2011 Égalité des chances à l’école et politiques éducatives d’inclusion en Afrique Sub-saharienne : de la rhétorique à la réalité pratique Ernestine Antoinette Ngo Melha

Égalité des chances à l’école et politiques éducatives d’inclusion en Afrique Sub-saharienne  de la rhétorique à la réalité pratique  Ernestine Antoinette Ngo Melha

Égalité des chances à l’école et politiques éducatives d’inclusion en Afrique Sub-saharienne de la rhétorique à la réalité pratique
Ernestine Antoinette Ngo Melha

Abstract

This paper provides an analysis of the relationship between educational policies of inclusion in Sub Saharan Africa and school achievement in relation to learners with disabilities. The principle of equal opportunities at school requires the definition of a common framework and the establishment of systems to provide different responses to the difficulties and disadvantages of any kind. Inclusive education presented as a form of education that could take into account the diverse needs of all learners. We present its different theoretical mechanisms and the limits of its effective implementation in the context of sub Saharan Africa. The results show that despite the existence of a national policy announced in favour of educating children with disabilities, many challenges lie in its effective implementation, including training of teachers and the staff of support to take charge of certain types of disabilities. These elements lead us to conclude that if the educational policies of inclusion in the plans of educational development of the country are of equal opportunities, it remains a myth from reality locally.

Keywords: Equal opportunities, Disability, Inclusive Education, Education Policies, Academic achievement

Introduction

La double mission dévolue à l’école est de conduire, dans un souci d’éthique et d’équité, chaque élève au maximum de ses potentialités/possibilités et d’apprendre à tous à vivre ensemble dans le respect de la reconnaissance des droits et de la spécificité de chacun, particulièrement ceux qui sont habituellement marginalisés ou exclus des systèmes scolaires. L’école a le devoir de garantir le droit à l’égalité des chances à tous ; elle est appelée à assurer la réussite de tous les apprenants tant il est admis que l’éducation en  plus d’être un facteur de cohésion sociale et de développement, est aussi un facteur d’épanouissement individuel et que dans un monde devenu de plus en plus compétitif, « nul n’échappe au piège scolaire».

L’application du principe de l’égalité des chances à l’école exige la définition d’un cadre commun (programmes d’enseignement et examens nationaux) et la mise en place des dispositifs permettant d’apporter des réponses différenciées aux difficultés et handicaps de toute nature. Cependant, les systèmes d’enseignement ne parviennent pas encore à assurer à tous une éducation suffisante. En particulier, chaque année les systèmes éducatifs produisent des jeunes laissés pour compte, qui sortent prématurément du système scolaire sans formation suffisante ni qualification professionnelle et donc mal armés pour s’insérer dans la société. Dès lors on se demande si tous les élèves sont égaux face à la réussite scolaire.

Cet article se propose de faire une analyse des politiques éducatives d’inclusion des handicapés en Afrique subsaharienne et de s’interroger sur la façon dont celles-ci se combinent ou pas avec la réussite scolaire. Il s’agit, à partir d’une analyse documentaire et d’une enquête, de chercher à comprendre s’il existe un lien entre la politique éducative déclarée et la réussite scolaire relativement aux apprenants en situation de handicap dans le cas par exemple de l’Éthiopie. L’article s’articule autour de trois points : le contexte de la recherche et le cadre théorique ; la méthodologie mise en œuvre et les principaux résultats.

Le contexte

Le destin scolaire des élèves et la question de la qualité de l’éducation de manière générale sont devenus des sujets de réflexion de politique à part entière parmi les parties prenantes à l’action éducative et la réussite scolaire de tous, une préoccupation de tous les temps quels que soient les contextes (UNESCO, 2008). En Afrique sub-saharienne comme partout ailleurs, des réformes en vue de l’amélioration de la qualité de l’éducation sont entreprises au sein des systèmes éducatifs ; ces réformes concernent les conditions d’apprentissage des élèves et ont pour objectif la réduction des taux d’échec scolaire.

D’un autre côté et en regard des engagements pris dans le cadre de l’EPT et des ODM, les systèmes éducatifs des pays d’Afrique sub-saharienne se doivent d’accroître et de favoriser l’accès à la scolarisation de base. Cela se traduit par les mesures de gratuité de l’école primaire prises par un certain nombre de pays et donc une massification de l’éducation de base. Ces politiques ont pour corollaires l’accueil de tous les publics au nom du droit à l’éducation et de l’éducation inclusive et la dégradation de la qualité de l’éducation par rapport aux normes internationales. Par ailleurs, le concept d’éducation inclusive est à la mode, elle fondée sur les valeurs humaines d’équité et de respect des différences et vise l’adaptation de l’école à l’apprenant. Quels sont les mécanismes prévus au niveau institutionnel pour prendre en charge et intégrer les enfants en situation de handicap dans les écoles ordinaires de manière à favoriser leur réussite scolaire ?

