RAIFFET 2008 Vers une analyse des pratiques d’enseignement des normes techniques : cas des tolérances dimensionnelles et des ajustements Mohamed Ali Bassoumi & Virginie Albe

Vers une analyse des pratiques d’enseignement des normes techniques cas des tolérances dimensionnelles et des ajustementsMohamed Ali Bassoumi & Virginie Albe

Vers une analyse des pratiques d’enseignement des normes techniques cas des tolérances dimensionnelles et des ajustements
Mohamed Ali Bassoumi & Virginie Albe 

Cette communication a obtenu le Grand Prix du RAIFFET 2008

 

Summary

Because of the accelerated evolving rate of technological knowledge, multidimensional character of this knowledge and diversity of their places of development, the question of the reference takes a quite particular importance. Our research task studies how the Tunisian trainers think of transforming the technical standards, objects of knowing of multiple sizes, in elements of formation likely to help the trainees to build necessary competencies. In a first stage, we tried to identify the difficulties encountered by the trainees of plant maintenance,  in connection with the notions of the dimensional tolerances and the adjustments. The results attest that the trainees answer correctly the questions in the form of calculations, but encounter more difficulties as soon as they are questions of conceptual aspect. To try to explain the origin of the identified difficulties, we explored two ways. The first watch that all the examination questions are centered on a standard procedure of calculative aspect. The second way relates to an epistemological dimension. The dimensional tolerances and the adjustments are concepts strongly structured in technical standards. In a first exploratory phase, by means of a questionnaire, we are saw that the majority of the trainers ignore the fields of action of the technical standards, and fix themselves on the technical sides. The significance which the trainers allot to these questions, were collected during talks and will be available when we shall communicate this work.

Introduction

Notre recherche vise à étudier les normes techniques en tant qu’une référence aux savoirs technologiques enseignés en formation professionnelle dans le domaine de la maintenance industrielle. L’importance d’étudier les normes techniques provient d’une part de la position privilégiée qu’elles occupent dans les connaissances technologiques et d’autre part du fait qu’à l’opposé d’autres savoirs, elles sont supposées légitimées par des communautés d’experts reconnues (organismes de normalisation). Notre problématique a été initiée par le constat élaboré au cours de notre activité professionnelle de formateur que les notions des tolérances dimensionnelles et des ajustements posent des difficultés aux stagiaires et pourraient les empêcher de construire les compétences spécifiques requises. Il s’agit, dans une première étape, d’explorer ces difficultés avec le regard du chercheur et de tenter de dégager des pistes d’interprétation. Ensuite, comme nous supposons que la position épistémologique des formateurs, bien qu’elle soit le plus souvent implicite, sous-tend leurs pratiques d’enseignement, nous nous sommes engagés dans l’étude des représentations que se font les formateurs des normes techniques. Lederman (1992) avait à cet égard noté la présence d’un large consensus des chercheurs pour considérer que les pratiques des enseignants en classe sont fortement influencées par leurs conceptions à propos des savoirs, des curriculums, des idées qu’ils se font de l’apprentissage, etc. Nous nous interrogeons alors sur le statut que les formateurs attribuent aux normes techniques. Considèrent-ils les normes en termes de règles à appliquer, de procédures à mettre en œuvre… ? Comment s’organisent-ils pour les enseigner ? Comment envisagent-ils le processus de normalisation ?..

