Abstract
This paper presents some issues from a study with technology education’s Gabonese teachers. We investigate the distance between the knowledge about industrial production they use in vocational training. All attempts to reduce this distance aims to give an opportunity to each student to build a significant learning that gives meaningful to the relationship training- employment. Our interest is to study the way and the direction take by the teacher in his daily practice and specifically how he works to reduce this distance.
The results show some epistemological and pragmatic aspects who are involved in the engagement of the teacher in this kind of organization. To be significant from the point of view of this reduction, school organization must be deeply modified, specifically the starting point of entry in these courses, the place for studying, the condition of transportation, but also the own knowledge on the curricula by the teachers and the methods to design some teaching.
Keywords: Relation training-employment, epistemology, professional identity, teacher’s practices, professional knowledge, school knowledge
Introduction
Les réflexions menées portent essentiellement sur l’articulation entre l’organisation scolaire et la réalité socioprofessionnelle. Cette articulation met en lien l’insertion professionnelle des jeunes et l’adéquation formation-emploi, dans la perspective de conférer plus d’intelligibilité sur les conditions dans lesquelles les jeunes sont formés pour rentrer dans la vie active. Ces conditions interpellent l’organisation scolaire notamment en ce qui concerne la formation des jeunes et leurs conditions d’employabilité. La présente étude s’est intéressée aux pratiques enseignantes, et plus particulièrement sur l’engagement de l’enseignant à réduire l’écart qui subsiste entre les pratiques professionnelles qui sont à l’œuvre dans l’institution de production industrielle et la réalité didactique qu’il met en œuvre dans le cadre des activités scolaires. Le lien entre pratiques professionnelles et activités scolaires dans la classe s’inscrivant, ici, dans un processus d’accommodation- adaptation de l’enseignant, qui réalise des choix pour construire son objet d’enseignement. Autrement dit, il s’agit plus précisément de s’intéresser au rôle de l’enseignant, dans sa participation à la réduction de l’écart entre la réalité professionnelle et la réalité scolaire
1 EA 4671 ADEF, Gestepro, Aix-Marseille Université
L’analyse approfondie des fondements du système éducatif gabonais, notamment au travers des interrelations entre la réalité socioprofessionnelle et les systèmes de formation professionnelle, ou encore dans leur traduction dans les référentiels de formation ou les organisations à l’œuvre dans la formation des enseignants, révèle que l’absence de repères sur l’évolution des métiers et la connaissance du marché de l’emploi ne permettent pas de penser et d’interroger la pertinence de l’offre de formation proposée par l’organisation scolaire en regard des besoins du milieu socioprofessionnel (Ginestié, Mendene M’Ekwa & Ondo Eva, 2004 ; Ginestié, Balonzi, Kohowalla & Médjia, 2005). En termes d’évolution des métiers au Gabon, et ce dans la plupart des secteurs, les entreprises les plus compétitives ne cessent de perfectionner leurs systèmes de production. Ce perfectionnement inscrit dans une course technologique exige par voie de conséquence des nouveaux savoirs et savoir- faire avec effets induits sur l’emploi. De ce fait, la préservation de l’emploi ou du poste de travail passe par la maîtrise de ces nouvelles technologies. Cette réalité socioprofessionnelle, d’intégration croissante d’équipements de plus en plus complexes, ne cesse de créer un écart entre les savoirs mobilisés dans l’activité professionnelle et les savoirs mis en œuvre dans les systèmes de formation. Autrement dit, les exigences de « spécialisation » techniques avance à une vitesse plus rapide que la formation professionnelle dispensées dans le cadre d’une école. Il s’agit dans ce cas d’un véritable problème qui se pose entre la formation et l’emploi, entre l’organisation socioprofessionnelle et l’organisation scolaire.
