Abstract
To give the possibility to each girl and each boy to reach education then a vocational training, which will enable him to learn a job – that he or she will exert to ensure the subsistence of his family – is still not a social reality shared on our planet. One could think that the countries of north are more respectful of this principle than the countries of the south, not for reasons morals, nuns or philosophical but because of their economies. However, it of it is nothing and article 1 of the declaration of the human rights – All the men are born free and equal in right and in duty – still concerns the social Utopia. So that this utopia becomes reality, one need very strong political wills to make evolve our social structures themselves and it will not be enough to change our schools. In this process, there are many changes, which will have to be operated, in the north as well in the south, and in that, the school must evolve but its evolution is also a factor of change of our companies.
Education remains a powerful engine of changes and evolutions. Because the equal opportunity asks the question of the access to a world righter and thus that of social justice, this question is fundamental in our designs of our education systems. Indeed, that this equal opportunity means? An equality of opportunity for each one and each one to reach the formation of its choice? An equal treatment of each child who has to profit from the same conditions of study? This presentation aims at examining some of the tracks posed by these two meanings and to analyse the possible ones in the articulation education technological for all the children, vocational training for each adult teenager or young.
Introduction
Ce troisième colloque du RAIFFET s’inscrit dans la perspective particulière de la réponse que nous pouvons apporter aux objectifs de développement pour le millénaire fixés il y a un peu plus de dix ans par l’ONU et ceux qui découlent de l’accès à une éducation pour tous comme base incontournable de développement de l’humanité posés par l’UNESCO. Il s’inscrit dans contexte de crise financière, économique et politique sans précédent, alors que notre attention se focalise sur l’accroissement de la pauvreté touchant des pans de population de plus en plus importantes et cela dans tous les pays, au nord comme au sud et pas seulement dans les couches les plus défavorisées. Plus que jamais, nous voilà confronté à cette une question de fond : comment assurer l’égalité des chances pour nos enfants ? Comment assurer cette égalité dans un monde qui voit s’accroitre les différences entre couches sociales, où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ; dans un monde qui voit se tendre les mécanismes de solidarités, alors que les transferts nord-sud s’inscrivent massivement dans des logiques de dominations technologiques et de guerres économiques ?
Voilà six ans, lors du colloque de Libreville, nous posions la question du lien entre éducation et formation comme vecteur du développement durable pour les pays. Nous indiquions, de manière quasi-prémonitoire que les éducations générales ne pouvaient faire l’économie d’un ancrage fort sur des débouchés dans des formations professionnelles organisées et structurées qui étaient les seules susceptibles de promouvoir l’accès à des emplois qualifiés pour chaque jeune. Nous construisions ainsi un lien explicite entre la citoyenneté et l’acquisition d’une qualification professionnelle socialement reconnue.
En effet, il nous semblait important, à nous, professionnels et chercheurs dans ces domaines de l’éducation technologique et de la formation professionnelle, d’affirmer que tous nos travaux, relayés par de nombreux autres ; que la citoyenneté ne pouvait être pleine et entière sans donner à ces citoyens les moyens de sa propre subsistance grâce aux fruits de son travail. De très nombreux exemples illustrent cela, parfois de manière particulièrement dramatique. Il ne s’agit certainement pas d’une condition suffisante mais il s’agit sûrement d’une condition nécessaire.
Ce lien nous semblait suffisamment explicite pour que nous nous intéressions, trois plus tard à Tunis, à ce lien entre éducation et formation dans une perspective de lutte contre la pauvreté. Pouvoir vivre des revenus de son travail est une aspiration légitime pour chacune et chacun. Exercer un métier reconnu, valorisé socialement et rémunérateur est une condition pour sortir de la misère. À cette époque, les grands organismes prenaient la mesure de ce lien et intégraient tous ces relations entre ce qui devenait les objectifs de l’éducation pour tous (EPT) et ceux de l’éducation et de la formation technologique et professionnelle (EFTP). Bien évidemment, comment concevoir une éducation générale pour tous qui ne donne accès qu’à la maitrise des compétences et des connaissances de base (lire, écrire, compter) sans se préoccuper du devenir socioprofessionnel de chacun de ces jeunes ? Comment par ailleurs imaginer des organisations de formation professionnelle qui ne s’appuient pas sur des bases de connaissances solidement maitrisées à l’issue d’un cursus d’enseignement général ? L’articulation enseignement primaire d’une éducation pour tous vers une formation professionnelle pour chacun est un des enjeux majeurs de ce XXIème siècle.
