Résumé
La présente recherche s’inscrit dans le paradigme de l’adéquation formationemploi au Gabon. En regard du domaine de réalité dans lequel les enseignants du technique exercent, notre question de recherche se centre sur les rôles des dispositifs pédagogiques conçus et mis en œuvre par l’enseignant, à la lumière de ce que décrivent les apprentissages réels des élèves. Notre hypothèse prédisait que les spécificités qui caractérisent ces dispositifs limitent leur efficacité et jouent par conséquent un rôle défavorable du point de vue du rendement du système d’enseignement du second degré technique et professionnel gabonais. Pour se saisir des matériaux d’analyse, nous avons administré un questionnaire et un test de performance aux élèves d’une part et deux questionnaires aux enseignants d’autre part. Les résultats enregistrés nous ont permis de découvrir qu’au-delà des moyens, les activités pratiques développées par les enseignants en ateliers n’ont donné lieu à des acquisitions procédurales et conditionnelles intéressantes, contribuant ainsi à l’inefficacité des dispositifs qu’ils tentent de construire. Nous concluons donc que la « conception-mise en œuvre » des dispositifs pédagogiques par les enseignants
des dispositifs qu’ils tentent de construire. Nous concluons donc que la « conception-mise en œuvre » des dispositifs pédagogiques par les enseignants explique également cette faiblesse du rendement scolaire de l’apprenant. Ceci implique le questionnement de la praxis enseignante en revisitant plus particulièrement la question de son rapport à la maîtrise de l’objet du savoir en jeu, la question de son rapport à la maîtrise du savoir transmettre ce savoir en jeu et enfin à la question identitaire de son métier d’enseignant car ces trois questions peuvent jouer avec sa posture du point de vue de son engagement singulier dans la didactisation des situations d’apprentissage.
Mots clés
Acquis procéduraux, approche anthropologique, approche instrumentale, démarche dialectique, dispositif pédagogique, ingénierie didactique, praxie, praxis, rapport au savoir
Introduction
A l’instar des autres pays membres de l’Unesco, le Gabon fait face à ce même défi majeur lié à l’intégration des principes d’une Education pour tous (EPT) dans son système éducatif. Dans sa spécificité, son système éducatif de façon généralisée affiche au fil des années, des signes de faiblesse caractérisés par des dysfonctionnements, plus remarquablement dans son système d’enseignement technique et professionnel qui est supposé être le premier vecteur du développement économique et social du pays.
En effet, ces signes de faiblesse dans le système d’enseignement technique et professionnel peuvent être perceptibles dans le grand paradigme de l’adéquation formation-emploi, en regard des multiples rencontres bilatérales et multilatérales organisées par les autorités lorsqu’il s’agit de dénoncer ces dysfonctionnements et lorsqu’il s’agit de donner des réponses au travers des diverses réformes du système éducatif. D’années en années, de conférences en conférences, d’états généraux en états généraux sur l’Education, de reformes en reformes, de recommandations en recommandations, la situation éducative gabonaise semble certes donner quelques signaux prometteurs mais la réalité fait ressortir une inefficacité tangible et persistante du point de vue de l’articulation « formation-emploi ».
Les réflexions qui ont toujours été engagées dans ces diverses rencontres pour « panser » le système ne fournissent pas toujours des résultats satisfaisants. Il n’est plus à démontrer que cette manière d’interroger le système éducatif est synonyme de s’attendre à son inefficacité, au regard des résultats perpétuellement faibles et insatisfaisants. Si en interrogeant le système de cette manière et que nous continuons à demeurer au même stade de balbutiements, il faut alors « penser autrement », pour « interroger autrement » et pour « panser autrement » suivant une démarche dialectique qui implique le passage de la logique exclusive de l’abstraction vers la logique qui articule les deux logiques : la logique de l’abstraction et la logique de l’action.
Cette donne nous invite donc à interroger ce système dans ce qui fonde son existence, donc dans sa base. Autrement dit, au lieu de se limiter de manière exclusive à interroger le système éducatif superficiellement au travers des états généraux et autres conclaves, il serait plus pertinent de mettre la main à la patte en allant interroger les situations de classe, plus spécifiquement celles qui se vivent réellement et qui se proposent d’être didactiques. Il s’agit en effet de faire un focus sur les situations didactiques (Margolinas, 1998 ; Montandon-Binet, 2002) qui prévalent dans les salles de classes, ateliers et laboratoires des divers établissements du système d’enseignement technique et professionnel suivant des perspectives qui peuvent être compréhensives, explicatives, descriptives ou prospectives.
S’intéresser aux situations didactiques signifie prendre comme objets d’études les circonstances qui président à la diffusion et à l’acquisition des connaissances. Celles-ci peuvent se matérialiser suivant deux approches : selon la première approche, la « situation » didactique est l’environnement qui s’impose à l’élève, il est conçu, mis en œuvre ou manipulé par l’enseignant ou l’éducateur qui la considère comme un outil. Selon la seconde approche, la « situation » didactique est l’environnement tout entier qui s’impose à la fois à l’élève, à l’enseignant et au système éducatif lui-même. Dans cette dernière approche, l’enseignant n’intervient plus seul car plusieurs facteurs environnementaux complexes et indéterminés du système éducatif tout entier échappent à sa volonté, à sa maîtrise et à son contrôle. Dans ce sens, s’intéresser aux situations didactiques implique de s’intéresser aux deux antagonistes (l’enseignant et l’élève) de la situation d’une part, et d’autre part, à l’objet de leur antagonisme, c’est-à-dire l’objet de savoir en jeu dans la situation et son acquisition.
