Par Christian Didier Mouity mouity_christian@yahoo.fr Félicien Moukagni mmfeli@yahoo.fr
Résumé
Ces dernières années, plusieurs pays d’Afrique ont entrepris des réformes de leur système éducatif, pour rechercher de meilleurs indicateurs de rendement. Le Gabon est donc passé de la pédagogie par objectifs à l’approche par compétences, et applique actuellement le modèle dual, inspiré de la Suisse. Bien que les causes réelles de ces mutations soient difficiles à cerner, on perçoit une volonté de calquer les modèles éducatifs occidentaux dans un environnement socio-économique aux contraintes non maîtrisées. La particularité du modèle dual en expérimentation au Gabon est soulignée par l’apprentissage du métier, qui s’acquiert simultanément en entreprise pour les compétences pratiques et à l’école pour les savoirs théoriques. Mais, il est également constitué des cours interentreprises qui nivellent les compétences par un apport méthodologique à des périodes ciblées. L’analyse à mi-parcours de son application montre que la recontextualisation prend tout son sens, à partir des paramètres tels que les critères de choix de l’entreprise formatrice, l’organisation de la formation des formateurs à l’école comme en entreprise. Introduit au niveau du bac pro, en lycée technique, la communication analyse, dans un premier temps, les contours de ce modèle, ensuite, sa dissémination à l’Institut de Technologies d’Owendo, environnement plutôt problématique qui prépare au BTS. Enfin, elle tente de voir si ce modèle peut se présenter comme une solution à la professionnalisation, au maillage articulant la réduction de la frontière entre l’entreprise et l’école.
Mots clés
Système dual, compétences, professionnalisation, partenariat école/entreprise, formation des formateurs
Aspects contextuel du système de formation au Gabon
Le Gabon présente un système éducatif dont près de 80 % des jeunes choisissent la voie générale, excluant de fait, en grande partie les formations à un métier. Ceux qui optentpour cette voie se trouventconfrontés à des problématiques d’insertion, par le fait même de plusieurs problèmes infrastructurels etd’approches pédagogiques. Sur cette question, Ginestié etal. (2005), fustigent les limites observées dans l’approche par objectifs, sur l’inadéquation formation/emploi chez les jeunes formés et conforte de fait, notre désir de regarder d’autres modèles de pilotage de formation, comme le système dual. Bien entendu, avec un taux de scolarisation de plus 90 %, le Gabon est l’un de pays d’Afrique où l’activité scolaire est la voie principale qui donne accès à la promotion sociale. Toutefois, l’on peut constater que son système éducatif est déséquilibré au regard de son statut de pays en voie de développement et surtout de son ambition d’entrer dans le cercle des pays émergents.
Le Gabon est à construire et nécessite donc un besoin important en ressources humaines dans les domaines des sciences et techniques, régulièrement exprimé par les opérateurs économiques. Les statistiques ci-dessous dépeignent un tableau non reluisant et montrent très clairement la nécessité d’un réajustement à la hauteur des ambitions que se fixe le pays.
Figure 1 : Distribution des effectifs d’apprenants du système éducatif gabonais
(Source : MENESTFPRSCJS)
On note :
- un taux de déperdition scolaire élevé ;
- un déficit en main-d’œuvre qualifiée dans plusieurs secteurs d’activités du tissu économique ;
- un taux de chômage relativement élevé.
Au regard de ce schéma empirique des années 1960 qui favorise l’ensei- gnement général, un changement de paradigme s’impose. Depuis 2009 une dynamique nouvelle est impulsée à travers la mise en place des formations dites professionnalisantes. La création de l’Institut de Technologies d’Owendo (2011) est une réponse à cette question, elle a nécessité l’adhésion et l’implication des opérateurs économiques dans l’élaboration du dispositif de formation actuel. Dans le même élan, il s’est tenu un certain nombre de travaux de réflexion pour déterminer les forces et les faiblesses du système :
- états généraux de l’éducation, de la recherche et de l’adéquation formation emploi (2010), véritable diagnostic du système éducatif et de formation ;
- adoption et promulgation d’une nouvelle loi, la loi 21/2011 portant orientation générale de l’éducation de la formation et de la recherche (2012) ;
- forum des partenariats public-privé pour une gouvernance innovante (2011). Toutes ces réflexions ont pour dénominateur commun, la détection et l’identification de quelques éléments de modèles ou de systèmes pouvant apporter les changements dans le système éducatif Dans ce contexte, le modèle de formation duale est un concept qui a été discuté et adopté au cours d’une convention cadre (2011).