Or, ce que nous constations, c’est également que l’accès à l’EFTP était encore plus contraint que celui à l’EPT. Les discriminations sociales, linguistiques, culturelles, économiques, politiques, sexuelles… interdisent l’accès à l’école à de nombreux enfants ou les relèguent dans des systèmes scolaires de mauvaise qualité, sans perspective d’avenir, sans possibilité de valorisation sociale. De fait, il ne suffit pas de dire que nos objectifs visent une égalité de traitement – l’accès à l’école apprécié d’un seul point de vue quantitatif n’est pas suffisant – encore faut-il que cette école soit de qualité, encadrée par des enseignants bien formés et compétents, qui partagent la conviction que chaque enfant a droit à ce qu’il y a de mieux pour lui permettre de réussir dans ses ambitions et ses projets. Les processus de sélection, les modes d’organisation des situations scolaires, les compétences des enseignants, les moyens et les ressources à disposition… sont autant de facteurs de discrimination qui conduisent intrinsèquement à l’exclusion scolaire et aux inégalités de traitement.
Il était donc logique que le troisième colloque du RAIFFET pose la question de l’égalité des chances. L’ouverture de nos travaux suppose de poser quelques-unes des questions que nous aurons à traiter dans nos différents ateliers et conférences.
La technique, un rapport social…
S’interroger sur l’égalité des chances suppose de s’intéresser aux inégalités, à leur cause profonde, aux formes qu’elles prennent et aux moyens de lutter contre. Ce texte introductif tente d’organiser quelques-uns des éléments de réflexion que nous souhaitons discuter ici. Comme toujours, nous plaçons nos débats dans un cadre extrêmement contraint, l’éducation technologique et la formation professionnelle. Rappelons-nous nos précédents travaux dans lesquels nous établissions qu’une formation professionnelle de qualité ne peut se construire sans une relation étroite à des bases d’éducation technologiques qui permettent à chaque enfant de construire son rapport au monde de la technique. Nous ne reviendrons pas sur ces liens fondamentaux si ce n’est en les construisant d’une autre manière, dans une autre dynamique.
Notre rapport à la technique est un rapport social construit qui s’inscrit dans un patrimoine social de connaissances que nous partageons… plus ou moins. En effet, si nous revenons vers cette notion chère aux anthropologues, il y a dans la construction de nos savoirs des enjeux de pouvoir qui permettent à chaque groupe social constitué, à chaque individu socialement intégré d’exercer son pouvoir par l’intermédiaire de ces savoirs qu’il maitrise. L’école est le champ privilégié de l’accès aux savoirs socialement constitués ; les enjeux de transmission de savoirs dans l’institution scolaire sont avant tout des enjeux de pouvoir.
Bien évidemment, il s’agit du pouvoir d’agir que le savoir confère à celui qui le maitrise. Ainsi lorsque l’enfant sait faire de la bicyclette – et avancer dans un équilibre dynamique qu’il crée en coordonnant le mouvement de pédalage qui lui assure le mouvement et le contrôle de la direction en agissant sur le guidon – sans l’assistance d’un adulte ou de petites roues, il marque ainsi un accroissement de son pouvoir d’agir dans et sur son environnement. Il se distingue ainsi de la communauté des enfants qui ne savent pas faire de la bicyclette et se sent appartenir à cette autre communauté de ceux qui savent.
Dans certaines sociétés, par exemple en Hollande, l’usage de la bicyclette est parfaitement banalisé dans la population et il est ainsi nécessaire de savoir très vite faire de la bicyclette pour se sentir pleinement membre de cette communauté. Pour autant, l’apprentissage de l’usage de la bicyclette n’est jamais rentrée à l’école et ne constitue pas une discipline scolaire pour autant qui supposerait son étude même si tous les hollandais la pratique au même titre qu’ils partagent leur langue nationale, le néerlandais, et des tas d’autres savoirs.