À partir de ce contexte qui se caractérise par l’absence d’indicateurs dans la description des métiers, la méconnaissance du marché de l’emploi et les constantes évolutions technologiques des systèmes de production, nous sommes amené à nous interroger sur la qualité et la pertinence de l’offre de formation proposée par l’organisation scolaire. En tenant compte des perspectives proposées dans les rapports d’expertise pour améliorer la connaissance du milieu socioprofessionnel, l’étude s’est intéressée à l’orientation donnée par l’enseignant à sa pratique quotidienne pour réduire ou non cet écart entre la réalité professionnelle et la réalité scolaire. De ce point de vue, il s’agit plus précisément de s’intéresser aux pratiques enseignantes pour voir si l’engagement de l’enseignant participe à la réduction de l’écart qui subsiste entre les savoirs mis en œuvre en site de production et les savoirs mis en jeu dans les salles de classe.
Pratiques enseignantes et réalités socioprofessionnelles
Pratiques enseignantes
Les pratiques enseignantes sont au cœur de la démarche d’investigation de notre étude. Du point de vue didactique, l’étude s’est intéressée à l’enseignant en tant que sujet et acteur du système didactique. En tant que sujet, l’enseignant est porteur d’une dimension épistémologique construite au cours de son propre cursus scolaire et au cours de sa formation au métier d’enseignant. Cette dimension épistémologique a une influence sur son rôle d’enseignant dans le système didactique. Il est acteur au sens où son activité professionnelle conditionne la réalité de la situation didactique, la mise en activité des élèves et la réalisation des tâches qu’il leurs prescrit. La dimension épistémologique compose avec une dimension pragmatique pour permettre cette mise en acte au travers d’un certain nombre de valeurs, de compétences, de savoir et savoir-faire que se profile un professionnalisme qui l’identifie en tant que sujet acteur (Tozzi, 2002). C’est pour cette raison que nous avons examiné les pratiques enseignantes selon deux points de vue : épistémologique et pragmatique.
Du point de vue épistémologique, l’étude s’est intéressée à la question identitaire. Dans un souci de contextualité, il a été fait référence aux travaux conduits par Békalé Nzé (2008) lorsqu’il évoque les contacts entre les élèves en situation d’apprenant et le monde de l’emploi. Les apprenants sont entre deux formes de savoir : le savoir professionnel et le savoir académique. Ces deux formes de savoir doivent être rééquilibrées (Ginestié, 2006), dans la perspective de réduire au maximum les différences de perception. En effet, il faut reconnaitre que chacun a sa manière de s’y prendre, sa maîtrise des situations et des contextes. Autrement dit, chacun a son style selon certains ergonomes comme Amigues (1995), Clot (1996), Rabardel (2001) ou Saujat (2002). Une formation d’enseignants doit, de ce fait, tendre vers une harmonisation des pratiques (Beckers, 2007). En termes d’harmonisation des pratiques, la construction de la profession enseignante en tant que métier est à prendre en considération. Cet éclairage de l’identité professionnelle est étayé à partir de plusieurs travaux (Tochon, 1993 ; Touraine, 1995 ; Tardif, Lessard & Gauthier, 1998 ; Gohier & Alin, 2000 ; Rogalsky, 2004 ; Pastré, Mayen & Vergnaud, 2006 ; Beckers, 2007). Le point de vue pragmatique pose la question de l’estime de soi (Pastré, Mayen & Vergnaud, 2006), notamment dans la distinction entre capacité et pouvoir, entre le « pouvoir » diminué et le sujet « capable ». Une profession, et celle d’enseignant n’échappe pas à cette règle, se définit au travers de valeurs, de compétences, de savoirs et savoir- faire ; le processus d’identification de l’enseignant le place simultanément en tant que sujet et qu’acteur d’une corporation et/ou une communauté et c’est cette identification qui va lui permettre et permettre aux autres de le reconnaitre dans cette communauté. La non- reconnaissance le placera immanquablement dans une situation de doute et se traduira par une perte de confiance en soi. Cette perte d’estime de soi diminue son pouvoir d’agir alors que sa capacité d’action n’est pas entamée (Rabardel, 1995). Dans cette perspective, l’analyse de l’activité enseignante permet de caractériser les actions de l’enseignant et de développer une ingénierie et définir ainsi les contenus à enseigner, la manière de les enseigner et les moyens pour les enseigner (Musial & Tricot, 2008). Cette approche de l’activité enseignante renvoie pour partie au processus d’élaboration des contenus de l’enseignement (Tardif, Lessard & Gauthier, op.cit.) ; l’enseignant bâtit son