Le système de formation de type dual
Selon Gonin (2013), la formation duale en Suisse remonte au Moyen Âge. Les Corporatistes, établis en confréries sont les pionniers de ce modèle d’apprentissage. Au fil des ans, cette façon de transmettre les compétences s’est traduite par un attelage école/entreprise. L’apprenti est mis en immersion dans l’entreprise où, dès les premiers instants, il est associé à l’exécution des commandes des clients, sous la direction d’un encadreur. L’école n’intervient qu’à un faible pourcentage (20 à 40 % du temps de la formation, selon les branches) pour la vérification des aspects théoriques. Pour les pays qui l’appliquent comme l’Autriche ou l’Allemagne, on observe un faible taux de chômage, de même, une résistance aux crises économiques.
Introduction du système de formation de type dual au Gabon
L’accent a été mis sur la filière bois. Une classe pilote de menuisiers industriels préparant au baccalauréat professionnel en trois ans est ouverte depuis la rentrée scolaire 2013-2014, au lycée technique national Omar Bongo de Libreville. Une enquête menée auprès des entreprises de la filière bois a préalablement été faite avant l’ouverture des formations. Les résultats ont montré une situation socio- économique qui présente des possibilités pour le Gabon de lancer la formation duale. Mais, comparativement à la Suisse ou à l’Allemagne, qui présentent un tissu économique d’entreprises diversifiées, au Gabon, il est apparu indispensable de procéder à une sélection, de critères définis, pour aboutir à la mise en place d’un réseau d’entreprises partenaires sur : a) le potentiel infrastructurel/qualité des produits, b) l’environnement de travail sécuritaire et c) la présence d’une ressource humaine susceptible d’encadrer les jeunes.
Sur le plan réglementaire, bien que dans les textes de loi tels que le Code du travail, les modes de formation par apprentissage et par alternance y soient prescrits, on ne voit pas un véritable développement de ceux-ci pour s’enraciner comme voie de formation. Le concept d’une formation duale contextualisée a été élaboré pour produire un schéma directeur, dans la perspective de l’introduire dans le système éducatif au Gabon. Celui-ci présente les voies d’accès, les diplômes atteignables, les débouchés dans l’économie et les voies d’accès à la formation universitaire (figure 2).
Figure 2 : Structuration de la formation professionnelle de type dual au Gabon
Dans ce schéma, on note globalement le maintien de la voie classique qui conduit aux études universitaires, ensuite la voie technologique qui intègre désormais la professionnalisation et la voie professionnelle duale créée. L’accès aux différentes voies est réservé aux élèves ayant terminé leur classe de troisième de collège. À long terme, il est envisagé de recruter, à la fin de la classe de 5e les élèves pour les initier aux métiers, en préparant le CAP par le biais de l’apprentissage dual. Ainsi, des passerelles sont créées pour plus de professionnalisation afin de rendre visible la correspondance des emplois avec le monde du travail.
Expérimentation de formation duale
La phase expérimentale de départ a commencé avec neuf entreprises de menuiserie. Elles sont toutes basées à Libreville, elles ont signé des conventions de formation et des contrats d’apprentissage, l’ensemble des inputs se présentent dans le tableau 1 ci-après. Ce tableau sera commenté dans la discussion qui suivra.
Tableau 1 : Inputs à l’introduction de la formation de type dual au Gabon (2013/2014)
Établissement |
Nb d’enseignants |
Entreprises (toutes à Libreville) |
Nb d’apprentis |
Formateurs |
Nb d’enseignants pour le suivi | |
Lycée technique national Omar Bongo |
7 : enseignements théoriques du métier et cours interentreprises ; 6 : formation générale (français, maths, physique, éco., EPS, anglais) |
SOCOBA EDTPL | 02 |
1 par entreprise |
6, répartis selon les zones |
|
AFRICK CONSTRUCTION | 01 | |||||
FACO CONSTRUCTION | 02 | |||||
ENTRACO |
02 |
|||||
ECOWOOD SA | 02 | |||||
SOCOFI | 02 | |||||
OMEGA TCHEGNON | 01 | |||||
MENUISERIE SAINT MATHIEU | 01 | |||||
MENUISERIE DES BOIS D’AZINGO |
02 |
|||||
TOTAL | 1 | 17 | 09 | 15
(1 classe) |
09 | 6 |
Cette phase a mobilisé d’importants moyens humains et matériels : 84 classeurs aux apprentis, 54 classeurs formateurs, un parc machines rénové au lycée technique pour abriter les cours interentreprises.
Écueils à surveiller
Bien des pesanteurs sont vite apparues, notamment celle de penser que le système de formation duale peut s’insérer sans quelques écueils d’ordre pédagogique, social, organisationnel, économique, etc. Sans entrer dans l’analyse de chacun, nous présentons globalement la situation à considérer dans la formation des formateurs.
