RAIFFET 2008 L’enseignement et la production des compétences qualifiées du développement au Congo-Brazzaville Claude Ernest Kiamba

L’enseignement et la production des compétences qualifiées du développement au Congo-BrazzavilleClaude Ernest Kiamba

L’enseignement et la production des compétences qualifiées du développement au Congo-Brazzaville
Claude Ernest Kiamba

Summary

Taking into consideration current technological change, the assigned role with teaching at the time of colonization was exactly conformed to the needs for the development of European industries. The teaching delivered within this project did not attach importance to the training of the trades. Instead of training actors of social development, teaching was conceived around the myth of the diploma or the parchment, which yet constitutes for the majority of the Africans one of the discriminating factors of the social distinction. The decision to create professional and technical Schools and Training Institutes in Congo, answered a requirement: to provide to the country technical experts and agents of development for the valorization of the national wealth. From 1970 (year of the reform School of the People) up to 1991 (time of the organization of the Sovereign National Conference), the technicisation of teaching and the introduction of science and technology into the school programs, from now on, were regarded as support of economic and social development in Congo-Brazzaville.

Introduction

Le rôle assigné à l’enseignement au moment de la colonisation française au Congo- Brazzaville n’était pas d’abord de former des compétences qualifiées du développement local. Dans les écoles d’enseignement technique les formations étaient taillées sur mesure uniquement pour des besoins de développement de la métropole. C’est la raison pour laquelle les programmes scolaires n’accordaient pas assez de place à l’apprentissage des métiers et l’enseignement était conçu autour du mythe du diplôme. La considération pour l’enseignement général au détriment de l’enseignement technique et professionnel permet, aujourd’hui, de bien mesurer l’impact psychologique d’une telle orientation des politiques de formation dans les milieux intellectuels congolais. Cette situation est d’autant plus dramatique qu’elle a longtemps privé le Congo de compétences techniques capables de relever le défi de son développement économique. Depuis son indépendance, ce pays avait continué de faire appel à l’aide technique extérieure pour la mise en œuvre de ses projets de développement. Ainsi, dans le but de construire l’État, les dirigeants politiques de la période post indépendance avaient jugé nécessaire de développer le secteur de l’enseignement technique et professionnel en accordant une importance particulière à la formation des cadres qualifiés. Car, s’il est reconnu que la construction de l’État nécessite la formation des élites bureaucratiques, il ne demeure pas moins vrai que celle-ci ne peut se réaliser, si aucune exigence de formation des cadres techniques n’est prise en compte.

La décision de créer des écoles et des Instituts de formation professionnelle et technique au Congo répondait à un impératif : fournir au pays des cadres techniques et des agents de développement pour la valorisation des richesses nationales52. Toutefois, elle confirmait

52 La valorisation des richesses nationales était d’autant plus urgente que, selon le Manifeste de l’École du Peuple, l’école congolaise de l’époque néocoloniale ne permettait pas de relever le défi du développement du pays : L’école existante forme des Congolais tournés vers les pays d’Europe en général et vers la France en particulier. Elle forme des citoyens qui n’ont pas confiance en eux-mêmes ni en leurs compatriotes (…) Elle forme des Congolais qui  tombent d’admiration devant tout ce qui vient d’Europe et qui méprisent et dénigrent ce qui est national (…) Elle forme l’urgence d’une mise en place des conditions appropriées pouvant conduire à la réduction de la dépendance du pays par rapport à l’extérieur, ainsi qu’une nouvelle vision du développement liée à la volonté des Congolais de compter d’abord sur leurs propres efforts. Ce travail traite aussi bien de la mise en place des structures de formation des cadres locaux du développement (I) que du rôle de l’enseignement supérieur dans une société congolaise en pleine mutation (II).

La mise en place des structures de formation des cadres locaux du développement

Il sera question ici, non seulement de l’analyse des stratégies développées par les décideurs politiques dans le but de créer des structures de formations adaptées aux besoins du développement national, mais également de la nécessité de mettre en place des méthodes scientifiques et des programmes scolaires garantissant le fonctionner de ces structures.

La création des instituts et des centres de métiers

Au-delà des critiques adressées à l’endroit de l’enseignement colonial, cette analyse cherche à démontrer comment dans cette dynamique d’appropriation des structures de formation des acteurs du développement, les dirigeants politiques congolais avaient mis en place des stratégies en vue de la création des écoles de métiers. En effet, conscients du fait que seule l’administration bureaucratique ne peut suffire à construire un État, les pouvoirs publics avaient mis un accent particulier sur la formation des compétences pratiques, au détriment du seul enseignement général visant la production des commis de l’État. Cependant, ils n’ignoraient pas que cette nécessité absolue de doter le Congo en infrastructures scolaires techniques pouvait le placer dans une situation ambiguë : d’abord, le fait que l’État congolais en construction ne disposait pas de ressources nécessaires (il faut rappeler que même après son indépendance, l’économie du Congo dépendait encore largement de la France) lui permettant de subvenir dans l’immédiat au besoin de formation des cadres. Cette situation peut aussi s’expliquer par la décision du Congo de tourner le dos à la France en 1965, préférant orienter sa politique extérieure vers les pays de l’Europe de l’Est qui devaient, désormais, assurer la formation des cadres congolais. Afin de matérialiser ces nouveaux accords de coopération, les étudiants congolais étaient envoyés dans les pays comme l’URSS, Cuba, la Roumanie voire la Chine où les conditions53 de formation bien que n’étant pas meilleures par rapport à celles de l’Europe de l’Ouest étaient, par contre, moins contraignantes. Dans un rapport de mission qu’il avait conduit sur le système éducatif cubain en 1975, Raymond Mang-Benza dit : « la mission d’étude congolaise, qui a séjourné dans ce pays sous notre conduite du 2 au 22 décembre 1975, conclut à la nécessité de se servir de certains aspects de ce système (tout en les adaptant aux réalités congolaises) pour mettre en œuvre l’école du peuple. Ce rapport n’a pas manqué de retenir l’attention des autorités congolaises. Son exploitation pourrait conduire à l’amélioration du système actuel54 ». Le Congo n’avait rien à perdre, puisque ces pays prenaient entièrement des citoyens dont la vanité est d’être les consommateurs extravagants des produits de luxe importés d’Europe. Elle forme des Congolais qui ont des besoins bien au-delà des possibilités et des moyens de la nation, qui veulent satisfaire ces besoins coûte que coûte, qui s’enrichissent autrement que par leur travail, qui sont prêts à donner en cadeau leur patrie à une puissance étrangère pourvu qu’en retour ils soient grassement récompensés (Revue mensuelle École du Peuple, n°1, 1975, p.7).