plan d’action à partir de « niveaux d’évidence », notamment sur les processus d’apprentissage, qui lui permettront de bâtir une formation à partir d’une progressivité des acquis. Il s’agit de définir des « approximations successives » – Bruner (1983) parle de « répétition spiralaire » – qui part des acquis et élargit progressivement le champ de compréhension. Ce processus d’étayage se retrouve dans la régulation de l’activité enseignante (Ginestié, 2008), la subjectivité de l’enseignant dans son activité (Martin, Morcillo, Jeunier & Blin, 2005), la spécificité et la complexité du métier enseignant (Huberman, 1989 ; Tardif & Lessard, 1999 ; Carlier, Renar & Paquay, 2000 ; Blanchard-Laville, 2001 ; Fournier, 2003). Être enseignant, c’est être à l’écoute des attentes et des évolutions de la société mais également d’entendre la place que la société donne à l’éducation ; cette prise directe interpelle la dimension éthique du sujet en activité (Meirieu, 1991).
À partir de ces points de vue théoriques, l’étude s’est s’intéressée’ à l’articulation entre les pratiques enseignantes et la réalité socioprofessionnelle. Le cadre de la formation professionnelle initiale en milieu scolaire marque des spécificités qu’il convient de préciser. Comme dans tout système éducatif, il y a une visée d’éducation des élèves pour qu’ils deviennent citoyens ; c’est ce que note Ginestié (ibid.) lorsqu’il indique que « la conception de l’éducation technologique dans un pays donné est fortement dépendante de son environnement ». Par ailleurs, ce type de formation vise à former des professionnels, reconnus en tant que tels par le milieu ; l’environnement social des élèves compose donc avec l’école et l’entreprise. Ainsi, cette proximité environnementale des élèves induit une distinction forte sur la nature des activités ; l’enseignant doit organiser son activité pour permettre aux élèves de découvrir l’ensemble des composantes de cet environnement forcément complexe dans lequel ils vont devoir mettre en œuvre ce qu’ils ont appris. C’est une question de construction de sens au travers d’une culture particulière.
Savoirs professionnels et situations scolaires
Si l’écart qui subsiste entre les savoirs socioprofessionnels (compétences requises) et les savoirs enseignés (curriculum réel) doit être minimisé dans le sens d’approcher une certaine adéquation, il faut alors que l’enseignant, dans sa pratique quotidienne, dans l’organisation de son activité, s’oriente suivant une proximité environnementale. Ainsi, il pourra proposer un objet d’enseignement significatif à son élève. Dans le cas contraire, compte tenu de cette réalité scolaire, de l’hétérogénéité des structures et des ressources qui caractérisent les divers contextes scolaires au Gabon, la réalité didactique élaborée par l’enseignant n’aura aucun caractère de pertinence par rapport aux attentes sociétales. Elle ne sera que désarticulée, privée de sens. En effet, selon Ginestié (1995), une référence aux pratiques doit alors conduire l’enseignant à faire travailler les élèves directement sur des dispositifs tels qu’ils existent dans le domaine de réalité. Il ne faudrait pas qu’à ce niveau, il y ait une trop grande différence entre les dispositifs de référence et les dispositifs scolaires. Il faut que l’élève pendant ses exercices d’application en milieu scolaire se construise d’ors et déjà une idée de la réalité qui l’attend. Les cahiers de charge de formation devraient permettre cette mise en relation des pratiques professionnelles et des activités scolaires. L’accommodation à la réalité scolaire pour assurer une réalité didactique reste pertinemment liée à la posture de l’enseignant qui, dans son activité en perpétuelles mutations, peut se figer sur les prescriptions du référentiel de formation ou sur la réalité scolaire. Si l’on admet que l’enseignant reste attaché au référentiel de formation, alors celui- ci ne tient pas forcément compte des réalités scolaires et proposera des objets d’enseignement en totale fidélité aux prescriptions du référentiel. De l’autre côté, si l’enseignant fait référence, en même temps, aux prescriptions curriculaires et à cette réalité socioprofessionnelle, les objets d’étude proposés seront en reflet avec les conditions réelles de travail, à l’environnement ou au site de développement des compétences. Les élèves mis en relation avec leur environnement peuvent dès lors se construire un apprentissage significatif, même si la réalité scolaire n’est pas toujours en parfaite adéquation avec le domaine de réalité professionnelle. Autrement dit, la réalité didactique que l’enseignant met en place dépend de la posture et de l’engagement de chacun.