Définition de quelques concepts

Éducation inclusive :

C’est un processus qui vise à accroître la participation de tous les groupes à l’apprentissage au travers de la transformation des systèmes scolaires et des cadres d’apprentissage.

Égalité des chances :

Dans le domaine éducatif, l’égalité des chances consiste à veiller à ce que la situation personnelle et sociale d’un individu – par exemple, le sexe, le handicap, le statut socio- économique – ne soit pas un obstacle à la réalisation de son potentiel éducatif. Autrement dit l’égalité des chances vise à assurer à tous les jeunes, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles ou leurs appartenances culturelles et sociales, un niveau de formation générale élevé garant d’une insertion professionnelle et sociale réussie et d’un accomplissement personnel.

Politiques éducatives :

Selon Van Zanten (2008), « Les politiques éducatives peuvent être définies comme des programmes d’action gouvernementale, informés par des valeurs et des idées, s’adressant à des publics scolaires et mis en œuvre par l’administration et les professionnels de l’éducation ». Elles trouvent leurs fondements dans la continuité et les transformations des valeurs, le rôle des idées, l’expertise scientifique et les évaluations ; elles s’élaborent au niveau national pour être implémentées dans ce contexte bien déterminé mais n’échappent pas à l’influence des courants internationaux et à l’intervention d’un réseau d’acteurs pour légitimer les réformes ou approfondir l’analyse des problèmes et des solutions. Leur mise en œuvre se fait au niveau local avec la mise en place des instances de gestion, de pilotage et de coordination aux niveaux intermédiaires.

Réussite scolaire :

La réussite scolaire est le fait pour un élève d’acquérir dans les délais prévus et conformément aux programmes, les nouvelles connaissances et les nouveaux savoir-faire que l’institution prévoit qu’il acquiert. La réussite scolaire suppose pour l’élève d’intérioriser, de faire sien des signes, des symboles, des savoirs, d’incorporer, de garder en son corps des attitudes, des conduites, des savoir-faire rationnels comme le souligne Jovenot (1985). Réussir à l’école est possible si chaque élève fait preuve de s’adapter à la tâche scolaire et montre un rapport positif aux savoirs par un désir et un plaisir de connaître.

Le cadre théorique de l’étude

Les recommandations des instances internationales (UNESCO, 2006) et les travaux de certains chercheurs (Armstrong, 2001 ; Ainscow, 2003) ont montré que si les politiques éducatives sont formulées autour des différences des élèves, elles favorisent l’inclusion ; de telles politiques en plus de leur caractère volontariste, devraient prévoir un certain nombre de mécanismes (aménagements d’adaptation tels que l’accompagnement, le tutorat) qui visent la prise en charge effective de l’élève au niveau de l’institution scolaire. Ces politiques devraient également permettre aux élèves handicapés scolarisés dans les écoles ordinaires de bénéficier du curriculum national complet et par conséquent d’avoir les mêmes chances de faire des progrès dans les apprentissages et l’insertion sociale plus large au même titre que leurs pairs valides.

D’autres recherches (Armstrong F ;2003) ont montré aussi que différentes modalités sont utilisées pour favoriser l’adaptation de l’environnement d’apprentissage à l’élève ayant des besoins particuliers, ces modalités vont du modèle de la trajectoire unique à celui de la trajectoire multiple ; ces modalités préconisent la scolarisation en structure spéciale ou en structure ordinaire avec la mise en place d’un dispositif d’accompagnement et des ressources supplémentaires qui tiennent compte des besoins spécifiques de chaque élève. Tout ceci doit faire partie d’une politique éducative nationale ayant des instances de gestion, de pilotage et de coordination aux niveaux intermédiaires.

La méthodologie mise en œuvre

Une étude de cas exploratoire a été réalisée sur l’Éthiopie et avait pour but de chercher à comprendre le dispositif institutionnel et les mécanismes mis en place pour assurer l’accès mais surtout pour conduire ou non les élèves en situation de handicap à la réussite scolaire dans ce contexte Il a été question de faire une analyse des forces et des faiblesses des modalités de mise en œuvre de la politique éducative d’inclusion dans ce pays.