Nous pensons de plus que les questions que nous venons de soulever renvoient à une autre problématique, celle de la capacité des graphismes techniques à instrumenter l’action.. Dans une thèse en génie industriel, Lavoisy (2000) avait entrepris de saisir le graphisme technique à partir des situations de sa production et de son usage. Au terme de sa recherche, il en avait conclu que le graphisme constitue un mode d’expression qui ne peut se réduire ni à une question de représentation des formes et de sa rationalisation- normalisation, ni à une question de langage, ni à celle de la forme de division technique du travail. Il devient plutôt instrument, dans la mesure où il est pris en charge par l’acteur pour fabriquer, pour se définir lui-même et développer des savoirs afférents. Du coté de l’enseignement, de nombreux auteurs ont par ailleurs montré que les enseignants insistent souvent pour faire fonctionner les normes dans des tâches de lecture et d’écriture, sans accorder une attention équivalente à leur signification et à leur dimension opératoire pour  les apprenants (Rabardel, Rak et Vérillon, 1988 ; Andreucci et al, 1996). Pour notre part, nous considérons que l’introduction du langage technique en formation professionnelle ne sera signifiante que dans la mesure où ceci est considéré comme un dispositif qui a été conçu dans des conditions sociotechniques données, pour opérer un certain traitement symbolique du réel. Dans cet article, nous commencerons par préciser le cadre épistémologique interpellé par notre recherche. Nous présenterons ensuite les résultats de plusieurs travaux empiriques portant d’une part sur l’identification des difficultés rencontrées par les stagiaires à propos des tolérances dimensionnelles et des ajustements, et d’autre part sur une analyse de contenu des exercices d’évaluation, afin de dégager la nature du contrat didactique. Enfin, nous présenterons une analyse des points de vue de l’ensemble des formateurs Tunisiens exerçant dans le domaine de la maintenance industrielle, à propos des normes techniques et de la normalisation.

Considérations épistémologiques

Selon les organismes de normalisation (sites officiels de l’association française de normalisation et de l’international standard organization), entamer des travaux pour élaborer une nouvelle norme répond à un besoin ressenti par différents partenaires économiques, scientifiques, techniques ou sociaux. Un processus de normalisation aboutit, selon eux, dès qu’un consensus est assuré entre les différents participants à ces travaux. Néanmoins, d’après la revue bibliographique que nous avons menée, nous nous sommes aperçus que les normes ne sont pas aussi rationnelles, neutres et légitimes qu’on le prétend. Tout d’abord, le terme besoin présente une certaine ambiguïté. Le détour historique que nous avons tracé nous a montré à ce titre qu’un besoin est souvent sous-tendu par des intérêts économiques et politiques (notamment l’histoire de l’interchangeabilité à l’origine de l’élaboration des normes à propos des tolérances dimensionnelles et des ajustements). Les questions de la légitimité et de la neutralité des normes avaient été par ailleurs étudiées par de nombreux auteurs. Dans une thèse en sciences économiques, Liotard (1999) a étudié  les conflits qui ont opposé les normes techniques dans les domaines des télécommunications aux droits de propriété intellectuelle (DPI) aux États-Unis et en Europe durant la période de 1982 à 1990. Elle en a conclu que les entreprises adoptent des comportements stratégiques autour de leur DPI en utilisant leurs actifs dans les commissions de normalisation. Un DPI pourrait ainsi orienter le contenu technique d’une norme et, éventuellement, installer des barrières à l’accès au marché pour des entreprises concurrentes. Á propos de cette même question, Voigt (2001) estime que, lorsqu’il s’agit de décider de celui qui imposera ses normes technologiques aux autres pays, la rivalité internationale prend une dimension sérieuse et cruciale car celui qui réussit à imposer ses normes s’assure un avantage économique considérable sur ses concurrents.

Sur un autre plan, si l’on examine les missions revendiquées par les organismes de normalisation, nous nous rendons compte qu’aucune d’elles n’évoque les expressions de pratiques professionnelles ou de règles de l’art. Nous pensons en fait que les normes techniques se distinguent des pratiques professionnelles à plus d’un égard. Tout d’abord, si les normes techniques s’attachent à préciser les recommandations ou les exigences requises pour un produit, un service ou une démarche, cependant elles ne disent rien des pratiques à mettre en œuvre pour y parvenir, celles-ci sont laissées à la charge des professionnels. Si les professionnels doivent tenir compte des normes pour accomplir leur travail, il est tout aussi nécessaire pour eux qu’ils prennent en compte également d’autres aspects matériels, humains, économiques, etc. Ensuite, les règles de l’art sont les résultats de pratiques spontanées des artisans, collectés au fil des années, et préconisant généralement les techniques à mettre en œuvre. Quant aux normes, elles découlent de procédures bien déterminées et décrivent plutôt des résultats. Ainsi, si les normes s’attachent à préciser les recommandations ou les exigences requises pour un produit, un service ou une démarche donnée, elles ne disent rien des pratiques à mettre en œuvre pour y parvenir, celles-ci sont laissées à la charge des professionnels (Penneau, 1989). Une autre distinction réside dans le fait que le processus d’élaboration des pratiques et des usages professionnels est lent et progressif. Par contre, la création d’une norme est régie par des procédures de travail bien précises, et élaborée au sein de structures bien définies.

