différemment, de telle sorte que la perception devient un processus unifié où l’observation est interprétative ». Russell et Munby (1996) décrivent la restructuration comme un médiateur entre la théorie et la pratique, dans la mesure où sa mise en place donne un nouvel éclairage à la théorie et offre de nouvelles stratégies à la pratique. Selon Bourgeois et Nizet (1999), la diversité et l’interaction des sources d’information en jeu dans l’apprentissage peuvent contribuer à la mise en place d’une restructuration ou d’un recadrage par le sujet. De même, la fonction d’étiquetage des structures de connaissances découverte par les auteurs dans le cadre de leurs études de cas contribue à ce processus de recadrage, de par la prise de conscience qu’elle occasionne chez le sujet. La nouvelle mise en mots d’objets ou de comportements peut, selon les auteurs, enclencher des déclics insoupçonnés dans l’apprentissage adulte, amenant l’apprenant à identifier de nouveaux signifiés qui étaient potentiellement à sa disposition, mais dont il ne pouvait tirer parti faute de pouvoir les identifier par un nom.
Il importe donc de concevoir la formation des formateurs d’enseignants comme un accompagnement de ceux-ci dans la construction de leurs compétences professionnelles, accompagnement conçu comme une médiation de la part du formateur. La forme de cet accompagnement, de cette médiation doit contribuer à la construction de l’espace protégé que Bourgeois et Nizet (1999) décrivent comme condition nécessaire pour aider les apprenants à faire le saut, à vivre ce passage insécurisant qu’est l’émergence de nouvelles structures cognitives, voire d’un nouveau modèle identitaire. La nécessité de cet accompagnement, de cette fonction de médiation nous amène à penser que dans le cas de la formation continue à l’APC destinée aux formateurs de l’ENSETP, le dispositif à mettre en place s’apparente à un dispositif de coaching professionnel. Fortin (2006a, 2006b) présente le coaching comme un nouveau mode d’accompagnement, une technologie de développement du potentiel humain qui semble bien adaptée à notre époque faite de changements importants dans la structure sociale et dans l’économie mondiale. La Société Française de Coaching (in Fortin, 2006a, p.1-07) définit le coaching comme
« l’accompagnement de personnes ou d’équipes pour le développement de leur potentiel et de leur savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels ». La notion d’espace protégé décrite par Bourgeois et Nizet (1999) est également cohérente avec l’idée d’instaurer un dispositif qui s’apparente au coaching. En effet, dans une démarche de coaching, Fortin (2006b) souligne l’importance de la création d’un environnement sécuritaire qui soutient le coaché pour faire face aux défis et prendre des risques pour sa croissance et sa transformation.
Une formation porteuse de sens pour le formateur d’enseignants
Bonami (1993) fait reposer sur quatre conditions le transfert au contexte professionnel des connaissances et compétences acquises par l’adulte en situation de formation. Une de ces conditions renvoie au sens, à la signification mobilisante que doit impliquer pour le sujet l’utilisation des informations reçues en formation. Une façon de tendre vers une formation porteuse de sens pour les formateurs d’enseignants est liée à la mise en place d’un processus rigoureux d’analyse des besoins de formation. Celle-ci, selon Bourgeois (1991), ne peut se limiter à amener les acteurs à se prononcer par rapport à une offre de formation donnée. Cette pratique relativement courante, selon Bourgeois (1991), est en effet difficilement à-même de permettre de rencontrer vraiment les objectifs et besoins des sujets. Elle correspond selon Le Boterf (2000a) à la logique du catalogue, que celui-ci caractérise comme relevant de l’âge de la cueillette. D’après Bourgeois (1991), il importe de mettre en place une véritable évaluation de contexte, qui pose directement la question de la pertinence du système de formation, particulièrement en ce qui concerne ses objectifs. Lamy (2002) suggère pour ce faire de mettre en place de véritables sondages auprès des formateurs d’enseignants, qui prendraient la forme d’une évaluation des résultats d’actions de formation passées, et de l’appréhension des attentes, demandes et besoins des formateurs d’enseignants concernant les actions futures. Il s’agirait ensuite de croiser les centres d’intérêt des formateurs d’enseignants avec les directions institutionnelles, et de proposer un large éventail d’alternatives de formation susceptibles de rencontrer les projets individuels de professionnalisation des formateurs d’enseignants (Lamy, 2002 ; Perrenoud, 1998). Lamy (2002) présente le système modulaire d’enseignement comme propre à répondre à cette nécessité d’individualisation des parcours de formation des formateurs d’enseignants, étant donné que l’organisation en modules permet à chaque formateur d’enseignant de combiner toutes les possibilités de formation et de se construire son propre projet de formation. Il s’agit toutefois, selon Lamy (2002), de ne pas perdre de vue que les actions doivent servir également les objectifs de formation de l’institution. Il importe de rechercher la conjugaison entre les projets de professionnalisation des individus et les exigences du professionnalisme des organisations (Le Boterf, 2000a). Cela implique de conserver un minimum de cohérence au-delà de la diversité des modules et des parcours individuels de formation, cohérence déterminée par l’appartenance des actions à de « grands chantiers de la formation » (Lamy, 2002, p. 55). Il importe donc, pour contourner le risque d’éparpillement inhérent à tout système de formation modulaire, de former les formateurs d’enseignants à l’élaboration de projets cohérents et au maintien de leurs orientations dans la durée (Lamy, 2002).