Certes, certains travaux (Békalé-Nzé & als, 2005 ; Békalé-Nzé & als, 2008 ; Bouras & als, 2008 ; Wade & als, 2011) ont commencé à jeter un regard sur les dysfonctionnements qui accablent les systèmes d’enseignement technique et professionnel africains pendant les différents colloques organisés par le réseau africain des institutions de formation des formateurs de l’enseignement technique (RAIFFET), il y a lieu de reconnaître que la recherche dans le domaine de la didactique est malheureusement encore très embryonnaire dans la spécificité des classes technologiques et professionnelles au Gabon. Au cours de la dernière décennie par exemple, quelques recherches doctorales ont timidement commencé à être publiées dans ce sens. En termes de recension, nous pouvons faire référence à certains travaux de thèse (Mouity 1998 ; Békalé-Nzé 2008 ; Ndoumatséyi 2012 ; Nsi-bé 2013 ; Mézui 2013 ; Mfoumou Peindy 2015 ; Moudouma 2015) pour témoigner de ce que le système d’enseignement technique et professionnel commence à être regardé autrement qu’au travers des états généraux ou autres rencontres bilatérales ou multilatérales. Dans cette même dynamique, un certain nombre de travaux se sont intéressé à la fois à l’élève (Moudouma, 2008) et aux enseignants du point de vue de leurs pratiques en lien avec la réalité professionnelle (Moudouma, Ginestié, & Cheneval-Armand, 2010) et de leur rôle dans la dialectisation entre les savoirs scolaires et les savoirs professionnels (Moudouma, Ginestié, & Cheneval-Armand, 2011). Certains travaux sont même allés regarder le système d’encadrement des élèves, notamment en ce qui concerne la vie de l’élève à l’école du point de vue de l’éthique et du pragmatisme du Censeur de Vie Scolaire (CVS) en charge de la discipline (Cissé Mpemba, 2015).
Si au paravent le système éducatif était interrogé sur son rôle ou sur son efficacité, cette efficacité peut aujourd’hui être interrogée à un niveau plus aigu et plus proche du domaine de réalité des acteurs antagonistes. En parlant d’efficacité, notre étude s’est intéressée plus spécifiquement au rôle assuré par les dispositifs pédagogiques que les enseignants conçoivent et mettent en œuvre dans les divers enseignements de spécialité. Rôles qui peuvent être lus au travers de ce que les élèves acquièrent réellement comme connaissances à caractères procédural et conditionnel.
Dans une perspective distinctive et originale, ce travail fait son entrée par une démarche dialectique et s’inscrit dans le paradigme socioconstructiviste. Une démarche dialectique car nous avons l’intention de nous distinguer de ce qui s’est toujours fait ordinairement, c’est-à-dire passer de la logique de l’abstraction exclusive vers une logique inclusive de l’abstraction et de l’action.
Une inscription au paradigme socioconstructiviste comme cadre de référence car le socioconstructivisme est le paradigme épistémologique de la connaissance qui fait une articulation inter-conceptuelle visant à guider et orienter la pensée et l’action de celui qui s’intéresse aux questions relatives à la construction, à l’acquisition, à la modification, à la réfutation ou développement des connaissances (Jonnaert 2002). Selon lui, un chercheur qui s’intéresse aux processus de construction des connaissances inscrit nécessairement sa réflexion à l’intérieur d’un paradigme de la connaissance.
Pour rentrer dans le vif du sujet, la structuration de ce travail se propose dans les parties qui vont suivre, de situer respectivement le cadre spécifique de cette recherche (2e partie), le cadre méthodologique (3e partie), l’analyse des résultats (4e partie), la discussion et la conclusion (5e partie) et enfin la bibliographie et les annexes.
Cadre de l’étude
En l’absence des données statistiques ou des rapports établis par les administrations concernées par la question des états de lieux sur les équipements dans les divers lycées techniques du pays et sans prétention de nous substituer à une quelconque autorité pour effectuer ces états de lieux, il nous a paru pertinent de nous adresser aux enseignants eux-mêmes au travers d’une pré-enquête par questionnaire (Moudouma, 2015) afin qu’ils indiquent la description qu’ils font de leurs propres choix face à ces artefacts que leur impose la situation réelle de travail. Dans ce sens, les questions à poser ont été réparties en deux groupes : le premier groupe a repris toutes les données relatives à l’état des parc-machines des ateliers et le second groupe a renfermé toutes celles qui sont liées aux contraintes situationnelles en atelier.
En examinant les résultats de la pré-enquête, il nous a été donné de constater de façon globale que les enseignants ont incriminé une obsolescence généralisée de machines-outils (fonctionnelles ou non fonctionnelles) et une insuffisance des outillages dans leurs parc-machines respectifs. Concernant la description des contraintes situationnelles, il nous a été donné de constater que les répondants se sont focalisés sur deux contraintes essentielles : celles qui concernent les systèmes d’éclairage et d’aération des espaces ateliers. Nous avons alors déduit les autres contraintes (climatisation, alimentation hydraulique, évacuation des déchets et des eaux usées, alimentation électrique et pneumatique, isolation phonique, acoustique, thermique, les dispositifs de sécurité incendie, sécurité électrique, appel d’urgence, étanchéité, accessoires de santé et premiers soins de secours, etc.), qu’elles soient satisfaisantes ou pas, n’ont aucune influence sur le déroulement de leurs travaux pratiques, pour ainsi dire qu’elles n’empêchent nullement la réalisation des travaux pratiques (ibid.).
Compte tenu du caractère très indéterminé du rôle de ces dispositifs pédagogiques, la question centrale de recherche porte sur les effets de ces dispositifs sur les acquis des élèves, effets qui peuvent toutefois se mesurer en termes d’efficacité, en regard des acquis procéduraux des élèves, de ce qu’ils apprennent en réalité, c’est-à-dire des connaissances procédurales qu’ils peuvent prétendre être capables de développer lors des applications ou d’expérimentation en situation d’atelier ou lors des transferts en situation professionnelle. Cette recherche d’efficacité nous a amené à regarder comment ces enseignants, parfois sans référentiels, sans ressources (matériaux et matériels) font pour « s’en sortir » et former quand même les élèves. Comment l’enseignant s’ingénie-t-il, comment s’investit-t-il, comment se « débrouille-t-il », quelles ressources mobilise-t-il pour atteindre quel type de résultats, quels rôles jouent ces dispositifs sur l’apprentissage de l’élève. Il s’agit en effet de cristalliser les rôles des dispositifs pédagogiques mis en œuvre par l’enseignant, à la lumière de ce que décrivent les apprentissages réels des élèves.
