Comment analyser le développement professionnel des enseignants du secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle au Sénégal ? par Baba Dièye Diagne bddiagne@yahoo.fr

Comment analyser le développement professionnel des enseignants du secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle au Sénégal ?

Comment analyser le développement professionnel des enseignants du secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle au Sénégal ?

Par Baba Dièye Diagne bddiagne@yahoo.fr  Hélène Cheneval-Armand helene.armand@univ-amu.fr Jacques Ginestié jacques.ginestie@univ-amu.fr

Résumé

Le but de cet article est de présenter mon projet de thèse sur le développement des compétences dans la formation des enseignants du point de vue post-formation initiale. L’objectif est de chercher à comprendre comment les enseignants de la filière productique au Sénégal, construisent leur identité professionnelle une fois sur le terrain à partir des distorsions notées entre les prescriptions programmatiques et leurs constructions personnelles. Ce développement professionnel est conçu selon deux perspectives : une perspective développementale et une perspective axée sur la professionnalisation. Une entrée par la didactique professionnelle permet de concilier les deux approches en s’appuyant sur les apports de l’ergonomie, de la didactique des disciplines et de la psychologie du développement.

Mots clés

Développement professionnel, didactique professionnelle, réflexivité, langage, activité

Introduction

Au niveau mondial, notamment dans les pays occidentaux, les évolutions notées dans les systèmes éducatifs sont les effets induits des avancées économiques,  sociales et culturelles dans lesquelles évoluent les enseignants et qui les forcent à s’adapter rapidement à des situations inédites et à faire face à de nouveaux défis. Ces changements ont fait que le travail enseignant est devenu une activité professionnelle de haut niveau, spécialisée et complexe (Lessard et Tardif, 2004).

Au Sénégal, la formation dans le secteur de l’enseignement technique et la formation professionnelle a connu un coup d’arrêt en 1998 avec la fusion de l’ENSETP, de l’École nationale supérieure universitaire de la technologie (ENSUT) et de l’École polytechnique de Thiès (EPT) sous l’appellation de l’École supérieure polytechnique (ESP). En sept ans, les établissements ont connu un déficit majeur en ressources humaines avec le non-remplacement des agents partis à la retraite. Pour faire face à ce déficit, l’État du Sénégal a redonné à l’ENSETP son autonomie et injonction lui a été faite de recruter à partir du niveau bac +2 avec une formation de deux ans. Ainsi, la formation qui était initialement d’un niveau bac +5 est portée à un niveau bac +4 avec un diplôme dénommé Certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire technique et pratique (CAEMTP). D’autres mesures d’accompagnement sont prises avec une nouvelle vague de recrutement de vacataires (bac +2) pour combler le déficit en ressources humaines, ce qui s’est traduit par une forte hétérogénéité du corps professoral, marquée aussi bien par une formation initiale différente que par des motivations différentes dans l’exercice du métier.

C’est dans ce contexte historico-institutionnel particulier avec une différence de formation et de rémunérations variables génératrices de tensions qu’il faudra analyser l’activité des enseignants du secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle au Sénégal et plus particulièrement, ceux de la filière « productique ».

L’état de l’art

Le métier d’enseignant a connu des mutations dues à la nature profondément hétérogène de son public, la montée des exigences sociales à son égard, l’émergence de médias plus opérants dans la transmission d’informations (Blin, 1997). Ces mutations ont introduit dans les systèmes éducatifs des concepts nouveaux tels que professionnalisation, professionnalité et professionnalisme (Ibid.).

Selon Perez-Roux (2012), la notion de professionnalité interroge l’ensemble des compétences professionnelles mobilisées dans l’exercice d’une profession, sous le double point de vue de l’activité et de l’identité (Perez-Roux, 2012). Cette construction de la professionnalité peut-être reliée à la question du développement professionnel nécessitant la prise en compte de stratégies efficaces de mobilisation de différents savoirs, un engagement efficient des enseignants dans leur activité, un apprentissage continu visant une adaptation aux contextes de travail et un partage d’expertise (Uwamariya & Mukamurera, 2005). Pour comprendre ces concepts nous faisons référence à Wittorski (2007, cité par Saujat, 2009) qui fait la différence entre ce qui relève de la professionnalisation et ce qui relève

du développement professionnel. À cet effet, certains auteurs (Paquay, Van Nieuwenhoven & Wouters, 2010) considèrent le développement professionnel comme la construction de compétences et les transformations identitaires dans les situations en cours de carrière. Il s’agit du processus du sujet au travail qui apprend par le travail pour son travail.