Pour que la formation des formateurs d’enseignants soit porteuse de sens, il importe donc de cultiver l’intentionnalité de ces derniers. Selon Toupin (1995), celle-ci est entre autres liée à un projet de réinvestissement dans la pratique. La formation doit donc être conçue dans l’optique de préparer à l’exercice de futures activités professionnelles, ou de permettre aux formateurs d’enseignants de résoudre certains problèmes qui se présentent dans l’exercice de leur profession. Nous rejoignons ici l’importance de l’articulation entre théorie et pratique évoquée plus haut. Le respect de cette intentionnalité et de l’individualisation des parcours est susceptible de favoriser l’engagement du sujet adulte par rapport au processus de formation, un engagement qui consiste à prendre position comme sujet, comme acteur social par rapport à la pluralité de points de vue qui lui sont présentés, et qui détermine la possibilité d’une transformation identitaire chez le sujet, enjeu ultime de la formation selon Bourgeois et Nizet (1999). Les auteurs insistent, pour que ce processus de transformation identitaire puisse se mettre en place, sur l’importance du fait que la formation soit conçue comme un espace-temps spécifique, indépendant de celui du déroulement des activités professionnelles, et que ce travail n’interfère aucunement avec des décisions de certification. Cela contribue à la mise sur pied de l’espace protégé évoqué plus haut pour la formation.
Une formation orientée vers la construction des compétences professionnelles des formateurs d’enseignants
Selon Le Boterf (2000a, p. 265), « le propre de la formation est d’accroître le potentiel des ressources des individus pour qu’ils puissent les utiliser et les combiner dans la construction de leurs compétences ». Il convient en effet que la formation des formateurs d’adultes s’organise autour de la construction de compétences professionnelles par ces derniers. Cela implique, tout d’abord, d’identifier les compétences dont la formation devra favoriser la construction. L’analyse des besoins mentionnée ci-dessus devra donc se traduire sous forme de compétences à construire par les formateurs d’enseignants. De nombreux auteurs mentionnent la construction d’un référentiel de compétences comme point de départ de tout processus de formation ou de professionnalisation. Il s’agit de rechercher ce qui fait le professionnalisme d’un métier ou d’une fonction, en tenant compte des diverses sources de définition des compétences requises par l’organisation en question (Le Boterf, 2000a), et en impliquant l’ensemble des acteurs impliqués (Mante, 1998). Selon Le Boterf (2000a), ce référentiel de compétences doit être actualisé régulièrement afin de confirmer ou corriger les hypothèses d’évolution avancées. D’autres auteurs se montrent plus critiques à l’égard de la définition de référentiels de compétences. Ainsi, Bellier (1999) souligne le risque que les référentiels généraux de compétences puissent devenir des outils très lourds, s’apparentant davantage à un listing qu’à la compétence en elle-même. Mante (1998) souligne également les limites de l’outil référentiel de compétences, dans la mesure où il peut induire une approche très comportementaliste de la formation, de par la tendance qu’il génère à travailler sur chaque compétence indépendamment les unes des autres.