Clarifications conceptuelles et approches théoriques
En parlant du « dispositif pédagogique », nous avons retenu qu’un dispositif pédagogique est dit efficace si et seulement si l’ingénierie et l’ingéniosité de l’enseignant sont mobilisées par lui-même de façon optimale, dans le but de faire apprendre quelque chose à quelqu’un, ou alors, de permettre à « quelqu’un » d’apprendre « quelque chose » et à condition que ce quelque chose soit le résultat ou l’effet attendu suivant les objectifs que cet enseignant s’est assigné (ibid.). Cette définition a mis un lien de complémentarité entre efficacité et efficience en recouvrant des indications fondamentales telles que : la mobilisation par lui-même des objets de savoirs et l’effet attendu du dispositif pédagogique. La mobilisation par lui-même renvoie aux choix que l’enseignant opère en fonction de son rapport aux objets de savoir en jeu et suivant une approche anthropologique face aux savoirs à enseigner. Ces choix lui permettent en effet de concevoir et de construire son dispositif pédagogique essentiellement constitué des savoirs à enseigner, des stratégies, démarches et méthodes pédagogiques d’une part et des moyens matériels et immatériels d’autre part. L’effet attendu renvoie à ce que les élèves ont réellement appris, plus spécifiquement à leurs acquis procéduraux opératoires.
En parlant des « acquis procéduraux », nous nous sommes essentiellement appuyés sur un modèle de définition de la connaissance proposé par Musial et Tricot (2008). Les caractéristiques qui nous ont permis de définir la connaissance ont été données par les quatre processus d’apprentissage avec leurs éléments favorisants : le processus de procéduralisation indique le processus par lequel l’élève passe de la compréhension de la tâche vers la réalisation effective de la tâche. Le processus d’automatisation permet à un élève de transformer ses opérations routinières en des schèmes procéduraux et opératoires. Le processus de la prise de conscience permet à l’élève de se confronter au savoir-faire d’autrui en vue de se conforter dans ce qu’il parvient désormais à faire ou à réaliser. Le processus de mise en application désigne cette caractéristique chez l’élève lorsqu’il parvient à passer d’une procédure abstraite (intériorisée) vers l’opérationnalisation de cette procédure abstraite dans le but de la rendre effective et efficiente.
Les connaissances procédurales opératoires ainsi définies (suivant une approche constructiviste et suivant le modèle de Musial et Tricot (ibid.) concernant les formats de connaissances et les processus d’apprentissages avec leurs éléments favorisants) nous permettent de nous questionner sur les moyens qui permettront de dynamiser explicitement ces processus et ces éléments favorisants. En termes de moyens, il s’agira de se centrer sur les conditions et contraintes brutes telles qu’elles se donnent à être vécues dans le domaine de réalité que sont les ateliers et laboratoires. Autrement dit, quel est le domaine de réalité à partir duquel ces processus d’apprentissage peuvent être déclenchés.
L’approche anthropologique du didactique (Chevallard, 1985 ; Martinez, 2005 ; Delbos et Jorion, 1990) nous a permis de considérer qu’un savoir offre à un individu le moyen d’agir en fonction de ce qu’il donne comme signification à ce qu’il retient, à ce qu’il acquiert à partir d’un objet de savoir car la nature de l’objet change en fonction de la relation que le sujet entretient avec cet objet et de ce point de vue, l’objet peut prendre différents statuts. En effet, la relation qu’un sujet entretient avec l’objet lui donne sa nature ou son statut.
Selon l’approche instrumentale (Rabardel et Pastré, 2005 ; Rabardel, 1995, 2000), la nature de l’objet est également une construction sociale qui conduit le sujet à se construire un outil qu’il manipule à travers des gestes et qu’il médiatise ou qu’il donne à voir à travers des symboles. Les symboles permettent de décrire les significations que le sujet attribue à l’outil et à sa manipulation aux travers des schèmes sémiotiques. Cette approche nous permis en effet de faire une distinction entre les outils prévus à l’utilisation et ceux réellement utilisés en tant qu’instruments (passage de l’outil à l’instrument). En effet, d’un côté il faut être capable de maîtriser la façon de faire au travers des schèmes procéduraux, de l’autre côté il faut être capable de donner le sens et la signification que l’on met derrière cette manière d’utiliser l’outil au travers de ces schèmes procéduraux.
Certains travaux d’ingénierie didactique nous ont fourni un modèle didactique structuré en trois pôles : la conception de l’action de formation, l’apprentissage de l’élève et la mise en œuvre de l’action de formation. Dans la phase conceptuelle, ces travaux nous ont permis de distinguer les différents formats de connaissance avec leurs différents processus d’apprentissage correspondants et les éléments devant favoriser ces apprentissages. Dès lors que l’on sait quelle connaissance enseigner, il faut alors permettre à l’élève d’apprendre en favorisant la mise en œuvre des processus d’apprentissage requis. Ainsi, l’élève s’engagera dans un véritable parcours d’apprentissage qui va s’appuyer sur le principe du learning dowing qui consiste à « apprendre en faisant ». C’est dans l’action que l’élève apprend et en même temps qu’il est dans l’action, il faut également l’amener à réfléchir sur son action, sur ce qu’il est en train de faire afin qu’il perçoive le sens et l’utilité de son activité. C’est dans la répétitivité de l’action et la réflexivité sur l’action que l’élève apprend. Il faut également l’inciter à la régulation en pointant les réussites et les idées pertinentes (Bastien, 1987).
A partir de ces trois approches théoriques qui fondent notre positionnement épistémologique par rapport à la question centrale de recherche, nous formulons une hypothèse qui se veut unilatérale en stipulant que la nature et les spécificités qui caractérisent ces dispositifs pédagogiques ne peuvent que générer des acquisitions procédurales et conditionnelles très insuffisantes et très insatisfaisantes. Cette hypothèse prédit que les spécificités qui caractérisent ces dispositifs limitent leur efficacité et jouent par conséquent un rôle défavorable du point de vue du rendement du système d’enseignement du second degré technique et professionnel gabonais.
Cet axiome nous amène à regarder deux facteurs susceptibles de donner de l’intelligibilité à ce qui est recherché, notamment les facteurs liés à l’élève et à l’enseignant. L’élève dans sa dimension cognitive en tant que sujet épistémique et connaissant pour regarder ce qu’il s’est construit comme acquis, lesquels des acquis pouvant être considérés comme ses conceptions initiales et sur lesquels il faudra se projeter pour reconstruire et développer des connaissances nouvelles. Ce facteur élève nous renvoie alors sur les conceptions de l’apprenant, ses représentations initiales ou ses « déjà-là conceptuels » (Giordan & al, 1994), ses connaissances antérieures ou alors les obstacles épistémologiques à surmonter par l’enseignant (Bachelard 1938). Ces obstacles doivent être mis en sagacité lorsque le sujet apprenant doit croiser l’objet d’apprentissage proposé à travers le dispositif pédagogique qui lui est imposée.
