Résumé
Cet article vise à explorer et mieux comprendre les enjeux des usages des technologies en éducation en Afrique centrale en général et particulièrement au Cameroun. Nous commencerons par relever l’intérêt très marqué ces dernières années dans le domaine de l’éducation qui octroi entre autres une place encore plus forte pour les dispositifs et outils numériques dans les pratiques pédagogiques. Nous visons deux objectifs : le premier est de dresser un portrait des usages des médias numériques par les enseignants et les apprenants au sein et en dehors des institutions éducatives. Le second se propose d’en déduire les enjeux d’une éducation critique aux médias et de proposer des solutions pour orienter ces usages à des fins pédagogiques.
Mots clés
Éducation, médias, réseaux sociaux, enseignement, apprentissage
Introduction
Les Technologies de l’Information et de la communication (TIC) ont connu une croissance considérable ces dernières décennies en Afrique et le Cameroun n’est pas en reste. En effet, L’État a pris conscience du fait que les TIC semblent pouvoir contribuer à l’accès universel à l’éducation, et à l’équité dans l’éducation, à la mise en œuvre d’un apprentissage et d’un enseignement de qualité. Des efforts sont donc déployés pour introduire les TIC dans l’éducation. Cependant, l’essentiel de ceux-ci a pour l’instant été mis dans l’achat d’équipements comme les tablettes, ordinateurs, construction des laboratoires d’informatique au détriment de la formation des enseignants centrée sur l’utilisation et l’appropriation de ces outils. Ainsi que l’ont souligné Karsenti & Collin (2013), on semble se réjouir de la présence des technologies en salle de classe, se contenter à réduire le ratio élèves/ordinateurs sans se soucier des usages qui en découlent et au regard desquels on perd parfois l’objectif premier de l’introduction des TIC à l’école. Nous souhaitons dans cet article tout en donnant un aperçu des usages qui sont faits des TIC par les enseignants et les apprenants, en déduire les implications pour orienter ces usages à des fins pédagogiques.
Usages des TIC au sein et en dehors des institutions scolaires
Usages des TIC au sein des institutions scolaires
L’intégration pédagogique des TIC dans l’éducation au Cameroun est une réalité depuis 2001, date de l’inauguration des premiers Centres de Ressources Multimédias (CRM) pour donner une égalité de chance à tous dans l’utilisation des TIC et de vulgariser la pratique de l’informatique.
Pour intégrer l’utilisation des centres ressources dans la formation de tous les élèves, un volume horaire de 2 heures par quinzaine (1h par semaine dans certains établissements) et par classe est planifié dans l’emploi du temps pour l’accès au centre de ressources, soit 34 heures par année.
Pendant ces heures, l’enseignant peut accompagner les élèves et animer leurs cours en utilisant les ressources pédagogiques disponibles. Il est également possible que les élèves bénéficient d’un accès au centre de ressources en présence d’un moniteur multimédia pour des travaux de recherche ou de production à la demande des enseignants. En plus de ces plages horaires obligatoires et selon la disponibilité du CRM d’autres activités peuvent être planifiées.
D’après Kolyang & Mvondo (2012), il ressort de l’exploitation des CRM, que les TIC permettent aux élèves d’accéder à un grand nombre d’informations, d’apprendre plus facilement leurs leçons grâce à la pluralité des exemples et des exercices qu’ils trouvent par leurs recherches personnelles. Les TIC facilitent également la révision, apportent une plus-value pédagogique. Les élèves qui jadis habitués à la craie et à la restitution des connaissances que leurs donnaient leurs enseignants, expérimentent les ressources animées. Ils sont plus motivés, manifestent un effort d’apports personnel et d’autonomie.
Usages des TIC en dehors des institutions scolaires
Le boum de la téléphonie mobile au Cameroun n’a pas laissé le choix au monde de l’éducation qui a emboité le pas de la « modernisation ». Enseignants ou apprenants, tout le monde doit être à l’ère du temps. L’utilisation en masse des smartphones et surtout la démocratisation d’Internet favorisée par la concurrence a vidé plus ou moins les lieux mythiques que représentaient les cybercafés. Les utilisateurs d’Internet sont de plus en plus autonomes.
Une fois sortis du cadre institutionnel de l’école, enseignants et apprenants n’abandonnent pas Internet. Cependant, les usages se diversifient. L’utilisation est encore certes basique avec l’envoi des courriers électroniques et le chat. Facebook est le principal et le plus couru des réseaux sociaux au Cameroun. Sur ce réseau, les sujets échangés sont peu probants et la plupart sur des blagues liées au sexe ou à la vie quotidienne. C’est un échange de photos même sur la vie privée suivi de commentaires plus ou moins appréciés. Même dans les groupes fermés, les échanges ne sont pas toujours instructifs.
Exemples d’échanges vus et lus sur des murs d’enseignants et d’apprenants :
Cet ensemble de figures représente des scènes de la vie quotidienne de la relation entre hommes-femmes et le résultat de l’éducation des enfants.