Identification des difficultés des stagiaires

Méthodologie

Pour identifier les difficultés rencontrées par les stagiaires à propos des tolérances dimensionnelles et des ajustements, nous avons construit un questionnaire comportant dix questions que nous pouvons classer en trois groupes (Bassoumi, 2005). Un premier groupe comprend des questions d’aspect calculatoire, dans lesquelles nous avons demandé aux stagiaires de déduire, à partir de deux côtes tolérancées, les écarts et les cotes limites, le type d’ajustement ainsi que ses caractéristiques. Une deuxième catégorie de questions vise à identifier la compréhension par les stagiaires des éléments fondamentaux des concepts enseignés. Il s’agissait par exemple pour les stagiaires de juger si les tolérances des pièces de dimensions respectives 12±0,005 et 12±0,550 sont conformes aux normes ISO. Dans une autre question, les apprenants étaient invités à comparer la précision de trois pièces dont nous avons précisé les cotes limites. Á propos du sens qu’ils accordent à la notion d’ajustement, nous leur avons demandé si l’on pouvait parler d’ajustement dans le cas où l’arbre et l’alésage n’ont pas la même cote nominale, ou lorsque l’arbre et l’alésage sont de forme conique ou de section rectangulaire. Une dernière catégorie de questions consiste à cerner la dimension opératoire des apprentissages des stagiaires, pour finaliser une action du type de celles réalisées dans la pratique professionnelle. Par exemple, il a été demandé aux stagiaires de sélectionner les instruments pertinents pour effectuer le contrôle d’une pièce de dimension donnée, et de décider de la qualité de cette pièce. Il s’agissait également de réaliser des ajustements (par exemple de type 8 H7/m6) à partir de plusieurs arbres et alésages disponibles de dimensions différentes, et de se prononcer sur la faisabilité d’assemblages particuliers.

La population des stagiaires qui ont répondu à ce questionnaire est formée par  trois sections de stagiaires en Brevet de Technicien Professionnel (BTP) et deux sections en Technicien supérieur en gestion de la maintenance industrielle (TS-GMI), tous inscrits dans le même centre de formation (soit en tout 69 stagiaires). Le choix d’un échantillon constitué de stagiaires se formant dans deux niveaux différents est justifié par notre volonté de recueillir des éléments qui pourraient enrichir notre travail d’investigation. Soulignons par ailleurs que la passation du questionnaire a eu lieu à la fin du module intitulé Instruments de précision dans lequel les tolérances dimensionnelles et les ajustements sont enseignés. En ce sens, les stagiaires devaient avoir eu l’occasion de mobiliser les notions vues en classe pour juger les dimensions de différentes pièces selon les tolérances prescrites.

Résultats

Figure 1 réponses au questionnaire

Figure 1 réponses au questionnaire

Le graphique reporté en figure 1 représente les réponses correctes au questionnaire des stagiaires en BTP et en TS-GMI. Nous avons identifié des difficultés pour chaque type de questions selon la catégorisation opérée.