L’enseignant dans sa dimension cognitive en tant que sujet épistémique pragmatique et capable pour regarder l’organisation de son enseignement et les difficultés auxquelles il est soumis. Ce facteur enseignant indique que ces conceptions ou ces acquisitions se mobilisent dans des conditions particulièrement adaptées. Elles doivent être développées suivant une approche de « proximité environnementale » (Ginestié 2005, op.cit.). Autrement dit, suivant un certain nombre de contraintes situationnelles favorables à l’acquisition et à l’appropriation du savoir. Si ces contraintes ne sont pas adaptées avec le niveau d’acquisition de l’apprenant, les conceptions ou les acquisitions initiales ne pourront que revêtir un caractère stérile (ne serviront à quoi que ce soit).
Dans cette dialectique entre rôles des dispositifs pédagogiques et conceptions des élèves d’une part, puis rôles des dispositifs pédagogiques et contraintes situationnelles d’autre part, il a été question de mettre l’apprenant au centre du processus d’apprentissage. Le fondement théorique de la méthodologie envisagée repose alors sur les conceptions de l’apprenant (Joshua, 1989) et sur les contraintes situationnelles d’un dispositif pédagogique qui se veut efficace (Montandon-Binet, 2002). Il s’agit ici de deux variables susceptibles d’impacter sur l’efficacité du dispositif construit par l’enseignant.
Méthodologie de l’étude
Du point de vue méthodologique, une analyse conjuguée entre les savoirs en jeu (ce que l’enseignant propose à l’étude) et le résultat de l’activité de l’élève (ce que l’élève verbalise comme schèmes procéduraux) permet de rendre compte du rôle des dispositifs des enseignants. En interrogeant ses schèmes procéduraux, l’élève sera à même de verbaliser ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, ce qu’il ne savait pas faire et qu’il parvient à faire. Cette verbalisation nous permettra de comprendre la logique de l’élève dans sa manière de s’y prendre et la façon dont il s’accommode des conditions situationnelles mises en œuvre par l’enseignant. Dans ce sens, elle nous permettra de repérer, de qualifier et de caractériser les écarts entre ce que l’enseignant attend de son élève, ce qu’il obtient réellement et la façon qu’il utilise pour atteindre l’attendu. Les conceptions de l’élève et les contraintes situationnelles nous offrent des critères opérationnels qui nous permettrons de recueillir des matériaux d’analyse chez les populations cibles.
Dispositif de l’étude
Cette étude a ciblé un ensemble de 35 enseignants en charge des cours de travaux pratiques dans leurs différentes classes de terminales des trois grands lycées techniques du Gabon. Ces enseignants totalisent un effectif de 371 élèves en fin de cycle (en classes de terminale technologique) et les filières concernées par l’étude sont celles qui permettent à l’homme d’agir sur le monde par la conception et la remise en état des objets ou des systèmes et par la transformation des matériaux ou la construction des structures (Chatoney, 2003). En consultant les trois établissements ciblés, nous avons obtenu les effectifs par classe et par filière à partir du tableau n° 1 suivant :
Tableau 1 : Répartition des effectifs répondants par filière et par établissement
Localité |
Établissement |
Filière |
Classes
|
Effectif
|
Libreville |
LTNOB |
Fabrication mécanique (F1) |
02 |
40 |
Électrotechnique (F3) |
02 |
19 |
||
Construction bâtiment et GC (F4) |
03 |
90 |
||
Bois et matériaux associés (F1D) |
01 |
25 |
||
Structures bois (BT SB) |
– |
– |
||
Menuiserie Ébénisterie (BT ME) |
– |
– |
Port-Gentil |
LTJFO |
Maintenance Industrielle (M.I) |
02 |
19 |
Électro-froid (F2) |
– |
|||
Mathématiques et Physique (E) |
01 |
10 |
||
Moanda |
LTFB |
Maintenance Industrielle (M.I) |
02 |
60 |
Maintenance Automobile (M.A) |
– |
– |
||
Totaux |
13 classes |
263 élèves |
Afin de garantir la pertinence du protocole de recherche, il a été jugé utile de réaliser un pré-test (étude pilote) sur un échantillon aléatoire et réduit respectivement à deux enseignants, deux Inspecteurs et deux élèves par filière dans la seule ville de Libreville. Après le débriefing des retours de cette « étude pilote », un certain nombre de réaménagements nous ont permis de stabiliser le protocole définitif de collecte massive des données, tout en tenant compte des considérations éthiques et déontologiques (sensibilité des questions à poser, autorisations administratives, adhésion des participants, approbations par les pairs…).
En effet, pour se saisir des matériaux d’analyse, il a été opportun d’administrer trois questionnaires suivant le scénario suivant : un premier questionnaire sur les pratiques enseignantes accompagné d’un questionnaire spécifique sur la détermination des compétences clés par filière, le même questionnaire spécifique a été introduit chez les Inspecteurs pédagogiques toujours sur la détermination des compétences clés par filière. Après dépouillement des questionnaires spécifiques des Inspecteurs et des enseignements, nous avons procédé à l’élaboration et à la passation du questionnaire élève concernant ses conceptions initiales et compétences des élèves, plus particulièrement en ce qui concerne le test de performance filière par filière.
En se focalisant sur le questionnaire destiné aux élèves, les indicateurs opérationnels des dispositions de l’élève sont déterminés ici sur la base du fonctionnement cognitif de l’élève qui se fonde sur l’idée que le statut de la tâche à effectuer ou de l’objectif pédagogique passe nécessairement par une autoévaluation. Celle-ci permettant à l’apprenant de circonscrire dans quelle mesure il est à même d’affronter de manière pertinente les situations auxquelles il peut – dans le cadre de la compétence visée – apporter une réponse satisfaisante (Gérard & Van Lint-Muguerza, 2000).
Analyse des données
Le cadre d’analyse a pour objectif de faire la description précise de comment les résultats obtenus et présentés seront traités et analysés, comment ont-ils été mis en relation avec les cadres théorique et méthodologique qui les étayent (voir figure n° 1 ci-dessous).
En faisant référence aux conjectures théoriques, notamment en ce qui concerne la question de recherche avec sa réponse théorique provisoire, nous croiserons successivement : – les données relatives à l’enseignant pour décrypter les pratiques enseignantes qui fondent ces dispositifs pédagogiques ; – les données relatives à l’élève pour regarder ses conceptions (du point de vue des connaissances acquises) et son rapport au savoir d’une part et d’autre part, ses performances au test final sur les compétences clés en fin de cycle.
