2008 : Session d’ouverture Colloque de Hammamet en TUNISIE Éducation technologique, formation professionnelle et lutte contre la pauvreté

2008 : Colloque de Hammamet en TUNISIE Éducation technologique, formation professionnelle et lutte contre la pauvreté

2008 : Colloque de Hammamet en TUNISIE 19Éducation technologique, formation professionnelle et lutte contre la pauvreté

Discours de Monsieur Jean Sylvain Bekale Nze, Président du RAIFFET

Excellence Monsieur le Président de la République, Excellence Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur, Excellence, Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions de la République, Excellence, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Honorables Représentants des Organisations Internationales et Non Gouvernementales, Honorables invités, Chers Collègues Enseignants, Chers étudiants, Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président de la République, ce deuxième Colloque International du Réseau Africain des Instituts de Formation de Formateurs de l’Enseignement Technique (RAIFFET) est pour toutes ses composantes un symbole fort qui témoigne de la vitalité de notre organisation. C’est aussi un moment important pour les bienfaiteurs toujours plus nombreux, qui croient en notre action.

En ma qualité de Président du RAIFFET, il me plaît de vous exprimer notre sincère et profonde gratitude pour le grand honneur que vous avez bien voulu nous faire en acceptant de soutenir et d’appuyer l’organisation de ce Colloque. Aussi, permettez-moi, Mesdames et Messieurs, de rendre un vibrant hommage à son Excellence Zine El-Abidine Ben Ali, Président de la République de Tunisie et à son frère et homologue, Son Excellence El Hadj Omar Bongo Ondimba, Président de la République du Gabon, dont le dévouement, sans faille, a permis la tenue des présentes assises. Je voudrais aussi remercier, de façon sincère, le Gouvernement de la République de Tunisie, les autorités Institutionnelles et tout particulièrement le Ministre de l’Enseignement Supérieur, pour avoir accepté que ce pays, à travers l’Institut Supérieur de l’Éducation et de la Formation Continue, puisse abriter ces rencontres scientifiques.

Monsieur le Président de la République, Distingués Délégués, Honorables Invités, Mesdames et Messieurs, Chers amis qui avez à coeur les problèmes de l’éducation technologique et de formation professionnelle, il m’est agréable de témoigner notre gratitude au professeur Jacques Ginestié, Président du Comité Scientifique du présent Colloque, et à Monsieur Hervé Huot-Marchand, un des premiers soutiens de cette entreprise depuis Libreville auprès de la coopération française où il officiait en 2004, il a oeuvré pour l’aboutissement de ce projet et c’est fort de ses talents que l’UNESCO l’a pris, aujourd’hui, pour travailler en son sein.

Qu’il me soit permis aussi de remercier les représentants des Organisations Internationales qui n’ont jamais cessé de soutenir nos efforts en nous apportant leur soutien matériel et financier, qui se manifeste encore aujourd’hui par la présence dans cette salle de Messieurs Teeluck Bhuwanee de l’UNESCO et Abdul Hakim Elwaer de l’Union Africaine et bien d’autres encore.

Mesdames et Messieurs, Honorables invités, avant d’aller à l’objet de notre présence ici, permettez-moi cette petite rétrospective. Quand, en janvier 2004, les ENSET de Libreville, Douala et l’IPNETP d’Abidjan, d’une part, et les IUFM d’Aix-Marseille et de Créteil, d’autre part, décident de travailler, en partenariat au sein d’un Réseau, cela paraissait une gageure ; au vue des stratégies à mettre en place pour atteindre les objectifs visés, à savoir la promotion de l’éducation technologique et la formation professionnelle dans les systèmes éducatifs africains. Mais la convergence et la force de nos points de vue sur l’intérêt d’un tel projet, notre détermination à concrétiser une plate-forme de nos efforts pour une meilleure gestion commune de la formation des formateurs, ont fini par donner le résultat que nous voyons aujourd’hui.