Pour caractériser le développement professionnel, les auteurs expliquent sa construction selon trois modèles :

  • L’accroissement d’expertise qui résulterait d’un élargissement du répertoire de compétences qui distinguent cinq niveaux d’expertise (Dreyfus, Dreyfus & Athanasiou, 1986, cités par Paquay , 2010) : le novice, le débutant, le compétent, le performant et l’expert.
  • La carrière professionnelle qui s’inscrit dans une perspective temporelle assez longue ; selon les auteurs, Huberman (1989) a dégagé sept phases d’évolution au long de la carrière (Huberman, 1989, cité par Paquay et , 2010) : exploration, stabilisation, expérimentation, remise en question, sérénité et distance affective, conservatisme et plainte, et finalement désengagement. Nault (2007) pour sa part, a mis en évidence d’autres étapes : la socialisation informelle, la socialisation formelle, l’insertion professionnelle, la socialisation personnalisée et la socialisation de rayonnement. Cependant, ces processus peuvent autant être linéaires que discontinus.
  • Le modèle de « croissance professionnelle » qui met en évidence trois stades de préoccupations majeures des enseignants (Wheeler, 1992, cité par Paquay et al., 2010) : période centrée sur l’enseignant, période centrée sur le contenu et le programme et la période centrée sur les apprentissages individuels des élèves.

Pour Uwamariya et Mukamurera (2005), le développement professionnel est conçu selon deux perspectives : une perspective développementale et une perspective axée sur la professionnalisation. Selon ces auteures, la perspective développementale est tirée de la conception piagétienne du développement psychologique de l’enfant. C’est une vision chronologique et linéaire du développement professionnel au cours duquel l’individu évolue progressivement depuis son enfance jusqu’à la fin de sa carrière. Le développement professionnel serait alors lié à l’expérience professionnelle de l’individu et indépendamment du contexte. La critique principale formulée contre cette perspective développementale est liée à cette conception linéaire du développement professionnel qui n’est pas envisageable dans le contexte actuel de la professionnalisation (Nault, 2007 ; Uwamariya & Mukamurera, 2005). Dans cette dernière perspective, le développement professionnel peut se faire par l’acquisition de nouveaux savoirs, tout comme il peut reposer sur une réflexion sur la pratique aussi bien individuellement que collectivement.

La didactique professionnelle apporte un éclaircissement à ce débat en s’appuyant aussi bien sur les apports de l’ergonomie, de la didactique des disciplines et de la psychologie du développement (Vinatier, 2013). Ceci est rendu possible grâce à Vergnaud qui a poursuivi les travaux de Piaget relatifs au courant de la conceptualisation dans l’action (Pastré, 2007). Selon Pastré (2007), la particularité de ce courant de la conceptualisation dans l’action est d’avoir lié approche développementale et analyse didactique avec l’hypothèse que l’activité humaine est organisée sous forme de schèmes avec comme noyau central les concepts pragmatiques. Vinatier (2012) a inscrit ses travaux dans le même courant avec la particularité que l’activité est analysée d’un point de vue interactionnel en croisement de la théorie de l’activité de Vergnaud et de la théorie linguistique interactionniste de Kerbrat-Orecchioni (Vinatier,  2012).

Les divers modèles de développement professionnel présentés ci-dessus mettent en évidence des transformations identitaires très importantes ; identités, dont celle professionnelle qui serait un réseau d’éléments particuliers des représentations professionnelles, réseau spécifiquement activé en fonction de la situation d’interaction et pour répondre à une visée d’identification/diffé- rentiation avec des groupes sociétaux ou professionnels (Blin, 1997). C’est dire que l’identité professionnelle est à entendre comme une dynamique, un processus contextualisé dans l’interaction de la personne au travail (Blin, 1997) et qui implique la représentation de soi, de sa place, de son rôle (Vinatier, 2012).