En ce qui concerne la problématique de la formation continue des formateurs de l’ENSETP, nous croyons toutefois que la définition de compétences professionnelles comme préalable à l’élaboration du plan de formation est souhaitable pour orienter celle-ci et assurer sa pertinence. Cette définition est d’autant plus importante que comme le signalent Altet et al (2002, p. 10), « envisager une professionnalité unique et identifiable des formateurs d’enseignants est sans doute prématuré, tant les pratiques, les identités, les insertions et les statuts diffèrent ». Face à ce manque de référentiel institutionnel, Lamy (2002) interroge les formateurs d’enseignants et en vient à proposer un certain nombre de compétences qui devraient être la cible du processus de professionnalisation de ces derniers. Parmi celles-ci, sont mentionnées entre autres la compétence à gérer la complexité des situations et à prendre des décisions adaptées, la compétence à créer chez le formé un réel projet d’appropriation de la formation qu’il suit, ainsi que la compétence à réduire l’écart entre le dire et le faire, dans l’optique du paradigme du praticien réflexif de Schön. Si la définition des compétences-cibles constitue un point de départ nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante. Il importe également de mettre en place des stratégies susceptibles de favoriser leur construction par les formateurs d’enseignants. Les aspects qui suivent constituent des pistes permettant de tendre vers cette construction.
Une dynamique constructiviste vers la construction de compétences
L’hypothèse de travail de Bourgeois et Nizet (1999) évoquée plus haut, en fonction de laquelle il est possible d’expliquer le mécanisme d’acquisition de connaissances déclaratives par l’adulte en formation sur base de la dynamique d’assimilation- accommodation proposée par Piaget pour expliquer le développement de l’intelligence chez l’enfant et l’adolescent, nous paraît pertinente dans le cadre de la question de la formation continue des formateurs de l’ENSETP. En effet, dans la mesure où le paradigme constructiviste, et notamment l’Approche Par Compétences, se trouvent au centre de la Réforme de la Formation Professionnelle et Technique en vigueur au Sénégal, il est plus que pertinent, en vertu du principe d’isomorphie évoqué plus haut, de mettre en place une formation de formateurs d’enseignants qui s’inscrive dans ce paradigme. En résumé, il s’agit pour le formateur chargé de cette formation de ne pas faire « ‘comme si’ il suffisait de donner l’information nouvelle à l’apprenant pour qu’un apprentissage se réalise » (Bourgeois et Nizet, 1999, p. 60).
Cette intention peut se concrétiser à trois niveaux principaux. D’abord, il importera de mettre en place des conditions de formation susceptibles d’activer les structures de connaissances préalables des formateurs de l’ENSETP, dans un processus d’assimilation. Le formateur devra mettre en place les stratégies pédagogiques pertinentes, et instaurer dans le groupe de formation un climat qui favorise l’expression des savoirs spontanés des apprenants. Ensuite, la situation devra produire une mise en conflit de ces structures d’assimilation avec une information nouvelle. Pour multiplier les occasions de conflits cognitifs, Bourgeois et Nizet (1999) suggèrent de diversifier les sources de cette information nouvelle. Celle-ci peut en effet provenir des interactions entre les apprenants et le formateur, des interactions entre apprenants, de l’observation et de l’expérience des apprenants. Il convient, selon les auteurs, de jouer sur les divers facteurs déterminant la probabilité de l’apparition d’un conflit cognitif. Parmi ceux-ci, les auteurs citent d’une part la disposition de l’apprenant, liée à sa trajectoire personnelle et à son projet de formation, et d’autre part, l’existence d’une dynamique de groupe adéquate entre les apprenants. Selon Bourgeois et Nizet (1999), le formateur a un rôle déterminant à jouer sur ces deux facteurs ; son intervention influence également l’apparition du conflit cognitif par le biais du dispositif pédagogique et de la méthodologie qu’il met en place, ceux-ci devant favoriser la confrontation des points de vue. Enfin, une fois que les apprenants se trouvent en situation de conflit cognitif, il importera de leur permettre de dépasser celui-ci, en mettant en place des conditions favorisant les processus de régulation de type homéorhésique, impliquant une transformation, une accommodation des structures préalables. Bien que Bourgeois et Nizet (1999) mentionnent ces mécanismes dans le cadre strict de l’acquisition de connaissances déclaratives, nous pensons qu’ils sont tout-à-fait pertinents dans le cadre de la problématique de la construction de compétences, dans la mesure où l’acquisition de connaissances déclaratives représente une condition nécessaire à la construction de compétences. D’une manière plus générale, Bélair (1998) explique comme suit l’approche constructiviste qui selon elle doit être mise en place dans la formation de formateurs. Il s’agit de partir des besoins et difficultés rencontrés, de susciter la réflexion grâce à des mises en situation déstabilisantes, et de permettre la construction par les formés de diverses techniques de travail.
