Résumé
L’enseignement/apprentissage du français langue étrangère (FLE) au Ghana exige nécessairement une formation professionnelle selon la politique de l’éducation du pays. Aucun enseignant ne peut être recruté dans des écoles publiques sans être sorti de l’école normale de formateurs. La complexité de la langue française en général et son enseignement en milieu anglophone en particulier suppose que l’enseignant soit muni de compétences essentielles non seulement linguistiques mais aussi pédagogiques pour exercer son métier de manière efficiente.
Cette étude qui a été menée à l’école normale de Somanya, au Ghana, vise à exposer l’état de préparation des étudiants-enseignants ou des futurs formateurs en matière de compétences vis-à-vis le contenu de leur formation à la fin de la deuxième avant la pratique sur le terrain. L’étude est réalisée à l’aide d’une observation, d’un entretien et d’un questionnaire.
Les résultats révèlent que bon nombre d’étudiants-enseignants ont des difficultés langagières ; ce qui prévient la maitrise adéquate des tournures linguistiques et freine parfois l’enseignement de l’outil méthodologique qui constitue une part entière de la formation du métier d’enseignant.
Mots clés
FLE, formation initiale, compétences, difficulté langagière, outil méthodologique
Introduction
La formation initiale des enseignants est une activité pédagogique qui constitue une préoccupation majeure dans la politique éducative de plusieurs pays. Selon le Rapport mondial du suivi de l’EPT[1] (UNESCO, 2005), l’Afrique a besoin de former autour de 4 millions d’enseignants et d’assurer la qualification professionnelle de la majorité de ceux qui sont en cours d’emploi si elle veut atteindre, d’ici 2015, les objectifs d’EPT et réaliser ainsi les engagements qu’elle a pris au Forum de Dakar en 2000. L’un des problèmes majeurs soulignés concerne la formation initiale et la formation continue, faible préparation académique et pédagogique, programmes de formation etc. Delaire (1988), en commentant sur l’assertion qu’enseigner est une vocation, consent qu’il ne suffise pas seulement d’entrer dans une salle de classe pour savoir enseigner. Autrement dit, il faut la connaissance adéquate du contenu, ce qu’il faut enseigner. Si bien que l’enseignement comme toute autre profession est un métier qui s’apprend, il convient que l’enseignant maitrise du moins le contenu de sa formation avant de se présenter devant ses apprenants.
Le Ghana de sa part, a établi depuis quelques décennies des écoles normales dans presque toutes les régions pour assurer la formation professionnelle des instituteurs d’écoles primaires et des enseignants de Junior High School (J.H.S). Malgré d’énormes reformes et de restructurations dans [2]le système éducatif qu’a subi le pays périodiquement, ces écoles demeurent des institutions de formation initiale du métier d’enseignant. Mais est-ce que ces changements garantissent toujours la qualité et la compétence des étudiants qui s’y forment ? Aujourd’hui, à l’école normale de Somanya, il existe la conviction que l’état de préparation en termes linguistiques est insuffisant pour assurer la compétence des futurs enseignants.
Nous nous intéressons plus particulièrement à l’état de préparation adéquate des étudiants-enseignants sur le plan linguistique car, en dehors des compétences pédagogiques, l’enseignant est supposé avoir une certaine maitrise de la matière à enseigner avant de pouvoir partager cette connaissance avec ses apprenants en classe.
Cette étude met sur pied que la qualification du métier d’enseignant qui se développe en ces étudiants implique une connaissance assez suffisante du contenu linguistique de leur formation. Le choix de ce sujet se justifie par le fait qu’aujourd’hui, toute réforme dans le domaine éducatif porte à la qualité de l’éducation surtout au niveau basique faisant appel à la nécessité d’une formation adéquate des enseignants.
Ce travail s’articule autour des points suivants : le contexte, la méthodologie, les résultats et la discussion.