Se pose maintenant la question du comment apprend-on pour se développer ? Le modèle du praticien réflexif voudrait que ce processus d’apprentissage se fasse par et pour l’action. Dans cette perspective, Pastré a montré que l’apprentissage dans des situations de confrontation à des problèmes se réalise beaucoup plus au moment de la réflexion sur l’action plutôt qu’au moment du déroulement de l’activité en ce sens que la réflexion est une occasion de reconceptualisation des situations (Pastré, 2005).

Le savoir des enseignants est une connaissance plurielle et correspond aux savoirs que l’enseignant construit, s’approprie et transforme dans et par sa pratique ou lors de son expérience vécue (Tardif et Lessard, 1999).

Il existe diverses typologies au niveau des approches sur les savoirs des enseignants selon les orientations théoriques divergentes. Shulman (1986) distingue les savoirs relatifs au contenu scolaire, les savoirs pédagogiques généraux, les savoirs pédagogiques de la matière d’enseignement, les savoirs relatifs au curriculum, les savoirs relatifs à la connaissance des élèves et de leurs caractéristiques, les savoirs relatifs aux contextes institutionnels et aux caractéristiques culturelles de la communauté, ainsi que les savoirs en rapport avec les finalités, les buts, les valeurs et la philosophie de l’éducation.

Tardif, Lessart et Lahaye (1991) distinguent les savoirs disciplinaires, les savoirs curriculaires, les savoirs de formations professionnelles et les savoirs d’expérience. Cochran-Smith et Lytle (1991) ainsi que Hensler (2004) parlent de trois catégories de savoirs : les savoirs pour la pratique, les savoirs incorporés dans la pratique et les savoirs de la pratique.

Objectif de recherche

Nous cherchons dans cette perspective à comprendre comment les enseignants de productique au Sénégal construisent leur développement professionnel. Le processus de développement en cours peut être identifié à partir de la place jouée par la réflexivité, la capacité que le sujet a à s’écarter des prescriptions, sa capacité à réorganiser ses ressources quand il est confronté à une situation nouvelle (Pastré, Mayen, & Vergnaud, 2006).

Pour atteindre cet objectif nous formulons les questions de recherche suivantes :

  • Comment ces enseignants développent-ils leur identité professionnelle ?
  • Comment et en quoi les tensions qui subsistent entre les prescriptions et les constructions personnelles influencent-elles leur identité professionnelle ?
  • Pour répondre à ces questions nous prônons une démarche méthodologique qui s’adosse à l’analyse de l’activité des

Le cadre théorique

Les limites épistémologiques soulignées à propos de la connaissance de l’agir ont conduit à divers champs à considérer la parole comme une voie permettant d’accéder à l’agir humain au-delà de sa facette observable. En analyse du travail, la parole est considérée en effet comme le moyen privilégié d’accéder au travail réel, de l’appréhender dans sa complexité et dans ses dimensions cachées (Plazaola Giger & Stroumza, 2007).

La recherche que je veux mener adopte les postulats théoriques de la clinique de l’activité (Clot & Faita, 2011). Ces postulats permettent d’envisager le développement professionnel, au travers du concept d’activité, le langage comme instrument dynamique qui permet la démarche réflexive dans le cas de l’activité professionnelle des enseignants (Piot, 2012).

Le langage communicationnel joue le rôle de vecteur dans la genèse et dans le développement des compétences professionnelles des enseignants où les interactions humaines ont une place centrale. En effet, selon Vygotski (Vygotski & Piaget, 1997), le langage est la forme externalisée de la pensée comme la pensée est la forme intériorisée du langage. Cette double rétroaction permet de comprendre comment le langage assure l’interaction dynamique entre action et cognition et fonde la réflexivité. Le langage, dans son orientation externe, se trouve au cœur de l’activité productive de l’enseignant qui est complémentaire à l’activité constructive dans son orientation interne aux fins d’un développement personnel et professionnel. Ce processus d’instrumentation du langage intériorisé, inféré des analyses de l’activité a posteriori, permet l’élaboration de schèmes ou l’enrichissement de schèmes selon que l’enseignant est novice ou chevronné (Vergnaud, 2007).

