TECHNOLOGY EDUCATION: FROM EPISTEMOLOGICAL GOAL TOWARDS SOCIETY AIM
ISEFC Tunis, ISET Nabeul – Tunis, Tunisie – ENFA, Toulouse, France
SUMMARY
In technological teaching, the teachers sometimes privileged the « theory » with the detriment of the resolution of problems such as they posed in the daily existence. By « theory », we understand the study of technological concepts without those connected to the questions, which gave birth to them and to the situations, which continue to make today them relevant and fertile. So that the knowledge of technological concepts is interesting, those must be included/understood in their practical, historical and cultural contexts, i.e. as a technological « project ». Without that, the concepts are likely to seem magic objects, even manias of teachers. What happen does in the context of a higher institute of the technological studies in Tunisia? How do the technological culture and knowledge in the lesson intervene? How is it possible allowing a coherence of our relations with the technical objects?
Within the framework of didactic of technology, we studied how teachers of Tunisian higher technological teaching conceive the methods of construction of the technological knowledge and their articulations with the scientific knowledge and the social evolutions. From talks, this study has as finalities to identify the « epistemological » posture of some teachers with respect to technology and the bonds between sciences, technologies and companies and, by collection of the speech of a teacher in traditional situation of course and practical work, to analyze a sequence of teaching training of the concept of filter electric in a traditional situation of class.
INTRODUCTION
Dans le cadre de l’enseignement technologique dans un institut supérieur des études technologiques en Tunisie, nous avons étudié comment des enseignants conçoivent les modes de construction des savoirs technologiques et leurs articulations avec les savoirs scientifiques et les évolutions sociales. Dans une approche de didactique des technologies, nous avons réalisé des entretiens avec quelques enseignants. Les analyses conduites à partir des discours ont pour finalités d’identifier la « posture épistémologique » des enseignants interrogés vis-à-vis de la technologie et leurs points de vue des liens entre sciences, technologies et sociétés. Dans un premier temps, nous présentons dans cet article les ISET, leurs missions, leurs activités et le profil des enseignants technologues. Ensuite, nous présenterons notre question de recherche, détaillerons notre méthodologie et nos résultats. Enfin, nous conclurons en ouvrant la discussion sur des perspectives de formation des enseignants technologues.
MISSIONS DES ISET
Pour remédier aux besoins des entreprises tunisiennes en techniciens supérieurs, les Instituts Supérieurs des Études Technologiques (ISET) ont été créés27. Le nombre de techniciens supérieurs formés par l’Université Tunisienne, des années 1960 aux années 1990, demeure assez faible, à la fois, par rapport aux besoins de l’économie nationale et, par rapport au nombre de diplômés des cycles longs de l’université : ingénieurs et autres diplômés. Tel qu’il a été évalué par les principaux décideurs économiques dans le secteur industriel et dans les services, le déficit en techniciens supérieurs à la fin des années 1980 est estimé à environ 70% du total des besoins des entreprises. La pyramide s’est trouvée ainsi inversée, alors que la norme internationale préconise, au niveau de l’entreprise, une moyenne de trois à quatre techniciens supérieurs par ingénieur. La mission principale des ISET est de former des cadres moyens ou techniciens supérieurs pour les besoins des entreprises aussi bien au niveau du secteur industriel (secondaire)28 que du secteur des services (tertiaire)29.
28 Les principaux départements secondaires sont : génie mécanique, génie électrique, génie civil, génie chimique, maintenance industrielle, informatique industrielle, biotechnologies.27 Loi n°92-50 du 18 mai 1992.
Ces techniciens supérieurs auront un niveau de qualification intermédiaire entre celui de technicien de base (ouvrier qualifié) et celui de l’ingénieur. Leur formation sera suffisamment tournée vers la pratique et suffisamment solide théoriquement pour leur permettre à la fois de maîtriser la technologie existante et de s’adapter aux évolutions de cette technologie. La formation qui est dispensée dans ces ISET est définie sur la base de spécialités très ouvertes, ne préparant pas à des professions déterminées mais à des types de fonctions. Dans les différentes branches de l’économie, les diplômés des ISET auront pour rôle de :
- collaborer avec les spécialistes de leur niveau comme avec les ingénieurs ou les cadres administratifs, financiers ou commerciaux de l’entreprise ;
- traduire dans le concret les conceptions des ingénieurs et des autres cadres supérieurs ;
- interpréter et transmettre aux simples techniciens, ouvriers spécialisés ou autres personnels administratifs, les instructions générales des responsables de l’entreprise.