53 La logique des passages automatiques dans les niveaux supérieurs de l’enseignement et le passage des étudiants dans la production explicite cette différence de méthodes.

54 Mang-Benza (R.) et Coll., L’enseignement à Cuba, Rapport de mission, Cabinet du Chef de l’État, Brazzaville, 1976.

Le Congo s’était beaucoup inspiré de l’expérience des pays communistes ou socialistes pour fonder son système éducatif, surtout, pour ce qui est de la liaison entre l’école et la vie c’est-à-dire l’adéquation fonctionnelle entre les connaissances théoriques et pratiques. Pour les pays socialistes, l’école devait former des hommes producteurs de biens matériels, dont la finalité était d’abord l’intérêt collectif. Ces pays servaient de laboratoires d’expérience pour le en charge les bourses de formation des étudiants. Sur ce point, le Congo, comme la Guinée de Sékou Touré, avait continué de payer le prix du parricide volontaire et de son changement d’option politique en faveur de l’idéologie du marxisme-léninisme. La création des Instituts et des écoles de métiers devait concerner tout le système éducatif national. L’objectif principal étant de transformer l’école congolaise en une institution préparant, idéologiquement, les citoyens dans les domaines clés du développement, afin de susciter  en eux la conscience de producteur et de leur montrer l’importance de la lutte révolutionnaire pour la libération socio-économique du pays. Il était question de créer des structures d’enseignement adaptées aux réalités locales et permettant de valoriser les activités favorisant la fixation des élèves ruraux à la campagne. Ce qui ne veut nullement signifier qu’il s’agissait de l’institutionnalisation d’un système d’éducation à deux vitesses : un pour les ruraux et l’autre pour les citadins.

Bien que de manière tardive, si l’on se réfère à la date de la tenue du colloque sur l’École du Peuple, il est intéressant de noter qu’à partir de l’année scolaire 1977-1978, le régime dirigé par Yhombi Opango avait commencé à se poser sérieusement des questions concernant  les formations à dispenser au sein du système éducatif congolais, voire leur impact sur le développement économique de la nation. D’où la portée de l’interrogation ci-après formulée par le Ministre Antoine Ndinga Oba : « à quels types de métiers préparer les jeunes dans la phase actuelle de la vie nationale ?55 ». Deux facteurs permettent de comprendre cette interrogation. Premièrement, la situation d’incohérence avérée entre l’option économique du Congo et la formation des compétences capables d’assurer le développement national, malgré des déclarations politiques considérant l’agriculture comme étant la priorité des priorités ainsi que l’indique encore le Ministre Antoine Ndinga Oba : « l’on parle tout le  temps et partout de l’agriculture comme étant la priorité des priorités en République Populaire du Congo. Mais, on assiste malgré tout chaque jour à une incohérence et une distorsion flagrante entre l’option économique et les choix en matière de formation56 ». La carence d’établissements d’enseignement technique constituait pour l’État en construction un véritable obstacle à sa dynamique de développement. D’où une fois encore le  réquisitoire du Ministre Antoine Ndinga Oba à l’endroit des dirigeants politiques en charge des questions éducatives : « l’impression générale qui se dégage de ces données c’est qu’il n’existe manifestement pas de politique en matière de création des établissements d’enseignement secondaire qui cadre avec les préoccupations économiques actuelles57 ». Deuxièmement, la poursuite de la création des établissements d’enseignement général (dont la conséquence immédiate demeure le gonflement des effectifs de chômeurs58 au regard de l’inadéquation entre les politiques de formation et les politiques d’emploi) au détriment de l’enseignement technique et des formations professionnelles, pourtant déclarés comme étant des domaines indispensables pour la construction de l’État. Au-delà de simples discours sur la création des Centres de métiers, les décideurs politiques pensaient mener des études appropriées afin de déterminer quels types de métiers pouvaient être enseignés aux élèves entrant dans le tronc commun après la 6e. Dans le but de rechercher des solutions appropriées à l’ensemble de ces préoccupations, la priorité avait donc été accordée à la création des structures d’enseignement devant abriter des centres préparant aux métiers agricoles, c’est-à-dire tous les métiers qui sont à la fois nécessaires au développement de la campagne et à celui des zones urbaines. Ainsi, étaient considérés

Congo qui, dans la réalisation de la Révolution Socialiste, se trouvait encore à l’étape embryonnaire de la Démocratie Nationale et Populaire.

55 Ndinga Oba (A.), L’École dans la phase de redynamisation de la vie nationale en République Populaire du Congo,

Brazzaville, mai 1978, p.15.

56 Ibid., pp.15-16.

57 Idem, p.17.

58 Il y a lieu de se poser de sérieuses questions sur l’avenir de ces diplômés de l’enseignement général quand on sait que les titulaires du BEMT commercial sont déjà nombreux à chômer avec leurs diplômes (Cf. Ndinga Oba (A.), op. cit, p.17).

comme indispensables59 les métiers à caractère industriel tels que la mécanique, les métaux en feuilles, la maçonnerie, les métiers relevant de l’élevage, de la pisciculture, des grandes cultures et des travaux champêtres, la menuiserie, l’électricité, le commerce, le génie civil, les métiers de la santé et des affaires sociales.