Ces trois aspects peuvent constituer une transposition du mécanisme d’assimilation- accommodation à la sphère des compétences professionnelles. Par ailleurs, un rapprochement peut être fait entre la notion de mise en situation déstabilisante et le principe selon lequel, dans une démarche de coaching, le coach amène la personne coachée à
« sortir de sa zone de confort » (Fortin, 2006a) en repoussant ses limites. Dans le modèle présenté par Bourgeois et Nizet (1999), il semble particulièrement important de reprendre ici la réflexion concernant la propension à l’inertie des structures déclaratives et des résistances que cette inertie peut engendrer en situation de formation. Selon les auteurs, cette résistance est d’autant plus importante que les objets de l’apprentissage sont proches de l’identité du sujet. Cette situation correspond à celle des formateurs de l’ENSETP puisque la réflexion sur la pratique qui leur sera demandée impliquera un travail sur soi important, qui touchera leur identité professionnelle ; il s’agira de veiller à respecter cette résistance tout en amenant les formateurs d’enseignants à la dépasser.
Réseau, projet, reconnaissance des compétences
Comme nous l’avons mentionné plus haut, Bonami (1993) insiste sur l’importance du sens que le sujet adulte attribue aux apprentissages réalisés en formation, pour qu’il y ait transfert de ces derniers à la situation professionnelle. L’auteur mentionne également trois autres concepts à prendre en compte dans l’élaboration des situations de formation pour favoriser ce transfert. Il s’agit des concepts de réseau, de projet et de reconnaissance des compétences. Ces concepts ont été regroupés ici, étant donné qu’ils sont complémentaires l’un par rapport à l’autre.
Le réseau comme support du processus de transfert
Selon Bonami (1993), le concept de réseau renvoie à un ensemble de personnes entretenant entre elles des relations régulières et organisées et poursuivant un ou des objectifs plus ou moins formalisés. Ce réseau, qui peut être interne ou externe à l’organisation, fonctionne comme un support pour le transfert des apprentissages sur le terrain. Le concept de réseau peut être mis en relation avec deux dimensions qui concernent la situation de formation des formateurs d’enseignants. Premièrement, dans leur modélisation de l’apprentissage de l’adulte en formation, Bourgeois et Nizet (1999) soulignent l’importance du groupe en situation de formation. Ce groupe fonctionne à la fois comme un soutien psychologique à l’apprentissage individuel, comme une occasion de multiplier les feed-back sur les apprentissages de par les interactions sociales qu’il génère, et comme une occasion d’apprentissage social ou vicariant de par la possibilité d’apprentissage à partir des essais et erreurs d’autrui qu’il génère. Ce travail en groupe d’adultes qui œuvrent ensemble à la résolution de problèmes professionnels identifiés et communs est susceptible de favoriser les apprentissages, et le transfert de ceux-ci à la pratique professionnelle. Il importera donc que notre dispositif de formation continue des formateurs de l’ENSETP exploite les possibilités offertes par le groupe en formation, comme catalyseurs des apprentissages et du transfert de ces derniers.
Mais le concept de réseau soulevé par Bonami (1993) va plus loin, dans la mesure où il implique un réel travail en groupe autour du transfert des apprentissages sur le terrain. Nous nous permettrons de rapprocher le concept de réseau interne avec le modèle de navigation professionnelle défini par Le Boterf (2000a). Celui-ci fait référence au concept de réseau comme un moyen permettant d’atteindre ce qu’il appelle le « pouvoir agir » (p. 190), qui intervient dans la problématique du transfert. La mise en place de réseaux serait susceptible d’élargir l’équipement des ressources auxquelles le professionnel peut faire appel pour construire ses compétences et son professionnalisme. Nous considérons également que l’idée de Le Boterf (2000a) selon laquelle les organisations doivent tendre vers la construction d’une compétence collective constitue un élément intéressant dans le cadre de la problématique du transfert et du changement dans les organisations. Étant donné que le développement de la compétence collective n’est pas spontané (Le Boterf, 2000a, 2000b), il importera, dans le dispositif de formation continue de formateurs de l’ENSETP, de tenir compte des suggestions de l’auteur pour que les apprentissages réalisés soient transférés sous forme de la construction d’une compétence collective des formateurs au sein de l’ENSETP. Ces suggestions sont liées, entre autres, au maintien de la diversité des compétences individuelles, à la création de relations de convivialité, et à l’instauration de conditions matérielles et spatiales favorisant les échanges.