L’étude vise ainsi à caractériser les facteurs qui militent ou non à la réduction de l’écart entre le prescrit et ce qui est réellement proposé à l’apprentissage ; facteurs qui peuvent en effet justifier de l’engagement de l’enseignant, au travers de sa pratique. Il s’agit ainsi d’établir des facteurs de corrélation entre d’une part, le rôle du sujet enseignant en tant qu’acteur qui cherche à s’accommoder à la réalité scolaire imposée et d’autre part, la réduction de l’écart entre les deux formes du savoir discutées précédemment.
Méthodologie de l’étude
L’étude s’est centrée sur le sujet capable, celui qui agit pour transformer le réel. Le concept de « conception » est essentiel dans cette approche car il permet de tenir compte des conditions d’usage de l’objet conçu pour en redéfinir les caractéristiques. La conception est considérée ici comme une activité distribuée entre les concepteurs et les utilisateurs. Ce statut s’inscrit dans le prolongement naturel de l’approche instrumentale (Rabardel, 1995), qui distingue l’artefact (ce qui est proposé à l’usager) et l’instrument (ce qui est construit par l’usager dans le cadre de son activité). C’est finalement un double regard qui détermine les deux dimensions fondamentales de l’étude : l’organisation de l’activité humaine et le rôle du sujet dans cette transmission-acquisition pour assurer une réalité didactique significative.
L’organisation de l’activité enseignante
La première dimension, qui porte sur l’organisation de l’activité enseignante, permet de dégager trois composantes dans le processus d’opérationnalisation (Cf. annexe 1, les matrices théoriques) : le schème, la situation et l’instrument. En suivant Pastré (2005), Vergnaud (1994) et Piaget (1973), pour qui le schème oriente l’action dans une situation donnée, nous retenons les modèles cognitif et pragmatique comme étant les deux indicateurs de la composante. Les deux indicateurs de la composante situation sont les contraintes physiques et les contraintes subjectives (qui caractérisent l’instrument induit), en accord avec Pastré (ibid.) et Brousseau (1998) pour qui c’est la situation qui permet la mise en œuvre et la validation de l’action. En ce qui concerne l’instrument, pris comme produit de la genèse instrumentale permettant d’agir sur la situation (Mayen & Vidal-Gomel, 2005 ; Bruner, 1983 ; 2000), les deux indicateurs retenus sont les ressources personnelles mobilisées (stratégies adoptées) et les ressources induites (prise de décision).
Le rôle de l’enseignant
Dans le cadre de l’activité humaine, être « sujet » signifie avoir la volonté d’être acteur dans la modification de son environnement, plutôt que d’être déterminé par lui (Rabardel & Pastré 2005). À partir de cette deuxième dimension qui porte sur le rôle de l’enseignant dans l’organisation de son activité, plusieurs composantes ont été retenues (voir annexe 2), notamment, l’histoire de la carrière (Tardif & Lessard, 1999), l’organisation préétablie (Rabardel & Pastré, 2005), les objets sur lesquels porte l’enseignement (Ginestié, 2006 ; Morin, 1990) ou encore les processus de développement de l’activité (Rabardel & Pastré, 2005).