Monsieur le Président de la République, Distingués invités, Mesdames et Messieurs, Le Colloque qui nous réunit ici et que je vais présenter en quelques mots a pour thème : « Éducation Technologique, Formation Professionnelle et Lutte contre la Pauvreté ». Après avoir examiné l’impact de l’implantation d’organisations d’éducation technologique et de formation professionnelle sur le développement durable des pays, au Colloque de Libreville, celui de Tunis va poursuivre cette réflexion en examinant l’impact du développement de ces organisations scolaires dans la lutte contre la pauvreté.

Le but de ce Colloque sera d’étudier, au travers d’expériences originales, les travaux de recherche ou d’analyses d’organisations scolaires, de formations professionnelles ou universitaires, comment dans les différents pays participants, cette question de la réduction de la pauvreté peut être appréhendée. Pour tenter de circonscrire cette problématique, il a été dégagé et retenu quatre thèmes qui feront l’objet d’exposés débattus en ateliers sur quatre jours.

Thème 1 : Acculturation technologique et promotion de l’égalité des chances ;

Thème 2 : Quelle formation professionnelle pour accompagner le passage d’une activité de subsistance à la petite entreprise ?

Thème 3 : Quelle relation formation-emploi pour une solution éducative et d’insertion ?

Thème 4 : organisations scolaires et compétences professionnelles.

Ces thématiques s’inscrivent bien dans la réflexion sur le développement des enseignements technologiques et de la formation professionnelle, secteur d’inclusion sociale, qui, aujourd’hui, fait l’objet de toute l’attention de la communauté internationale. Nous pensons que l’absence de formation est l’une des premières causes de pauvreté en Afrique et qu’une formation professionnelle en adéquation avec les emplois disponibles peut être un premier rempart pour la réduction de ce fléau. C’est en ce sens que la formation des formateurs est un des enjeux majeurs pour notre continent.

Monsieur le Président de la République, Distingués invités, pour conclure mon propos, je formule toujours ce vœu de voir notre espace se rassembler, développer toutes les synergies, toutes les solidarités et contribuer davantage à l’intensification de nos échanges pour que le développement de nos sociétés puisse effectivement reposer sur la maîtrise des savoirs technologiques. Qu’une articulation conséquente et significative entre l’acquisition de ces savoirs et leur mobilisation constitueraient une des réponses à la réduction de la pauvreté sur le Continent. C’est fort de cela que la coopération est une des dimensions capitales pour envisager les problématiques inscrites à ce Colloque. Je vous remercie.

Discours de Monsieur Teeluck Bhuwanee, représentant l’Unesco-Breda

Monsieur le ministre de l’éducation supérieure, de la recherche technologique et scientifique, Monsieur le Directeur de L’ISEFC, Chers collègues du RAIFFET, Mesdames et Messieurs spécialistes de l’éducation, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, Mesdames et Messieurs, j’ai le plaisir et l’immense privilège de représenter l’UNESCO et de m’adresser à cette illustre assemblée à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des travaux du Colloque international sur le thème Éducation technologique, formation professionnelle et lutte contre la pauvreté. Je salue tous les participants et voudrais vous transmettre également les chaleureuses salutations de notre Directeur Général Monsieur Matsuraa et de notre directeur par intérim du Bureau Régional de l’UNESCO en Afrique Monsieur le Professeur Francisco Komlavi Seddoh. En tant que Directeur du Bureau Régional de l’Unesco à Dakar dont la mission est de contribuer à l’éducation et au développement de la région Afrique subsaharienne, il attache une importance toute particulière à l’amélioration de l’enseignement technique et professionnel. L’UNESCO entière est à vos côtés dans la bataille pour le développement de ce secteur comme outil dans la lutte contre la pauvreté. L’UNESCO vous remercie d’avance pour votre contribution à la réflexion au cours de cette rencontre qui, nous en sommes convaincus, permettra de faire de nouveaux pas en avant. Excellence, Chers collègues, Mesdames et Messieurs, un des volets du programme de l’UNESCO en matière d’éducation s’articule autour de la réforme de l’enseignement dans la perspective de l’Éducation Pour Tous tout au long de la vie. Celle-ci cible trois objectifs :