Contexte de l’étude
Il est sans doute incontestable que l’éducation joue un rôle très important au développement de chaque communauté voire chaque pays. C’est un outil de développement des ressources humaines et le bien être des peuples d’une nation. Pour cette raison, la planification de l’éducation et des reformes périodiques pour l’amélioration engagent l’attention de chaque gouvernement. A partir des années 60, la plupart des Etat africains ont initié des reformes pour donner naissance à l’éducation gratuite et obligatoire au niveau primaire. Fanfunwa et Aisiku (1982), parlant des reformes de ces périodes, révèlent que l’éducation primaire au Ghana est devenue gratuite et obligatoire en vertu de la loi de 1961 sur l’éducation. Il convient d’avouer que cette loi concernant la gratuite et l’obligation de l’éducation primaire a vu une augmentation d’effectifs dans les écoles d’où la nécessité de former plus d’enseignants.
Ces réformes en éducation de base ont largement influencé les écoles normales où les enseignants sont formés. Selon McWilliam et Kwamena-Poh (1978), le Gouverneur Guggisberg qui préconisait la qualité de l’éducation a institué en 1927, quatre ans de formation post-primaire (4-year post-middle). Ce programme a été utilisé pour former des instituteurs de l’école primaire dans le système éducatif du Ghana jusqu’en 1991 où trois ans d’études postsecondaires était introduit pour remplacer cet ancien programme de formation, un changement qui se fait valoir aujourd’hui dans les 38 écoles normales que dispose le pays y compris Mount Mary, l’école normale de Somanya. Ces écoles normales dénommées aujourd’hui Colleges of Education assurent la formation initiale des enseignants de l’éducation de base (primaire et J.H.S). Il importe de dire qu’avant l’année 2002, les étudiants qui ont fini leurs formations aux écoles normales obtenaient le certificat d’enseignant ‘B’ pour ceux de formation post primaire et le certificat d’enseignant ‘A’ pour les postsecondaires. Mais actuellement, le diplôme d’études professionnelles d’enseignant (diploma in Education) est délivré, ce qui est plus avancé en valeur et en poids que le certificat ‘B’ ou ‘A’. La formation reçue dans ces écoles normales conduit à la spécialisation des enseignants qui fait d’eux soit instituteurs d’écoles primaires soit enseignants de matières au collège (J.H.S). La faculté ou/et l’Institut d’éducation de l’Université de Cape Coast est responsable des programmes des examens et la certification de ces Colleges of Education.
En ce qui concerne les compétences requises des enseignants du FLE, elles sont plus étendues et portent bien en général sur les connaissances théoriques en linguistique et en particulier sur les quatre aptitudes langagières (compréhension et production orale, compréhension et production écrite) selon le Cadre Européen Commun de Reference (CECR : 2000). Mais quels sont aujourd`hui les grands défis que les formateurs à l’école de formation initiale des enseignants du français doivent affronter ?
Cadre Conceptuel
Dans cette partie théorique nous voulons bien aborder la notion définitionnelle du concept de formation selon les dictionnaires et quelques chercheurs, définition pertinente à ce travail et ensuite présenter l’état de formation initiale en FLE à Mount Mary College au Ghana.
Notion de formation des enseignants
Quelques chercheurs (Bancel 1989, D’Hainaut 1988, Fayfant 2007, Cichoń 2009) abordent la notion de formation de différentes manières selon leurs points de vue en tenant compte des dimensions essentielles impliquées dans une formation. Bancel (1989) définit la formation dans le contexte de l’enseignement comme une élaboration conjointe de connaissances théoriques et pratiques des enseignants. Pour D’Hainaut (1988), il conçoit que la formation est une compétence et cette compétence est un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être qui permet d’exercer convenablement un rôle, une fonction ou une activité. La formation selon Fayfant (2007), est nécessaire à l’enseignant car nul ne conteste désormais le fait que les enseignants exercent un métier qui s’apprend, et ce quel que soit le pays concerné. Il ajoute que les savoirs à transmettre, les publics scolaires et les attentes de la société évoluent, transformant le travail enseignant. Cette assertion de Feyfant sur le métier d’enseignant implique alors une formation initiale et régulière (continue) des enseignants pour pouvoir surmonter les attentes évolutives de la société. Cichoń (2009) postule que la formation initiale, par définition, est la formation de base. Elle sert à équiper des jeunes gens des connaissances et compétences nécessaires, afin de les préparer à entrer dans la vie active. En effet, la formation prépare à coup sûr des enseignants avec des aptitudes et des compétences nouvelles pour faciliter la transmission du savoir comme l’a fait remarquer par la Commission nationale française pour l’UNESCO dans son rapport, « enseigner est un métier…(qui) requiert des compétences nombreuses, complexes, … auquel il faut se former avant de l’exercer, mais aussi tout au long de sa carrière »[3]
De ces définitions ci-dessus soulevées, la formation peut se résumer comme un processus d’acquisition de savoir-faire théoriques et pratiques selon un ordre logique et spécifique au métier d’enseignant. Certes, la notion de formation dans le contexte de cette étude renvoie à l’ensemble des connaissances générales, techniques et pratiques liées à l’exercice du métier d’enseignant. Parlant de la formation initiale, il s’agit donc d’une toute première formation de base reçue ou obtenue qui vise la construction identitaire du futur enseignant et qui conduit à l’exercice d’un métier, d’une profession ou d’un emploi précis et c’est cette formation qui se donne dans les écoles normales (Colleges of Eduction) au Ghana.