Dispositif de recherche
Le dispositif de recherche ciblait 325 enseignants en enseignement technologique et professionnel, régulièrement en poste dans les différents lycées techniques et professionnels du Gabon. En se basant sur les prédictions théoriques qui définissent l’utilisation des techniques d’échantillonnage non probabilistes, le seuil acceptable en méthode qualitative est généralement fixé, dans le meilleur des cas, avec un niveau de confiance de 95% et un niveau de précision de plus ou moins 5% en suivant la table d’estimation de la taille d’un échantillon. Dans les cas contraires, un échantillon doit représenter au moins 10% de la taille de la population mère (Dépelteau, 2000). En prenant l’effectif du seul lycée technique de Libreville qui est de 126 enseignants (arrondi à 130), la table d’estimation (ibid., p.233) indique qu’il faut un échantillon de 97 enseignants. Compte tenu des difficultés rencontrées sur le terrain pour la collecte des données, l’étude s’est confrontée à un problème de quotas d’effectifs. Au bout du compte, notre étude a été conduite auprès de 29 enseignants interrogés par questionnaire pour la partie quantitative et
3 parmi eux pour lesquels nous avons conduit des entretiens semi-directifs. En ce qui concerne les enseignants interviewés, le choix s’est opéré suivant les critères ci-après : l’ancienneté (un sujet plus ancien dans le métier, un sujet plus jeune dans le métier et un sujet ayant une ancienneté moyenne) et la discipline enseignée (un sujet par discipline). L’investigation s’est déroulée suivant la méthode de l’entrevue, pour entendre, écouter et interpréter l’avis et le discours de l’enseignant au regard de ses dimensions épistémologiques et pragmatiques. Les outils utilisés sont le questionnaire pour interroger sur la dimension épistémologique et l’entretien semi-directif pour interroger sur la dimension pragmatique. En termes de modalités de passation, le questionnaire mis en ligne a été passé avant le guide d’entretien car il a fourni les critères de choix des personnes retenues pour les entretiens.
Les résultats
Analyse des données quantitatives du questionnaire
Dans un premier temps, considérons le rôle de l’enseignant dans l’organisation de son activité au quotidien. Dans toute activité humaine, l’acteur ne rentre pas dans l’action sans antériorité, il arrive à une étape de sa vie, riche d’une histoire liée à sa formation et à sa carrière. Ainsi, cette histoire de vie traduit sa dimension épistémologique et son rapport au savoir, au travers de son cursus scolaire et de son expérience professionnelle. Ensuite, l’acteur affirme son rôle au travers des médiations réflexives et interpersonnelles, rôle qu’il étend à l’organisation scolaire préétablie, en regard de la situation géographique de l’établissement, de la qualité des structures, des divers services et des différentes prescriptions officielles. Il met en œuvre des processus de développement de l’activité enseignante et des activités parascolaires. Cet article n’a pas la prétention de rendre compte de toute la richesse de ce rôle d’enseignant au travers de toutes les différentes facettes de son métier. La présentation faite ici n’est pas exhaustive des résultats obtenus et se limite aux deux dimensions de l’activité enseignante : les organisations préétablies et les processus de développement de l’activité enseignante.