De fait, l’institution scolaire de certaines catégories de savoirs relève de ce processus complexe de la systématisation de la transmission de savoirs que l’on ne pense pas transmissible par d’autres groupes sociaux tels que les parents, la famille ou encore la communauté religieuse, culturelle ou ethnique. Il y a ainsi une mise en tension brutale entre les savoirs scolairement éligibles et ceux qui relèvent d’autres formes d’institutions sociales. Le partage des savoirs dans une école pose le principe d’un partage entre tous ; l’école ne repose pas sur un apriori de sélection dans la transmission puisque tous ceux qui fréquentent l’école ont les mêmes chances d’accès aux mêmes savoirs.
De fait, en instituant les écoles, nous avons institué le principe fondamental du partage des savoirs et donc du partage du pouvoir. Il y a dans ces questions la construction de rapports sociaux différemment construits qui organisent le monde avec l’idée de la liberté d’accès à l’ensemble du patrimoine des connaissances. Toutes les écoles portent cet espoir et il n’est pas hasardeux que ce sont les démocraties qui ont fait progresser cette idée d’école pour tous. C’est parce que les savoirs sont librement accessibles qu’ils deviennent ainsi totalement partagés et donc qu’ils conduisent à un partage du pouvoir. Toutes nos sociétés portent dans leurs histoires des pages noires de dictatures et l’on constate systématiquement une régression des principes de l’éducation pour tous sous ces régimes. C’est même très souvent parmi les premières choses qui sont attaquées et mises au pas de manière souvent très brutale. Il n’est pas plus étonnant que les débats sur l’éducation et l’école soit toujours des débats passionnés, à forte teneur idéologique et qui confrontent de nombreuses opinions.
Il est tout aussi évident que la maitrise d’un savoir dès lors qu’elle donne un pouvoir n’incite pas spontanément au partage et à l’échange. Ainsi, la maitrise des savoirs est souvent à l’origine des confréries et dans de nombreux cas la transmission traditionnelle des savoirs s’appuyaient sur des rites initiatiques qui faisaient entrer l’apprenti dans la communauté. Il est clair qu’en ce cas, il n’y a pas massification de cet accès, tout comme la valorisation sociale de certains savoirs organise des hiérarchies sociales qui, dans leur forme moderne, recouvre la division sociale du travail. En ce sens, il y a une mise en tension permanente entre la conservation des savoirs – leur non-diffusion – pour conserver le pouvoir social qu’ils donnent et la nécessaire transmission ne serait-ce que pour assurer les passages intergénérationnels. La tradition, l’art, les tours de main, le métier, autant de termes qui définissent cet ensemble de savoirs qui permet d’agir sur son environnement et que l’artisan, le professionnel, l’expert va essayer de garder par devers soi, pour les négocier et en tirer profits. D’une manière un peu sommaire, nous avons là une description qui permet d’entendre les enjeux plutôt modernes de nos rapports sociaux et de la répartition sociale des rôles que nous sommes amenés à y jouer.
Ainsi, toutes les démocraties avancent avec cet idéal de l’égalité de chacune et de chacun dans nos sociétés modernes. L’article 1 de la déclaration universelle des droits de l’homme dit que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit et en devoir ». Mais le chemin est long pour transformer ce grand principe en réalité quotidienne. Nos écoles se sont transformées pour contribuer à cette instauration mais nos histoires sont peuplées des fantômes des libertés qui pensaient que si tous les hommes naissaient libres et égaux alors eux-mêmes étaient libres et égaux. Nos bibliothèques universitaires sont remplies de savants ouvrages qui discourent de la distance entre le principe et la réalité que nous construisons patiemment, à force d’avancées, d’échecs, de reculs, d’espoirs… L’école est nécessairement le creuset des égalités que nous souhaitons construire pour la société de nos enfants, pour qu’ils puissent vivre dans un monde où chacun trouvera sa place.