L’idée qui avait conduit à la création des écoles de métiers démontrait aussi l’urgence pour les décideurs politiques d’assurer aux populations, tant au niveau des centres urbains que des campagnes, des conditions d’existence assez viables en vue de la construction de l’État comme le dit Joachim Mandavo : « La création des écoles de métiers et de biens d’autres structures pour la formation des citoyens était évidemment la preuve de cette volonté politique de former des cadres susceptibles de contribuer à l’œuvre de construction de l’État. On a eu des ingénieurs et bien d’autres cadres. On ne peut pas dire que ce fut une aliénation pure60 ». L’accent mis particulièrement sur les campagnes témoignait du fait qu’elles sont dotées d’immenses richesses inexploitées qui, si elles l’étaient véritablement, pouvaient offrir aux populations des emplois. Les formations dispensées dans ces Centres devaient, d’une part, avoir un caractère polyvalent de sorte qu’elles constituent de moyens efficaces de lutte contre le dépeuplement des campagnes au profit des villes. D’autre part, elles devaient permettre à leurs bénéficiaires de se livrer à diverses activités de développement capables de faire face aux besoins élémentaires de la vie quotidienne. Il convient ainsi de noter qu’au cours de leur scolarité les élèves devaient être soumis à un enseignement spécifiquement technique de sorte qu’à leur sortie ils disposent d’un bagage intellectuel assez consistant leur permettant de poursuivre des études secondaires dans des centres de métiers. Dans ce sens, l’État avait prévu de mettre à la disposition des élèves venant des centres urbains et sortis des centres élémentaires des métiers agricoles (CEMA) des espaces cultivables. Les centres secondaires et les centres supérieurs de métiers devaient uniquement recevoir les élèves ayant fait preuve de capacités intellectuelles. Par ailleurs, les autorités étatiques étaient convaincues que pour des raisons d’ordre sociopolitique, l’organisation de ces centres devait être conçue de manière à ce qu’aucun élève n’y soit renvoyé aussi longtemps que l’État pouvait lui offrir d’autres possibilités. Ce schéma est en accord avec ce qui est énoncé dans le projet de loi organisant l’École du Peuple. Pour ce qui est des métiers agricoles, l’État avait procédé à un recensement des zones agricoles prioritaires susceptibles de faciliter l’apprentissage des connaissances adaptées, ainsi que la pratique sur le terrain. Il était donc question de transformer certains collèges d’enseignement général en CEMA. S’agissant de l’apprentissage d’autres métiers tels que la menuiserie, la maçonnerie, l’électricité, la mécanique en attendant la mise sur pied des formations typiquement polytechniques, les pouvoirs publics avaient gardé intacts les centres élémentaires de formation professionnelle (CEFP) existant presque dans chaque coin du pays en les améliorant. Il avait suffit juste de changer leur dénomination : on les appelait, désormais, des centres élémentaires des métiers industriels  (CEMI). Contrairement aux CEMA, cette deuxième catégorie de centres nécessitait des investissements conséquents et les emplois auxquels ils préparaient étaient limités au regard du niveau de développement industriel précaire du pays. Ce qui justifiait le développement des centres dans le domaine de l’agriculture. Mais il se posait aussi le problème de la formation des enseignants devant exercer dans ces centres. Là aussi les pouvoirs publics avaient prévu de mettre en place des structures appropriées et des conditions susceptibles de faciliter leur travail. Leur formation devait s’effectuer en deux ans, non seulement pour les étudiants choisis parmi les bacheliers de l’Institut de  Développement Rural (IDR), mais également au Département de Formation des Professeurs de l’Enseignement Technique (DFPET) pour ceux relevant de la formation technique et générale.

59 Ibidem. Cette liste non exhaustive ne saurait suffire à rendre compte des besoins en développement économique du Congo. Elle se justifie aussi par le fait que certains de ces métiers peuvent à la fois concerner la campagne et la ville. 60 Entretien réalisé à Brazzaville, en 2003, dans le cadre de mes recherches doctorales.

Pour les jeunes bacheliers, futurs enseignants ayant manqué leur tronc commun à l’Université, il était prévu une formation pédagogique d’un an au centre d’initiation pédagogique d’instituteurs, de collège d’enseignement général (CEG) et de collège d’enseignement technique (CET). Concernant les outils de travail, des dispositions avaient été prises et l’année scolaire 1979-1980 y avait été déterminante. C’est ce qu’affirme le Ministre Ndinga Oba : « quant au matériel, la terre constitue l’élément de base qui s’avère disponible partout sur toute l’étendue de notre pays. Partout, on peut organiser des travaux pratiques en élevage, en culture. Ailleurs, on peut pratiquer aisément la pisciculture. En tout cas, on devrait pouvoir ouvrir une bonne partie de ces CEMA dans un an c’est-à-dire à la rentrée 1979-198061 ». Conscients des difficultés pouvant retarder ce projet ambitieux, les gouvernants congolais avaient placé leurs espoirs dans la disponibilité des ressources naturelles du pays et dans l’investissement humain. Les sacrifices et les efforts consentis dans les CEMA et les CEMI devaient constituer, selon eux, un grand ballon d’oxygène pour l’économie du pays. Dans pareilles circonstances, seule la prise des décisions politiques courageuses et ambitieuses constituait des armes nécessaires sans lesquelles le peuple et la révolution étaient exposés à de graves situations de crise. Ainsi, il fallait discipliner les masses et améliorer les choses en vue de la réussite du projet de construction d’un État indépendant libéré du poids des contraintes extérieures. C’était un défi comme le soulignait encore Ndinga Oba : « il y a là un défi devant l’histoire et nous devons savoir le relever62 ».

La nécessité d’établir des méthodes scientifiques et des programmes réalistes

La construction de l’État implique la création de structures (institutions scolaires dans le cas précis) adaptées aux objectifs politiques et économiques du Congo. Cependant, cette exigence ne peut se réaliser que si elle se fonde sur une réelle volonté politique  garantissant les conditions de la mise en œuvre de nouvelles méthodes et de programmes scolaires63 en vue d’un fonctionnement adéquat de ces structures. Pour les méthodes, une précision est nécessaire, car il s’agit moins d’acquérir des connaissances scientifiques que d’assimiler l’esprit et la méthode scientifiques, c’est-à-dire apprendre à observer et raisonner avec rigueur et cohérence, à ne rien accepter qui ne soit prouvé de façon scientifique64. C’est dire que seules les structures scolaires ne suffisent pas pour faire aboutir les  politiques de développement au sein d’un État. Encore faudrait-il qu’elles soient associées à la nécessité d’établir des méthodes de travail réalistes et des programmes scientifiques adaptés à l’environnement dans lequel vivent les populations congolaises. Ces méthodes et programmes doivent être fondés sur une pédagogie active qui place d’abord l’être à former au centre de tout, c’est-à-dire qui intègrent les variables socio-économiques du développement. Tenant compte du fait que les méthodes et les programmes développés dans le système d’enseignement colonial étaient inadaptés65 aux besoins réels de développement des populations rurales, les décideurs politiques avaient mis en place des programmes et des méthodes pragmatiques. La création d’un système d’enseignement unique au Congo ne signifiait pas l’uniformisation des programmes et des méthodes et leur vulgarisation sur toute l’étendue du territoire national. Ces programmes et ces méthodes devaient être allégés et intégrer les spécificités de chaque zone rurale, car les programmes ont le défaut d’être identiques pour tout le pays. Ils sont compliqués, trop chargés. Dans la