Formation initiale à l’école normale de Somanya
Selon l’affirmation dans le cahier des charges de la formation des maîtres en Institut Universitaire de Formation des Maîtres en France, enseigner est un métier qui s’apprend mais qui ne peut pas s’apprendre sur le tas. « Faire cours et faire apprendre, conduire une classe et individualiser son enseignement, exiger des efforts et donner confiance, susciter l’intérêt, évaluer les aptitudes et percevoir les talents, aider à l’orientation. Tout cela nécessite une formation initiale et continue approfondie : rien ne doit être laissé aux aléas de la vocation pédagogique ou du hasard professionnel » (MENa, 2007).
Dans ce contexte, tout pays conscient de l’éducation et du développement de ses citoyens met en place des écoles normales et des dispositifs pour la formation initiale des enseignants.
Au Ghana, tous les Colleges of Education offrent un programme en éducation et enseignement de base (primaire et J.H.S) étalé sur une durée de trois années conduisant à l’obtention d’un diplôme en éducation (Dip. Ed), qui équivaut à un brevet d’enseignement par lequel l’enseignant est reconnu compétent ou professionnel sur le plan national dans sa carrière tout au long de sa vie.
L’école normale de Somanya communément appelée Mount Mary College of Education à Somanya, une ville dans la région de l’est du pays, était la première école de formation initiale des enseignants spécialisée en langue française à mettre en place dans le pays. Cet établissement a commencé à Agormanya en 1947 par les missionnaires catholiques américains. Mount Mary College a été ouvert avec 23 étudiants pour poursuivre deux ans de cours en Éducation menant à l’obtention du certificat d’enseignant de grade ‘B’. Le collège a été déplacé à son emplacement actuel en 1951. Il convient de signaler que l’établissement n’était pas initialement créé pour la formation des enseignants du français. C’était une institution de formation générale des instituteurs. Le français a commencé à Mount Mary College en 1975, la période où il y avait une pénurie d’enseignants de français à cause de la fuite du cerveau qui envahissait le pays alors que des inscriptions des apprenants dans les écoles secondaires augmentaient. Ainsi, il fallait former des ressources humaines compétentes pour faire face à ce manque.
En effet, Mount Mary était consacrée et reconnue sur le plan national pour la formation initiale des enseignants du FLE qui sont souvent envoyés dans les collèges ou secondaires inférieurs pour enseigner le français. Cette école normale a produit de nombreux enseignants compétents qui assumaient leur devoir avec une certaine autorité et confiance. Mais une des principales contraintes à ce projet de formation résidait en nombre insuffisant d’enseignants pour tout le territoire. Le rapport du comité sur des réformes de l’éducation au Ghana (octobre 2002) a souligné un nombre de nouvelles reformes y compris la nécessité d’introduire le français au niveau des écoles primaires comme matière facultative ; ce qui exige également la demande et la disponibilité d’enseignants formés pour enseigner le français. Il importe de mettre en exergue que les reformes impliquent également l’amélioration du diplôme obtenu aux écoles normales d’où le changement du certificat au brevet d’enseignant.