Résultats et analyses
Présentation générale des résultats
Au terme de la collecte des données, celles-ci ont été traitées quantitativement (questions fermées uniques ou multiples, questions ouvertes numériques) et qualitativement (questions ouvertes textes) en utilisant le logiciel SPHINX. Les résultats obtenus sont présentés ici sous formes de tableaux à plat avec leurs encadrés qui restituent les significativités données par le logiciel.
Résultats sur les pratiques enseignantes
Planification annuelle des séances de travaux pratiques
Dans cette perspective de caractérisation des dispositifs pédagogiques en vue d’une catégorisation, il nous a paru opportun de voir comment ces enseignants s’organisent pour planifier leurs séances des travaux pratiques dans l’année en établissant une différence entre le nombre de séances de travaux pratiques prévus et le nombre de séances réellement effectués par chacun d’entre eux dans l’année. Les tableaux ci-dessous donnent les résultats suivants :
Tableau 2 : Nombre de TP prévus dans l’année
Séances prévues |
Effectif enseignant |
Proportions ou fréquences |
Aucune |
0 |
|
1 à 3 |
2 |
|
4 à 6 |
2 |
|
7 à 8 |
3 |
|
9 à 10 |
3 |
|
11 à 12 |
1 |
|
Plus de 12 |
9 |
|
Total |
20 |
Tableau 3 : Nombre de TP effectués dans l’année
Séances effectuées |
Effectif enseignant |
Proportions ou fréquences |
Aucune |
1 |
|
1 à 3 |
1 |
|
4 à 6 |
3 |
|
7 à 8 |
3 |
|
9 à 10 |
1 |
|
11 à 12 |
3 |
|
Plus de 12 |
1 |
|
Total |
13 |
Sur les 34 enseignants interrogés, nous enregistrons au tableau n° 2 un taux de 20 répondants (soit 14 non-répondants) pour le nombre de TP prévus dans l’année et au tableau n° 3, un taux de 13 répondants seulement (donc 21 non-répondants) pour le nombre de TP effectués dans l’année. Il serait pertinent de s’interroger sur ces taux élevés de non-réponses car ils peuvent constituer le point de faiblesse de ce résultat. Sur le plan interprétatif, nous pouvons dire que les participants font un choix sur les questions à renseigner, en fonction non seulement de l’intérêt qu’ils y accordent mais aussi en fonction du niveau de compréhension de la question posée et de ce qu’ils peuvent disposer ou pas comme éléments de réponse. Alors n’ayant rien prévus dans l’année, ces non-répondants se sont abstenus ou alors n’ont pas jugé utile de donner une quelconque réponse à cette question. De ce fait, il nous était alors possible de les considérer dans l’effectif enseignant n’ayant prévus aucune séance.
Quoi qu’il en soit et en prenant le risque de retenir ce faible taux de 20 répondants en ce concerne le tableau n° 2, près de la moitié (9 enseignants sur 20) indique avoir prévu plus de 12 séances dans l’année. Nous remarquons en définitive que la différence entre la répartition des groupes d’enseignants est très significative (le groupe des 9 enseignants contre les groupes de 2 ou 3 enseignants avec parfois des enseignants isolés).
Le tableau n° 3 ci-dessus nous laisse apparaître une différence non significative entre les groupes d’enseignants comme nous l’avons remarqué dans le précédent. En effet, nous ne remarquons plus le groupe des 9 enseignants ayants prévus plus de 12 séances dans l’année. Nous retrouvons par contre trois groupes de 3 enseignants qui ont respectivement effectué 4 à 6 séances ; 7 à 8 séances et 11 à 12 séances. Ces chiffres peuvent indiquer le nombre des 9 enseignants ayant prévus plus de 12 séances dans l’année dans le tableau n° 2.
La non significativité de ces chiffres traduisent tout simplement le fait que la grande majorité des enseignants prévoit un bon nombre de séances des travaux pratiques et que c’est une très infime minorité qui arrive à effectuer les séances prévues. Cette situation nous a amené dans la partie qui va suivre à nous interroger sur les difficultés ou les raisons qui militent en faveur de cet état de fait.
Difficultés dans la mise en œuvre des enseignements pratiques
À titre de rappel, les prédictions théoriques nous indiquent que l’efficacité des dispositifs pédagogiques mis en œuvre par les enseignants dans les cours des travaux pratiques est tributaire non seulement des dispositions personnelles des élèves mais aussi des choix opérés par l’enseignant à partir des contraintes situationnelles qui lui sont imposées. La présente étude s’est limitée à examiner ces contraintes situationnelles en tant qu’artefacts à deux principaux niveaux : les ressources en matière première et les ressources en outillage mécanique.
Difficultés en matière première
En ce qui concerne les ressources, les enseignants ont été amenés à indiquer la nature de leurs niveaux de difficultés concernant la matière d’œuvre. Le tableau suivant donne le résultat ci-après :
Tableau 4 : Difficultés en matière d’œuvre
Nature des difficultés |
Effectif enseignant |
Proportions ou fréquences |
Absence totale |
3 |
|
Quantité insuffisante |
12 |
|
Qualité non requise |
4 |
|
Retard d’approvisionnement |
5 |
|
Total |
34 |
Sur les 34 enseignants interrogés, nous comptabilisons 24 répondants (3+12+4+5) et le reste est non-répondant. Parmi les 24 répondants, un groupe de 3 enseignants indiquent que leurs difficultés dans la mise en œuvre des TP sont liées à une absence totale de matière première ; un groupe de 12 enseignants indiquent que leurs difficultés dans la mise en œuvre des TP sont liées à une insuffisance de matière d’œuvre ; un groupe de 4 enseignants indiquent une qualité non requise de matière d’œuvre et enfin un groupe de 5 enseignants indiquent un retard d’approvisionnement de matière d’œuvre.