Figure 1 : réponses au questionnaire

Les résultats obtenus attestent que les stagiaires réussissent assez bien à répondre aux questions d’aspect calculatoire. En effet, 58% des stagiaires en BTP et 71% des stagiaires en TS-GMI ont répondu correctement à ce type de questions. Selon nous, l’écart enregistré entre ces résultats provient du fait que les stagiaires en TS-GMI ont souvent plus d’aisance dans le domaine mathématique que leurs collègues en BTP. On note d’ailleurs que la plupart des difficultés rencontrées par les stagiaires correspondent essentiellement à des erreurs dans le maniement des décimaux. Les taux de réponses correctes pour les questions visant à évaluer la maîtrise conceptuelle des notions enseignées sont nettement inférieurs. Seulement 34% des stagiaires en BTP et 45% des stagiaires en TS-GMI ont réussi à répondre correctement à ces questions. L’analyse des réponses nous a permis de confirmer que les apprenants ont de véritables difficultés à accorder une signification correcte aux concepts fondamentaux des tolérances dimensionnelles, tels que les qualités et les zones de tolérance. En outre, la notion d’ajustement semble mal définie. Ainsi par exemple, 55% des stagiaires pensent qu’un jeu de 1 mm pourrait constituer un jeu valable, 97% échouent à évaluer la précision d’une pièce selon sa cote nominale, 80% pensent à  tort que la précision d’une pièce de cote 12  0,550 n’est pas conforme à la norme internationale et 51% estiment qu’on ne peut pas parler d’ajustement lorsqu’il s’agit de pièces de section rectangulaire. Les questions cherchant à valider le caractère opératoire des apprentissages, sont celles pour lesquelles les taux de réponses correctes sont les plus faibles. Seulement 26% des stagiaires en BTP et 37% de leurs collègues en TS-GMI ont correctement répondu. Soulignons en particulier que 72% d’entre eux ne parviennent pas à choisir un instrument de précision selon la tolérance prescrite, 65% n’ont pas correctement évalué la validité des dimensions effectives des pièces selon la tolérance requise et 78% ont confondu ajustement (d’ordre théorique) avec assemblage (état réel des pièces).

Discussion

Les résultats obtenus indiquent un écart important entre les taux de réponses lorsqu’il s’agit de questions de dimension calculatoire, conceptuelle ou opératoire. Ceci est observé pour chaque population de stagiaires. Cela nous a conduits à réaliser une analyse des évaluations, afin de dégager des pistes d’interprétation des résultats obtenus. Étudier la manière dont l’évaluation est réalisée pourrait nous apporter des explications, dans la mesure où les documents d’évaluation servent essentiellement pour estimer la conformité de la production des élèves avec ce qui est attendu par l’enseignant, et pour préciser les aspects des notions enseignées qui seront ultérieurement de la responsabilité de l’élève. En outre, l’évaluation sert à piloter la classe et à gérer le contrat et son évolution. En ce sens, l’évaluation est révélatrice du contrat didactique.

Analyse des documents d’évaluation

Nous avons collecté onze documents d’évaluation. Leur analyse a porté sur la nature des activités demandées aux stagiaires. Nous avons pour cela d’une part mesuré la fréquence des verbes employés, en fonction de leur référence au calcul, ou au concept, ou à l’opératoire, et d’autre part, nous avons comparé ces documents selon leur structure. Cela nous a permis de tirer les observations suivantes :

  • 76,6% des questions concernant les tolérances dimensionnelles sont à référence calculatoire (les verbes employés sont du type extraire, calculer, déterminer..). Les autres questions portent sur une restitution du
  • 50% des questions se rapportant aux ajustements sont également d’aspect calculatoire (on note l’emploi exclusif du verbe calculer). Les autres questions sont presque toutes déduites directement du calcul déjà réalisé. Pour répondre à ces questions, il s’agit de comparer les valeurs des jeux limites calculées (ces valeurs sont désignées par Jmin et Jmax, bien que souvent il ne s’agisse pas d’ajustement avec jeu).
  • Aucune question ne vise à évaluer la signification attribuée par les apprenants aux concepts enseignés, leur capacité à décoder les symboles utilisés ou à mobilier leurs connaissances dans des situations de référence. Il est également remarquable qu’aucune question ne porte sur les instruments de précision qui sont objets d’un module d’enseignement.

Il apparaît qu’une même démarche se répète dans la totalité des documents d’évaluation portant sur les tolérances dimensionnelles et les ajustements. Cette procédure standard que nous avons dégagée et présentée sur la figure 2 comporte les étapes suivantes : à partir de la désignation d’une cote tolérancée, commencer par extraire les écarts limites, puis déduire ses dimensions limites et son intervalle de tolérance, calculer ensuite les valeurs des jeux limites pour en déduire le type de l’ajustement étudié en se basant sur la comparaison des signes des valeurs obtenues.