C’est à partir du changement de la certification au diplôme en éducation ou brevet d’enseignant et de la demande incessante d’enseignants formés que la formation en français à Mount Mary s’est transformée en programme (French Programme) et en unité sous le département de langues avec l’ouverture d’autres unités de français à Wesley College, Amedzope College et Bagabaga College dans la mesure de permettre également la spécialisation de différentes matières au sein d’une même école normale. Autrement dit en dehors des deux universités publiques : Université de Cape Coast et celle de l’Education de Winneba qui assurent la formation avancée en pédagogie des enseignants de français et qui délivrent aux étudiants le Bachelor of Education-French (B.Ed-French) au bout de quatre années d’études supérieures, il y a au total quatre écoles normales (Colleges of Education) dans lesquelles la formation initiale des enseignants de français est assurée et certifiée par le Diploma in Education (Dip. Ed).
La formation initiale des enseignants aujourd’hui au Ghana, est constituée de deux volets : le premier volet est consacré purement à la théorie, qui implique des cours académiques, de didactique et de psychopédagogie. Ces cours correspondent aux différentes disciplines enseignées et plus particulièrement aux différents axes en français tels que la grammaire, la conjugaison, la littérature qui se résument en expression orale et écrite, compréhension orale et écrite pour les deux premières années de formation. Cette première phase a pour objectif de donner une maitrise et autonomie du contenu linguistique et pédagogique de formation. Un deuxième volet en troisième année est uniquement la pratique de terrain (stage) sous la supervision des formateurs et les directeurs des écoles où se fait le stage. C’est alors les Colleges of Education qui assurent la formation des enseignants de base (primaire et secondaire inférieur (J.H.S)) tandis que les universités de Cape Coast et de Winneba forment des enseignants du secondaire supérieur (S.H.S).
Gardner (1979) cité dans Mireku ( ) soutient que la formation initiale des enseignants devrait essentiellement viser à développer des compétences suffisantes qui lui permettront, d’enseigner avec une efficience et de survivre aux rigueurs de ces premières expériences en classe. Germain (2010) croit que pour enseigner à communiquer dans une L2/LE, en milieu scolaire, il importe de recourir à des stratégies d’enseignement qui ont pour but de développer directement l’habileté à communiquer, sans passer par le détour d’un savoir. Ici, Germain nous montre qu’une langue est rapidement acquise quand le cours est uniquement donné dans la langue cible. Cette opinion de Germain exige alors une connaissance langagière de la part de l’enseignant avant de pouvoir la mettre en pratique dans son enseignement en classe. Develay (1994), Professeur d’université en sciences de l’éducation aborde cette question de la formation initiale des enseignants en affirmant qu’il est nécessaire de préciser les objectifs de cette formation, qui doit à la fois développer la compétence et le sentiment d’identité professionnelle. Il postule que dans les contenus de formation doivent être inclus aussi bien les connaissances relevant des champs disciplinaires que les savoirs didactiques et pédagogiques et une formation psychologique. De tout ce qui précède, il est essentiel d’évoquer qu’une formation exige toujours un contenu. À cet effet, le problème du contenu linguistique (théorique) c’est-à-dire le niveau de langue en français dans le contexte de cette étude est plus important et il peut être considéré comme un pneu dans la formation initiale d’un futur enseignant de langue. Si un enseignant se tient devant et se trouve dans le doute de s’exprimer compte tenu du manque de vocabulaires ou d’expressions orales appropriés, quel impact aurait-il sur ses apprenants alors que les savoirs théoriques constituent les fondements de l’activité intellectuelle (Lemossé, 1989) par laquelle les professions se distinguent les unes des autres.
Théories interactionnistes
Les théories interactionnistes préconisent une vive interaction entre les facteurs internes et externes. La notion d’interaction implique les activités mentales et le lien ou la relation le comportement de l’individu et ses conséquences.