Chaque filière ou département comprend un certain nombre d’options très spécialisées pouvant changer selon les besoins spécifiques de la région dans laquelle est implanté l’ISET. Ainsi, pour chaque filière de formation, le contenu des programmes est arrêté à un niveau national, dans la limite de 70% du volume horaire global. Le reste du volume horaire est défini dans chaque institut par son conseil scientifique et technologique sur propositions des départements concernés et compte tenu des spécificités des disciplines enseignées dans cet institut et de l’environnement économique et social dans lequel se situe l’institut30. Chaque ISET est doté, à la fois, de départements secondaires et de départements tertiaires. Le nombre de départements par institut varie entre trois et six, selon l’importance de l’ISET. Chaque département compte près de 400 étudiants. Le volume global horaire varie selon les disciplines, de 1900 à 2300 heures réparties en cinq semestres. Un semestre comporte 15 semaines de formation. L’enseignement comporte des cours théoriques intégrés (cours et travaux dirigés), des travaux pratiques et deux stages obligatoires : un stage d’initiation en entreprise et un stage de perfectionnement, chacun d’une durée moyenne de quatre semaines. En plus de ces stages les étudiants préparent des mémoires ou des projets de fin d’études pendant le dernier semestre de leur formation. La nature des études dans les ISET, le caractère pratique et ouvert sur l’environnement économique de ce type d’enseignement et la nécessité d’avoir un taux d’encadrement des étudiants adéquat exigent un corps enseignant fourni et particulier cumulant à la fois une compétence théorique et technologique de haut niveau et une connaissance suffisante de la réalité de l’entreprise tunisienne. C’est pour répondre à ces besoins des ISET qu’il a été décidé de créer, en 1993, un corps nouveau d’enseignants technologues. Ce nouveau corps doit répondre, non seulement aux besoins en formateurs des ISET, mais également aux besoins partiels des différentes écoles d’ingénieurs, des instituts préparatoires aux études d’ingénieurs, des écoles de gestion… Pour cela, une formation leur est destinée sur deux ans et en quatre phases : formation générale et technologique, formation et stage pédagogique, stage pratique en entreprise, insertion dans le milieu professionnel au sein de l’ISET et préparation à la prise de fonction.
ÉDUCATION TECHNOLOGIQUE
Compte tenu d’une part, des spécificités des ISET, et d’autre part, de travaux de recherche en didactique des sciences et des technologies ayant montré que les modes de construction des savoirs technologiques sont méconnus (Gigling, Garnier et Marinacci, 2000), nous avons tenté de cerner les représentations d’enseignants sur les technologies et leur articulation avec les savoirs scientifiques et les évolutions sociales.
Sciences, technologies et sociétés
Afin de préciser le sens que nous entendons pour les termes sciences et technologies, nous détaillons notre point de vue épistémologique. Nous considérons que dans une approche relativiste, et en prenant en considération les résultats de la sociologie des sciences (technologies !) (Latour 1989), sciences et technologies relèvent de modes de construction de savoirs similaires. Ce qui les distingue sont les finalités visées par les différentes communautés. Nous considérons qu’il n’existe pas de structure a priori du savoir et que tout savoir est un produit social. Yves Alpe (1999) a schématisé le point de vue relativiste à propos de la science et ses répercussions sur ce qu’il est convenu d’appeler l’épistémologie des savoirs scolaires, sur le statut des savoirs « à enseigner ». Nous transposons ce schéma pour rendre compte de cette position relativiste quant au statut des savoirs scolaires en technologie :
- Il n’y a pas de structure à priori du savoir ;
- La technologie est un produit social ;
- La technologie est une construction historique toujours stabilisée de façon provisoire ;
- Le savoir à enseigner résulte de l’institutionnalisation de procédures et de réponses socialement approuvées ;
- Le curriculum n’est fondé que socialement, le savoir scolaire est un enjeu
29 Les principaux départements tertiaires sont : gestion des entreprises, techniques de commercialisation, administration et communication, informatique de gestion.
30 Par exemple à l’ISET de Nabeul, compte tenu de la présence d’un pôle touristique très important dans la région de Nabeul et Hammamet, il a été décidé depuis 2002 la création d’un département de Gestion Hotellière et Touristique.