Cette procédure s’oppose à une approche conceptuelle qui correspond par ailleurs aux démarches de conception en industrie et qui passe par les étapes suivantes : (i) calculer, à partir des charges auxquelles est soumis le système mécanique les dimensions nominales de l’arbre et de l’alésage (calcul de résistance de matériaux), (ii) choisir l’ajustement entre l’arbre et l’alésage en fonction de la nature du guidage, de la vitesse de rotation, des charges appliquées… et (iii) déduire à partir de l’ajustement les cotes tolérancées de l’arbre et de l’alésage. Nos résultats montrent que l’aspect calculatoire, sans aucune liaison avec les pratiques de référence, l’emporte largement dans les documents d’évaluation analysés sur les aspects conceptuel et opératoire. Ainsi, pour répondre aux attentes des formateurs, les apprenants n’auront ni à reconstruire le modèle représentant les concepts fondamentaux des notions étudiées, ni à y attribuer une véritable signification. Réussir l’examen résultera uniquement d’une manipulation correcte des décimaux, et de la capacité des apprenants à suivre scrupuleusement les consignes du formateur.

Figure 2 Démarche type de problème à résoudre dans les documents d’évaluation

Figure 2 Démarche type de problème à résoudre dans les documents d’évaluation

Figure 2 : Démarche type de problème à résoudre dans les documents d’évaluation

Ces résultats convergent par ailleurs avec de nombreuses recherches en didactique des sciences physiques et des technologies (Barlet et Mastrot, 2000 ; Albe et Venturini, 2001) qui ont indiqué une tendance à privilégier un apprentissage de méthodes procédurales. Selon ces études, les types de problèmes proposés en classe n’exigent de la part des apprenants aucun intérêt pour les considérations conceptuelles. Nous nous interrogeons alors sur une éventuelle prise en charge par les formateurs du traitement conceptuel et sur les connaissances qui constituent véritablement en classe des enjeux d’apprentissage

Représentations de formateurs des normes techniques

Méthodologie

Notre protocole expérimental est constitué dans un premier temps d’un questionnaire qui nous a permis de collecter le maximum de réponses des formateurs exerçant dans le domaine de la maintenance industrielle en Tunisie. Afin de compléter ou d’approfondir les informations recueillies nous avons par la suite mené des entretiens avec les formateurs enseignant les tolérances et les ajustements. Dans sa forme définitive, le questionnaire comprend dix questions à choix multiples. Afin d’offrir aux formateurs l’occasion de nuancer leurs réponses, ces derniers peuvent situer leurs choix sur des échelles de Likert comportant 3, 4 ou 5 possibilités d’appréciation. Cent-quatre formateurs exerçant dans dix- sept centres de formation (parmi vingt centres) ont répondu au questionnaire, soit un peu plus de la moitié de l’ensemble des formateurs exerçant en maintenance industrielle dans tout le pays.

Résultats

Interrogés sur leurs points de vue à propos des relations entre sciences et technologie, 80% des formateurs considèrent que la technologie est une application des connaissances scientifiques. Les formateurs font souvent correspondre la technologie à la production (84%), à la résolution des problèmes industriels (90%), à la promotion du développement économique (81%) et à l’amélioration de la qualité de vie de nos sociétés (88%). En revanche, seulement 48% d’entre eux estiment que la technologie favorise la consommation et qu’elle organise la société (50%). Quant au statut à accorder aux normes techniques, les formateurs semblent plus divisés et plus hésitants. 38% des formateurs acceptent que toutes les connaissances technologiques soient exprimées sous forme de normes tandis que 32% refusent cette idée. Pour 54% des formateurs interrogés, les normes techniques correspondent aux savoirs théoriques de la technologie. Néanmoins, un consensus des formateurs apparaît (93%) pour considérer que les normes correspondent aux règles que les professionnels auront à respecter.