Gagné (1975), l’un des figures de proue de ces théories, affirme qu’en apprentissage, il faut partir des principes du conditionnement et/ou du renforcement. Il conçoit que l’apprentissage est un processus résultant d’une interaction entre l’individu et son environnement. L’apprentissage se tient lorsque le changement dans la performance est observé. Cette théorie interactionniste de Gagné stipule que l’apprentissage est influencé par des événements internes (motivation de l’apprenant) et externes (rétroaction donnée par une personne externe, l’enseignant). Cela met en exergue que l’apprentissage implique la motivation intrinsèque et extrinsèque pour propulser un apprenant dans son apprentissage. Il est donc important que les futurs-enseignants du FLE en formation aient d’abord cette motivation interne pour apprendre et maitriser les tournures linguistiques en français dans le but de les enseigner avec confiance dans les écoles où ils seront retrouvés après la formation. Si cette motivation intrinsèque n’est pas développée ou encore n’existe pas chez l’étudiant, il lui sera alors difficile d’être en bon état sur le contenu théorique de sa formation.
C’est sur la motivation interne qu’agissent les facteurs externes pour favoriser l’apprentissage efficace dans une situation donnée.
Méthodologie de l’enquête
Ce travail est une recherche qui vise à enquêter sur l’état de préparation des étudiants-enseignants en termes du contenu langagier en formation à Mount Mary College. Le public d’enquête est composé de deux professeurs et d’une quinzaine d’étudiants de français en deuxième année, l’année qui marque la fin d’études théoriques à l’école de formation initiale dans l’enseignement de base.
Pour recueillir des informations sur les compétences linguistiques, nous nous sommes servis des instruments de recherche suivants :
- Observation participante ;
- Questionnaires remplis par 2 enseignants (l’un chargé de langue et l’autre, littérature) ;
- Entretien mené auprès de 25 étudiants en groupe de 5 sur des sujets comme « la vie à Mount Mary », « l’apprentissage du français au Ghana », « le rôle des parents dans la formation de leurs enfants » etc. a été enregistré.
Précisons que la population de notre échantillonnage est composée d’étudiants de deuxième année qui sont dans leur dernier semestre du cours théorique.
Il faut quand même avouer que dans le souci de permettre aux enquêtés de se dévoiler et de s’exprimer sans contraintes linguistiques, la discussion sur les sujets a été faite en français suivie d’une autre en anglais pour recenser leurs soucis en français.
Un entretien a été également réalisé avec les 2 enseignants sur la performance langagière et la motivation des étudiants en classe.
Le questionnaire nous a permis d’analyser les représentations et les attitudes des étudiants face au contenu théorique de leur formation (grammaire, expression orale et écrite, vocabulaire). Ce travail n’a pas tenu compte d’âge de la population enquêtée, mais l’aspect sexe a été fortement considéré. Le tableau ci-dessous expose la population et les outils d’enquête utilisés dans la recherche.
Tableau 1 : Récapitulatif des données d’enquête
Enquêtés | Hommes | Femmes | Total | Outils d’enquête |
Etudiants | 10
2 |
15
0 |
25
2 |
-Observation participante -Discussion en groupe |
Enseignants | Questionnaire et
entretien |
Résultats et interprétation de l’étude exploratoire
La visée de cette enquête était de recueillir les difficultés langagières face aux exigences de l’enseignement de langues qui impliquent la connaissance adéquate et l’état de préparation du contenu linguistique des futurs enseignants de FLE en formation. Alors cette étape consiste à faire la description et l’analyse des données recueillies au cours de cette étude.
Présentation et analyse des données sur le profil des étudiants
Le travail précise tout d’abord le profil des étudiants qui composent l’échantillonnage. Les réponses aux questionnaires sur le profil linguistique des étudiants révèlent que tous ces étudiants ont plus ou moins deux langues acquises avant l’apprentissage du français. Cependant, l’enquête ne tient pas compte de ces langues antérieures. Des 25 étudiants, 5 admettent avoir un background francophone jusqu’au niveau brevet d’étude du premier cycle (BEPC) avant de venir au Ghana. Les 20 autres étudiants ont appris le français au Ghana : 14 ont commencé l’apprentissage du français depuis J.H.S alors 6 affirment qu’ils l’ont débuté au niveau S.H.S. De ce fait, certains s’expriment passablement mieux que les autres. Toutefois, des difficultés langagières persistent parmi la majorité des étudiants.