Le projet comme concrétisation des apprentissages réalisés en formation
Bonami (1993) définit le concept de projet comme une réalisation plus ou moins vaste qui correspond à certains besoins d’une institution ou d’un groupe d’acteurs et pour lequel des personnes sont disposées à mobiliser du temps et de l’énergie. L’auteur constate que les résultats de la formation sont plus marqués quand il existe des projets ayant fait l’objet d’une interaction avec les formateurs. Ces projets représentent en effet un lieu privilégié d’application permettant de concrétiser et de transférer la formation reçue ; ils fonctionnent ainsi comme un dispositif intégrateur de la formation. Bourgeois et Nizet (1999) invitent à tenir compte de ces projets et de la confrontation des différents projets individuels en situation de formation. Le concept de projet tel que soulevé par Bonami (1993) implique en outre l’inscription de la formation dans le cadre de projets collectifs au niveau de l’organisation. D’autres auteurs rejoignent cette idée. Le Boterf (2000a), en définissant les caractéristiques d’une formation professionnalisante, souligne entre autres l’importance que celle-ci soit orientée vers une contribution spécifique à la résolution de problèmes et à la réalisation de projets dans l’institution. Lamy (2002), se référant particulièrement aux dispositifs de formation continue de formateurs d’enseignants, indique que l’inscription de ceux-ci dans une visée pragmatique, dans les projets professionnels des formateurs, favorise la possibilité de réinvestissement des apprentissages au meilleur niveau et le plus rapidement possible. Se référant à la formation continue des enseignants, E. Charlier (1996) propose que celle-ci soit articulée au projet pédagogique de l’institution scolaire, afin de maximiser ses bénéfices. Nous croyons pertinent de transposer cette analyse au dispositif de formation continue à l’APC destiné aux formateurs de l’ENSETP. En particulier, l’existence du Projet SN 101, dont la formation continue des formateurs ne constitue qu’une composante, qui s’articule avec d’autres qui lui sont étroitement liées, nous semble être un facteur favorable pouvant contribuer au transfert des compétences acquises dans la pratique professionnelle quotidienne à l’ENSETP.
Reconnaissance des compétences
Le dernier concept mis en évidence par Bonami (1993) a trait à la reconnaissance, au sein de l’organisation, des compétences de ses membres. L’importance de la reconnaissance des compétences est également soulignée par Le Boterf (2000a), selon lequel l’existence d’un contexte de reconnaissance et de confiance facilite la prise de risques, l’engagement de la personnalité et l’exercice de la créativité, indispensables au développement de l’innovation au sein des organisations. Selon Maradan (2002, p. 168), « pour répondre aux attentes légitimes des formateurs [d’enseignants], un système de reconnaissance des acquis et de certification des parcours devrait accompagner une telle navigation dans une formation professionnalisante ». Plutôt que l’octroi de diplômes et de titres définitifs, l’auteur suggère d’adopter l’idée de visa proposée par Le Boterf, qui se caractériserait par le balisage d’un plan de formation délibéré et évolutif, négocié entre partenaires, propre à la culture d’entreprise de l’institution de formation. Nous croyons que si cette reconnaissance sous forme de certification de la formation est nécessaire, elle n’est pas suffisante, et doit être complétée par certaines actions attestant de la reconnaissance au niveau-même de l’organisation dans laquelle les formateurs d’enseignants se déploient professionnellement. La position de Le Boterf (2000a) semble répondre à cette préoccupation, lorsqu’il souligne que « la capacité à agir suppose l’autorité à agir » (p.191), et plaide pour l’existence d’attributions pour les professionnels, reconnaissant la marge de liberté et d’initiative nécessaire à la création des compétences. Il s’agit, pour permettre la mise en place de l’innovation au niveau de la formation d’enseignants, de faire confiance au professionnalisme de leurs formateurs, afin que celui-ci puisse réellement constituer la richesse principale de l’organisation, comme c’est le cas dans les organisations qui présentent une configuration essentiellement professionnelle (Mintzberg, 1991). La confiance placée dans le professionnalisme des formateurs rejoint le principe de présomption de compétence sur lequel est basée toute démarche de coaching professionnel. Cette forme de reconnaissance contribuerait à permettre le développement de réseaux et de projets au sein de l’organisation.