61 Ndinga Oba (A.), op. cit., p.24.

62 Idem, p.25.

63 La réalisation de l’École du Peuple implique une somme fantastique de travail de recherche en vue de l’élaboration de nouveaux programmes et manuels, de collecte de matériaux, de revalorisation de tous les aspects de la culture congolaise, de sensibilisation et d’information des masses et en premier lieu de documentation (Cf. Mbongi, op. cit., p.60).

64 Idem, p.63.

65 Actuellement, les conceptions pédagogiques, le contenu des méthodes et du matériel didactique sont fondés sur  une approche logico – déductive. Il s’agit d’une pédagogie du type écoute – parle qui passe par l’intellect ou plutôt la mémoire pour obtenir le résultat désiré, et non d’une pédagogie du type regarde-essaie qui passe par les mains pour arriver ensuite à l’intellect (Ibidem).

plupart des cas, complètement coupés de la réalité du pays et, par suite, peu rentables à la fois individuellement et socialement (…) Or, le contexte pédagogique n’est pas uniforme66 (…). Cette situation montre que le caractère hétérogène de la pédagogie active au sein du système éducatif avait été négligé au profit d’une pédagogie rigide, identique pour tous, alors que les réalités sur le terrain diffèrent d’un coin à un autre, de la campagne à la ville. Une catégorisation67 des différentes zones du territoire congolais en trois niveaux distincts avait permis de surmonter les dangers que pouvaient entraîner l’inadaptation des programmes et des méthodes à l’environnement local : Brazzaville, les autres villes et les gros bourgs dans lesquels la situation était moins grave grâce à la présence d’une infrastructure scolaire (bâtiments, moyens, mobilier et matériel scolaire, moyens de reproduction de documents, TV en circuit fermé, etc.); une zone de brousse dans laquelle, en certaines régions, le matériel ne parvient pas (ni livres, ni moyens didactiques, etc.); une zone de forêt (même situation pédagogique que sous le second point).

Dans le but de résoudre les problèmes de l’inadaptation des méthodes et des programmes scolaires aux réalités locales, les décideurs politiques avaient trouvé nécessaire de mettre en place des programmes fondamentaux, scientifiquement établis pour toutes les disciplines susceptibles d’être enseignées, avec des possibilités de variation selon les zones géographiques indiquées ci-dessus ; mais ceci concernait surtout l’enseignement primaire. A cela il fallait ajouter des méthodes réellement actives, ainsi que des programmes scolaires rénovés en tenant compte des spécificités des milieux et en se basant sur la pratique du travail par groupe. La réalisation d’une école au service du développement économique de la nation congolaise implique un changement profond du contenu des programmes scolaires. C’est convenir avec le ministre Ndinga Oba que : « la réflexion sur la vie dans l’environnement de l’école, la pratique de cette vie doit occuper une place effective dans l’élaboration des programmes et les emplois du temps de la nouvelle école68 ». Cette nécessité se justifiait par le fait que jusqu’à maintenant, on s’est efforcé dans le pays  d’écrire des programmes trop copieux, tendant vers une sorte d’exhaustivité qui est plus un frein au développement des élèves qu’une réelle augmentation du bagage intellectuel, par l’insertion dans le contenu didactique d’un fatras de notions parfaitement inutiles69. Afin d’arrimer les programmes scolaires aux réalités socio-économiques locales, l’État avait décidé de les réformer en instaurant à chaque niveau du système éducatif un ensemble de connaissances à donner à tous les jeunes congolais, mais pour une meilleure compréhension et une bonne fixation de ces connaissances, on doit se servir des matériaux et de tout ce que la vie dans le milieu de l’école offre comme support à l’expérimentation et à l’illustration70. Cependant, ce retour au local pour peu qu’il soit effectif, ne devait pas être interprété comme étant l’expression d’une forme de régionalisation71 tendant à créer un enseignement à double vitesse : un enseignement conçu uniquement pour les ruraux et un enseignement spécifique aux citadins. Il devait, au contraire, être interprété comme étant l’expression de la volonté politique de créer une école agréable, c’est-à-dire productive72 et plus proche des producteurs. L’objectif de cette école étant de mettre à la disposition des élèves et étudiants des connaissances scientifiques et technologiques indispensables à la

66  Mbongi, op. cit., p.63.

67  Mbongi, op. cit., p.64.

68 Cf. Ndinga Oba (A.), L’École dans la phase de redynamisation de la vie nationale en République Populaire du Congo, Brazzaville, mai 1978, p.13.

69 Mbongi, p.64.

70 Ndinga Oba (A.), op. cit., p.13.

71 Dans le même ordre d’idées, Antoine Ndinga Oba précise que (…) notre intention n’est pas de concevoir un  système scolaire qui différencie fondamentalement les zones rurales des milieux urbains par exemple, de même que les régions entre elles, comme on a tenté de le faire dans certains pays. Tous les enfants appartenant à un niveau de

formation donné recevront les mêmes connaissances de bases, mais on choisira dans chaque milieu les éléments appropriés ayant une valeur formative réelle dans le sens d’une éducation intégrée (op. cit., p.13).

72 C’est une école capable de contribuer efficacement à l’éducation morale de la jeunesse congolaise qui, comme le disait Marx, doit se traduire par l’amour du travail et la sympathie pour le travailleur.

résolution de leurs problèmes quotidiens et à la maîtrise de leur environnement économique, politique et socioculturel.