A la question « à quoi vous fait penser le mot norme ? », parmi une liste de 18 mots, les formateurs ont choisi qualité (84%), règles (83%), convention (78%), procédures (76%),

technologie  (63%),  sécurité  (62%),  langage  (61%),  conseils  (50%),  conception  (50%),

besoin (46%), sciences (30%), interchangeabilité (38%), industrie (32%), coûts (22%), économie (20%), société (9%). A propos des finalités des normes techniques, les formateurs indiquent que celles-ci servent entre autres à élaborer des réglementations (88%), à faciliter l’interchangeabilité des pièces (84%), à orienter les pratiques des professionnels (75%), à réduire les coûts de la production (38%), à trouver des solutions à des problèmes techniques (34%). Concernant les valeurs normalisées choisies par les normalisateurs, les formateurs répondent qu’il s’agit de résultats de travaux empiriques (83%), d’un choix rationnel (78%), d’application de formules mathématiques (58%). Peu de formateurs retiennent la négociation comme modalité intervenant dans le processus de normalisation ; ils estiment qu’il s’agit d’un choix arbitraire (6%). En ce qui concerne les finalités d’enseignement des normes, les formateurs pensent que celles-ci servent à en faire comprendre l’importance aux apprenants (84%), à aider les formés à construire les compétences requises (80%), à veiller à ce que les stagiaires puissent s’en servir (58%) et à respecter les prescriptions des programmes (34%).

Nos résultats, à propos des points de vue épistémologiques des enseignants sur les technologies, convergent avec ceux obtenus dans d’autres recherches (Bouras, 2006) et indiquent une forte teinte positiviste dans les réponses. Cette position se manifeste également assez nettement dans les choix que les enseignants avaient opérés parmi nos propositions à propos du statut des normes techniques. En effet, bien que les normes soient fortement sollicitées par les sphères économique et politique, les formateurs ont tendance à se focaliser sur les seuls aspects techniques. Pourrait expliquer cette centration, le fait que les enseignants se réfèrent à leur contexte d’enseignement pour exprimer des considérations sur la nature des technologies (Bungum, 2005). Il est par ailleurs remarquable que la grande majorité des formateurs fasse correspondre les normes aux règles que les professionnels auront à respecter bien que celles-ci ne leur soient pas destinées.

Conclusions

Notre recherche porte sur l’enseignement et l’apprentissage des normes techniques dans le cadre de la formation professionnelle en Tunisie. Dans cet article, nous avons présenté les étapes exploratoires qui ont contribué à l’élaboration de notre questionnement. Au cours d’une première étape, nous avons cherché à identifier les difficultés rencontrées par des stagiaires Tunisiens se formant en maintenance industrielle à propos des notions de tolérances dimensionnelles et des ajustements. La passation d’un questionnaire à visée exploratoire nous a permis de montrer que, pour justifier leurs réponses, les apprenants optent pour des arguments d’aspect plus calculatoire que conceptuel. L’analyse de documents d’évaluation nous a par ailleurs permis d’avancer que les exigences d’évaluation contribuent à une centration sur les aspects calculatoires. Il semble en fait que la répétition d’une démarche standard décontextualisée, non ancrée sur des références professionnelles conduise à un contournement d’un apprentissage de type conceptuel et à la proposition aux apprenants de connaissances sans perspectives opératoires. Nous avons ensuite tenté, au moyen d’un questionnaire, de cerner les points de vue des formateurs exerçant dans tous le pays dans le domaine de la maintenance industrielle à propos des normes techniques. L’analyse des réponses fournies nous a révélé que pour la majorité des formateurs, la technologie serait de la science appliquée et les normes techniques correspondraient à des règles et à des procédures à appliquer que les enseignants considèrent destinées aux professionnels mais qui n’ont pas beaucoup à voir avec l’industrie, l’économie, et la société. Ces premiers résultats nous semblent encourageants quant à la voie que nous avons empruntée pour étudier les références mobilisées pour l’enseignement et l’apprentissage des tolérances dimensionnelles et des ajustements. Nous prévoyons de poursuivre cette voie de recherche par l’exploration de l’éventuelle prédominance d’un contrat favorisant l’aspect procédural d’objets d’étude déconnectés de références sociales et professionnelles.