Ceci souligne que les sciences et les technologies interagissent entre elles et avec la société qui en permet l’émergence. Elles évoluent, se transforment tout en transformant la société, et vice versa. Il n’est plus alors possible de considérer l’enseignement des technologies comme une discipline en soi mais au contraire comme une discipline qui n’échappe pas à des préoccupations sociales et qui doit s’affirmer à cet égard. Comment alors former des jeunes à mieux composer avec un environnement de plus en plus complexe, c’est-à-dire un environnement instable, en changement perpétuel et imprévisible qui caractérise notre monde actuel ? Une alphabétisation scientifique et technologique qui servirait aux citoyens d’aujourd’hui serait celle qui leur permettrait de participer aux discussions et aux évaluations critiques des recherches actuellement menées. Ces aspects seraient plus utiles au public qu’une grande étendue de connaissances souvent vite oubliée. Les technologies constituent un potentiel de transformation sociale que l’école ne peut continuer d’ignorer mais elles sont essentiellement conçues dans l’enseignement comme des applications des sciences.
Alors que les jeunes vivent aujourd’hui dans un monde que Fourez (2002) qualifie de « techno- nature », il semble que l’éducation actuelle ignore la nature des technologies et les liens entre sciences et technologies mais concerne avant tout des contenus déconnectés de tout contexte socio- historique et dont la finalité principale consiste à dévoiler les lois de la nature (Désautels & Larochelle, 1989), cette dernière apparaissant comme a-technologique. Or, l’éducation technologique doit être considérée comme une éducation fondamentale, « car elle porte en elle le lien entre la pensée et l’action, rend l’enfant ou l’adolescent capable de regarder un environnement pour y choisir, parmi les instruments disponibles, ceux qui favorisent sa croissance personnelle et les développements sociaux » (Hostein 1999).
La technologie se réfère aux machines, aux matériaux, aux outils, aux modes de fabrication utilisés. Elle implique des applications industrielles et commerciales à la fois des objets matériels, des procédés et une organisation sociale. La prise en compte des situations et des pratiques sociales de référence confèrerait aux enseignements technologiques des caractéristiques spécifiques telles que la référence au travail et l’évolution rapide des technologies. Or, les enseignements technologiques semblent souvent réalisés en référence aux enseignements scientifiques. Ainsi, pour Lebeaume (1999) « en raison de sa jeunesse, elle est souvent imaginée par rapport à des enseignements déjà connus et aux formes scolaires établies. Ces modalités tendent alors à nier ses spécificités ». Il semblerait ainsi que la coutume didactique conduise les enseignants à favoriser une centration sur un savoir savant déconnecté de l’origine et de l’implication de ce savoir. Ceci aboutirait à l’enseignement d’un savoir technologique plus ou moins fermé, présenté comme un objet figé. Pour Ginestié (1994),
« La technologie apparaît, ici, comme une modélisation de techniques afin de pouvoir les réinvestir dans d’autres champs voisins ».
Points de vue épistémologiques d’enseignants technologues
Dans le cadre des récents débats sur l’alphabétisation scientifique qui ont renouvelé dans de nombreux pays les interrogations des didacticiens sur l’enseignement et l’apprentissage non seulement de contenus scientifiques mais aussi de connaissances sur les sciences, de nombreux travaux de recherche ont concerné les points de vue d’enseignants et d’élèves sur les sciences. A notre connaissance, aucune étude n’a concerné les points de vue d’enseignants de technologies de l’enseignement supérieur. Différentes études sur ce que les didacticiens anglo-saxons nomment la nature de la science ont suggéré que des individus peuvent développer une collection d’idées sur la nature des sciences et exprimer différents points de vue dans des contextes différents, plutôt qu’ils posséderaient un profil épistémologique permanent mobilisé dans toutes les situations. Il n’y a alors aucun sens à parler de conceptions des élèves ou des enseignants sur la nature des sciences, isolément du contexte où ces connaissances interviennent (Leach et Lewis, 2002).
Dans ce cadre, notre étude porte sur les « connaissances épistémologiques » d’enseignants du supérieur en considérant ce terme comme un raccourci pratique pour signifier les connaissances sur les technologies comme une pratique, sur la nature et le statut des savoirs scientifiques et technologiques, que des individus utilisent en différentes situations. Une enquête auprès d’enseignants de sciences de l’enseignement secondaire aux Émirats Arabes Unis montre que les enseignants ne reconnaissent pas que les sciences sont aussi porteuses de valeurs, de croyances et de points de vue sur le monde et qu’ils méconnaissent les aspects sociaux des sciences (Haidar, 2002). Dans une étude sur les points de vue sur les sciences d’enseignants de l’enseignement primaire au Mexique, Guerra-Ramos, Leach et Ryder (2003) indiquent que les enseignants présentent une idée positive des scientifiques. Ils les désignent fréquemment comme inventeurs, ou développeurs de machines et dispositifs, ceci indiquant une vue étroite des scientifiques et de leurs activités, et qui ne les distingue pas de celle des technologues. Afin de documenter les connaissances épistémologiques d’enseignants technologues dans un ISET, nous nous sommes centrés sur les questions de recherche suivantes : Quels sont leurs points de vue sur les technologies ? Comment perçoivent-ils les relations entre sciences, technologies et sociétés ? Comment interviennent dans leurs discours des aspects sociaux et culturels ? Nous avons réalisé des entretiens avec trois enseignants technologues. Tous ont une formation initiale universitaire et sont titulaires d’une maîtrise de sciences, comme la plupart des enseignants dans les ISET. Les questions des entretiens sont inspirées de Fourez (1994, p30 et p202) et concernent les modes d’élaboration des savoirs technologiques, les relations entre sciences, technologies et sociétés et l’idée de culture technologique.