L’évaluation comme dispositif d’intervention
Selon Bonami (1993, p. 203), l’investissement lié à une formation « sera considéré comme efficace, si des capacités effectivement acquises par les participants en cours de formation, sont ensuite transférées au sein de leurs activités professionnelles et permettent le développement de réalisations et de projets de qualité ». Soulignant la nécessité de l’évaluation pour préciser les conditions de l’efficacité de l’investissement-formation, l’auteur insiste sur l’importance de formaliser cette évaluation et de l’intégrer au design même de l’opération de formation. Se référant à Crozier (1977, in Bonami, 1993), Bonami (1993) définit l’action de formation comme un système d’action concret, et plaide en faveur d’une évaluation située en divers lieux critiques de ce système. Il reprend le modèle de Stufflebeam (1980, in Bonami, 1993) pour formaliser la situation de l’évaluation au sein du système de formation. Ce modèle définit quatre types d’évaluation, qui correspondent chacun à un type de décision particulier concernant la formation. L’évaluation de contexte permet d’analyser la situation insatisfaisante de départ qui justifie la nécessité de la formation, et d’esquisser les objectifs de celle-ci. Nous avons déjà évoqué sa nécessité au moment où a été abordée la problématique de l’analyse des besoins de formation, que Bourgeois (1991) présente comme devant correspondre à une démarche de régulation, ne se limitant pas à la production initiale d’objectifs de formation d’un programme, mais devant également se mettre en place au cours de la réalisation du programme, dans une optique de régulation de ces objectifs. L’évaluation des intrants, quant à elle, aboutit au choix des ressources de toute nature qu’il paraît souhaitable de rassembler, mobiliser et agencer en vue d’atteindre les objectifs assignés à l’action de formation, et qu’il s’agit d’opérationnaliser. Les divers aspects abordés précédemment concernant les caractéristiques souhaitables pour une formation continue professionnalisante des formateurs de l’ENSETP contribuent à la mise en place du processus d’évaluation des intrants de cette formation. Il nous reste ici à aborder l’évaluation de processus et l’évaluation de produit telles que décrites par Stufflebeam (1980, in Bonami, 1993). L’évaluation de processus renvoie au déroulement concret de l’action de formation (Bonami, 1993). Elle est à mettre en place à tout moment afin de détecter les écarts entre le déroulement réel et celui prévu par le plan de formation. L’évaluation de produit permet d’identifier et de mesurer les différents effets de la formation, en termes de compétences acquises et transférées, de la qualité des réalisations qu’elle a favorisées, et de l’impact organisationnel de ces dernières (Bonami, 1993). C’est à ce dernier type d’évaluation que les auteurs qui abordent le sujet de la formation d’adultes s’intéressent le plus.
Certains d’entre eux soulignent l’importance de la logique formative de l’évaluation, qui reconnaît le droit à l’erreur et propose un feed-back fréquent au sujet apprenant. Bourgeois et Nizet (1999) mettent en garde contre l’existence d’interférences de l’évaluation formative avec l’évaluation certificative. Il s’agit selon eux de protéger le sujet de la sanction pendant un temps au moins. Le Boterf (2000a) suggère de réaliser l’évaluation des résultats de la formation à deux niveaux principaux. D’une part, il s’agit d’évaluer les ressources produites par la formation, c’est-à-dire l’acquisition des capacités et du savoir souhaités. Cela peut se réaliser par l’intermédiaire d’épreuves classiques, d’une analyse de travaux individuels et d’une auto-évaluation. D’autre part, il importe d’évaluer les résultats de la formation en termes de compétences, ce qui revient à apprécier dans quelle mesure les ressources sont mises en œuvre de façon pertinente dans les activités professionnelles. L’évaluation des compétences est reconnue comme étant difficile, vu qu’il n’existe pas encore d’instrumentation satisfaisante dans ce domaine (Le Boterf, 2000a). Selon l’auteur, elle suppose un protocole d’observation au sein duquel est mis en place un processus d’inférence qui reconnaît qu’il y a compétence si certains critères de réussite sont respectés.