  1. la rénovation des systèmes éducatifs à l’ère de l’information à l’aide de la conception de stratégies d’apprentissage tout au long de la vie, de la promotion des politiques et du renforcement des capacités de développement et de reconstruction des systèmes éducatifs,
  2. la réforme de l’enseignement secondaire général et professionnel à travers la diversification de l’enseignement général et professionnel et l’adoption d’un programme international à long terme spécifique à l’enseignement technique et professionnel et
  3. la promotion de l’enseignement supérieur, le renforcement de la coopération entre universités et de la mobilité académique.

Ce programme allié aux autres activités a permis d’atteindre de bons résultats. Ainsi, selon le dernier rapport 2007 des Nations Unies sur les Objectifs du Millénaires pour le développement, la pauvreté a reculé au cours des 15 dernières années, en matière absolue et relative. Cependant, en dépit d’améliorations récentes, la proportion des gens vivant avec moins d’un dollar par jour reste élevée en Afrique subsaharienne (41,1% en 2004). En outre, si la pauvreté extrême a reculé, les inégalités de revenu se sont aggravées un peu partout, provoquant de nouvelles tensions. L’éducation et la formation jouent un rôle majeur dans la lutte contre la pauvreté, puisque les gens instruits sont moins menacés par la pauvreté que les autres. Toutefois, à elle seule, l’éducation et la formation ne réduiront pas automatiquement la pauvreté. Afin de pallier aux insuffisances non seulement en Afrique mais également dans d’autres continents, l’UNESCO mène depuis plus de cinq décennies, un vaste programme d’enseignement technique et professionnel comportant un important volet normatif. En effet, l’une des missions de l’UNESCO consiste à définir des normes et pratiques adéquates internationalement reconnues dans chacun de ses domaines de compétence et à les communiquer par le moyen d’instruments normatifs. Dans le domaine de l’EFTP, l’UNESCO dispose de deux instruments normatifs : la Convention sur l’enseignement technique et professionnel (1989) et la Recommandation révisée concernant l’enseignement technique et professionnel (2001). Ces instruments ont aussi permis au secteur de contribuer à la réduction de la pauvreté.