Les méthodes actives, quant à elles, devaient comporter divers aspects. D’abord, le temps scolaire qui nécessitait d’être réaménagé en fonction des impératifs du développement des capacités techniques des élèves; il devrait, de ce fait, dépasser la simple pratique du travail manuel au champ ou dans les jardins scolaires et trouver un véritable ancrage dans l’apprentissage des connaissances scientifiques réelles considérées comme autant de supports du développement national. Par exemple, on ne pouvait procéder à la réalisation des cultures vivrières sur un champ quelconque sans avoir, au préalable, déterminé son espace73 ou évaluer une production si l’on ne prenait garde d’étudier son poids74. A l’instar des dirigeants d’autres pays socialistes, les autorités politiques congolaises voulaient faire de leur système d’enseignement un véritable laboratoire d’expérience en alternant les enseignements généraux avec les enseignements pratiques sur le terrain, soit dans le domaine agricole soit au sein des entreprises. Ce qui, selon Jean Pierre Ngombé75, nécessitait la création d’un nouveau système dit de mi-temps76 scolaire pour une transformation radicale des programmes et des méthodes au sein des établissements, et afin de permettre aux élèves de disposer du temps pour l’apprentissage des connaissances pratiques. Dans la logique des réformateurs, ce système avait le double avantage de permettre, d’une part, une meilleure socialisation des élèves c’est-à-dire leur insertion dans leur milieu de vie d’origine ; d’autre part, il devait faciliter une véritable communication au sein des classes ainsi qu’une compétition77, car il se fondait sur la promotion de la socialisation en groupe. Au-delà, ce système instaurait une sorte d’émulation dont les résultats pouvaient aussi être bénéfiques pour l’intégration et la solidarité au sein des communautés villageoises.

Le rôle de l’enseignement supérieur dans une société congolaise en pleine mutation78

Les analyses développées dans cette partie permettront de bien situer le rôle de l’enseignement supérieur dans cette dynamique de construction nationale au Congo. Il sera également question de démontrer en quoi la science et la technologie peuvent constituer un moteur essentiel du développement.

73 Si l’on veut arboriser une zone ou cultiver un lopin de terre en y plantant des ananas, on peut mettre au programme la notion de surface en rapport avec la notion d’espace (…) Ce sera beaucoup plus parlant pour les élèves (et les parents) que des problèmes sur la surface, de type artificiel (Cf. Mbongi, p.66).

74 On pourra introduire la notion de poids quand il s’agit d’évaluer la production ; viendront s’ajouter les notions de

monnaie, prix d’achat, prix de vente, bénéfice, perte, tare, poids brut, poids net, déchet, profit (…) Pour les plus grands, les notions de comptabilité leur permettront de gérer la petite coopérative de la communauté (Ibidem).

75 Ancien enseignant, il rallia le pouvoir de Marien Ngouabi et fut, en 1975, membre de l’État Major Spécial Révolutionnaire (E.M.S.R). En 1977, il occupa le poste de Secrétaire du Parti chargé de la Presse et Propagande jusqu’à la fin du Comité Militaire du Parti (C.M.P).

76 Le mi-temps manuel- intellectuel donne de meilleurs résultats que le plein temps intellectuel. Il présente en outre l’avantage de rentabiliser l’enseignement (la production sert à la consommation des élèves, à l’équipement de l’école en tables et chaises ou même vendue contribue à son financement). Enfin, et ce n’est pas le moins important, il aide à la socialisation du groupe, permet une autogestion de la coopérative scolaire à travers la coopération du maître, des parents et des élèves (Mbongi, p.66). Voir aussi : Ngombé (J.-P.), Régime mi-étude mi travail à l’École. Directives pour

la rentrée scolaire 1976-1977, in Revue Mensuelle École du Peuple.

77 Les journées d’émulation étaient organisées dans le but de récompenser les élèves qui auraient bien travaillé et afin de pousser à l’effort ceux qui éprouvaient des difficultés au plan académique. La première journée nationale d’émulation a été organisée le 5 novembre 1980. Elles obéissaient au mot d’ordre Une école, un champ lancé par Denis Sassou Nguesso au cours du premier trimestre de l’année scolaire 1979-1980.

78 Ce terme est employé dans le sens où l’entend Jean Peutêtre M’pelé dans son article du lundi 23 décembre 2002. Celui-ci tente de démontrer que la société congolaise a connu plusieurs mutations ces derniers temps, mais surtout des mutations négatives malgré les efforts souvent consentis par les pouvoirs publics pour construire l’État : Secteur social, l’école participe à la dynamique de la société. Elle permet de comprendre la société. On peut, à travers elle, lire les mutations de la société, non seulement passées, mais aussi en cours, donc projeter des avenirs possibles. Et, aujourd’hui, nous sommes dans une période de mutation particulière. Mutation négative (Cf. Congo-Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation, in www.ecoledemocratique.org).

Repenser l’enseignement supérieur pour mieux assurer le développement

Le vrai débat sur le rôle de l’Enseignement supérieur dans une société congolaise en pleine mutation doit partir de la nécessité d’établir des synergies entre le milieu académique et le corps social. L’un des problèmes de l’université au Congo est la redéfinition de son identité, car elle doit pouvoir intégrer des exigences liées à l’évolution sociale et économique comme le dit Herménégilde Rwantabagu de l’Université du Burundi79. Or, comme bon nombre d’établissements universitaires80 africains, l’Université de Brazzaville traverse une crise profonde ainsi que le souligne Solange Kibelelo : « réputée être un lieu sûr de formation de futurs cadres, l’Université Marien Ngouabi se trouve confrontée à d’énormes difficultés, au point de devenir le fer de lance du désordre et de la désillusion81 ». L’analyse de Célestin Monga permet aussi de comprendre la situation de l’Université de Brazzaville, longtemps considérée comme un haut lieu de la culture en Afrique :

Une telle situation est d’autant plus étonnante que le Congo est un des foyers de création les plus bouillonnants d’Afrique. Depuis de nombreuses générations, le pays produit des intellectuels de réputation internationale et a fourni au patrimoine culturel du continent une impressionnante foule d’écrivains et de chercheurs de renom. Il est donc surprenant que l’Université Marien Ngouabi, où la plupart de ces penseurs ont affûté leurs armes, soit actuellement dans un tel état (…) En vérité, la situation de cette institution est symptomatique de l’état général de l’enseignement supérieur au Congo. En dépit des nombreuses métamorphoses qu’il a subies, ses performances demeurent largement en deçà de ses potentialités82.