Pour autant, les raisons de discriminations ne manquent pas, qui fondent simultanément la propriété et l’égalité. Pendant très longtemps, les religions dominantes, puis quelques prétendues théories scientifiques nous ont expliqué que l’égalité ne pouvait être absolue ni parfaite. Que les femmes par exemple ne pouvaient être les égaux des hommes puisqu’elles n’en avaient ni la force, ni l’endurance, ni l’intelligence. Que les jeunes ne pouvaient être les égaux des vieux puisqu’ils n’en avaient ni la sagesse, ni l’expérience, ni la connaissance. Que les gens de couleur ne pouvaient être les égaux des blancs puisqu’ils n’en avaient ni la culture, ni la science, ni la technique… Nous pourrions continuer la longue liste des différences. Sans doute, devons-nous nous rappeler ce que disait par exemple ce trésor de l’humanité qu’était Léopold Sedar Senghor, lorsqu’il comparait cette notion de couleur entre sa couleur noire, sa négritude, et le blanc qui devient rouge au soleil, jaune avec la maladie, bleue avec la peur…
Nous avons appris avec les technologies de communication, avec celles qui nous permettent de nous déplacer que la terre est un petit village, peuplée de toutes nos différences, de toutes nos richesses, de tous nos espoirs, de toute nos humanités. Nous voilà revenu à notre paradigme de départ entre partager et posséder, avec comme principe fondateur de nos écoles, cette idée simple permettre à chacune et à chacun, quel que soit son genre, son âge, sa couleur de peau, son appartenance religieuse, sa communauté culturelle… d’accéder à l’ensemble des savoirs sociaux que nous construisons patiemment.
École, élitisme et échec…
Reprenons le fil de nos réflexions dans le cadre de ce colloque du RAIFFET : éducation technologique, formation professionnelle et égalité des chances. Le thème est suffisamment d’importance pour qu’on le retrouve dans la plupart des grands programmes développés par les grandes institutions internationales comme l’Unesco, l’ONU, l’Union Africaine, l’AUF… Prenons par exemple la cible b de l’objectif 1 des OMD de l’ONU qui vise à assurer le plein- emploi et la possibilité pour chacun, y compris les femmes et les jeunes, de trouver un travail décent et productif. Comme le disait l’humoriste français Coluche, il y en a qui sont plus égaux que d’autres à la naissance. Tous nos indicateurs montrent que le plein emploi est loin d’être d’une réalité pour tous les hommes de ce village terre et, par exemple, toutes les statistiques indiquent qu’en France cet emploi est pratiquement inaccessible dès lors que l’on est une jeune femme de couleur sans diplôme. Il nous faut des Hautes Autorités de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité pour, lorsque cela devient trop flagrant, dire simplement le droit, tous les hommes naissent…
Les discriminations à l’emploi sont une réalité sociale que les travailleurs immigrés connaissent bien, quel que soit le pays d’où ils partent et le pays où ils vont. Par exemple, notre système français de sélection dans les études de médecine est tellement rigoureux que nous ne formons pas assez de médecins, notamment de médecins hospitaliers. Qu’à cela ne tienne, il suffit de mettre en place une « immigration choisie » pour faire venir des médecins de pays du sud, de préférence francophones pour qu’ils pallient à ces déficits, nous inventons même un statut particulier pour cela qui permet de leur verser un salaire inférieur à celui que touche leurs collègues français et nous nous lamentons sur le déficit chronique de médecins dans les pays africains… Nous avons là un bel exemple de l’organisation ordinaire d’une sélection sociale qui est antinomique avec l’idée même d’égalité des chances. Il ne faut pas pousser beaucoup pour se rendre compte que les étudiants qui font des études de médecine, en France ou ailleurs, sont pratiquement tous issus des mêmes classes sociales et qu’au final, la répartition dans les différentes spécialités va respecter cette répartition.