Organisation scolaire préétablie
Pour caractériser les organisations scolaires préétablies, nous nous sommes appuyés sur les deux indicateurs respectifs : référentiel de formation et moyens de l’établissement afin de mettre en relation les composantes prescriptions et structures. La mise à disposition par l’institution d’un référentiel de connaissances et de compétences permet de spécifier à l’enseignant ce qui est attendu de lui ; cet ensemble de prescription revêt des formes très différentes d’un pays à l’autre. L’adaptation du référentiel aux moyens de l’établissement va conduire à un ensemble de transformation des savoirs en jeu. Ainsi, le référentiel et l’ensemble des prescriptions définissent un ensemble d’artefacts à disposition de l’enseignant. Ce dernier va s’en saisir pour l’adapter à sa situation, dans sa classe, avec ses élèves, les ressources dont il dispose… Il va ainsi élaborer ses instruments de travail qu’il va mettre en œuvre pour assurer son métier. La distinction, dans notre cas, entre l’artefact (ce qui est proposé à l’usager) et l’instrument (ce qui est construit par l’usager dans le cadre de son activité) s’inscrit dans le cadre de l’approche instrumentale de Rabardel et Pastré (2005). Pour autant, la singularité du sujet enseignant – dans sa dimension épistémologique et son rapport au savoir en jeu – et la nature immatérielle des artefacts mis à disposition entrainent des perceptions diverses qui supposent et justifient un accompagnement et un encadrement de leur processus d’appropriation.
Les questions 11 et 13 de notre questionnaire permettent de caractériser l’implication de l’enseignant dans ce processus d’appropriation du référentiel – son implication dans des formations – et d’adaptation aux moyens de l’établissement – son opinion sur l’adéquation prescriptions-moyens. Le tableau 1 présente les résultats obtenus.
Tableau 1 : Appropriation du référentiel de formation et adaptabilité aux moyens de l’établissement
Adaptabilité
Appropriation |
Non
réponse |
Très
adaptés |
Adaptés | Inadaptés | Très
inadaptés |
Total |
Oui | 0 | 0 | 4 | 5 | 0 | 9 |
Non | 4 | 0 | 3 | 11 | 0 | 18 |
Non réponse | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 2 |
Total | 6 | 0 | 7 | 16 | 0 | 29 |
Ce tableau montre que sur les 29 enseignants interrogés, 18 n’ont jamais participé à des formations sur l’appropriation du référentiel de formation. Parmi ceux-là, 11 trouvent ces référentiels inadaptés. Parmi les 9 qui ont déjà participé à une formation, 5 les trouvent inadaptés. Une telle proportion d’enseignants (5 sur 9) qui estiment que les programmes ne sont pas adaptés aux conditions matérielles des établissements, permet de comprendre pourquoi les nouveaux programmes ne sont pas mis en œuvre dans l’ensemble du pays. En effet, ces nouveaux programmes reposent sur un ensemble d’équipements innovants tel que décrit dans les guides qui accompagnent les référentiels mais ils ne sont pas encore disponibles dans tous les établissements. De fait, équipé des anciens plateaux techniques et sans formation, la plupart des enseignants mettent en œuvre les anciens référentiels. Il est clair que la conjonction introduction des nouveaux référentiels et disponibilité des plateaux techniques nécessaires à leur mise en œuvre est une condition incontournable pour lancer une telle évolution. De la même manière, les enseignants doivent être accompagnés dans cette évolution par des formations qui font visiblement défaut. De fait, on constate une très faible appropriation des artefacts proposés qui ne participent pas de manière effective et significative à la dynamisation de l’activité enseignante.
Processus de développement de l’activité enseignante
L’étude de la dimension « processus de développement de l’activité enseignante » repose sur la relation entre deux indicateurs de la composante enseignement, à savoir les processus d’appropriation du référentiel et leur mise en œuvre (élaboration contenu de cours). La conception et la réalisation d’un enseignement s’inscrivent dans le cadre du contrat didactique et dans la perspective des conditions de l’étude des savoirs en jeu. L’enseignant est un technicien concepteur qui a recours à différentes « caisses à outils » pour élaborer une organisation pertinente dans le cadre de l’apprentissage visé (Musial & Tricot, 2008). Ainsi, les prescriptions institutionnelles font partie de ces champs de références auxquels il va faire appel, pour autant qu’il en dispose. Son expérience personnelle et sa connaissance du contexte dans lequel il agit vont également avoir un impact sur ce processus. Ce sont ces influences que les questions 10 et 14 du questionnaire visent à caractériser au travers de la disponibilité des référentiels institutionnels et de l’explicitation des références qu’ils utilisent dans cette phase. Le tableau 2 présente les résultats de ce croisement.