L’enseignement technique et professionnel, volet de l’éducation consacré à l’acquisition de connaissances et compétences requises dans le monde du travail, se trouve constamment confronté à l’impératif croissant de s’adapter aux besoins divers et en constante évolution du marché du travail. En outre, il se voit attribué une part de responsabilité pour le développement personnel de ses élèves, jeunes ou adultes, et pour leur participation efficace à des sociétés dont l’interdépendance et la complexité sont croissantes. Ayant pour principale mission de doter les jeunes et les adultes, femmes et hommes, des compétences qui leur permettront d’assurer leur subsistance, l’EFTP a donc un rôle capital à jouer dans le processus de l’Éducation Pour Tous. Par ailleurs, l’augmentation, suite à l’initiative EPT, du nombre de jeunes inscrits dans l’enseignement primaire dans les pays en développement va entraîner dans un proche avenir une augmentation du nombre de ces jeunes en quête de possibilités de formation continue ou de travail générateur de revenus. Il faudrait que les pays en question dispensent un enseignement de base et d’une éducation secondaire, technique et professionnelle à tous les jeunes issus de l’enseignement de base pour que ces pays puissent faire face assez rapidement à une population grandissante de jeunes gens éduqués et sans emploi. C’est pourquoi il est absolument impératif de mettre en place des programmes de développement des compétences requises dans la vie active afin que les jeunes gens quittant l’école puissent s’engager dans des activités génératrices de revenus. Il est nécessaire de retarder la répartition faite au niveau secondaire entre la filière générale et professionnelle et assurer la mobilité entre les deux lorsque cette répartition a déjà été opérée afin de s’assurer que les compétences douces comme l’entreprenariat et le travail en équipe soient acquises. En bref, il nous faut avoir une approche plus holistique de l’éducation qui prend en compte l’enseignement de base, l’enseignement secondaire, technique et professionnel et supérieur. La déclaration de Bonn affirme que le développement des compétences donnant lieu à un EFTP adapté aux différentes classes d’âge devrait faire partie intégrante de l’enseignement à tous les niveaux et ne plus être considéré comme optionnel ou marginal, ou bien réservé à ceux ou celles qui échouent dans la filière académique. Il est particulièrement important d’intégrer le développement des compétences dans les programmes de l’Éducation pour tous (EPT) et de satisfaire la demande d’EFTP générée par les apprenants ayant achevé le cycle d’éducation de base. La préparation au travail devrait doter les individus des connaissances, compétences, aptitudes, valeurs et attitudes leur permettant de devenir des citoyens productifs et responsables, conscients de la dignité du travail et contribuant à la construction de sociétés durables et a la réduction de la pauvreté. Vu que ce secteur de l’éducation jouit d’une reconnaissance accrue en tant que moyen de générer des revenus et comme facteur de cohésion sociale, il est nécessaire de redoubler d’efforts pour moderniser l’EFTP, renforcer son statut et assurer sa durabilité. L’EFTP a, de toute évidence, un rôle croissant à jouer dans des secteurs d’activité qui contribuent à la durabilité, comme la préservation de l’environnement et du patrimoine culturel ainsi que la production d’énergies renouvelables, dans une stratégie de réduction de la pauvreté. Dans leurs efforts pour développer l’enseignement technique et la formation professionnelle, de nombreux pays se trouvent confrontés à un problème de cout. Si la diversification des mécanismes de financement constitue la principale réponse à ce défi, cela suppose d’affiner les données financières et leur analyse. Ce colloque doit aider les pays à trouver des solutions à ce problème, à trouver des solutions pour aider les pays à consolider leurs informations financières des budgets publics, les états financiers des prestataires privés et des enquêtes sur le renforcement des informations sur les couts de l’EFTP, une étape indispensable pour mieux guider les politiques nationales et permettre des comparaisons au niveau international.

Ainsi, au nom de l’UNESCO, j’invite tous les acteurs impliqués dans l’EFTP, tant publics que privés à mettre en place des stratégies pour réduire la pauvreté, des partenariats public-privés, monde du travail et académiciens, et à oeuvrer résolument pour la mise en oeuvre des recommandations qui n’ont pas encore bénéficié d’une attention ou de ressources suffisantes. Compte tenu de l’ampleur de la tâche à accomplir et de la complexité des situations dans lesquelles il faut agir, une priorité particulière doit être accordée aux initiatives du domaine de l’EFTP qui contribuent à réduire la pauvreté, promouvoir l’égalité, et notamment l’égalité des sexes, stopper l’extension de l’épidémie de VIH/sida, soutenir les jeunes en situation de crise, les communautés rurales et les groupes victimes d’exclusion, encourager la coopération Nord-Sud et Sud-Sud et aider au développement des pays en transition et de ceux qui traversent une crise. Ces initiatives d’EFTP sont essentielles pour un développement durable axé sur l’homme. Ce colloque doit nous aider à trouver des approches du développement qui concilient la prospérité économique, la préservation de l’environnement et le bien-être social de même que des applications des technologies de l’information et de la communication qui réduisent la fracture numérique. Le principal défi de ce colloque reste le suivi des recommandations du rapport qui sortiront de cette réunion. En fin de compte, ces recommandations doivent nous aider a trouver des solutions pour satisfaire une jeunesse désabusée, à formuler des moyens pour améliorer la qualité de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, à améliorer l’employabilité des jeunes, à consolider les liens école/entreprise, à réduire les couts de l’EFTP, et finalement aider a la croissance économique et a l’emploi. Excellence, Chers collègues spécialistes de l’éducation, Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre aimable attention et souhaite plein succès à ce colloque.