Pour le premier enseignant, la technologie concerne la résolution des problèmes qui surgissent dans l’industrie. Il s’agit de trouver des « techniques de plus en plus adaptées aux besoins de l’usine ». La technologie est un outil, une solution technique nouvelle, qui n’est pas couramment utilisée. Elle s’établit comme une « réponse technique à un problème technique, à un besoin technique ». A propos d’une technologie marquante, cet enseignant cite le transistor, « un objet technique très performant » sans autres précisions. Pour cet enseignant, les raisons de l’utilisation du numérique sont liées à des choix politiques, et les conséquences sont socio-économiques dans la mesure où l’apparition de technologies nouvelles pousse les individus à consommer, certaines personnes subissant cette incitation à la consommation, d’autres semblant la raisonner, mais sans que l’enseignant n’exprime comment. Quant aux relations entre sciences, technologies et sociétés, cet enseignant décrit les technologies comme ayant un impact social au niveau des comportements des individus. Pour le deuxième enseignant, les technologies sont considérées comme des applications des sciences. Elles sont essentiellement d’ordre pratique, au contraire des connaissances scientifiques qui sont de nature théorique, « composées de théories, de théorèmes, de lois à appliquer ». Dans un sens restreint, la technologie apparaît comme une pratique des techniques, la technique étant conçue comme un « outil ». La technologie est source d’un « progrès technique », car elle crée sans cesse de nouvelles techniques « plus évoluées ». Ceci constitue une capacité productive et un facteur de croissance pour l’économie ainsi qu’une source de progrès pour la société. Cette évolution technologique permet ainsi une « évolution » de la société. Imposées par choix politiques, les technologies deviennent disponibles à la consommation et semblent destinées à accélérer la « modernisation » de la société en un processus d’alignement sur les évolutions techniques. Les liens entre technologies et sociétés apparaissent ainsi réduits à un impact économique au niveau individuel, tiré de sa propre expérience. Pour cet enseignant, les technologies sont faites pour le progrès, apporter la modernité et donc le bien. Face aux incertitudes soulevées par les technologies (il prend l’exemple des téléphones portables), cet enseignant déclare qu’il faut s’en remettre aux experts (« demandez ça aux chercheurs dans le domaine de médecine qui peuvent… juger est-ce que c’est vrai ou faux, mais peut-être qu’il y a des solutions face à ça, on utilise le main-libres… ») et il apparaît ainsi que selon lui, la technologie peut apporter des solutions pour répondre aux problèmes qu’elle a elle-même soulevés. Au cours de l’entretien, on note que les situations technologiques, les exemples décrits, sont peu nombreux : Internet, les micro-ordinateurs, la télévision, les téléphones portables… dans des termes qui relèvent le plus souvent du sens commun. Pour le troisième enseignant, la technologie vise « l’application, la solution des problèmes, le concret » et la science ne cherche pas de solutions mais vise « l’abstrait ». Il signale que pour « de simples utilisateurs de la technologie, on est dans une phase de banalisation, et si on passe aux détails de la technologie, on est alors dans la phase de maîtrise». Il établit un lien entre technologies et sociétés dans le sens où les technologies influencent les constructions sociales (il cite l’exemple du Japon comme une société façonnée par ses technologies). Et, considérant que les sociétés sont également des produits des technologies en quelque sorte, il considère que plus les technologies y sont développées, plus les sociétés sont « avancées » ou « évoluées » renvoyant en cela à l’idée de progrès. Ce qui le conduit à établir une hiérarchie entre des sociétés selon leur développement technologique. Il décrit ensuite également des hiérarchies à l’intérieur des sociétés (nommées par le pays, par le mot « monde » ou par le vocable générique « les gens »). Cet enseignant évoque le fait qu’une des conséquences de la numérisation est l’apparition d’un « fossé numérique » ou d’une « fracture numérique », et qu’ainsi une « certaine élite du pays va maîtriser la technologie » et qu’«il y a une autre population qui est elle cantonnée, carrément stigmatisée au statut d’utilisateur inerte, c’est des gens qui utilisent seulement, euh pour eux cette technologie c’est tout simplement … un signe extérieur de richesse. […]. Par ailleurs, il considère qu’un produit technologique est forcément le produit d’une recherche scientifique mais est aussi influencé par des considérations socio-économiques (besoin de mettre sur le marché des nouveaux produits, mode de la miniaturisation). Il décrit une culture technologique qui permet aux consommateurs de raisonner leurs achats quotidiens et d’argumenter dans les discours commerciaux afin de réaliser une « meilleure » consommation. A la question : « Selon vous les savoirs technologiques sont-ils neutres ? », il répond : « Neutres, non en aucune condition. Ils modifient nos comportements, ils modifient nos rapports [avec les autres] ». Il considère qu’un jugement critique et éthique doit être porté sur les technologies.