La méthodologie utilisée a été basée sur l’exploitation des travaux de recherche et études antérieures relatives à cette question et des matériaux empiriques tels que les plans nationaux d’éducation de quelques pays d’Afrique sub-saharienne, les textes officiels, les rapports d’évaluation, les résultats d’enquête entre autres. Notre dispositif de recueil d’informations était une recherche documentaire (ouvrages, rapports, documents de politique du secteur de l’éducation, sites spécialisés…) complétée par un entretien réalisé à distance auprès d’un enseignant chercheur éthiopien, spécialiste de l’éducation spéciale et responsable d’un centre de ressources et d’innovations pédagogiques rattaché à l’Université d’Addis-Abeba.

Le but visé était d’explorer la réalité pratique de la mise en œuvre de la politique éducative d’inclusion en Éthiopie en regard des préconisations du plan de développement du secteur de l’éducation du pays. Nous nous sommes également intéressés de savoir qui sont les enfants handicapés scolarisés, de quelle origine socio-économique sont-ils, de quel type de soutien bénéficient-ils, quels types d’établissements les accueillent, comment se présentent leurs performances scolaires ; que prévoit la politique éducative et comment est-elle mise  en œuvre ?

Les principaux résultats

Les données recueillies ont été regroupées en quatre sous-ensembles : les données générales sur le pays, la politique éducative du pays, la scolarisation des enfants en situation de handicap et les mécanismes de leur prise en charge, l’analyse des résultats de l’enquête. En Éthiopie, la politique éducative vise la réduction de la pauvreté ; l’Éducation pour tous et l’éducation inclusive s’insère dans le cadre de la politique sectorielle d’éducation conformément aux objectifs de l’UNESCO. La scolarisation des enfants en situation de handicap est une composante du plan national de développement de l’éducation bien que faisant l’objet d’une stratégie spécifique.

L’éducation des enfants handicapés est comprise dans ce pays comme la scolarisation des enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux dans le cadre de l’éducation ordinaire ou spéciale. L’analyse des mécanismes de prise en charge des élèves scolarisés montre qu’il n’existe pas de dispositif au niveau institutionnel pour assurer l’accompagnement des élèves handicapés au cours de leur scolarité ou l’adaptation de l’école à l’élève bien qu’il y ait des dotations budgétaires sous la rubrique Éducation Spéciale.

En l’absence d’un dispositif institutionnel d’accompagnement, les élèves en situation de handicap feraient recours à l’aide des pairs ou de certains enseignants pour la prise de notes ou la préparation des devoirs (Bines H., 2007 ; Tiressew T., 2006). Ce sont essentiellement les questions d’accès à l’éducation pour ces catégories de population qui devraient être au cœur de toutes les réflexions et présider aux logiques d’action. Mais, finalement, tout porte à croire que l’on se préoccupe plus de comment faire pour atteindre  tel groupe d’élèves particuliers plutôt que comment faire pour que tous les enfants handicapés puissent avoir leur place à l’école, bénéficient des mêmes possibilités d’apprentissage ; comment faire pour les amener à participer pleinement et à réussir dans le système scolaire en progressant et achevant un cycle complet d’études ?

Les résultats complémentaires de l’enquête auxquels nous sommes arrivés sont les suivants : l’offre éducative en direction des enfants en situation de handicap est insuffisante dans le pays. Les enfants scolarisés sont ceux vivant dans les grands centres urbains. Ce sont davantage des enfants présentant des handicaps sensoriels qui sont les plus  scolarisés grâce à l’existence des structures privées pour malvoyants et sourds car l’offre éducative publique est insuffisante. De plus, la formation technique et professionnelle est peu adaptée à ce public du fait de sa rigidité. Les élèves ne bénéficient pas de soutien supplémentaire au niveau des écoles pour faciliter leur insertion scolaire ; ils doivent souvent se débrouiller comme ils peuvent et assez souvent redoublent ou abandonnent. La politique éducative les concernant est menée en parallèle à la politique globale dans laquelle elle est annoncée ce qui fait que les responsables locaux et régionaux ne savent quelle conduite tenir face à cette nouvelle population scolarisée qui est en plus stigmatisée dans les différentes cultures du pays. De cette étude de cas on a pu retenir ce qui suit :