Introduction au thème du colloque par Jacques Ginestié, président du comité scientifique du RAIFFET

Y a-t-il encore une place pour l’école ? Quelques idées pour débattre

Lors du colloque de Libreville, nous envisagions en quoi l’éducation technologique et la formation professionnelle contribuaient au développement durable ; il était logique de continuer par ce truisme : peut-on parler de développement durable sans discuter de la question de la lutte contre la pauvreté ? C’est de cela qu’il est question dans ce second colloque du RAIFFET accueilli à Hammamet par nos collègues Tunisiens. Une seconde édition, cela a du sens ; je vous rappelle qu’il suffit de deux points pour définir une droite et que cette droite peut indiquer une direction et, si elle est orientée, un sens. La direction, celle que nous essayons de prendre, repose sur cette articulation entre éducation technologique et formation professionnelle. Je ne redirais pas ce que nous disions déjà à Libreville, mais seul un développement durable de l’éducation et de la formation professionnelle permettront de supporter un développement durable des personnes, des sociétés, des états et des pays. Ce second colloque pose la question de fond : à quoi sert l’école ? À quoi servent les savoirs scolaires que l’on enseigne à nos enfants ? Pouvons-nous encore penser que nos systèmes scolaires produisent du progrès social, du développement, de l’amélioration de la condition humaine… ? Au-delà d’un militantisme que certains qualifieraient de suranné et feraient certainement bonne mesure dans des manifestations politiques, notre préoccupation est différente. Le RAIFFET, faut-il le rappeler, s’est donné pour mission de rassembler les synergies des acteurs des enseignements techniques, technologiques et professionnels sur le continent africain. Bien sûr, il y a un fort enjeu dans cette dynamique d’une pétition de principe visant une économie générale, une efficacité accrue, un élargissement des champs des ressources et des compétences. Pour autant, essayons d’examiner ces questions préalables à la lumière de nos préoccupations de chercheurs.

