2008 Conception collaborative d’une séquence d’enseignement utilisant la communication non violente pour un débat socio-scientifique et citoyen Marie-Josée Gombert & Virginie Albe

Conception collaborative d’une séquence d’enseignement utilisant la communication non violente pour un débat socio-scientifique et citoyenMarie-Josée Gombert & Virginie Albe

Conception collaborative d’une séquence d’enseignement utilisant la communication non violente pour un débat socio-scientifique et citoyen
Marie-Josée Gombert & Virginie Albe

Summary

The recent educational reforms for the teaching of sciences to the secondary stress the formation citizen of the young people. The training of the debate around scientific topics is essential, like a key device of the training of the citizen. Various educational aiming and methods of debates were proposed: to support a conceptual training, a formation with the nature of sciences, argued decision making, to develop argumentative competencies for a school use and/or of a later social use. Various school forms of debates are implemented in class. The exchanges between pupils in connection with scientific or socio-scientific controversies utilize interpersonal, social, emotional elements… The emotions implied in such debates can be strong and generate tensions or conflicts between pupils. Our research aims at supporting the training of the dialog in class insofar as he plays a central role in the processes of training. To discuss constitutes an invaluable alternative to violence. We adopted the approach of the Non-violent Communication (Rosenberg, 1999) to develop communications tools. We will present the sequence of teaching which we worked out with teachers of various disciplines, for a Terminal class of Agricultural Baccalaureate.

Des recherches sur l’enseignement des sciences et l’éducation à la citoyenneté

En suivant l’analyse des orientations de l’enseignement des sciences depuis une trentaine d’années (Albe, 2007), il est possible d’identifier des mouvements qui ont tenté d’articuler sciences et citoyenneté. En réaction à une vision des sciences et de l’enseignement scientifique jusque là essentiellement positiviste, des mouvements de recherche en éducation aux sciences se sont développés depuis les années 1970 afin de permettre une compréhension plus avertie de la nature et des pratiques des sciences. Des recherches se sont ainsi centrées, plus particulièrement dans le monde anglo-saxon et nord-américain, sur la compréhension des sciences par le public et des relations sciences-technologies- sociétés. Au cours des années 1980, des préoccupations sociales, économiques et environnementales partagées par plusieurs pays et par des institutions internationales (OCDE, UNESCO…) ont conduit à proposer que la formation en sciences des futurs citoyens devienne une priorité. Le développement de la culture scientifique et technique pour tous (et non seulement pour les élèves qui se destinent à des métiers scientifiques et techniques) est devenu un axe majeur des enseignements dans de nombreux pays. Cette perspective de développement de la culture scientifique soulève de nombreux débats chez les chercheurs. Certains mettent l’accent sur l’acquisition d’une base de connaissances scientifiques pour permettre aux citoyens de mieux affronter les problèmes posés par les sciences et les technologies (Shamos, 1995), d’autres se centrent sur l’apprentissage du débat dans une visée de démocratisation des sciences (Driver et al., 1996 ; Bader, 2003 ; Kolstø, 2001 ; Sadler, 2004). Il s’agit dans ce cas de s’approprier et d’utiliser des connaissances scientifiques pour participer significativement comme citoyens aux controverses socio-scientifiques. Selon Prewitt (1983) par exemple, les personnes cultivées scientifiquement peuvent s’engager dans des activités politiques, des processus de décisions collectives ou de changement social. Dans cette perspective, le développement de la culture scientifique est considéré comme un fondement de la pratique de la démocratie dans nos sociétés et comme un élément pour favoriser la responsabilité civique. L’enseignement des questions scientifiques socialement vives s’inscrit dans le cadre de ces débats sur une éducation aux sciences plus citoyenne et rejoint une perspective de démocratisation des techno-sciences pour tous.