Outre l’évaluation des connaissances et compétences acquises, Meignant (1991, in Bonami, 1993) propose trois autres niveaux en ce qui concerne l’évaluation des effets de la formation. D’abord, il s’agit de mettre en place une évaluation de satisfaction qui consiste à recueillir les appréciations des participants concernant la qualité et pertinence des contenus abordés, les méthodes et les supports pédagogiques, les formateurs, les conditions matérielles… Le Boterf (2000a, p. 267) invite toutefois à relativiser les résultats de cette évaluation de satisfaction, dans la mesure où « la satisfaction de l’apprenant n’est pas toujours un critère de réussite pédagogique et son insatisfaction ne signifie pas automatiquement la non-qualité de la formation ». Ensuite, Meignant (1991, in Bonami, 1993) souligne l’importance de l’évaluation des connaissances et compétences transférées pendant quelques mois après la formation. Celles-ci peuvent s’appréhender par l’observation directe, la verbalisation qui accompagne le travail, des relevés statistiques, des questionnaires ou entretiens individuels ou de groupes. Selon Bonami (1993), cette évaluation demande beaucoup de temps et d’énergie. Enfin, Meignant (1991, in Bonami, 1993) suggère de réaliser une évaluation des réalisations et des projets générés en lien avec la formation. Celle-ci doit se réaliser environ un an après la fin de la formation, sur base d’indices permettant de déceler l’influence de celle-ci au sein de l’organisation. Dans tous les cas, Le Boterf (2000a) souligne l’importance du retour de l’information aux acteurs concernés, afin d’augmenter leur responsabilité par rapport à leur projet de professionnalisation et de diminuer leur sentiment d’être contrôlé. L’ensemble de ces principes sont pertinents en ce qui concerne notre dispositif de formation continue des formateurs de l’ENSETP. Il s’agit donc d’accorder l’importance nécessaire à l’évaluation à tous les niveaux du dispositif, dans une optique d’optimisation de celui-ci, qui ne se réduit pas à l’évaluation-sanction.
Conclusion
À travers cet article, nous avons voulu contribuer à la conception d’un dispositif de formation continue à l’APC, destiné aux formateurs de l’ENSETP. Il s’agissait de fonder cette réflexion sur les éléments théoriques et empiriques pertinents, afin de dessiner les contours d’un dispositif qui contribue au développement professionnel des formateurs, et qui constitue un support pour la mise en place d’innovations pédagogiques à l’ENSETP, ces innovations pouvant à leur tour contribuer à la mise en place de la Réforme de la FPT, et ainsi, à l’amélioration de la qualité de celle-ci. La finalité de cette réflexion concerne donc une contribution à l’efficacité externe de l’ENSETP, en tant qu’élément du système de formation de formateurs du sous-secteur de la FPT au Sénégal.
Le concept d’efficacité externe a été abordé comme un premier point de notre cadre théorique. Ensuite, nous avons souhaité ancrer notre réflexion dans la tendance actuelle à penser le développement des organisations et des entreprises en faisant appel aux concepts de compétence et de professionnalisation de leurs membres. À partir d’un cadre de référence général, a été abordée la problématique particulière de la professionnalisation et de la formation continue des formateurs d’enseignants, qui apparaissent comme une nécessité, en particulier en réponse à la nécessité de professionnalisation des enseignants préconisée dans le contexte des réformes actuelles dans le champ de l’éducation. Suite à ce constat de la nécessité de la formation continue dans le cadre du processus de professionnalisation des formateurs d’enseignants, il importait de s’interroger sur les caractéristiques spécifiques de l’apprentissage de l’adulte, particulièrement en situation de formation. Nous l’avons fait en particulier en nous centrant sur le modèle de Bourgeois et Nizet (1999), fondé sur une extrapolation du paradigme constructiviste piagétien, à la problématique de l’acquisition des connaissances déclaratives par l’adulte en situation de formation. Ce modèle offre des pistes intéressantes pour une formation soucieuse du principe d’isomorphie à l’œuvre dans la situation de formation continue des formateurs de l’ENSETP, dans la mesure où il s’agit de former ces derniers à l’APC, qui s’inscrit dans le paradigme constructiviste. Le phénomène de transfert des apprentissages à la situation professionnelle a également été analysé, et notamment, son caractère non spontané a été mis en évidence.
Sur base de ce cadre de référence, ont été formulées un ensemble de recommandations pour le dispositif de formation continue à l’APC destiné aux formateurs de l’ENSETP. L’axe principal défini pour ce dispositif concerne la recherche de stratégies favorisant la réflexion sur la pratique professionnelle des formateurs, en cohérence avec le paradigme du praticien réflexif de Schön, et à travers une véritable articulation entre théorie et pratique. Le rôle particulier du formateur des formateurs d’enseignants a également été envisagé et défini comme une fonction de médiation devant favoriser la mise en place de processus de recadrage par les sujets. Par ailleurs, a été mise en évidence l’importance du fait que la formation repose sur la construction de compétences professionnelles par les formateurs d’enseignants, et soit basée sur la dynamique de l’assimilation et accommodation. Les concepts de sens, réseau, projet et reconnaissance des compétences tels que mentionnés par Bonami (1993) dans le cadre des facteurs susceptibles de favoriser le transfert des apprentissages à la situation professionnelle, ont également été évoqués et analysés. Le concept de sens a été mis en relation avec l’analyse des besoins de formation, avec la prise en compte des projets individuels de formation, et l’individualisation des parcours de formation. Celui de réseau a été analysé en lien avec le groupe et les interactions sociales caractéristiques de la formation, ainsi qu’avec le modèle de la navigation professionnelle proposé par Le Boterf (2000a), selon lequel la mise en réseaux des ressources et des compétences individuelles est une condition nécessaire de la construction d’une compétence collective au sein des organisations et entreprises. Le concept de projet renvoie au fait que les effets de la formation continue sont plus perceptibles au sein de l’organisation s’ils se traduisent en la réalisation de projets collectifs visant à améliorer le fonctionnement de celle-ci. La notion de reconnaissance des compétences concerne l’importance de l’existence d’attributions pour les professionnels formés, ainsi que de la confiance en leurs compétences, en tant que facteurs favorisant la mise en place d’innovations au niveau des pratiques professionnelles. Enfin, la perspective de l’évaluation comme dispositif d’intervention, décrite par Bonami (1993) comme correspondant à un système d’évaluation intégré au système d’action concret que constitue le dispositif de formation, a aussi été envisagée comme favorable dans le cadre de la problématique de la formation continue des formateurs de l’ENSETP.