Par exemple, sous l’effort conjugué de volontés locales, régionales, nationales, internationales, partout, les systèmes éducatifs progressent vers plus d’éducation pour tous, des formations professionnelles mieux adaptées à chacun ; pourtant, les différences entre riches et pauvres se creusent, qu’il s’agisse des différences entre les pays, entre les entreprises, entre les personnes. Ainsi, de manière assez désespérante, nous pourrions nous aventurer à établir une corrélation entre plus d’école et plus de pauvreté. Ainsi, tel pays du sud accueille largement des entreprises du Nord qui délocalisent leur production sous des cieux de bas salaires, à faible taux d’imposition, à bas niveau de protection sociale. Ce pays va connaître une embellie sociale, il va probablement investir dans la formation de ses jeunes pour avoir des ouvriers, des techniciens, des cadres qualifiés, plus expérimentés, plus compétents pour assurer et accompagner le développement de ces entreprises qui sont venus s’installer ici. Mieux éduqués, mieux formés, plus compétents, le coût de la main d’oeuvre va ainsi augmenter entraînant une baisse de la rentabilité des entreprises qui vont alors délocaliser à nouveau, vers d’autres cieux… Lorsque le pays connaît quelques richesses naturelles, il rentre dans un autre cercle plutôt infernal, celui du cycle exportation de matières premières, importation de produits manufacturés. Exportateurs de matières premières, ces pays importent largement des produits manufacturés qu’ils payent au prix fort. Cette production de matières premières a des répercussions sur les organisations sociales, culturelles, politiques, économiques et professionnelles. Par exemple, le développement de monocultures intensives remet en cause les cultures vivrières sans pour autant accroître les revenus des paysans qui les pratiquent. Y a-t-il une fatalité irréversible qui rendrait vaine toute tentative de structuration et de développement fondé sur plus d’éducation, plus de formation, plus d’intelligence collective ? Au-delà d’un fatalisme convenu, notons que peu de pays africains investissent réellement dans l’éducation, si l’on excepte les pays du Maghreb, la Tunisie, tout particulièrement. Ainsi, les systèmes éducatifs sont à la mesure des ambitions des budgets qu’on leur consacre. Avec une moyenne inférieure à 3% du PIB par habitant, il ne faut pas s’attendre à des miracles lorsque l’on voit que des pays qui consacrent plus de 8% ont des difficultés qu’ils n’arrivent pas à résoudre simplement. Si la qualité et l’efficacité d’un système éducatif peuvent s’apprécier à l’aune de ce qu’un pays investit pour cela, on voit bien que ce seul critère n’est pas suffisant. L’enquête PISA conduite auprès de 32 pays développés montre clairement qu’il n’y a pas de corrélation entre coût du système éducatif et efficacité de ce système ou que le mode de financement du système éducatif n’a pas réellement d’incidence sur son efficacité. Alors, pour répondre à cette question, il va falloir que nous fassions des efforts d’imagination pour développer nos systèmes éducatifs, pour rompre avec une vision conservatrice de l’éducation et de la formation qui conduit à reproduire les organisations politiques, économiques, sociales, professionnelles, techniques… Ce colloque est une contribution à l’élaboration de réponses. En tant que chercheurs, nous pouvons apporter des éclairages sur des choix, des orientations, des possibles. Pour autant, notre responsabilité n’est pas simplement une posture a-sociétale, atemporelle ou a-culturelle. La recherche en éducation technologique et professionnelle doit être une recherche qui s’engage sur les voies d’une plus grande efficacité, d’une plus grande cohérence, d’une pertinence accrue des systèmes éducatifs dans leur articulation entre éducation générale pour tous et formation professionnelle de chacun. L’efficacité se mesure à l’aune du rapport entre le coût et le résultat. S’inscrire dans une logique de résultat n’est pas chose simple et doit nous conduire à interroger les organisations existantes ; il ne s’agit pas de l’autosatisfaction de l’enseignant ou des dirigeants mais des apprentissages des élèves, de ce que ce système éducatif va leur apporter. Une école quelle qu’elle soit n’existe pas pour le bien-être de ses enseignants, elle existe parce qu’il y a des élèves à éduquer, à former et c’est ce seul résultat qui compte.
La cohérence relève de cette recherche permanente de l’efficience des enseignements les uns par rapport aux autres, dans leurs interactions et dans leur progression. Les organisations scolaires ont banalisé les découpages disciplinaires comme s’il y avait une logique intrinsèque forte qui rangerait d’un côté tel savoir. Ces logiques intrinsèques à l’oeuvre ont conduit à une forme d’autonomisation de ces savoirs les uns en regard des autres – par exemple, de la théorie de l’élasticité à la résistance des matériaux – en leur faisant perdre toute signification partagée. Elles ont également conduit à des logiques de progressions qui ne sont pas particulièrement claires et limpides pour quiconque, notamment pour les élèves… Ainsi, la routine scolaire conduit à enseigner telle notion avant telle autre sans que l’on ne sache plus réellement pourquoi l’on fait comme cela ! Regarder un peu au-delà de l’horizon scolaire suppose