Le contexte éducatif

L’enseignement agricole français

Des controverses socio-scientifiques socialement vives ont récemment été intégrées aux enseignements scientifiques de l’enseignement agricole. La scolarisation de telles controverses socio-scientifiques pose de nouveaux défis didactiques pour la classe et la recherche en éducation aux sciences. Plusieurs approches sont promues dans les programmes. La pluridisciplinarité par exemple, soit par la mise en œuvre de projets à l’initiative des équipes pédagogiques dans les établissements, soit par l’enseignement de modules ou de matières pluridisciplinaires inscrites dans les programmes. Des experts (chercheurs, membres de comités d’éthique régionaux…) sont par ailleurs invités à intervenir dans les lycées pour animer des débats avec les élèves. Des thèmes objets de controverses tels que les biotechnologies, le climat, l’énergie, l’eau sont inscrits dans les programmes. Leurs enjeux sociaux doivent faire l’objet d’enseignements. L’organisation de débats argumentés est recommandée. Les finalités éducatives portent sur le  développement et l’exercice de la citoyenneté, la prise de conscience d’exigences éthiques et la réflexion critique sur des problèmes de société. Les programmes recommandent par exemple d’aborder des problématiques scientifiques et techniques telles que la biodiversité, la bioéthique, l’eau, à partir de questionnements tels que (…) Le génome, quelles représentations ? Peut-on manipuler le génome ? (…) Quelle biodiversité pour demain ? Pourquoi la préserver ? (…) Eau, ressource vitale ; pourquoi la préserver ? Accès à la ressource ? Les enseignants se trouvent ainsi amenés à enseigner des savoirs en train de se construire, incertains, controversés, débattus dans le domaine de la recherche et dans la société. Les enjeux et les questions soulevés interpellent les experts, questionnent le statut des savoirs scientifiques, placent les incertitudes au cœur du débat. Or, la coutume de l’enseignement des sciences concerne des savoirs stabilisés. Comment, dans ce contexte traiter en classe de questions scientifiques socialement vives qui font intervenir des aspects scientifiques, économiques, politiques, environnementaux, culturels, éthiques ?

Le contexte éducatif du nouveau Baccalauréat technologique STAV- le module M8

La série STAV Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant a été mise en place dans l’enseignement agricole en 2006. Elle est organisée en dix matières définissant un tronc commun développant une culture scientifique, technologique et générale spécifique à l’enseignement agricole selon trois axes : (i) agriculture, territoires et société, (ii) fait alimentaire et (iii) gestion du vivant, des ressources durables et non durables. Chaque matière est pluridisciplinaire. Elle associe au moins deux disciplines. Elle est définie en fonction de l’objectif général de formation. Un module porte sur l’étude de la gestion du vivant et des ressources. Il s’agit de faire acquérir des connaissances et des compétences permettant une approche scientifique, technologique, humaniste et citoyenne de la gestion du vivant et des ressources. Un des objectifs de ce module consiste, comme le mentionne  le référentiel, à traiter des enjeux liés au vivant et aux ressources (et à) développer des attitudes responsables. Parmi les compétences attendues dans le référentiel, trois sont particulièrement pertinentes pour notre travail de recherche : (i) identifier les points faisant débat (les questions vives), (ii) appréhender la dimension éthique et (iii) se positionner en tant citoyen. Nous nous intéressons à la séquence d’enseignement qui correspond à cet objectif 3.

Débattre de questions scientifiques socialement vives

Une question socialement vive constitue un enjeu social, mobilise des représentations, des valeurs, des intérêts qui s’affrontent, fait l’objet de débats et d’un traitement médiatique. Par nature complexe, une question socialement vive confronte à l’incertitude, peut être porteuse d’émotions et est souvent politiquement sensible (Albe, 2007). Les questions scientifiques socialement vives sont objets de controverses dans les savoirs de référence et en société (Legardez & Alpe, 2001), suscitent une expertise technique poussée et en même temps constituent des affaires, souvent embrouillées, mêlant les questions juridiques, morales, économiques et sociales (Latour, 2007). La formation du citoyen est la finalité généralement exprimée dans toutes les recherches menées dans le courant des questions scientifiques socialement vives. La finalité est le développement d’une citoyenneté responsable (Sadler, 2004). Des recherches mettent l’accent sur l’apprentissage de l’argumentation en classe : débattre étant considéré dans ce cas comme une compétence citoyenne. Selon cette perspective, il s’agit de faire pratiquer aux élèves des débats par analogie avec le débat démocratique. Il peut s’agir de délibérer d’une question socialement vive, d’un problème ayant une résonance avec l’expérience personnelle des élèves ou leur environnement social, de simuler des débats publics. Dans cette dernière perspective, les dispositifs d’apprentissage sont centrés sur la pratique du débat en contexte scolaire, en lien explicite avec des pratiques sociales.