L’école française, et pour cause de colonisation, beaucoup d’écoles de nos pays francophones, sont structurées selon ce grand principe de sélection par la connaissance. Au départ, l’idée était bien de substituer à la sélection par la naissance, une sélection par la connaissance. La structure de nos systèmes scolaires porte ces orientations. Sauf que de nombreux travaux de sociologues, depuis de nombreuses années, montrent tous que notre école est profondément inégalitaire – les chances de réussite sont toutes directement corrélées à la situation socioprofessionnelle des parents et à leurs origines sociales, culturelles, ethniques – et que ces inégalités s’accroissent depuis une dizaine d’années. L’organisation de nos systèmes confond excellence avec sélection. Pour la France, les enquêtes PISA nous ont révélé ces inégalités, le fait qu’elles se creusaient mais également que notre école n’était pas le lieu d’excellence que nous croyions. Dans le concert des nations dites développées, nous nous situons dans le milieu du classement, dans la catégorie des « peut mieux faire ». De fait, la question de la sélection scolaire semble indubitablement liée à celle de l’orientation scolaire des enfants. Sans revenir sur l’exemple de la formation des médecins en France, nous sommes tous confrontés à cette recherche un peu chimérique d’une sorte d’adaptation formation-emploi. Dans le meilleur des mondes, une société de plein-emploi offre un emploi à chacun de ses jeunes qui sortent de l’école et le choix individuel de chacune et chacun correspond de manière rigoureuse à l’offre des emplois dans leur diversité de niveaux et de nature des qualifications. Il est ainsi clair que leurs choix individuels les ont conduits dans la formation qu’ils ont choisie pour acquérir les qualifications qu’ils souhaitent.
Dans notre monde réel, ce n’est pas comme cela que ça fonctionne. Certes, la connaissance du marché de l’emploi, de son évolution et de l’évolution des systèmes de qualification est un préalable incontournable pour penser les organisations de formation mais les prévisions économiques, sociales, politiques ne relèvent pas des sciences exactes. D’autant plus que certains choix sont particulièrement engageants dès lors qu’ils nécessitent des infrastructures (construction d’établissements scolaires ou de centres de formation), des investissements, des personnels qualifiés… Ainsi, se définissent les capacités d’accueil dans des formations dont les évolutions ne pourront pas se faire simplement et facilement. L’engagement dans des équipements conduit généralement à définir les flux d’élèves ou d’étudiants vers une voie et cela ne se fait pas toujours simplement et seulement en fonction de l’expression des besoins du secteur professionnel choisi. L’articulation entre spécifique et générique est un moyen de rendre plus polyvalente une formation au risque de limiter les compétences des étudiants qui vont manquer de formations spécifiques.
L’implication des entreprises dans les formations permet d’organiser la continuité entre générique et spécifique en structurant la continuité des apprentissages pour les élèves. Différentes formes se développent un peu partout dans le monde, entre formation duale, par alternance ou en apprentissage et l’on voit bien tous les enjeux de l’un ou l’autre de ces choix. La question des coûts de formation et surtout de qui paie n’est pas une question mineure. Deux modèles généraux s’opposent en matière d’éducation générale. La tradition française fait porter à l’État la responsabilité de l’éducation et donc par conséquence son coût est supporté par le budget de l’état, c’est-à-dire par les contribuables. Ainsi, l’ensemble de la population contribue à la prise en charge des coûts de l’éducation de tous les enfants. Il y a là un principe fort de liberté d’accès dès lors que le coût de la scolarité n’est pas une charge pour les familles. Dans les pays de culture anglo-saxonne, ce sont les parents qui supportent les coûts d’éducation des enfants ; des dispositifs d’aides et de bourses permettent d’aider les familles fragiles à couvrir les frais d’inscription dans l’école, le collège, le lycée, l’université. Dans ce système, chacun s’occupe de ses enfants et ce sont des systèmes d’aides sociales (voire de fondations charismatiques) qui subviennent aux besoins des enfants dont les parents ne peuvent prendre en charge ces coûts. Dans les deux cas, les études coûtent chers pour les familles et constituent un critère de discrimination particulièrement fort. Donner la possibilité à un jeune de suivre telle ou telle formation supposerait de trouver un modèle économique stable pour en supporter les coûts.
Obligation de scolarisation et accès à l’école
Le niveau socio-économique des parents a une incidence directe sur les choix. Ainsi, par exemple, l’accès aux TIC ne revêt pas les mêmes dimensions pour un enfant qui grandit dans une famille qui est consommatrice de TIC en regard d’une qui n’aurait pas accès à ces technologies. Dans le département des Bouches-du-Rhône, le conseil général a décidé de fournir un ordinateur portable à chaque nouveau collégien afin de lutter contre la fracture numérique. Au travers de cette expérimentation, on voit bien le souci qu’il y a à penser des organisations qui permettent de mettre tous les enfants dans les mêmes conditions. L’accès à l’école n’est pas simplement une question de garantir une possibilité de présence physique ; il s’agit de construire les possibles sociaux et culturels qui vont rendre l’école « fréquentable ».