À partir de ces chiffres qui expriment une très forte significativité entre les groupes d’enseignants, nous pouvons considérer que la difficulté la plus récurrente porte sur l’insuffisance de matière première (parmi les 24 répondants, la moitié des enseignants est en accord sur l’insuffisance de matière d’œuvre). D’autres difficultés sont certes mentionnées ici mais leurs niveaux d’expression restent relativement faibles par rapport à l’ensemble, c’est-à-dire 3 enseignants contre 24 sont en accord sur l’absence de matière première ; 4 enseignants contre 24 sont en accord sur la qualité non requise et enfin 5 enseignants contre 24 sur le retard d’approvisionnement. Dans ce cas de figure, l’un des traits qui caractérisent les difficultés de mise en œuvre des dispositifs pédagogiques porte sur l’insuffisance de la matière d’œuvre dans les ateliers.
Difficultés en outillage mécanique
Toujours dans cette perspective sur les difficultés rencontrées, les enseignants ont été amenés à indiquer leurs niveaux de difficultés concernant l’approvisionnement en outillage mécanique. Le tableau suivant donne le résultat ci-après :
Tableau 5 : Difficultés en outillage mécanique
Nature des difficultés |
Effectif enseignant |
Proportions ou fréquences |
Absence totale |
3 |
|
Quantité insuffisante |
13 |
|
Qualité non requise |
1 |
|
Retard d’approvisionnement |
3 |
|
Total des observations |
34 |
Sur les 34 enseignants interrogés, nous comptabilisons 20 répondants (3+13+1+3) et le reste est non-répondant. Les chiffres obtenus nous montrent que 3 enseignants indiquent une absence totale d’outillage mécanique ; 13 enseignants indiquent une quantité insuffisante d’outillage mécanique ; 1 enseignant indique une qualité non requise et enfin 3 enseignants indiquent un retard d’approvisionnement en outillage mécanique.
À partir de ces chiffres qui expriment une très forte significativité entre les enseignants, nous pouvons considérer que le problème le plus récurent porte sur l’insuffisance d’outillage mécanique (parmi les 24 répondants, la moitié des enseignants est en accord sur l’insuffisance des quantités). D’autres difficultés sont certes mentionnées mais leurs niveaux d’expression restent relativement faibles par rapport à l’ensemble, c’est-à-dire 3 enseignants contre 24 sont accord sur l’absence de matière première ; 1 enseignant contre 24 sur la qualité non requise et enfin 3 enseignants contre 24 sur le retard d’approvisionnement. Dans ce cas de figure, l’un des traits qui caractérise les difficultés de mise en œuvre des dispositifs pédagogique porte sur l’insuffisance des outils mécaniques dans les ateliers.
Résultats sur les acquisitions des élèves
Les principaux résultats des élèves présentés ici portent sur trois variables : – les niveaux de développement des enseignements ; – les niveaux des acquisitions et – les niveaux des résultats aux tests de performance. Concernant les deux premières variables, les élèves ont été invités à donner leurs perceptions sur les niveaux de développement des enseignements et leurs appréciations sur leurs propres acquisitions. La densité des résultats (filière par filière) nous a amené à les synthétiser dans des échelles d’appréciation des variables suivant le tableau n° 5 suivant : (les tailles et les modalités étant équilibrées).
Tableau 6 : Échelles d’appréciation des variables
La première variable (variable 1) portant sur le développement des enseignements a été analysée par l’échelle d’appréciation n° 1 comportant une taille de sept (7) modalités en partant de : » pas du tout développé » à » entièrement développés « . Selon les résultats du tableau, les perceptions des élèves ont porté sur les trois modalités cochées à savoir : » pas du tout développés » ; » très peu développés » et » peu développés « . Ce résultat signifie que dans l’ensemble, les divers enseignements à caractère procédural proposés comme objet d’enseignement n’ont pas du tout été développés pour certains et pour d’autres, ils ont été peu développés voir très peu développés.
La deuxième variable (variable 2) portant sur les acquisitions a été analysée par l’échelle d’appréciation n° 2 comportant une taille de sept (7) modalités en partant de : » totalement insuffisantes » à » totalement satisfaisantes « . Selon les résultats du tableau, les conceptions des élèves ont porté sur les trois modalités cochées à savoir : » totalement insuffisantes » ; » très insuffisantes » et » insuffisantes ». Ce résultat signifie que dans l’ensemble, les acquisitions engendrées par les rares séances d’enseignement à caractère procédural sont pour certaines très insuffisantes et pour d’autres, elles sont insuffisantes voir très insuffisantes.
La troisième variable (variable 3) portant sur le test de performance a été analysée par l’échelle d’appréciation n° 3 comportant une taille de sept (7) modalités en partant de : « totalement insatisfaisants » à « totalement satisfaisants ». Selon les résultats du tableau, la classification des notes obtenues a porté sur les quatre modalités cochées à savoir : « totalement insatisfaisantes » ; « très insatisfaisantes » ; « insatisfaisantes » et « moyennement satisfaisantes ». Ce résultat signifie que dans l’ensemble, les notes obtenues aux différents tests de performance sont très insatisfaisantes voire totalement insatisfaisantes pour certaines et pour d’autres, elles sont insatisfaisantes voire moyennement insatisfaisantes.
Au regard des renseignements ainsi recueillis, il nous est fort aisé, d’ores et déjà, de nous conforter sur la cohérence des deux premières assertions. En effet, nous avons mis en doute et avons pris du recul sur les assertions des deux premières variables qui restaient très subjectives car le caractère prétentieux qui peut habiter tout sujet actant peut l’amener à affirmer le contraire de ce dont il est capable de faire. Pour tenter de contourner ce biais lié à la subjectivité, le test de performance qui du reste demeure une production écrite (donc matérielle et observable, donc moins subjective) vient nous conforter dans ces premières assertions en mettant en lumière cette cohérence entre ce que dit l’élève et ce que fait l’élève. L’élève affirme que ses acquis sont insuffisants voire très insuffisants et son résultat au test de performance (donc sa production écrite) se solde insatisfaisant voire très insatisfaisant.
Discussion et conclusions
Dans le cadre de la planification des séances pratiques, il nous a été donné de remarquer un écart très significatif entre le prévu et le réalisé de l’activité. Il peut certes arriver que dans l’année, un enseignant ne soit pas parvenu à effectuer certaines applications pratiques en raison de certains paramètres endogènes et/ou exogènes (Martin et al, 2004) qui peuvent être négligeables, mais il faut souligner avec un grand intérêt lorsque ces écarts entre le prévu et le réalisé atteignent des proportions aussi exponentielles que pernicieuses.