Références bibliographiques

Albe, V. et Venturini, P. (2001). Concepts électromagnétiques : absence de sens et manque de structuration chez les étudiants. In Skhôlé, numéro hors série 2001, pp : 241-252. Marseille : IUFM.

Andreucci, C., Froment, J-P. et Vérillon, P., Contribution à l’analyse des situations d’enseignement/apprentissage d’instruments sémiotiques de communication technique, in Enseignement de la technologie, Aster, 23, Paris : INRP, 1996, pp. 182-211.

Barlet, R. et Mastrot, G. (2000). L’algorihmisation-refuge, obstacle à la conceptualisation. L’exemple de la thermochimie en premier cycle universitaire. In Didaskalia. Enseigner les sciences à l’université et en formation des maîtres. n° 17, pp : 123-159.

Bassoumi, M-A. (2005). Étude des difficultés rencontrées par les stagiaires en maintenance industrielle à propos des notions de tolérances dimensionnelles et des ajustements. Mémoire de Mastère soutenu à l’ISEFC de Tunis.

Bouras, A. (2006). Épistémologie, langage et pratiques d’enseignement technique en ISET. Thèse en didactique des sciences physiques et technologiques. UTM de Toulouse.

Bungum, B. (2005). Relating science to technology – teachers’ views as educationally situated. Actes de la conférence de l’ESERA, 28 août-1er septembre 2005, Barcelone.

Lavoisy, O. (2000). La Matière et l’Action. Le graphisme technique comme instrument de la coordination industrielle dans le domaine de la mécanique depuis 3 siècles. Thèse de Doctorat en Génie Industriel. École Nationale Supérieure de Génie Industriel, Grenoble.

Lederman, N-G. (1992). Students’ and teachers’ conceptions of the nature of science: a review of the research. Journal of research in science teaching. Vol. 29, N° 4, 1992. Ed. John Wiley & sons.

Liotard, L. (1999). Normalisation, droits de propriétés intellectuelle et stratégies des firmes. Thèse de Doctorat en Sciences Économiques. Université Paris 13.

Penneau, A. (1989). Règles de l’art et normes techniques. Cité in Rouland M, (2004). La normalisation technique : instrument de concurrence à la loi. Colloque du Centre de Droit civil des Affaires et du Contentieux Économique de l’Université de Paris X-Nanterre.

Rabardel, P., RAK, I. et Vérillon, P. (1988). Machines outils à commande numérique : approches didactiques. Collection Rapports de Recherche n° 3. Paris : INRP.

Voigt, K. (2001). Du partenariat à la communauté euro-atlantique : les fondements d’un nouvel atlantisme. Paris. Forum Franco-allemand n°.2001-2002.

Résumé

Du fait du rythme accéléré d’évolution des connaissances technologiques, du caractère multidimensionnel de ces connaissances et de la diversité de leurs lieux d’élaboration, la question de la référence revêt une importance bien particulière. Notre travail de recherche étudie comment les formateurs tunisiens pensent transformer les normes techniques, objets de savoir de dimensions multiples, en éléments de formation susceptibles d’aider les stagiaires à construire les compétences requises. Dans une première étape, nous avons tenté d’identifier les difficultés rencontrées par les stagiaires de maintenance industrielle, à propos des notions des tolérances dimensionnelles et des ajustements. Les résultats attestent que les stagiaires répondent correctement aux questions en forme de calculs, mais rencontrent plus de difficultés dès qu’il s’agit de questions d’aspect conceptuel. Pour tenter d’expliquer l’origine des difficultés identifiées, nous avons exploré deux voies. La première montre que tous les sujets d’examens sont centrés autour d’une procédure standard d’aspect calculatoire. La deuxième voie porte sur une dimension épistémologique. Les tolérances dimensionnelles et les ajustements sont des notions fortement structurées en normes techniques. Dans une première phase exploratoire, au moyen d’un questionnaire, nous nous sommes aperçus que la plupart des formateurs méconnaissent les domaines d’action des normes techniques, et se fixent sur les aspects techniques. Les significations que les formateurs attribuent à ces questions, ont été recueillies au cours d’entretiens et seront disponibles lors de la communication de ce travail.


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