L’obligation de scolarisation permet de s’assurer que toute la population scolarisable est à même de la fréquenter. Il s’agit d’une forme d’incantation : « va à l’école, c’est pour ton bien ». De nombreuses études montrent les limites de la scolarisation obligatoire notamment en ce que cette obligation génère de violence et de tensions. Or, un aussi grand nombre de travaux montrent la nécessité d’engagement pour permettre les apprentissages ; contrairement à une idée reçue, on n’apprend pas ou on apprend mal sous la contrainte. Concevoir des situations pédagogiques efficaces du point de vue des apprentissages suppose des compétences professionnelles que de nombreux enseignants ne maitrisent pas. Il ne suffit pas de maitriser les savoirs académiques de sa discipline pour être spontanément doué d’une pédagogie intuitive efficace. Enseigner est un métier qui s’apprend, comme tous les autres métiers ; il suppose d’articuler la maitrise des savoirs disciplinaire, la maitrise de l’enseignement de ces savoirs et la maitrise du rôle d’enseignant dans le système éducatif. Faute d’une réelle formation qui permet d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour atteindre de tels niveaux de maitrise, les enseignants ou les formateurs reproduisent des organisations qu’ils pensent bonnes pour leurs élèves parce qu’elles leur paraissent bonnes pour eux. La formation des enseignants à un niveau de qualification permettrait de sortir de l’inégalité des chances qui dépend de l’enseignant qui fait classe.
Cette interaction enseignant, savoir, élève constitue le niveau élémentaire de l’école, ce lieux qui n’existe que parce qu’une institution politique décide qu’un enseignant va être chargé d’enseigner des savoirs socialement constitués à des élèves qui sont réunis pour les apprendre. Ces organisations pour être élémentaires n’en sont pas moins complexes, notamment dans les réseaux d’interactions qui se développent entre ces trois pôles. La compréhension de ces interactions permet de penser l’efficacité des situations proposées par l’enseignant et qui doivent supporter le processus d’enseignement-apprentissage qui se développe de fait dès lors que la situation existe. Il s’agit dès lors d’essayer de trouver les invariants dans les situations qui permettent de s’assurer que tous les élèves arrivent à réaliser la tâche qui leur est confié et qu’ils ont ainsi construit des savoirs. Ces travaux ont une portée sur la formation des enseignants afin qu’ils intègrent les connaissances et les compétences que cela requiert de leur part. Loin des pédagogies toutes faites qui s’attachent plus aux rituels scolaires qu’à l’efficacité des processus d’enseignement- apprentissage, il s’agit de promouvoir le rôle d’enseignant qui ne relève pas d’un petit métier d’exécutant.
Promouvoir l’égalité des chances ne peut définitivement pas s’entendre hors de la promotion de l’égalité d’accès aux savoirs. Nous venons de le voir, les conditions d’accès aux savoirs, qu’il s’agisse des conditions matérielles ou des organisations pédagogiques mises en œuvre, constituent une part non négligeable des conditions nécessaires pour garantir l’égalité des chances. Pour autant, il serait illusoire de penser que les inégalités pourraient se réduire à ces dimensions matérielles ou pédagogiques.
Les représentations des enseignants, et plus généralement de l’école, sur les différences et leur valorisation – ou leur dévalorisation – sociales influent sur leurs rapports aux élèves qui portent ces différences. Leur attitude face à la différence de l’autre va être modelé par ces représentations et influer sur les stratégies d’enseignement qu’ils vont mettre en œuvre. Il est clair que seule la formation là aussi permet de mettre des mots sur ces rapports et d’organiser des stratégies adaptées aux situations qui ne relèvent pas des réactions émotionnelles spontanées. La professionnalité enseignante prend ainsi une dimension particulière en indiquant ainsi que pour promouvoir l’égalité des chances, il faut former les enseignants afin qu’ils permettent à chacun de saisir sa chance. L’hétérogénéité des différences entre les élèves n’est pas uniforme dans toutes les classes et les situations qui en découlent sont toutes plus ou moins difficiles à traiter. De fait, la promotion de l’égalité des chances suppose une inégalité de moyens et d’attention ; il s’agit de mettre plus de moyens ou de concentrer plus d’attentions sur les élèves, les classes, les écoles qui en ont le plus besoin et non pas de répartir de manière égalitaire les moyens ou l’attention. En Afrique, mais pas seulement là, on constate que cette répartition est souvent inversée et il y a beaucoup moins de moyens dans les écoles qui ont les plus gros besoins éducatifs.