Malgré certaines améliorations constatées depuis la fin de la guerre civile de 1997, l’université de Brazzaville comme le note Solange Kibelelo83, manque de structures capables de soutenir le développement national : « le cycle supérieur se caractérise par la vétusté et l’insuffisance des bâtiments, du mobilier, du matériel didactique, l’insuffisance et le vieillissement du personnel enseignant permanent. L’absence de l’outil informatique dans certains établissements universitaires traduit aujourd’hui le désarroi dans lequel se débat l’université Marien Ngouabi84 ». Au Congo, la plupart des compétences formées dans les domaines scientifiques de pointe est abandonnée à elle-même, et travaille dans des conditions désastreuses sans possibilité de recyclage. La majorité des chercheurs sont formés dans des domaines qui n’existent pas au Congo et se trouvent souvent dans

79 L’Université africaine n’a d’autre choix que de se définir et de se reconceptualiser. Car nous croyons que la crise de l’Université africaine, c’est une crise d’identité c’est-à-dire de manque d’une définition de sa place et de sa mission dans un contexte particulier. Ceci impliquerait que notre Université doit répondre à la question de savoir si elle est une Université coloniale, postcoloniale ou si c’est une institution nationale impliquée à part entière dans la recherche des solutions à long terme des problèmes socio-économiques, culturels et politiques de l’heure. Elle doit cesser d’être un arbre transplanté, mais germer d’une semence plantée et nourrie, dans le sol africain (Cf. www.francophonie- durable.org/documents/colloque-ouaga-a2).

80 Pour Maweja Mbaya, Dysfonctionnement et isolement sont les deux grands maux qui rongent l’université africaine aujourd’hui. Le dysfonctionnement se traduit par une mauvaise gestion des ressources allouées à l’université, par le manque d’infrastructures adéquates, les maigres salaires des enseignants, etc. qui, à leur tour, ont placé l’université africaine dans une situation d’instabilité chronique. Quant à l’isolement, il s’agit du fait que l’université africaine est complètement séparée de son environnement et du monde international. Cette situation a poussé plusieurs acteurs à remettre en question la mission même de l’université africaine et l’efficacité de ses activités (Cf. Le rôle de l’université africaine dans une société africaine en mutation, in Afrique et Développement, Vol., XXVI, n°3 et 4, 2001, p.27).

81 Cf. L’Université de Brazzaville perd de sa valeur, in ANB-BIA Supplément, Issue/Edition Nr 355-01/11/1998.

82 Cf. Marchés nouveaux, Second souffle pour l’enseignement supérieur, p.364.

83 La référence à l’article de Solange Kibelelo suscité permet de mieux éclairer cette analyse : (…) La plus grande tare reste le manque criard d’infrastructures adéquates. Les équipements, en effet, datent de l’époque de sa naissance, dans les années 60 (…) C’est le cas de Bayardelle qui offre au regard de vieux bâtiments manquant de peinture depuis des années. Les deux amphithéâtres regorgent de vieux tables – bancs. La Faculté des sciences économiques ne dispose que de 600 places alors qu’elle accueille plus de 3000 étudiants, tandis qu’ailleurs 300 étudiants s’entassent dans une pièce pour 100. Les chiffres parlent d’eux mêmes et découragent. Je ne puis étudier dans ces

conditions misérables. Je préfère sacrifier une année pour attendre mon inscription au Canada en 1999, lâche Ella, étudiante en première année en sciences économiques (Kibelelo (S.), op. cit. p.1).

84 Cf. Ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et supérieur chargé de la recherche scientifique, Le développement de l’éducation, Brazzaville, 2001, p.19.

l’obligation de remplir les bureaux, remettant ainsi en cause leurs acquis de base. La recherche constitue toujours le parent pauvre des politiques de développement comme le disait déjà le Secrétaire du Comité Central du P.C.T, Jean François Obembé, lors du colloque sur les problèmes de l’Université Marien Ngouabi : « la recherche scientifique à l’université Marien Ngouabi se présente aujourd’hui comme la cinquième roue de la charrette. Elle est en effet diluée dans les affaires académiques au lieu d’être un département indépendant85 ». Ceci est d’autant plus réel que même les structures qui existaient, jadis, dans certaines facultés comme la faculté de sciences économiques avaient été détruites lors des guerres civiles de 1993 à 1999 : « les structures d’accueil sont insuffisantes et concentrées à Brazzaville; elles ont subi d’importants dégâts suite aux différentes guerres et ont été vidées de leur contenu86 ». Cette faculté, après avoir été délocalisée en 1996 à Dolisie dans le sud, a été finalement re-transférée87 à Brazzaville où les structures font défaut, ce qui constitue un calvaire pour les chercheurs comme le disait Omer Massoumou dans une communication présentée au colloque international de Ouagadougou en mars 2004 sur Le droit à l’éducation. Quelles effectivités au Sud et au Nord ? Le nouveau cadre de la faculté des sciences est davantage un ensemble de pièces encombrées de quelques bancs qu’une faculté. On n’y signale aucun laboratoire digne de ce nom88. C’est dans ce contexte que plusieurs chercheurs préfèrent s’orienter vers la politique qui leur permet d’arrondir facilement des fins de mois. La cooptation des universitaires a longtemps été considérée comme étant le véritable moyen pour les détenteurs du pouvoir de se faire une clientèle politique. Cette pratique très courante aux temps de Marien Ngouabi et de Denis Sassou Nguesso qui essayaient de convertir leur capital militaire en capital culturel ou politique a été accentuée sous Pascal Lissouba, dont  le premier gouvernement (d’une quarantaine de membres) formé après son élection en 1992, avait été qualifié de gouvernement des professeurs et des docteurs. Conscients de ce qu’aucun pays au monde n’avait jamais connu un décollage économique, sans une base solide dans le secteur de la recherche, la conférence nationale souveraine avait décidé de faire de la science et de la technologie un moteur du développement au Congo.