En didactique professionnelle, l’analyse du travail répond à un double objectif : construire des contenus de formation correspondant à la situation professionnelle de référence ; mais aussi utiliser les situations de travail comme des supports pour la formation des compétences (Pastré, 2002). En effet, Barbier et Durand (Barbier & Durand, 2003 ; Barbier & Durand, 2003, cités par Paquay, 2012) postulent que l’analyse des activités professionnelles n’est pas seulement utilisée dans une perspective de recherche mais est également utilisée dans une perspective de formation du fait qu’elle favorise la prise de conscience par la verbalisation dans un contexte social. L’analyse de l’activité s’intéresse à la fois à ce que le professeur fait avec ses élèves dans le but de faire, de comprendre ou d’apprendre, mais elle s’intéresse aussi à l’effet du travail sur le professeur lui-même (Amigues, 2003). C’est un dispositif qui cherche à comprendre et à transformer l’activité pour la développer (Wittorski, 2007).

C’est ainsi que des méthodes indirectes d’accès à l’agir ont été développées : entretiens, auto-confrontations simples ou croisées, instruction au sosie, récits, qui toutes mobilisent en un moment ou à un autre le langage (Plazaola Giger & Stroumza, 2007). Chacune de ces formes a ses propres caractéristiques, mais toutes ont bien pour but de faire accéder le chercheur à quelque chose qu’il ne voit pas, qui ne se voit pas (Ibid.).

La méthodologie

Pour comprendre comment les enseignants se développent durant leur carrière professionnelle, nous voulons mettre en place une nouvelle démarche qui consistera dans un premier temps à nous entretenir individuellement avec les sujets composés d’un échantillon de dix personnes qui seront choisies sur plusieurs sites pour revivre avec eux leur parcours depuis le début de leur prise de fonctions. L’objectif de cet entretien est de connaître s’ils ont eu à faire de la formation continue, le type de la formation initiale reçue, comment ils préparent leurs cours (individuellement ou collectivement), les modèles pédagogiques de référence utilisés en classe, etc. Dans un deuxième temps, chaque sujet fera l’objet d’un enregistrement audiovisuel lors d’une séquence d’enseignement-apprentissage. L’auto-confron- tation permettra par la suite d’avoir de nouvelles situations dans lesquelles les sujets revivent, dans un contexte renouvelé, des expériences à partir desquelles ils peuvent reprendre l’initiative à un autre niveau. Un triple développement peut ainsi être initié : de la situation revécue à travers la confrontation du sujet au film de ses actions antérieures, de l’objet de son activité, du sujet lui-même mis en présence de ses propres choix et compromis antérieurs (Faita & Maggi, 2007).

La transcription des données audiovisuelles et celles audio tirées des entretiens d’auto-confrontation nous fourniront des corpus qui seront comparés à une analyse de la tâche préalablement effectuée à partir des prescriptions programmatiques. Un croisement des données issues du premier entretien avec celles issues des séquences audiovisuelles et des auto-confrontations nous permettront de faire une analyse aussi bien qualitative que quantitative.

Résultats attendus

Le principal résultat attendu dans cette thèse est de montrer qu’il est possible de comprendre comment les enseignants se développent dans cette nouvelle approche sans qu’on ait besoin de les suivre sur une longue période. Ces résultats devraient fournir des pistes pour penser des dispositifs de formation des futurs enseignants et ainsi permettre la construction de la professionnalité.

Conclusion

L’enseignement est et restera l’un des secteurs clé qui doivent faire avancer une nation. Il est donc important de s’intéresser aux différents acteurs qui composent ce système et plus particulièrement les enseignants qui occupent une place centrale au niveau de ce dispositif. Analyser la professionnalité enseignante pour appréhender leur développement professionnel est un problème crucial dans les systèmes éducatifs. Certes la formation initiale est très importante dans la construction des connaissances à enseigner et pour enseigner, mais comme le soutient Novoa (Novoa, 2005), on peut dire que la période cruciale de la professionnalisation de l’enseignant n’a pas lieu au cours de l’apprentissage formel, mais pendant l’exercice de son métier.

Bibliographie

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