Sur les 29 sujets interrogés, 11 déclarent disposer des référentiels de formation dans toutes les matières dont ils ont la charge et 4 n’en disposent que partiellement. Ils sont donc 15 sur 29 à disposer des référentiels au moment de la conception de leurs séquences d’enseignement. 12 d’entre eux déclarent les utiliser pour élaborer leur enseignement ; aucun d’entre eux ne se réfère aux manuels scolaires, à leur propre expérience ou à leurs anciens cours. Par ailleurs, concernant ceux qui déclarent ne pas disposer des référentiels, aucun ne dit qu’il se réfère aux pratiques du métier ou à ses anciens cours. 2 déclarent utiliser les manuels scolaires et un seul cite son expérience personnelle. Il est surprenant de relever cette contradiction puisque les autres déclarent se servir des référentiels qu’ils disent ne pas avoir à disposition. Les entretiens conduits à partir de ces résultats doivent nous permettre d’éclaircir cette contradiction.
Tableau 2 : Élaboration des contenus de cours et référentiel de formation
Dispose du référentiel
Élaboration contenus cours |
Non
réponse |
Oui | Non | Sur
certaines |
Total |
Non réponse | 2 | 1 | 1 | 0 | 4 |
au référentiel de formation | 1 | 9 | 7 | 3 | 20 |
aux manuels scolaires | 0 | 0 | 2 | 0 | 2 |
aux pratiques du métier | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 |
à votre expérience sur le métier | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
à vos anciens cours | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 |
Total | 3 | 11 | 11 | 4 | 29 |
Plus généralement, la référence aux pratiques professionnelles telles qu’on peut les rencontrer dans les entreprises n’est cité que par un seul des 29 sujets interrogés, qu’ils disposent ou non du référentiel de formation. Ce résultat est assez surprenant pour des enseignements professionnels et semble bien caractéristique de la distance mise au travers des différentes étapes de formalisation des savoirs scolaires entre les pratiques professionnelles auxquelles ces enseignements sont sensés former et les tâches scolaires que les enseignants proposent aux élèves. La prescription scolaire, qu’elle soit disponible ou non, reste la référence incontournable pour la grande majorité des enseignants interrogés, marquant ainsi un éloignement des pratiques enseignantes des réalités socioprofessionnelles. Ces résultats posent légitimement la question du rôle de l’enseignant qui ne semble pas ainsi contribuer à réduire l’écart entre les activités scolaires dans l’enseignement professionnel et les activités professionnelles réelles qui s’organisent dans les entreprises. Ce positionnement du rôle de l’enseignant est significatif des faiblesses que nous relevions au travers de l’organisation de son activité, notamment à propos de l’appropriation du référentiel de formation et l’élaboration des contenus de cours. L’analyse des réponses aux autres questions qui n’est pas traitée ici nuance toutefois cette vision un peu négative en valorisant les expériences d’organisation d’alternance école-entreprise, l’engagement de ces enseignants dans des actions d’animations pédagogiques, d’équipes pédagogiques interdisciplinaires ou dans la vie syndicale. De la même manière, leur mode de recrutement révèle un fort ancrage industriel. Une étude qualitative complète ces résultats quantitatifs pour apprécier et qualifier ce degré d’engagement dans leur métier et la perception qu’ils ont de leur rôle et de l’organisation de leur activité.