Pour le projet de recherche, le choix du débat comme alternative à la violence

Comme Tozzi et Etienne (2004) le soulignent, le débat est à l’ordre du jour dans le système éducatif français. Il intervient dans la vie scolaire avec la formation des délégués par exemple, dans la vie de classe (débats de régulation dans le secondaire), mais aussi dans l’enseignement des disciplines comme en français avec des débats d’interprétation oraux sur des textes à partir de passages qui résistent, en sciences et en mathématiques où on organise à partir de problèmes ouverts des débats scientifiques. Le débat apparaît donc comme une activité structurant de manière transversale l’école (Tozzi, 2004, p. 11) tant au niveau de la vie scolaire que de l’enseignement des disciplines. En participant à l’éducation à la civilité et à la citoyenneté, il est jugé prioritaire, notamment à cause de la montée des incivilités. Selon une telle approche, le débat est didactisé à l’école comme objectif d’apprentissage. Par ailleurs, des travaux de recherche sur la violence en milieu scolaire (Favre, 2007) ont montré que la grande partie des élèves identifiés comme violents avaient recours à un mode de traitement dogmatique de l’information. En ligne avec ces recherches, aider les élèves à penser et à s’exprimer de manière non-dogmatique constitue une alternative à la violence. Une pédagogie de conscientisation et d’engagement a également été proposée (Ferrer et Allard 2002). Le dialogue, entendu comme un échange qui se produit entre consciences cherchant à communiquer dans la réciprocité (Durozoi  et Roussel, 1997, p. 111) est la clé de voûte de cette pédagogie. Le dialogue permet de construire des connaissances et de résoudre pacifiquement des conflits.

Problématique de la recherche

Une revue de littérature sur la pratique du débat en classe sur des controverses socio- scientifiques indique que les dimensions épistémologique, sociale, interpersonnelle, affective structurent les interactions entre élèves. Face à une science en train de se faire, incertaine et controversée, et dans un contexte scolaire où traditionnellement les sciences sont perçues comme pouvant apporter une réponse unique, une preuve qui résoudrait la controverse est attendue par les élèves. Dans ce contexte, ils sont souvent conduits à débattre pour gagner, ce qui génère tensions interpersonnelles et parfois des conflits. Ainsi, des recherches sur la pratique du débat en classe sur des controverses socio-scientifiques proposent d’outiller les élèves afin de favoriser un dialogue qui permet l’appréhension de la controverse (Albe, 2006 ; Dawes, 2004 ; Grace, 2005). Nous adhérons à cette proposition d’outiller les élèves à la pratique du dialogue et y ajoutons une dimension de communication non violente. Selon Rosemberg (1999, p. 11), la CNV (Communication Non Violente) repose sur une pratique du langage qui renforce notre aptitude à conserver nos qualités de cœur même dans des conditions éprouvantes. (…) Son objectif est de nous rappeler ce qui fait la valeur profonde des interactions humaines et de nous aider à les vivre avec cette conscience. La CNV nous engage à reconsidérer la façon dont nous nous exprimons et dont nous entendons l’autre. Les mots ne sont plus des réactions routinières et automatiques mais deviennent des réponses réfléchies émanant d’une prise de conscience de nos perceptions, de nos émotions et de nos désirs. Nous nous exprimons alors sincèrement et clairement en portant sur l’autre un regard empreint de respect et d’empathie. Dans cet échange nous sommes à l’écoute de nos besoins les plus profonds et de ceux de l’autre. Dans la perspective d’apprentissage de la pratique du débat en classe sur une question socio-scientifique dans l’enseignement agricole, notre recherche vise à analyser les potentialités d’un outil de communication non violente intégré à une séquence d’enseignement destiné à faire débattre les élèves sur des questions socio-scientifiques. Il s’agit d’analyser comment les élèves régulent leurs interactions sociales, dépassent leurs désaccords et mobilisent les outils de communication auxquels ils ont été formés pour formuler ou reformuler leurs arguments de façon non violente lors d’un débat autour des questions controversées du réchauffement climatique et des choix énergétiques.