À l’issue de cette réflexion, il importera de s’atteler à l’élaboration d’outils spécifiques permettant d’opérationnaliser les recommandations formulées pour le dispositif de formation continue à l’APC destiné aux formateurs de l’ENSETP. Compte tenu de ces recommandations, il apparaît que ce dispositif ne devra pas être pensé en termes de modélisation ou de transmission de connaissances, mais conçu comme une instance professionnalisante, qui soit dotée de sens dans le cadre des projets personnels et professionnels des individus, tout en garantissant que ces derniers deviennent porteurs des changements souhaités au niveau de leur organisation (Maradan, 2002 ; Lang, 2002 ; Charlier, 1996). De par les caractéristiques formulées pour ce dispositif, et notamment la fonction de médiation attribuée au formateur, l’importance accordée au changement et à l’innovation dans la pratique professionnelle (mise en action) plutôt qu’à une transmission d’apports théoriques, la conception du sujet comme acteur principal de son développement professionnel et des innovations qu’il apporte dans son organisation, et la nécessité de mettre en place un espace protégé ou sécuritaire pour aider les formateurs à sortir de leur zone de confort, il semble pertinent d’affirmer que le dispositif s’apparente à un dispositif de coaching professionnel. Sous réserve de la légitimité de transposer les discours et travaux réalisés dans le cadre de la culture occidentale au contexte du Sénégal, nous croyons que le dispositif de coaching à l’APC ici esquissé est susceptible de contribuer, outre au développement des compétences des formateurs de l’ENSETP, qui correspondrait à l’efficacité pédagogique telle que définie par Huybens et al (1993), au développement de l’efficacité organisationnelle de l’ENSETP, et ainsi à son efficacité externe au service de l’augmentation de la qualité de la FPT, à travers l’amélioration de la qualification de son personnel enseignant.
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Résumé :
Au Sénégal, le seuil du troisième millénaire est fortement marqué par la réforme de la Formation Professionnelle et Technique, qui se propose entre autres de créer les conditions d’une éducation de qualité à tous les niveaux d’enseignement et de formation. Cet article nous a permis de nous pencher particulièrement sur l’un des axes stratégiques de ladite réforme, à savoir l’augmentation de la qualité de la formation des enseignants. En particulier, notre intérêt porte sur la formation des enseignants réalisée à l’École Normale Supérieure d’Enseignement Technique et Professionnel (ENSETP) de Dakar. Notre réflexion vise à contribuer à la conception d’un dispositif de renforcement des capacités des formateurs de l’ENSETP, au sujet des concepts et outils de l’Approche Par Compétences (APC). Il s’est agi pour nous de définir des stratégies permettant de mettre sur pied un dispositif de formation continue destiné à ces formateurs, qui réponde aux besoins de développement professionnel de ces derniers, et qui constitue un support pour la mise en place d’innovations pédagogiques à l’ENSETP. Ces innovations, à leur tour, sont susceptibles de contribuer à la mise en place de la Réforme de la FPT, à travers l’amélioration de la qualification des enseignants, et ainsi à l’augmentation de la qualité de la FPT à tous les niveaux. Les recommandations formulées pour ce dispositif nous invitent à souligner qu’il s’apparente à un dispositif de coaching professionnel, au sens d’un « accompagnement de personnes ou d’équipes pour le développement de leur potentiel et de leur savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels » (Société Française de Coaching, in Fortin, 2006a, p. 1-07).
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