Ces images renvoient aux conséquences ou effets des TIC dans la vie des individus.
Ici, c’est plutôt l’expression d’un mal être du corps enseignant. Ce qu’on ne peut pas dire tout haut, s’exprime mieux par les images. Les commentaires de l’image de la fille prouvent la prise de conscience de certains, le recul face à l’affichage de la vie privée par rapports aux réseaux sociaux particulièrement.
Enjeux de l’éducation et médias
Les sciences de l’information et de la communication constituent le champ de l’éducation aux médias, en tant qu’elles forment à l’examen critique des modes et moyens de communication. Pourtant, il serait péremptoire d’en déduire que les utilisateurs soient armés d’un esprit critique quant à l’utilisation de ces médias. Au regard des usages des TIC observées au sein et en dehors des institutions scolaires, par les enseignants et leurs apprenants, il est primordial de recadrer les orientations ainsi que les objectifs pour une prise en main plus pédagogique des TIC.
Nous souhaitons poser des bases de ce que pourrait être une éducation critique aux médias dans le contexte camerounais en prenant en compte les difficultés à prendre du recul sur des contenus et des dispositifs du fait à la fois de leur disponibilité et de la difficulté liée à leur fonctionnement. Ce qui nous amène à la mise en exergue la confusion qui se fait dans le contexte d’étude lorsqu’on parle des TIC dans l’éducation. Quelle différence fait-on entre enseigner avec les TIC – Enseigner par les TIC – Enseigner les TIC. Dans cet article, il faut prendre « Enseigner » comme « Éduquer ». Nous privilégions le terme « Enseigner » pour une meilleure compréhension.
Malgré le fait que l’informatique comme discipline ait été introduite dans les programmes officiels au Cameroun depuis une dizaine d’années, les enseignants ont de la peine à faire la différence entre ces différents concepts mais surtout, ils semblent désarmés et désorientés face aux « digital natives », la nouvelle génération des apprenants dont ils ont la charge.
En effet, appelés à juste titre les « digital natives » ou « la génération numérique », les élèves d’aujourd’hui utilisent les TIC plus de 60 heures par semaine. Plusieurs d’entre eux les ont manipulées avant de savoir prononcer un mot. Dans les foyers, à l’école ou dans la rue, ils ont accès à l’Internet au travers des terminaux mobiles, ce qui révolutionne et force au changement de paradigme. Ce terme est opposé à celui de « digital immigrants » ou « les migrants numériques » qui contrairement au « natives » ont dû s’intégrer au nouvel environnement dont ils ont assisté à la naissance.
Entre fascination et crainte, les enseignants qui sont des « digital immigrants » oscillent. Ils s’interrogent sur le fonctionnement de cette génération et sur la manière de les aborder. Doivent-ils s’accrocher et persévérer dans les schémas habituels ou muter en s’appropriant le langage des jeunes pour se faire comprendre ? Non seulement le rapport au temps de ces jeunes est différent, mais le sont également leur rapport à la concentration et à la lecture. Ce qui ne facilite pas le travail de l’enseignant. L’enseignant doit intégrer les caractéristiques des « digital natives » sachant que les modes d’apprentissages sont différents. Ceux-ci sont plus à l’aise avec la gestion multitâche avec une capacité d’attention et de concentration, qu’ils préfèrent l’interactivité aux longs discours. C’est pourquoi Jean-Pierre Berthet (2014) affirmait qu’« enseigner aux « digital natives » demande aux enseignants de repenser leur rôle, d’alterner leur posture de sachant et de personne ressource, d’aider les apprenants à rechercher une connaissance accessible en quelques clics tout en développant leur esprit critique, de jouer sur leur capacité à agir en réseau pour développer le travail collectif ».
Comment donc pour un enseignant, rester efficace tout en intégrant la modernité dans sa pratique pédagogique ? Comment capter l’attention des jeunes tout en jouant sur leur terrain ? Comment concilier les désirs de mondialisation des jeunes par la consommation des médias et la nécessité de de s’approprier des nouveaux outils à des fins pédagogiques ? Dans ce contexte, l’éducation aux médias revêt une importance toute particulière. Il s’agit de la capacité à accéder aux médias, à comprendre et apprécier avec un sens critique les différents aspects et leurs contenus. La prise de conscience de leur fonctionnement facilite une distanciation par rapport à ces technologies tant redoutées (Corroy-Labardens, Barbey, & Kiyindou, 2015). Ceci étant, nous pensons que le problème ne peut être résolu que par la formation et la sensibilisation.
Le carré pédagogique
À partir du triangle pédagogique de Jean Houssaye (1988), Mvondo (2013) propose le carré pédagogique afin d’expliciter tous les processus liés à la pédagogie dynamique. Elle enrichit en fait le triangle en ressortant au mieux la relation entre la pédagogie, l’enseignement et les TIC.