de penser la place et le rôle de l’école dans la société. Un élève, étymologiquement est là, à l’école, pour s’élever, pour devenir adulte. L’éducation générale doit pourvoir aux besoins d’éducation des futurs citoyens ; les valeurs portées par l’éducation sont des valeurs sociales fortes : nos sociétés de demain seront ce que nos écoles prépareront. Par exemple, le thème d’éducation pour tous revêt une importance particulière ici en Tunisie ; un pays qui scolarise tous ses enfants avec un taux proche de 100% à l’école primaire, à l’école moyenne mais aussi avec un fort taux de scolarisation au lycée et à l’université. Un pays qui scolarise aussi bien ses garçons que ses filles lorsque nous avons trop d’exemples de pays qui excluent les filles des écoles. Soyons-en convaincu, l’éducation pour tous est une valeur fondamentale qui ne peut se réduire à une alphabétisation minimaliste d’un lire, écrire, compter si peu contemporain. L’éducation pour tous, c’est aussi une ouverture de tous sur le monde actuel, l’éducation technologique est une de ces ouvertures au même titre que l’éducation scientifique ou d’autres formes d’éducations artistique, sportive, à la santé… Pour autant, peut-on être un citoyen si l’on ne peut assurer sa subsistance et son existence sociale. Inéluctablement liée à l’éducation pour tous, l’exigence de formation professionnelle nous renvoie à une évidence – permettre à chacun d’avoir une place dans la société – tout en relevant cette fragile et dérisoire espérance éducative : comment former quelqu’un à un métier alors que de nombreux paramètres – employabilité, professionnalité, adaptabilité… – échappent pour partie à toute rationalité prévisionniste qui tenterait d’apprécier ce que sera le marché de l’emploi dans un pays donné à dix ans. Ce sont ces questions qui nous réunissent pour contribuer ainsi à entendre un peu du fonctionnement de nos institutions scolaires, à tenter quelques modestes expérimentations qui vont esquisser quelques possibles, susceptibles d’améliorer nos organisations, rendre plus efficaces nos dispositifs. Les discussions s’organisent dans quatre thèmes que nous avons essayé de choisir pour couvrir le plus largement nos réflexions. Le premier thème traite d’acculturation technologique et de promotion de l’égalité des chances, avec en toile de fond des questions aussi basiques que la lutte contre la fracture qu’elle soit numérique, technologique ou socioprofessionnelle. Le second thème pose que le développement repose avant tout sur le développement des initiatives locales, en posant la question : quelle formation professionnelle pour accompagner le passage d’une activité de subsistance à la petite entreprise ? Le troisième thème s’intéresse aux relations que je qualifiais de pertinence du système éducatif entre l’école et l’entreprise au travers des relations formation-emploi qui permettent d’articuler éducation, formation et d’insertion professionnelle. Le quatrième thème nous permettra de débattre de l’efficacité de nos systèmes de formation professionnelle au travers des questions liées à l’acquisition des compétences professionnelles dans nos organisations scolaires. C’est avec un peu de regrets que nous avons constaté que le thème 2 et, dans une moindre mesure, le thème 1, n’ont pas attiré beaucoup de communicants. La majorité des propositions portent sur le thème 4. Peut-être est-ce une faiblesse de nos organisations de recherche qui sont plus aptes à analyser ou à proposer des solutions en termes d’organisations scolaires plutôt qu’à produire des outils de compréhension de ces mécanismes complexes que sont le passage à la mise en place d’entreprises ou la question de l’égalité entre les personnes, égalité que les anglo-saxons décrivent comme une égalité d’opportunités ?
Un autre regret que nous pouvons formuler, porte sur l’origine des communications qui proviennent de la sphère francophone. Pourtant la confrontation avec nos collègues issus de pays anglophones, hispanophones ou lusophones aurait un intérêt réel qui ne se réduit pas aux seuls échanges culturels. L’approche dans ces pays est souvent assez différente de celles que l’on peut appréhender dans la sphère francophone. La notion même de prescription, les modes d’organisation scolaire, les structures de formation professionnelle ou encore les situations didactiques proposées sont bien différentes et nous aurions tout intérêt à développer cet enrichissement. N’en doutons pas, cette ouverture, qu’il va falloir réussir dans un proche avenir, est aussi un gage de construction identitaire d’une approche africaine de l’ETFP.
Il ne fait nul doute que le RAIFFET grandit et acquiert de la maturité. D’un point de vue global et au-delà des limites évoquées ci-dessus, il est clair que les communications proposées constituent autant de pistes possibles à explorer, pour plus d’éducation technologique, pour une meilleure formation professionnelle, avec l’espoir partagé que cela permette à chacun de prendre en main son destin, de contribuer à inscrire le développement des personnes, des communautés, des sociétés, des pays, pour lutter durablement contre la pauvreté. C’est à cela que chacune et chacun des participants contribuent, modestement, mais avec la force des convictions qui nous animent tous.

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