De l’évaluation à l’égalité des chances…
La question de l’évaluation est particulièrement prégnante, notamment dans nos systèmes francophones. L’organisation pyramidale de nos sociétés tend à être reproduite par nos structures scolaires. La sélection par la connaissance s’organise progressivement depuis les premières années de l’école primaire. Elle est renforcée dès lors que nous établissons des correspondances fortes entre les niveaux d’étude, les diplômes délivrés et leur équivalent en termes de qualification. De fait, ces systèmes sont des systèmes de sélection par l’échec qui instituent des organisations très particulières des savoirs. Il n’est bien sûr pas question d’imaginer une société idéale qui n’existe pas (certains ajouteraient pas encore) dans laquelle il n’y aurait aucune forme de sélection sociale. Toutefois, il convient certainement de reposer la question des visées fondamentales de l’école dans ses différentes phases. Il n’est pas normal par exemple que les performances scolaires de l’apprentissage de la lecture servent de critère de sélection pour savoir, parmi les enfants de six ans, ceux qui vont continuer et ceux qui vont redoubler. Si savoir lire est un impératif social pour tous les enfants, alors tous les enfants doivent y arriver à la fin de la première année de primaire et l’on doit mettre les moyens qu’il faut pour permettre à tous de réussir. Or, il y a dans nos systèmes contradiction entre cette exigence sociale – tous les enfants doivent savoir lire à la fin de la première année – et le mécanisme de sélection des élèves qui consiste à exclure ceux qui n’y arrivent pas. Changer cela suppose de changer d’approche, de méthodes, de contenus, d’organisations. Il est clair que dans une perspective de réduction des coûts, il n’est pas certain que l’on puisse développer ou généraliser d’autres approches. L’égalité des chances, c’est probablement de renforcer l’éducation pour tous en attribuant plus de moyens à ceux qui en ont le plus besoin.
De la même manière, ce mécanisme est à l’œuvre pour faire entrer dans les organisations scolaires les instruments de sélection qui vont rendre la discrimination scolaire effective. Les représentations, par exemple, sur le « genre approprié » pour occuper un emploi ont la peau dure. D’une part, l’organisation de la voie générale comme ascenseur (on parlait même d’ascenseur social) et de la voie technologique ou professionnelle comme voie conduisant à la vie professionnelle marque la prééminence des savoirs académiques abstraits sur les autres formes de savoir, comme en atteste la hiérarchisation des disciplines scolaires. En ce sens, un élève est orienté vers une voie professionnelle dès qu’il échoue dans son parcours dans l’enseignement général. L’enseignement général est considéré comme la « voie royale » alors que l’enseignement ou la formation technologique ou professionnelle sont des voies qui consacrent l’échec en amenant les élèves à quitter l’école. D’autre part, les choix d’orientation potentielle sont extrêmement contraints et, dans de nombreux cas, notamment pour les bas niveaux de qualification, les possibilités sont particulièrement réduites. Ainsi, l’acceptabilité culturelle et sociale va conduire à ce que cette orientation soit socialement, culturellement, sexuellement conforme. Les orienteurs (professionnels ou enseignants) vont expliquer à la jeune fille qu’elle ne va pas pouvoir choisir cette voie car le métier qui est en vue est un « métier d’homme » (ou vice-versa). Changer cela est particulièrement long et périlleux.