Bibliographie

Albe, V. (2006). Procédés discursifs et rôles sociaux d’élèves en groupes de discussion sur une controverse socio-scientifique. Revue Française de Pédagogie, 157, 103-118.

Albe, V. (2007). Des controverses scientifiques socialement vives en éducation aux sciences. État des recherches et perspectives. Mémoire de synthèse pour l’Habilitation à diriger des Recherches. Université Lyon 2.

Bader, B. (2003). Interprétation d’une controverse scientifique : stratégies argumentatives d’adolescentes et d’adolescents québécois. Revue canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies, 3, 231-250.

Dawes, L. (2004). Talk and learning in classroom science. International Journal of Science Education, 26, 677-695.

Driver, R., Leach, J., Millar, R. & Scott P. (1996). Young people’s image of science. Buckingham : Open University Press.

Durozoi, G. & Roussel, A. (1997). Dictionnaire de philosophie. Paris : Nathan. Favre, D. (2007). Transformer la violence des élèves. Saint Jean de Braye : Dunod.

Ferrer, C. & Allard, R. (2002a). La pédagogie de la conscientisation et de l’engagement : une éducation à la citoyenneté démocratique. Première partie – Portrait de la réalité sociale et importance d’une éducation à la conscientisation critique et à l’engagement. Éducation et francophonie, XXX, Québec : ACELF.

Ferrer, C. & Allard, R. (2002b). La pédagogie de la conscientisation et de l’engagement : Pour une éducation à la citoyenneté démocratique dans une perspective planétaire. Deuxième partie – La PCE : Concepts de base, transversalité des objectifs, catégorisation des contenus, caractéristiques pédagogiques, obstacles et limites. Éducation et Francophonie, Vol. XXX, Québec : ACELF.

Grace, M. M. (2005). Developing personal values and argumentation skills through decision-making discussions about biological conservation. Paper presented at the ESERA Conference, Barcelona.

Kolstø, S. D. (2001). Scientific literacy for citizenship: Tools for dealing with the science dimension of controversial socio-scientific issues. Science Éducation, 85, 291-310.

Latour, B. (2007). Cours de description des controverses. Consultable sur le site de l’École des mines de Paris. controverses.ensmp.fr

Legardez, A. & Alpe, Y. (2001). La construction des objets d’enseignements scolaires sur des questions socialement vives : problématisation, stratégies didactiques et circulations des savoirs, In Actes du quatrième Congrès AECSE Actualité de la recherche en éducation et formation, Lille.

Prewitt, K. (1983). Scientific illiteracy and democratic theory. Daedalus, 112(2), 49–64.

Rosemberg, M. B. (1999). Les mots sont des fenêtres (où bien ce sont des murs). Initiation à la communication non violente. Paris : La Découverte & Syros.

Sadler, T. D. (2004). Informal reasoning regarding socio-scientific issues: a critical review of research.

Journal of Research in Science Teaching, 41, 513-536.

Shamos, M. (1995). The myth of scientific literacy. New Brunswick, US: Rutgers University Press.

Résumé

Les récentes réformes éducatives pour l’enseignement des sciences au secondaire mettent l’accent sur la formation citoyenne des jeunes. L’apprentissage du débat autour de thèmes scientifiques s’impose comme un dispositif clef de la formation du citoyen. Différentes visées éducatives et modalités de débats ont été proposées : favoriser un apprentissage conceptuel, une formation à la nature des sciences, à la prise de décision argumentée, développer des compétences argumentatives en vue d’un usage scolaire et /ou d’un usage social ultérieur. Différentes formes scolaires de débats sont mises en œuvre en classe. Les échanges entre élèves à propos de controverses scientifiques ou socio-scientifiques font intervenir des éléments interpersonnels, sociaux, affectifs… Les émotions impliquées dans de tels débats peuvent être fortes et générer des tensions ou des conflits entre élèves. Notre recherche vise à favoriser l’apprentissage du dialogue en classe dans la mesure où il joue un rôle central dans les processus d’apprentissage. Débattre constitue une alternative précieuse à la violence. Nous avons retenu l’approche de la communication non-violente (Rosenberg, 1999) pour développer un outil de communication. Nous présenterons la séquence d’enseignement que nous avons élaborée avec des enseignants de différentes disciplines, pour une classe Terminale de Baccalauréat Agricole.

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