L’organisation des savoirs enseignés (Martinand, 1993) dépend certes de la discipline d’enseignement mais cette organisation résulte d’un processus de transposition didactique qui est singulier au sujet actant suivant une vision de l’approche anthropologique du didactique (Chevallard, op.cit.). Cette approche nous permet de dire que le savoir change de statut dans le processus de transposition didactique (Chevallard, 1991) en fonction de la singularité du sujet épistémique qu’est l’enseignant. En effet selon Ouarda, & Ginestié, J, (2009), « l’enseignant est la personne chargée de concevoir, organiser, mettre en œuvre et évaluer les situations qu’il va proposer aux élèves pour leur transmettre ces savoirs. Son acception des finalités, son point de vue sur l’organisation des connaissances et sur les références choisies, son point de vue sur les élèves, l’école en général et le rôle de son enseignement en particulier, vont conditionner largement ses choix en matière de situations proposées et de méthodes pédagogiques mises en œuvre. Cette organisation ainsi retenue relève de la conception de l’enseignement ».
Si nous venons à rappeler l’hypothèse selon laquelle les dispositifs tels qu’ils sont conçus et mis en œuvre ne favorisent pas des acquisitions signifiantes chez les apprenants et que les résultats enregistrés montrent en effet que ces acquisitions sont insuffisantes et insatisfaisantes, nous pouvons nous conforter dans notre démarche dialectique pour affirmer que ce regard nous a permis de tester valablement notre hypothèse. Si nous devons nous exprimer désormais sur cette question d’efficacité des dispositifs pédagogiques, nous ne devons pas nous empêcher de considérer que la pratique singulière de l’enseignant à une part de responsabilité dans cette efficacité des dispositifs (Weisser, 2010).
L’insuffisance des moyens et des ressources constituent l’une des carences les plus criardes que connaissent les enseignants dans leurs missions de conception et de mise en œuvre des dispositifs pédagogiques. C’est une donnée qui vient conforter certaines expertises (Ginestié, op.cit.) et rapports nationaux qui font la description du système d’enseignement technique et professionnel gabonais.
Si tout ce que ces rapports dénoncent venait à être corrigé, les difficultés des enseignants seraient certainement amoindries et par conséquent leur professionnalisme (conjugué à l’effectivité et à l’efficience des moyens) allait garantir des acquisitions signifiantes chez les apprenants. A titre interprétatif, il suffirait de garantir l’effectivité des moyens pour garantir l’efficacité des dispositifs qu’ils conçoivent. Pour notre part, c’est là que réside toute la question à discuter car cela suppose que sans le moyen indiqué (l’artefact) pour effectuer une opération donnée, l’enseignant optera à rester inactif sans faire jouer son engagement et son ingéniosité (genèse instrumentale) qui lui permettraient de booster et faire émerger des solutions de substitution afin de passer de l’outil vers l’instrument (Rabardel et Pastré, 2005). L’option de rester inactif par manque d’artefact indiqué est une posture d’enfermement (consciente ou intentionnelle) qui laisse l’enseignant dans une impasse qui recouvrirait une forme de fatalisme, de renoncement et de déterminisme.
Par ailleurs, il n’est plus à démontrer que cette posture déterministe peut caractériser certaines pratiques enseignantes lorsque la compétence requise empêche l’usage de l’artefact (qui pourtant peut être à la fois disponible et fonctionnel). Dans une perspective d’échapper à cette forme de déterminisme et sans prétention de mettre en doute le savoir-faire enseignant qui fonde son professionnalisme, nous voulons nous féliciter ici de notre étayement sur l’approche instrumentale des objets de savoirs et l’approche liée à l’ingénierie didactique car elles nous ont permis de montrer que la conception d’un dispositif pédagogique, au même titre que la construction de la connaissance chez l’élève, est une question éminemment singulière car très personnelle. Elle constitue de ce fait une forme d’ingénierie didactique très particulière (Musial & Tricot, op.cit.).
En l’absence d’un certain nombre de paramètres qui sont sensés garantir l’effectivité et l’efficience de cette ingénierie didactique, l’approche instrumentale permet à l’enseignant d’échapper à cet enfermement conscient ou intentionnel lié au manque ou à l’insuffisance des moyens pour enseigner les contenus définis. A travers la genèse instrumentale, l’enseignant peut arriver à développer un certain nombre d’adaptations et d’accommodations susceptibles de lui permettre de se fonder une ingéniosité particulièrement singulière. Il est de ce fait appelé à aller dans les profondeurs de sa réflexion pour revisiter ses schèmes, booster et faire émerger ses potentialités cognitives et pragmatiques afin qu’il donne du sens à ses choix et à ses sélections, pour ainsi dire à ses adaptations et à ses accommodations car de la manière de penser, dépend la manière d’agir (Maggi, 2000).
Quelques soient les niveaux de difficultés rencontrées, ces accommodations et adaptations portent sur trois postures possibles qui traduisent les pratiques enseignantes : – une première posture figée ou en encrage exclusif au référentiel de formation, – une seconde posture en encrage exclusif au référentiel du métier et – enfin une troisième posture en encrage mixte car à cheval entre les deux premières postures.
Ces trois postures enseignantes soulèvent ici la question de l’engagement enseignant face à la dualité entre l’ambition d’innover ou d’adapter les dispositifs pédagogiques et le souci de conformité à la norme scolaire imposée. Quoi qu’il en soit et au-delà des divergences dans les ambitions innovantes et des soucis de conformité, les enseignants se retrouvent toujours dans un même environnement et une même réalité scolaire pour lequel ils sont tenus de proposer quelque chose de pertinent à l’apprentissage comme le soulignent Musial & Tricot (op.cit.) dans leurs réflexions sur l’efficacité de l’enseignement : « enseigner pour que les élèves apprennent ».
En parlant par ailleurs de la dimension perceptive de l’élève, il faut pointer un regard spécifique sur la dimension qui caractérise la nature humaine en tant que sujet épistémique et pragmatique. En effet, la dimension épistémique permet au sujet de puiser un certain nombre d’informations qui sont à sa portée et à partir desquelles il se construit des schèmes cognitifs. Il s’agit là d’une dimension qui lui permet de réfléchir sur le monde dès lors qu’il s’est construit des concepts ou des représentations. La dimension pragmatique lui permet de puiser un certain nombre d’informations qui sont à sa portée et à partir desquelles il se construit des schèmes opératoires. Il s’agira par contre ici d’une dimension qui lui permet d’agir sur le monde dès lors qu’il s’est construit des procédures, donc la méthode et le savoir-faire (qui peut devenir un automatisme) selon Musial & Tricot, op.cit.).