Formation des formateurs à reconsidérer
En Suisse, le cursus de formation des formateurs d’entreprise permet aux personnes qui le suivent de jouer un rôle clé dans le domaine de la mise en œuvre de la formation des apprentis, dans les entreprises, à travers notamment l’acquisition de compétences telles que l’accueil et l’insertion des apprentis, l’exploitation des documents de formation, l’évaluation, la valorisation du métier, la sécurité au travail, la planification de la formation et la mise en œuvre de la procédure de qualification. Le formateur en entreprise suit une formation pédagogique qui débouche sur la délivrance d’un titre.
Les connaissances acquises par les formateurs peuvent ensuite être mises en pratique dans les domaines respectifs et transmises à d’autres bénéficiaires (ouvriers, associations professionnelles, entreprises). Au Gabon, un tel travail reste à construire compte tenu des niveaux hétérogènes des ouvriers qui se situe en infra baccalauréat. Cette phase expérimentale permet de développer dès lors auprès de cette composante les compétences suivantes :
- Appréhender le système de formation de type dual ainsi que ses acteurs et son mode de
- Contribuer à développer la collaboration entre les
- Utiliser diverses stratégies de manière ciblée, afin d’améliorer la motivation à l’apprentissage et les succès qui en découlent.
- Identifier les besoins individuels des apprentis ainsi que les instruments qui sont nécessaires pour les soutenir
- Encadrer les apprentis durant leur parcours de formation professionnelle dans l’entreprise.
La formation des enseignants reste donc à construire et de fait, à redimen- sionner sur le plan de la didactique et de la conduite des enseignements. En effet, la planification pédagogique amorcée au cours de l’année permet de lever quelques limites dans l’appropriation du programme de formation pourtant élaboré avec l’implication des enseignants, l’organisation des cours, la prise en compte du travail fait par l’élève en entreprise où il vit une réalité constante du métier, les stratégies pédagogiques en rapport avec le peu de temps désormais accordé à l’école (2 jours/semaine), etc. Plutôt que de travailler sur le perfectionnement seulement, un nouveau cahier des charges aux Institutions de formation de maîtres s’avère nécessaire, pour une prise en compte de ce modèle de formation, dans leur plan de formation.
Implémentation du modèle dual à l’Institut de Technologies d’Owendo
Présentation de l’ITO
Fonctionnant avec quatorze filières (7 industrielles et 7 du tertiaire), l’article 28 de la loi n° 21/2011, prévoit l’organisation pédagogique de l’ITO dans le parcours du système LMD, relatif au premier grade la « licence ». Dans ce sens, le BTS préparé à l’ITO (120 crédits) est considéré comme diplôme professionnel intermédiaire du cycle L (licence).
Profil des étudiants à l’entrée
Ainsi, l’ITO accueille des bacheliers des filières technologiques (43 %) et générales (57 %). Les statistiques indiquent une prédominance des filières du tertiaire dont un fort penchant des étudiants pour ce domaine au détriment des filières industrielles.
Profil des enseignants et autres intervenants
Les enseignants permanents représentent 19 % contre 80 % de vacataires. On trouve la parité suivante : 1/3 des professionnels issus du monde de l’entreprise, 1/3 d’enseignants du supérieur (universitaires), 1/3 constitué des conseillers pédagogiques, d’inspecteurs, ainsi que d’enseignants du secondaire. La provenance éparse de ces enseignants rend l’application des référentiels de formation assez délicate, vue la différence d’approches et des origines disciplinaires.
Plateaux technique et équipement
L’inexistence de plateaux techniques propres à l’établissement rend difficile la tenue des cours pratiques ; une solution a été envisagée : la mutualisation de plateaux techniques avec des établissements ayant quelques matériels techniques, notamment le lycée technique national Omar Bongo, le Centre de formation et de perfectionnement professionnels Basile Ondimba et l’ENSET. Cela impacte sur la planification des heures des travaux pratiques, la maintenance des machines de production, et l’acquisition des outils propres aux besoins de fonctionnement de l’ITO : sur la distance (l’établissement se trouve à 25 kilomètres de Libreville), et sur l’organisation pédagogique (la plage des cours donnés par ces établissements à l’ITO, n’excède pas plus d’un tiers le volume horaire jour). À peine les étudiants sont-ils installés devant les machines ou sont en ateliers qu’ils doivent libérer l’espace de travail aux enseignants de l’établissement d’accueil.
Implémentation et dissémination du système dual à l’ITO
L’implémentation du système de formation de type dual à l’Institut des Technologies d’Owendo se présente donc comme un enjeu à travers le tableau d’analyse SWOT (acronyme anglais de : Forces, Faiblesse, Opportunité et Risques) pour étendre sa dissémination. Ce tableau permet d’appréhender les indicateurs de forces, de faiblesses, d’opportunités et de risques mis en relief pour l’implémentation du système de formation de type dual au sein de l’ITO. Elle se fait à partir la filière Système constructif bois et habitat (SCBH). Cette filière, concentre 80 % des enseignants intervenant dans les modules technologiques formés dans la gestion de la formation professionnelle sur le modèle d’apprentissage dual.