La science et la technologie, un nouveau moteur du développement au Congo

La division sociale du travail a assigné à la majorité des pays pauvres du monde le rôle de fournisseur de matières premières et de simples importateurs de technologies. On sait, pourtant, que le poids économique d’un pays détermine sa liberté de manœuvre politique; ce poids étant lui-même dépendant de ses capacités scientifiques et technologiques. De ce fait, si le rétablissement des équilibres macro-économiques constituait une priorité, la Conférence Nationale Souveraine avait relevé que la Science et la Technologie, de par les innovations génératrices de ressources diverses et de productivité, étaient incontournables pour la relance économique du Congo. C’est dans cet esprit que, lors de son investiture à la Présidence de la République le 31 août 1992, Pascal Lissouba avait placé son mandat sous le signe de la Science et de la Technologie comme moteur du développement : « (…) le projet pour lequel j’ai l’ambition d’œuvrer au profit de notre pays repose sur le développement et la transformation de la production des ressources naturelles du pays grâce aux progrès de la science et de la technologie. Il s’agit pour nous de conduire notre pays, et de manière irréversible, dans la voie de la modernité grâce à la formation des hommes, à la gestion et au management de l’innovation ». Mais, pour comprendre le rôle de la Science et de la Technologie comme moteur du développement, il faut revenir sur le bilan de la situation de l’enseignement supérieur dressé par la Conférence Nationale Souveraine

85 Cf. Mweti, n˚1499 (9è année), du mardi 24 mars 1987, p.1.

86 Cf. Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Supérieur chargé de la recherche scientifique, Le développement de l’éducation, Brazzaville, 2001, p.12.

87 Cf. Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Supérieur chargé de la recherche scientifique, Le

développement de l’éducation, Brazzaville, 2001, p.12.

88 Cf. Les freins à l’enseignement supérieur en République du Congo, Ouagadougou, 2004, p.5.

en 1991. Ce bilan concernait les aspects institutionnels, matériels, humains, les conditions d’application des résultats de la recherche et les possibilités de leur transfert dans le secteur éducatif. Au plan institutionnel, le manque de volonté politique et l’incapacité à promouvoir le développement de la Science et de la Technologie n’avaient pas permis au Congo de se hisser au rang de nouveaux pays émergents de la planète, demeurant ainsi dans la position de simple consommateur de technologies venues d’ailleurs. Cette situation résulte aussi de la confusion longtemps entretenue entre le Parti et l’État qui, non seulement avait empêché de faire fonctionner le CNRST89, mais également une formulation claire des politiques. A ceci il faut ajouter les conflits de compétences entre le Cabinet et la Direction Générale du Ministère chargé de coordonner la recherche scientifique. Au plan de la gestion des ressources humaines, le laisser-aller et la mauvaise gestion se sont révélés comme étant de véritables obstacles au développement de l’innovation scientifique et technologique au Congo, car beaucoup de chercheurs sont trop souvent occupés par des tâches administratives n’ayant aucun rapport avec leur domaine de compétences en même temps que la recherche est parfois confiée à des personnels non qualifiés. L’attribution de grades de haut niveau de manière subjective à des personnels non qualifiés constitue également  un obstacle pour l’éclosion d’une véritable recherche scientifique et contribue à la démotivation, sinon à la migration90 des compétences vers d’autres horizons. L’insuffisance de financement et la faible participation des opérateurs économiques nationaux aux projets de développement expliquent aussi cette situation, car l’État qui n’intervenait qu’à hauteur de 0,3%91 a souvent compté sur des apports extérieurs.

Au niveau des services scientifiques et techniques, le manque de structures de recherches adéquates était plus perceptible dans les domaines de la cartographie, l’océanographie et la météorologie. Alors que les études sur les minerais92 avaient complètement été arrêtées, l’information en science et technologie était limitée, selon Omer Massoumou, par manque de centre national d’information ou à cause de la précarité des revues scientifiques spécialisées : « l’université Marien Ngouabi n’a pas de bibliothèques dignes de ce nom. Enseignants et étudiants vivent la sous-alimentation documentaire. Les bibliothèques ne reçoivent plus de nouveaux ouvrages : le plus récent numéro d’une revue spécialisée à la faculté des lettres et sciences humaines (FLSH) est vieux de 10 ans. Et à l’heure où le monde est branché sur Internet, l’université de Brazzaville vit encore les réalités moyenâgeuses sur le plan technologique (…)93 ». Le coût élevé des télécommunications,

89 Depuis sa création, en 1966, le Conseil National de la Recherche Scientifique et Technologique n’avait commencé à fonctionner qu’en 1976 soit 10 ans après avec la création du Département de la Recherche rattaché à la Présidence du Conseil d’État.

90 Dans une communication présentée à la Conférence Régionale sur l’exode des compétences et développement des

capacités en Afrique à Addis-Abeba, du 22 au 24 février 2000, le Professeur Yalacé Kaboret disait : Face aux défis engendrés par la crise des universités africaines, et l’incapacité des pays africains de concurrencer ceux du Nord pour attirer et conserver les cerveaux, les gouvernements africains devront entreprendre une politique vigoureuse pour développer des structures dynamiques de formation et de recherche. Sinon la fuite des cerveaux hors des pays africains risque de s’accroître dans un avenir proche en raison des nouvelles lois du marché international (…) (Cf. Éviter la fuite des cerveaux en Afrique subsaharienne : rôle des institutions sous-régionales de formation et de recherche, Addis-Abeba, 2000, p.3).

91 Le budget de l’État n’était exécutoire que d’avril à septembre, entravant ainsi les structures de recherche. Il faut aussi dire que les financements extérieurs étaient souvent liés à des tracasseries administratives ne facilitant pas

l’équipement des centres de recherche. Or, selon l’Unesco : (…) pour que l’Université ou tout autre établissement d’enseignement supérieur puise contribuer de façon significative au changement et au progrès social, il faut que l’État et la société dans son ensemble considèrent cet enseignement moins comme une charge budgétaire et davantage comme un investissement à long terme en vue de renforcer la compétitivité économique, le développement culturel et la cohésion sociale de la nation. C’est également dans cette logique qu’il faut aborder le problème des responsabilités en matière de partage des coûts (…) l’appui du secteur public demeure indispensable pour permettre à l’enseignement supérieur de s’acquitter de sa mission éducative, sociale et institutionnelle (Cf. Unesco, Changement et développement dans l’enseignement supérieur : document d’orientation, ED-94WS/30, Paris, Unesco, 1995, p.29).

92 La Faculté des sciences manque de laboratoire approprié et les études en science de la nature s’y déroulent sans enquête sur le terrain. Les recherches sur les minerais ne se font presque plus depuis 10 ans (Cf. Massoumou (O.), op. cit, p.3).