Tableau 2 : Début et années d’apprentissage du français
No. d’années | No. d’étudiants | Pourcentage % | |
Depuis J.H.S | 8 | 14 | 56% |
Depuis S.H.S | 5 | 6 | 24% |
Base Francophone | +8 | 5 | 20% |
Total | 25 | 100% |
Les données sur les difficultés langagières des étudiants
Au cours des discussions en groupes, les étudiants ont démontré d’une manière à l’autre des insuffisances linguistiques et la non-maitrise des structures grammaticales dans leurs expressions.
Le travail expose alors les principaux résultats qui montrent la répartition des difficultés auxquelles font face les étudiants en termes de lexique, syntaxe, morphologie verbale, sémantique et phonétique (difficulté de prononciation) en général à partir des discussions, des entretiens que nous avons réalisés avec les étudiants en groupe et du questionnaire mené auprès des enseignants. Notons que l’étude focalise sur l’oral et non sur l’écrit car c’était une discussion orale pour établir l’état de préparation au niveau linguistique de ces futurs enseignants devant les apprenants en classe.
Tableau 3 : Récapitulatif du domaine de difficultés linguistiques des enquêtés
Difficultés remarquées | Nombre d’étudiants | Pourcentage (%) |
lexicale | 15 | 60 |
morphologie verbale | 9 | 36 |
syntaxique | 11 | 44 |
sémantique | 8 | 32 |
phonétique | 8 | 32 |
Aucune difficulté remarquable | 4 | 16 |
D’après le tableau ci-dessus, le lexique, la morphologie verbale, la syntaxe, la sémantique et la phonétique constituent dans l’ensemble une difficulté majeure aux futurs enseignants. Seuls 4 étudiants, soit 16% d’entre eux, sont capables de s’exprimer couramment sans difficulté remarquable. Comme cela s’observe sur le tableau, les difficultés varient d’étudiants en étudiants.
D’après cette enquête, le manque de lexique entrainant une substitution des mots anglais demeure le plus grand souci des étudiants en formation. Au total 15 étudiants soit 60% des enquêtés parlent difficilement le français parce qu’ils sont dépourvus de vocabulaire nécessaire pour pouvoir faire une conversation orale. Ce qui fait ces futurs enseignants n’ont pas cette confiance à pouvoir se tenir devant les apprenants pour leur enseigner. La morphologie verbale et la syntaxe de ces étudiants en formation d’enseignant laisse beaucoup à désirer. Au niveau de la morphologie verbale, 9 étudiants sur 25 soit 36% des enquêtés ne maitrisent pas du tout la conjugaison ou les personnes des verbes ; une indication de l’état de préparation inadéquate de la part de ces derniers. En ce qui concerne la syntaxe, ils manquent cet esprit d’agencement des constituants d’une phrase et construisent des phrases anglicisées (traduction directe de l’anglais) ou des phrases démunies de sens. La sémantique et la phonétique retiennent respectivement 32% selon le tableau contenant les difficultés remarquées. L’emploi de certains mots et la prononciation des unités linguistiques chez ces étudiants parfois inintelligibles des énoncés exprimés ; or l’oral constitue une partie intégrante dans l’enseignement/apprentissage de langues.
Tous les domaines de difficultés ci-dessus recueillis des étudiants font partie de la langue française et leur maitrise donne de confiance à l’enseignant de se mettre à la hauteur de son travail sur le plan théorique étant donné que l’enseignant de langue partage sa connaissance langagière avec ses apprenants et par conséquent les prépare pour la situation réelle de communication. Le corpus relevé de l’expression orale auprès des enquêtés est surprenant et même paradoxal provoquant beaucoup de réflexions dans la mesure où il leur reste qu’un dernier semestre pour terminer les cours théoriques afin d’entamer le second volet du programme de formation qui est le stage pratique sur le terrain.