L’analyse des entretiens permet de mettre en évidence les points suivants :
- tous les enseignants interrogés affirment que la technologie est une science appliquée ;
- les enjeux multiples et importants que la technologie soulève dans notre société contemporaine sont rarement mentionnés ;
- la culture technologique n’est pas considérée comme un élément fondamental de la culture en général par une considération plus accrue d’un environnement technologique ou d’une techno- nature en plein changement, en constante et rapide évolution, et par une sensibilisation au monde économique et industriel ;
- l’influence de la technologie sur les valeurs de la société, sur les mutations socio-économiques qu’elle peut entraîner est peu identifiée.
Cela nous conduit à soulever les questions suivantes : N’est-il pas risqué que ces enseignants confondent le développement humain et social avec le développement technique et que, fort de cette technologie en constante et rapide évolution, ils en arrivent à ne voir que son impérative utilisation ? Au contraire, ne vaudrait-il pas mieux une prise de conscience de la dimension culturelle de la technologie et de la formation par la technologie ? Comment peut-on définir une culture technologique ? Peut-on dire que c’est l’expression de l’ensemble des modes par lesquels une société s’approprie la technologie ? Un ensemble qui ne comprend pas seulement les outils et les machines, mais aussi leur effet sur les procédés choisis et les projets construits, son influence sur la société, sur l’environnement et sur la manière dont les gens pensent, perçoivent et définissent leur monde ?
Une technologie doit-elle être considérée comme des techniques, des projets de société, un environnement viable, une épistémologie et une éthique ? Bref, une civilisation humaine ? Mais n’est-il pas dangereux de prendre pour acquis que le progrès technologique est le critère suprême de la
« civilisation » ? On note une idéologie scientiste dans les propos des enseignants : la capacité de la science à engendrer des applications nécessairement profitables au bonheur de l’humanité. Or, la technologie de nos jours est une entreprise scientifique dans le sens soulevé par Fourez (1996) « … le projet parfois appelé newtonien d’acquérir un ensemble de connaissances n’est pas séparable du projet, qualifié parfois de baconien, d’acquérir une maîtrise sur le monde». Technologie et développement sont souvent perçus comme neutres et universels, or « ces deux notions doivent être appréhendés comme des faits sociaux, des réalités construites et situées, porteuses de sens pour les acteurs ». Ces résultats nous conduisent à nous interroger sur la formation des enseignants technologues des ISET. Précisons cependant que cette étude nous a permis d’explorer les images des technologies que des enseignants expriment lors d’entretiens et qu’il est impossible de faire des généralisations à partir d’un nombre limité d’études de cas. Ainsi, nos résultats ne donnent aucune indication de la prédominance de points de vue similaires dans l’ensemble de la population enseignant les technologies dans les ISET. Toutefois, les enseignants technologues des ISET étant de formation initiale universitaire en sciences, complétée par deux années de préparation d’un mastère spécialisé, il nous semble nécessaire d’inclure dans leur cursus de formation un volet épistémologique. Aborder des questions d’épistémologie des sciences et des technologies permettrait de favoriser chez les enseignants une complexification des points de vue sur les technologies de façon à les distinguer de sciences appliquées. Il nous semble également important d’aborder une vision plus large des problèmes que peuvent soulever les technologies en relations avec les sciences et avec la société et de se questionner sur tout le cursus de formation d’un technicien supérieur.
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