93 Cf. Kibelolo (S.), op. cit., p.1.

notamment au niveau international et la faiblesse de l’outil informatique, ne permettaient pas des échanges fructueux avec l’extérieur comme l’indique Jean Valère Ngoubangoyi reprenant les propos d’un professeur de sociologie : « l’université Marien Ngouabi est parmi les dernières au monde. Ce n’est pour rien que nous réclamons en vain, depuis des années, des états généraux dignes de ce nom, pour cette institution. Ici tout est à refaire (…) On ne sait pas à qui s’adresser pour que l’université soit dotée d’ordinateurs, d’Internet et dispose d’un site web comme les autres94 ». A ceci s’ajoute l’absence d’un cadre juridique en matière de transfert de technologie, conduisant à l’importation du tout sauf rien. L’université a été isolée95 des autres institutions de recherche scientifique, ce qui n’a pas permis d’impulser une véritable dynamique de développement national au niveau de l’enseignement supérieur. Or, selon l’Unesco : « l’histoire récente a surabondamment prouvé qu’il est nécessaire de défendre le principe des libertés académiques comme condition sine qua non de l’existence et du fonctionnement normal des établissements d’enseignement supérieur. Il convient donc d’accorder tant aux établissements publics qu’aux établissements privés agréés le degré voulu d’autonomie pour leur permettre d’être à la hauteur de leur tâche et de s’acquitter de leurs fonctions de création, de réflexion et de critique dans la société96 ». On a pu également démontrer que les collèges d’enseignement général et professionnel (CEGP) crées dans le cadre de l’École du Peuple n’étaient que des concepts creux, dès lors qu’ils n’avaient jamais permis de transmettre un véritable savoir- faire et encore moins une authentique culture technologique. Il faut dire que la centralisation excessive du système de la recherche au Congo n’a pas toujours permis la transmission des résultats, voire leur application concrète pour le développement du pays.

Conclusion

Il s’est agi tout au long de cette recherche de démontrer la corrélation entre la crise du système éducatif et le changement de référentiel global de la société congolaise; changement lié aux difficultés économico–financières de la décennie 1980-1990, ainsi qu’à l’instabilité sociopolitique ayant entraîné de vastes mouvements de contestation de l’ordre social et politique établi. De ce fait, au regard des données recueillies sur le terrain, il s’est avéré que le système d’enseignement a subi, non seulement les effets néfastes des luttes politiques au sommet de l’État, mais également les conséquences de diverses crises économiques. Au plan économique, après avoir connu sur une période assez longue des financements conséquents en ce qui concerne l’entretien de ses personnels et les aides sociales en faveur d’étudiants. Comparé à d’autres secteurs sociaux de développement comme l’agriculture, la santé ou l’élevage, le secteur de l’enseignement s’est vu brusquement privé d’investissements nécessaires à cause des difficultés économico- financières auxquelles le Congo avait été confronté. Ce qui avait conduit les décideurs politiques à réduire les ambitions fixées au départ et à remettre en cause l’ensemble de projets de réforme de l’enseignement, notamment, le projet École du peuple. A partir de 1984, ce projet n’a plus été financé. Il s’est agi aussi de l’inadéquation entre les politiques  de formation et les politiques d’emploi. Les études de terrain ont révélé que, malgré des efforts fournis pour restructurer les institutions et promouvoir l’emploi, les décisions politiques se sont avérées inefficaces au regard de la demande de l’augmentation du nombre de diplômés qui chaque année sortaient des écoles de formation. Ce qui avait conduit à la marginalisation et à l’exclusion sociales de la jeunesse scolarisée, obligée de

94 Cf. Congo : fracture numérique entre les générations, Congo-Brazzaville, 1er mai 2002, in www.syfia.info/fr.

95 Maweya Mbaya soutient aussi cette idée lorsqu’il dit : (…) soulignons-le, la grande difficulté de l’université africaine se traduit par son inadaptation vis-à-vis de la société; ce qui a engendré les graves conséquences suivantes : a)- la

formation dispensée à l’université ne correspond plus à la demande de la société, d’où l’aggravation du chômage des diplômés; b)- la recherche au sein de l’université africaine n’a aucun apport sur son environnement, elle laisse intacts les problèmes du développement industriel, économique et social d’Afrique (cf. Maweya Mbaya, op. cit., p.30).

96 Idem, p.27.

pratiquer le commerce à la sauvette dans l’informel pour certains, ou d’intégrer des réseaux de banditisme pour d’autres. Cette situation s’explique aussi par le peu d’importance accordée à l’enseignement technique et professionnel, comparé au développement de l’enseignement général. La conséquence en a été double : d’une part, il y a eu remise en cause du principe de l’École du Peuple visant le maintien des élèves dans leur milieu d’origine; d’autre part, avec l’aggravation de l’exode rural, l’école était devenue une fin en soi. La constatation des disparités régionales et ethniques en ce qui concerne la distribution de la carte scolaire, ainsi que la répartition des ressources a également permis d’expliquer les dysfonctionnements liés au système éducatif congolais.

Bibliographie

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Journal Mweti, n˚1499 (9e année), du mardi 24 mars 1987.

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Congo : fracture numérique entre les générations, Congo-Brazzaville, 1er mai 2002, in www.syfia.info/fr.

Résumé

Au regard des évolutions technologiques actuelles, le rôle dévolu à l’enseignement à l’époque de la colonisation était taillé sur mesure pour des besoins du développement des industries de la métropole. L’enseignement dispensé dans ce cadre n’accordait pas d’importance à l’apprentissage des métiers. Au lieu de former des acteurs du développement social, l’enseignement était conçu autour du mythe du diplôme ou du parchemin, qui constitue pour la majorité des africains l’un des facteurs discriminants de la distinction sociale. La décision de créer des écoles et des instituts de formation professionnelle et technique au Congo répondait à un impératif : fournir au pays des cadres techniques et des agents de développement pour la valorisation des richesses nationales. De 1970 (année de la réforme École du Peuple) jusqu’à 1991 (époque de l’organisation de la conférence nationale souveraine), la technicisation de l’enseignement et l’introduction de la science et de la technologie dans les programmes scolaires étaient, désormais, considérées comme moteurs du développement économique et social au Congo-Brazzaville.


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