L’enseignant transforme après apprentissage, les savoirs savants en savoirs à enseigner (Didactisation).
Il transforme les savoirs à enseigner en savoirs à acquérir (Enseignement)
L’élève étudie pour s’approprier les savoirs (Apprentissage).
L’enseignant se forme par le truchement d’une activité de recherche intense, soutenue par une documentation diversifiée et constamment enrichie (Formation continue).
Il fait des propositions, des suggestions d’amélioration des contenus des programmes, les curricula, les manuels ainsi que les rythmes d’évaluation.
Ainsi, l’enseignant est le pôle dynamique d’où partent trois processus (1), (2) et (4), l’animateur interactif du processus (5). Il se présente à cet effet comme une boite noire avec en intrants la documentation et la recherche et en extrants, les curricula améliorés. Il est aussi l’inspirateur rémanent du processus (3). Une intégration réussie des technologies dans la pédagogie est effective lorsque leur usage facilite, bonifie l’apprentissage ou l’enseignement.
La formation et sensibilisation
« Au Cameroun, les compétences pédagogiques doivent permettre aux acteurs de la chaine pédagogique d’utiliser les TIC pour mettre en pratique les principes des Pédagogie par Objectifs (PPO) et Pédagogie des Grands Groupes (PGG) » (Rocare, 2009). Cette dernière pédagogie est d’autant plus importante que le système éducatif au Cameroun en souffre. La définition de (Dah, 2002) nous semble très proche du contexte des grands groupes au Cameroun : « on parle d’un grand groupe lorsque, dans une situation d’enseignement/apprentissage donnée, le nombre d’étudiants peut devenir un obstacle à la communication ». Une classe dans un établissement public au Cameroun comprend entre 80 et 130 élèves. Alors que la règlementation fixe à 60 élèves, l’effectif maximale dans une classe. C’est dans ces conditions que doivent travailler les enseignants. Maitriser l’intégration des TIC dans son processus d’enseignement serait d’un apport considérable à la pédagogie (Djénéba, 2007).
Les TIC sont alors des instruments pouvant être mis au service des activités de la classe et de l’école pour démocratiser la supervision, l’enseignement et l’apprentissage. Les efforts sont faits dans ce sens dans les écoles normales où les modules de TIC et d’informatique ont été introduits dans les programmes officiels. Mais, ces enseignants d’un nouveau genre ne sont pas encore opérationnels et ceux qui le sont sombrent très vite dans la routine, assagis par les conditions de travail pénibles sur le terrain et surtout, contaminés par l’aigreur et la réticence des « anciens ». Ce qui nous emmène à penser que certes, le travail de fond effectué dans les écoles normales est apprécié mais il faut une sensibilisation et un suivi sur le terrain. Ceci pour encourager les « anciens » à une adoption et intégration des TIC dans les pratiques pédagogiques. Parfois la honte de mal faire ou l’ignorance sont autant d’entraves qui empêchent les enseignants de se lancer. Ils se contentent de la médiocrité en repoussant la responsabilité aux seuls enseignants d’informatique. Un séminaire de sensibilisation et de formation sur la prise pédagogique d’Internet par exemple guidera dans la méthodologie de recherche et la démystification de l’outil.
Conclusion
La formation et la sensibilisation constituent un antidote à la mauvaise utilisation et la non optimisation des TIC dont font preuve les acteurs du système éducatif camerounais. L’éducation critique aux médias favorise une utilisation judicieuse des TIC dans la pratique pédagogique quotidienne et favorise l’adaptation du modèle éducatif à l’évolution de son environnement. Adopter les TIC dans sa démarche exigera une remise en question profonde ainsi qu’une redéfinition du rôle de l’enseignant. Certains enseignants, quoiqu’étant réceptifs à l’idée d’intégrer et d’adopter les TIC, se trouvent rapidement en difficulté, car n’ayant pas su modifier leur approche. Il devient impérieux de mettre en place de nouvelles stratégies et de nouveaux modèles de fonctionnement pour favoriser et améliorer l’utilisation optimale de ces nouvelles ressources.
Les réseaux sociaux par exemple présentent un potentiel indéniable en tant qu’outils et supports pour l’enseignement et l’apprentissage. Leur utilisation pédagogique en classe requiert cependant un arrimage avec les objectifs pédagogiques à développer et une bonne planification de leur intégration.
La motivation est l’intérêt pédagogique principal des réseaux sociaux. En effet, produire des contenus exploités par un public divers est galvanisant. Ce qui renforce l’esprit de responsabilité et comble le besoin d’estime de soi. L’enseignant devient ainsi l’accompagnateur et le guide de l’apprenant tout en encourageant le travail collaboratif. Leur mise en application dans un enseignement hybride lui fournit un potentiel motivationnel (Maisonneuve, Rougerie , & Chambe, 2015).
Bibliographie
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