Cette construction de la connaissance peut être tributaire de la façon dont l’élève croise ce qui est proposé à l’étude, c’est-à-dire comment perçoit-il cet objet d’enseignement (Maggi, op.cit.). Au courant d’une unité de temps scolaire (séance, séquence, trimestre, année, cycle…), tel objet proposé à l’étude a-t-il été développé ou pas ? Très peu ou très bien développé ? Peu ou bien développé ? En fonction de sa perception, il renseigne sur le niveau du processus cognitif qui favoriserait son apprentissage. De sa perception des choses peuvent dépendre le sens qu’il veut donner à cet objet d’étude (ibid.). C’est une forme d’engagement qui s’instaure entre deux instances de communication : l’émetteur et le récepteur. L’élève qui croise l’objet d’enseignement qui lui est proposé puise un certain nombre de données en fonction de sa perception, de son interprétation, de sa sélection.
L’auto-appréciation des niveaux d’acquisitions des connaissances par les élèves est l’une des variables que nous avons également retenues comme point de discussion. Cette variable que nous proposons à la discussion se fonde sur l’idée que l’évaluation des acquis peut faire l’objet d’une auto-appréciation permettant à l’apprenant de faire référence à sa dimension cognitive lorsqu’il doit interroger ses schèmes procéduraux. Interroger ses propres schèmes dans le sens où il faut fidéliser la verbalisation écrite de ses apprentissages qui découlent de sa perception. En effet, selon Ouarda, & Ginestié, (op.cit.), de la perception qu’un apprenant aura vis-à-vis d’un objet d’étude particulier vont découler les apprentissages qu’il aura à construire. Pour autant, ces connaissances ainsi construites ne sont pas obligatoirement celles qu’escomptaient l’enseignant et l’institution. Les tâches scolaires qui lui sont proposées induisent un certain nombre de possibles et la réponse produite par l’élève n’est pas une conséquence directe et systématique dès lors que l’apprentissage des élèves dépend de leur perception propre de ce qui est attendu d’eux et de la manière dont les processus cognitifs produisent la réponse attendue.
Dès lors que ces processus cognitifs qui dictent les réponses produites par le sujet actant ne sont pas accessibles par un évaluateur ou un observateur et que ces réponses produites ne peuvent être repérables, l’alternative dans ce cas de figure est de faire recours à la verbalisation par le sujet lui-même de ce qu’il considère comme connaissances acquises ou non acquises. Autant un observateur extérieur est à même d’observer et d’évaluer si tel ou tel individu maîtrise ou non tel ou tel comportement, autant il est difficile, voire impossible, à cet observateur extérieur de dire si oui ou non une compétence est réellement maîtrisée car l’exercice de la compétence fait appel à la mobilisation intégrée d’un ensemble approprié de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être dans une situation propre à la compétence mais qui peut être en soi inédite, imprévisible. L’individu en apprentissage est lui-même le mieux placée pour estimer s’il est à même de réaliser cette mobilisation dans toutes les situations (Gérard & Van Lint-Muguerza (op.cit.).
C’est dans ce sens que l’apprenant a été invité à exprimer dans quelle mesure il s’estime lui-même plus ou moins compétent à la fin de son cursus de formation. Dans le cadre cette auto-appréciation, cette deuxième variable nous a renseigné que les apprenants dans leur large majorité estiment que leurs acquis dans ces divers enseignements sont insuffisants voire très insuffisants. En considération de cette appréciation négative des élèves sur leurs propres acquis dans les divers enseignements de spécialité, nous avons pris du recul sur cette assertion car son caractère très subjectif nous parait très hasardeux dès lors qu’il ne nous met pas à l’abri de certains biais susceptibles de donner de la légèreté aux assertions.
Dans la perspective de renforcer la crédibilité de cette assertion, une deuxième articulation s’était imposée pour vérifier s’il existe une cohérence entre ce que l’élève déclare à partir de ses schèmes procéduraux et ce qu’il met en acte à partir de ses schèmes pragmatiques ou opératoires. En effet, pour sortir de ces données déclaratives et empruntes de subjectivités, ce second niveau de recherche de cohérences a porté sur des données écrites (non subjectives) au travers d’un test de performance dans chacune des filières. Ce test de performance nous a fourni des marqueurs qui ont vérifié que les premières données déclaratives sont en cohérence avec les données écrites du point de vue des acquisitions des connaissances. Ce deuxième niveau de croisement qui a mis en lien les conceptions des élèves avec leurs productions écrites pour conforter davantage les assertions sur l’efficacité des dispositifs pédagogiques. En effet, d’un point de vue macroscopique, nous avons soutenu en définitive que la très large majorité des élèves ayant participé à ces tests de performance ont enregistré des résultats de classement inférieur par rapport au classement moyen.
Ces résultats sur les tests de performance ont conforté les premières assertions formulées à partir des deux premières variables lorsqu’elles ont montré que les divers enseignements qui étaient proposés aux élèves étaient peu ou très peu développés et que les acquis générés par ces faibles développements étaient à leurs sens insatisfaisants, voire très insatisfaisants. Ainsi, la deuxième articulation est arrivée à cristalliser le lien de cohérence entre le déclaratif et le faire chez l’élève.
Pour conclure, nous avons retenu que les spécificités caractérisant les dispositifs pédagogiques conçus et mis en œuvre par les enseignants dans leurs domaines de réalité n’ont généré aucune efficacité en regard de ce que les élèves ont appris réellement.
En termes de perspectives, nous nourrissons l’ambition de pousser notre réflexion un peu plus loin en allant observer instrumentalement cette interactivité au sein des classes technologiques et professionnelles du second degré technique d’une part et au sein de l’ENSET d’autre part. En effet, nous voulons nous intéresser aux méthodes et stratégies de l’enseignant car dans la présente étude, nous nous sommes limités à leur singularité, donc à la dimension psycho-cognitive. Ce qui aurait pu donner de la faiblesse aux résultats si nous n’avions pas songé à vérifier le système de cohérence entre d’une part, la subjectivité liée aux perceptions et aux auto-appréciations des élèves et d’autre part, aux productions écrites fournies par les tests finaux considérés ici comme des données observables et donc mesurables objectivement.
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