  • l’éducation inclusive est comprise comme étant un processus visant à inclure tous ceux qui, pour une raison ou une autre n’avaient pas accès au service d’éducation
  • la scolarisation des enfants en situation de handicap est inscrite comme une composante de la stratégie du secteur de l’éducation
  • elle fait l’objet d’une stratégie spécifique du fait de la particularité du groupe concerné
  • elle est financée dans le cadre de la stratégie globale de l’éducation
  • elle souffre des difficultés dans sa mise en œuvre pratique au niveau local à cause de l’absence de compétences locales ce qui ne favorise pas l’insertion effective des élèves dans le système

Conclusion

Malgré l’existence d’une politique volontariste visant l’égalisation des chances et la mise à disposition des moyens financiers conséquents, la relation entre accès à l’école et réussite scolaire des élèves en situation de handicap est faible. L’enquête exploratoire réalisée sur le cas de l’Éthiopie a révélé que la mise en œuvre des mécanismes de prise en charge scolaire des enfants en situation de handicap n’était pas effective et que la réussite scolaire constituait effectivement un point aveugle. Cette enquête a permis en outre de constater que les plus grandes limites tenaient à des questions d’organisation, de formation et de politique active en direction des enseignants. L’objectif de la prochaine étape de notre recherche visera à comprendre et à expliquer la nature des difficultés en cause et leur ampleur en comparaison avec d’autres contextes.

Bibliographie

Ainscow Mel et Miles Susie (2008). Vers une éducation pour l’inclusion pour tous : Prochaine étape ? I

Perspectives, vol. XXXVIII, n°1, pp.17-44.

Ainscow Mel et Booth Tony. (2002). Guide de l’éducation inclusive, développer les apprentissages et la participation dans l’école. CEEI Centre pour l’Étude de l’Éducation Inclusive.

Ainscow Mel. (2001). Comment relier réussite et inclusion : nouvelles chances, nouvelles résistances, University of Manchester. La Nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n°16, pp. 141- 151.

Armstrong F. (2003). Les politiques éducatives de l’inclusion : pratiques et contradiction, Institute of Éducation, University of London.

Berthelot J.M. (1993). École, orientation, société, Paris : PUF

Bines H. (2007). Education missing millions: including disabled children in Education through EFA/FTI process and national sector plans, United Kingdom, Philippa Lel

Jouvenet L. P. (1985). Échec à l’échec scolaire, Paris : Privat

Tirussew Tefera. (2006). Overview of the development of inclusive education in the last fifteen years in Ethiopia. In Sav. Lainen, H. Matero, M. and Kokkale, H (Ed.), When all means all: Experiences in three Africa countries with EFA and children with disabilities, Ministry of Foreign Affairs of Finland, Helsinki

Van Zanten. (2008). Politiques éducatives In Dictionnaire de l’éducation, Paris : PUF, pp. 535-539

UNESCO. (2006). Principes directeurs pour l’inclusion : assurer l’accès à « l’éducation pour tous », Paris.

UNESCO. (1994). Déclaration de Salamanque et Cadre d’Action pour l’éducation et les besoins spéciaux, Adoptés par la Conférence Mondiale sur l’éducation et les Besoins éducatifs spéciaux : Accès et Qualité, 7-10 juin 1994, Salamanque, Espagne.

Résumé

Cet article propose une analyse de la relation entre politiques éducatives d’inclusion en Afrique subsaharienne et réussite scolaire relativement aux apprenants en situation de handicap. L’application du principe de l’égalité des chances à l’école exige la définition d’un cadre commun et la mise en place des dispositifs permettant d’apporter des réponses différenciées aux difficultés et handicaps de toute nature. L’éducation inclusive est la forme d’éducation présentée comme susceptible de prendre en compte les besoins diversifiés de tous les apprenants. Nous présentons ses différents mécanismes théoriques ainsi que les limites de sa mise en œuvre effective dans le contexte de l’Afrique subsaharienne. Les résultats montrent que malgré l’existence d’une politique nationale volontariste annoncée en faveur de l’éducation des enfants en situation de  handicap,  de  nombreux  défis  se  dressent  à  sa  mise  en  œuvre effective ; notamment la formation des enseignants et celle du personnel d’appui pour prendre en charge certains types de handicap. Ces éléments nous amènent à conclure que si les politiques éducatives d’inclusion énoncées dans les plans de développement de l’éducation des pays visent l’égalisation des chances, celle-ci reste un mythe éloigné de la réalité locale

Mots-clés : Égalité des chances, Handicap, Éducation inclusive, Politiques éducatives, Réussite scolaire

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