Tableau 4 : Récapitulatif des expressions erronées des étudiants
Difficultés | Expressions relevées chez les étudiants lors de l’interaction verbale |
lexicale | « si on donne moi un topic à faire, je vais faire »
« je lis des news le matin dans le Daily Graphic » |
morphologie verbale | « les enseignants prend leur temps pour enseigner »
« nous avons apprendre le français seulement à S.H.S » |
syntaxique | « le professeur donne nous les notes dans la classe »
« le français est bien ; ici, les enseignants enseignent les étudiants bien » |
sémantique | « le livre de littérature les mots sont gros, nous ne comprend pas » |
phonétique (prononciation) | « la litteratour » au lieu de /liteRatyR/ ; /etydjἓ/ pour /etydjᾶ/ |
Au vu de ce qui précède, les étudiants éprouvent des difficultés combinatoires et sont incapables de bien s’exprimer couramment en français, une matière dont son enseignement sera assuré par ces étudiants juste après leur formation. Le peu d’étudiants qui a travers des efforts s’expriment mieux recèlent aussi des insuffisances à combler.
Dans leurs expressions, nous avons noté que des interférences et la traduction littérale de l’anglais contribuent énormément à des difficultés recueillies chez les étudiants en formation d’enseignant. Par exemple, en ce qui concerne les difficultés liées à la syntaxe, la phrase relevée sur le tableau 4 ci-dessus « le professeur donne nous les notes dans la classe » révèle la notion de traduction mot à mot de l’anglais vers le français d’où la syntaxe erronée en français.
Regards des formateurs face aux attitudes des étudiants
De l’entretien fait avec deux enseignants dans l’unité française du département des langues après notre enquête avec les étudiants de deuxième année, il ressort que leurs expériences quotidiennes avec ces étudiants ne se diffèrent pas de mon observation et constat lors de mon interaction avec eux. Les enseignants admettent que non seulement les étudiants de deuxième mais presque tous les étudiants dans le programme de FLE démontrent beaucoup de difficultés langagières. Ils corroborent que le problème des étudiants ne se limite pas qu’au niveau du vocabulaire mais s’étend sur d’autres aspects de la langue (grammaire, compréhension écrite et orale, lecture, conjugaison et autres). Selon les enseignants, compte tenu de la méconnaissance des structures grammaticales, ils réagissent et répondent aux questions en classe avec des phrases amputées.
Concernant le niveau deux, les étudiants en dernière année de formation théorique, les enseignants confirment que plus de 55% d’entre eux ne sont pas linguistiquement et psychologiquement préparés pour assurer l’enseignement du français après la formation. Près de 35% des étudiants ont une certaine base lexicale mais n’arrivent pas à les coordonner pour mieux s’exprimer. Seul moins de 10% qui regroupe les étudiants assidus et résolus et ceux qui viennent des pays francophones avec un certain bagage linguistique s’expriment couramment avec confiance d’enseigner.
Quant au sujet de motivation, les formateurs avouent que la plupart des étudiants n’ont pas la motivation qui peut les pousser à réagir à l’apprentissage du français. L’interaction avec certains étudiants révèle qu’ils ne seront pas en mesure d’enseigner le français à la sortie de leur formation car ils ne parviennent pas à maitriser le français. Ils sont prêts à enseigner l’éducation morale et religieuse ou encore étude civique et sociale (Social studies) étant donné que le diplôme délivré ne précise pas le domaine de spécialité de ces futurs-enseignants. Les formateurs des futurs-enseignants s’inquiètent de l’attitude de ces derniers du fait que certains des enseignants formés en français arrivent en poste sur le terrain et choisissent de ne pas enseigner le français mais plutôt enseigner une autre matière juste par crainte de n’être pas à la hauteur du contenu théorique de la langue française. Etant donné que la matière de spécialisation n’est pas indiquée sur leur diplôme ils se présentent en postes dans les écoles secondaires inferieurs comme des enseignants formés pour les matières générales. Cette attitude révèle un manque de confiance en ces enseignants. À cet effet, pour retenir et engager ces enseignants à l’enseignement du français après la formation, l’Institut de l’éducation chargé de délivrer le diplôme doit indiquer le domaine de spécialisation de l’enseignant sur le certificat afin de changer cette pratique négative des futurs-enseignants.