Tableau 2 : Analyse SWOT des enjeux de l’implémentation du système dual à l’ITO
Forces | Faiblesses |
Appui du gouvernement Appui du secteur économique
Subventions financières de l’État Enseignants (parité des formateurs) Experts en formation duale au sein de l’établissement |
Manque de plateaux techniques Dépendance face aux vacataires Insuffisance des infrastructures d’accueil |
Opportunités | Risques |
Adéquation des formations avec les réalités du monde économique
Ancrage aux nouvelles mutations du monde éducatif au Gabon Résorption des problèmes de mise en stage Accroissement des partenariats avec les entreprises Diminutions de la dépendance face aux vacataires Réduction des conflits dus aux conditions de formation Renommée de l’ITO |
Manque d’engouement des entreprises Manque de structures d’accueil des stagiaires Forte augmentation de la demande |
À travers ce tableau, il ressort que l’ITO présente des atouts pour expérimenter la formation duale dans la filière SCBH, au regard des ressources humaines qui ont été formées dans le système dual. Ces enseignants (que l’État gabonais a envoyés en formation) sont porteurs d’une expertise sur la conduite des formations duales, la didactique de la discipline, la spécialisation dans les différentes branches de la filière, la formation des formateurs en entreprise, etc. qu’il convient d’exploiter.
Leur apport sera déterminant, dans les relations à développer avec des entreprises, le redimensionnement des programmes de formation qui intégreront la formation en entreprise, la formation à l’ITO et les cours interentreprises. Sur le coup, cela permet de résoudre une difficulté majeure, celle de placer les étudiants en stage, de réduire la frontière entre l’entreprise et l’école dans la mesure où, plusieurs aspects du métier seront dorénavant développés dans l’entreprise, par les professionnels en utilisant les équipements, les plateaux techniques actuels. Par ce mode de formation, l’ITO mettrait sur le marché de l’emploi, des professionnels dont l’insertion est facilitée par la pratique du métier et, bien entendu, le rapport au savoir et à l’exercice de ce savoir au métier.
Conclusion
On est conscient que le système dual n’est pas la panacée, mais peut être une solution parmi tant d’autres. Son intérêt réside dans le fait que la formation professionnelle est dispensée dans des conditions et sur des machines et équipements qui représentent l’état actuel des savoirs relatifs à l’évolution de la technologie dans le métier choisi. À l’Institut de Technologies d’Owendo, il manque l’équipement (plateaux technique, laboratoire). Si on étend l’analyse au lycée technique Omar Bongo, les ateliers ont un équipement vieillissant et non renouvelé qui s’apparente à des pièces de musée, la maintenance est rarement assurée pour défaut de financement. Alors que les formateurs en entreprise sont au fait des nouvelles exigences technologiques et techniques, l’apprenti peut apprendre aussi bien à répondre aux exigences changeantes de la véritable situation, qu’à se rendre compte de la multiplicité des relations sociales qui structurent l’entreprise. Enfin, la formation dispensée presque totalement dans un contexte de travail productif réduit les coûts de la formation et accroît la motivation de l’apprenant. À l’ITO, nous pensons que ce système peut devenir un modèle d’insertion des jeunes dans un contexte de chômage et d’évolution technologique accélérée rapprochant d’une part, l’école et l’entreprise, et d’autre part, la dissémination vers d’autres filières de formation.
Bibliographie
Décret n° 0103/PR portant promulgation de la loi n° 21/11 portant orientation générale de l’éducation, de la formation et de la recherche, présidence de la République, Libreville, février 2012.
Ginestié, J., Balonzi, O., Kohowalla, R.-P. et Medjia, C. (2005). Une éducation générale pour tous, une orientation professionnelle pour chacun. Proposition en vue de l’élaboration d’un schéma directeur du secteur éducatif gabonais. Rapport de mission d’expertise conduite avec l’appui de l’Ambassade de France à Libreville.
Gonin, M.-A. (2012). Le système dual de la formation professionnelle en Suisse, de ses origines à nos jours. Communication donnée lors de la Commission de partenariat Gabon-Suisse. Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et technique, de la formation professionnelle et de la recherche scientifique, chargé de la culture, de la jeunesse et des sports. Libreville.
Ministère de l’Éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. États généraux de l’éducation et de la formation, de la recherche et de l’adéquation formation-emploi. Libreville, mai 2010.
Ministère de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle. Décret n° 01499/PR/ METFP portant création et organisation de l’Institut de Technologies d’Owendo. Libreville, décembre 2011.
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