Dernier point et je conclurai sur celui-là, l’égalité des chances, c’est également la chance de pouvoir suivre une scolarité et de pouvoir fréquenter une école. De nombreux travaux montrent comment ces mécanismes d’exclusion scolaire frappent les femmes ou les individus de certaines minorités. On retrouve généralement tous les mécanismes de discrimination que nous évoquions plus haut. Il est clair que le seul moyen de lutter contre cela est bien évidemment le renforcement des pouvoirs publics qui doivent imposer la scolarisation de tous les enfants. Il y a ainsi un jeu d’aller-retour entre l’état et le groupe social concerné afin de permettre à tous leurs enfants de fréquenter l’école et d’être éduquer. Le seul fait que cette éducation puisse échapper à la tradition communautaire est un moteur puissant pour empêcher dans certains pays d’aller à l’école les petites filles, les enfants issus des minorités visibles, voire les enfants qui ont des besoins particuliers du fait de leurs handicaps.
Le développement de sociétés plus justes socialement, économiquement, culturellement, sexuellement est un enjeu essentiel qui conditionne 2030nos avenirs, c’est-à-dire le monde que nous préparons pour nos enfants. Les communications proposées sont suffisamment ouvertes à l’ensemble des questions que j’ai posé dans cette introduction pour que nous soyons assurés que cette troisième édition du colloque du RAIFFET sera un évènement majeur dans le développement de l’éducation technologique et de la formation professionnelle en Afrique ; évènement qui contribuera à écrire l’histoire de l’éducation en général.
Résumé
Donner la possibilité à chacune et chacun d’accéder à l’éducation puis à une formation professionnelle qui va lui permettre d’apprendre un métier, qu’il ou qu’elle exercera pour assurer la subsistance de sa famille n’est toujours pas une réalité sociale partagée sur notre planète. On pourrait penser que les pays du nord sont plus respectueux de ce principe que les pays du sud, non point pour des raisons morales, religieuses ou philosophiques mais en raison de leurs économies. Or, il n’en est rien et l’article 1 de la déclaration des droits de l’homme – Tous les hommes naissent libres et égaux en droit et en devoir – relève encore de l’utopie sociale. Pour que cette utopie devienne réalité, il faut des volontés politiques très fortes pour faire évoluer nos structures sociales elles-mêmes et il ne suffira pas de changer nos écoles. Dans ce processus, il y a de nombreux changements qui vont devoir être opérés, au nord comme au sud, et en cela, l’école doit évoluer mais son évolution est également un facteur de changement de nos sociétés. L’éducation reste un puissant moteur de changements et d’évolutions. Parce que l’égalité des chances pose la question de l’accès à un monde plus juste et donc celle de la justice sociale, cette question est fondamentale dans nos conceptions de nos systèmes éducatifs. En effet, que signifie cette égalité des chances ? Une égalité d’opportunité pour chacune et chacun d’accéder à la formation de son choix ? Une égalité de traitement de chaque enfant qui doit bénéficier des mêmes conditions d’études ? Cette présentation vise à examiner quelques-unes des pistes posées par ces deux acceptions et d’analyser les possibles dans l’articulation éducation technologique pour tous les enfants, formation professionnelle pour chaque adolescent ou jeune adulte.
La prise en compte de l’égalité des chances par les pays et les institutions
Depuis deux siècles et demi, les discours sur « l’égalité des chances » se sont multipliés. Peut- on raisonnablement espérer que les faits assument un jour cette notion ? Est-elle assez justement définie pour ne pas rester seulement un idéal symbolique ? Les domaines visés par cette quête de l’égalité des chances ont varié : selon les époques, il a pu s’agir de réduire, ou bien d’harmoniser, les diversités de races, de classes sociales, de statuts sociaux, de sexe, etc. Cette notion a répondu à des objectifs différents, dépendant des temps, des lieux, des états économiques, idéologiques ou politiques variables des diverses histoires sociales. Alors, que faut-il entendre, aujourd’hui et pour demain, par développement de l’égalité des chances dans nos diverses contrées ? Les réponses à ces questions, historiques et théoriques voire politiques, pourront éclairer les exemples de pratiques formatrices d’aujourd’hui, qui se révèlent efficientes pour égaliser les chances des formés vis-à-vis de leur insertion sociale, et définir les conditions de formations à inventer.
En savoir plus sur RAIFFET
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.