En réponse au questionnaire sur les critères d’admission des étudiants aux Colleges of Education, les enseignants témoignent qu’aujourd’hui, il n’y a plus de concours d’entrer suivi d’entretien personnel comme cela se faisait dans le passé. L’admission des étudiants est donc basée sur la réussite aux en six épreuves de baccalauréat « West African Senior School Certificate Examination » (WASSCE)[4] y compris les trois matières obligatoires (English, Mathematics, Sciences or Social Studies) et trois autres matières d’option faites par le candidat. Ils admettent que cette nouvelle modalité de sélection ne relève pas de vraie compétence linguistique en ces candidats. Ici, on se retrouve face à un défi majeur qui concerne le niveau linguistique en français des étudiants intégrant la formation initiale d’enseignant. Cette insuffisance en langue de la part des étudiants rend difficile la formation linguistique. Cependant, cette situation n’est pas encore équivalente à une perte d’espoir dans le système éducatif; elle peut s’améliorer dans la mesure où les décideurs de la transposition pédagogique redéfinissent les modalités de recrutement ou d’admission et prennent des dispositions pour mettre en place des matériels nécessaires pour faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère aux futurs-enseignants du FLE en formation non seulement à l’école normale de Mount Mary (Mount Mary College of Education) mais aussi dans toutes les autres écoles normales où la formation du français est assurée.
Conclusion et Perspectives
Depuis leur établissement, les écoles normales connues sur le plan national comme Training Colleges transformées aujourd’hui en Colleges of Education demeurent toujours pertinentes et donnent la priorité à la formation initiale des enseignants de base sur le tout territoire ghanéen.
On a retenu que cette formation initiale couvre une période de trois ans répartis en deux phases distinctives : la phase théorique pour les deux premières années et la phrase pratique pour la troisième année après laquelle les étudiants retournent dans leur établissement pour passer leurs examens de fin de formation pour l’obtention d’un brevet d’enseignant (Dip. Ed). Ce brevet garantit aux nouveaux enseignants d’assurer avec confiance l’enseignement de la matière de sa spécialité dans les secondaires inférieurs (J.H.S).
Nous avons également noté que les étudiants de niveau 2 qui constituent notre population d’enquête font face à une gamme de difficultés langagières ; ce qui remet en question l’état de préparation des futurs-enseignants du FLE à Mount Mary College comme l’analyse l’a démontré. Toutes ces faiblesses des étudiants sont dues au manque de motivation interne, aux facteurs externes de l’environnement d’apprentissage et aux critères de recrutement des étudiants à ces écoles normales. C’est admissible que le recrutement des futurs enseignants a évolué selon les reformes du système éducatif sur le plan national, ainsi l’exigence du concours d’entrer suivi des entretiens individuels a disparu avec ces réformes. Cependant, on a retenu quand même que dans l’unité française du département de langues, il y a des enseignants compétents titulaires de diplôme d’études approfondies (DEA) et quelques étudiants bien motivés qui démontrent une certaine maitrise et confiance au contenu linguistique de leur formation.
La formation initiale des enseignants à Mount Mary rencontre diverses difficultés non seulement au niveau linguistique chez les étudiants mais aussi des contraintes matérielles pour un bon enseignement/apprentissage du français. Toutefois, Mount Mary College of Education reste une école reconnue pour la formation initiale des enseignants du FLE au Ghana.
En effet, le grand défi à relever par les étudiants et les écoles de formation en général et plus particulièrement celles d’enseignant du français est la pratique continue de l’interaction verbale aidant à la maitrise structures grammaticales en français. Le constat fort est que les enseignants développent des stratégies à adapter pour réduire les difficultés des étudiants.
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West African Senior School Certificate Examination https://fr.wikipedia.org/wiki/West_African_Senior_School_Certificate_Examination
[1] EPT Education pour tout (UNESCO, 2005); Extrait de Le rapport mondial du suivi de l’EPT, La documentation française, octobre 2005.
[3] Extrait de Le nouveau métier d’enseignant, sous la direction de Bernard CORNU, dir. La documentation française, octobre 2000.
[4] WASSCE: West African Senior School Certificate Examintion, examen commun equivalent au baccalauréat des pays francophones.
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