Analyse des données qualitatives des entretiens
Les enseignants ont été choisis sur la base des résultats du questionnaire. En tenant compte de ce que nous cherchons dans l’organisation de l’activité enseignante, nous avons trouvé pertinent d’approfondir l’analyse de certaines variables à travers des entrevues. En consultant les résultats quantitatifs sur l’organisation scolaire préétablie au travers des structures et des prescriptions, nous constatons (à titre d’exemple) qu’il y existe une certaine aporie dans la variable portant sur l’ « élaboration des contenus de cours » et le
« référentiel de formation » Cette aporie nous situe dans une impasse qui nous amène à adopter une démarche de clinicien auprès du sujet, pas dans le sens de lui apporter une thérapie, mais pour tenter de comprendre ou de saisir au mieux, sa perception sur cette question. Les identités des trois enseignants interviewés ont été remplacées, afin de préserver leur anonymat, par les codes suivants : B.A.N.01, M.Y.A.02 et D.M.03.
L’organisation de l’activité enseignante
Pour préciser les réponses obtenues par questionnaire, nous avons interrogé trois enseignants sur leurs perceptions des actions envisagées. Ils devaient répondre à la question suivante : « Considérons que toute action est au départ pensée, autrement dit, de la manière de penser dépend la manière d’agir. Lorsque vous vous proposez d’effectuer le réglage d’une machine ou d’un système particulier par exemple, la suite des actions que vous envisagez est-elle traduite par votre propre imagination ou par une prescription descriptive ». Cette question a permis de comprendre à quoi se réfère l’enseignant lorsqu’il prépare son enseignement, portant par exemple sur la description d’un fonctionnement. Les extraits des réponses obtenues, nous indiquent que, pour le premier sujet, la chronologie des actions d’une opération pratique est préalablement imaginée par l’enseignant. Pour le deuxième sujet, les manuels scolaires ne permettent que la confirmation et la vérification des données, la chronologie des actions est consignée dans des fiches à partir desquelles ils se réfèrent. Pour le troisième sujet, la chronologie des actions se construit en référence à l’expérience personnelle de l’enseignant. Les enseignants interviewés font référence de manière distincte à leur propre conception des situations, à leurs pratiques personnelles et aux prescriptions de l’institution dès lors qu’ils doivent préparer un enseignement qui vise à décrire et/ou analyser le fonctionnement d’un système. En effet, nous constatons que le premier sujet (B.A.N.01) fait appel à ses propres souvenirs, à ce qu’il se rappelle être un mécanisme fonctionnel, tout en s’appuyant sur le manuel scolaire pour valider ses propositions :
« Euh je peux dire que un moment donné nous avons notre propre imagination, il arrive effectivement que nous somme à court peut être d’idées et que nous faisons référence à un manuel, à un document pour essayer soit de vérifier l’information que nous recherchons ou de compléter ces données. »
Le troisième sujet (D.M.03) fait également référence à sa mémoire personnelle lorsqu’il se réfère à son expérience personnelle :
« Je me réfère… à mon expérience surtout, parce que ici en génie civil euh les documents sont très peu. Il y a très peu de documents de génie civil ici, donc quand je fais mes préparations, quand je fais mes expériences, je tiens compte de mon expérience personnelle, l’expérience que j’ai eue moi-même en entreprise. »
À contrario, le second sujet (M.Y.A.02) ne se réfère ni à ses souvenirs, ni à son expérience personnelle. Il s’appuie sur ses anciens cours, des fiches de cours qu’il met à la disposition des élèves :
« Euh…déjà un enseignant c’est quelqu’un qui euh qui doit préparer euh… son enseignement. Euh…une fois vous êtes en face des élèves vous devriez déjà avoir sur vous vos fiches de réglage, s’il est question de réglage. »
Au regard de ces réponses, nous constatons une hétérogénéité des réponses qui traduit une diversité des pratiques qui ne relèvent pas réellement d’une communauté partagée. De ce point de vue, il y a une différentiation de la perception des enseignants lorsqu’ils disent à quoi ils se réfèrent pour élaborer leur enseignement, ce qui se traduit par des modèles cognitifs différents pour les uns et les autres. Les interviews confirment les précédents résultats, en précisant la manière de le faire, en ce qui concerne le peu de cas que certains font des prescriptions institutionnelles. De la même manière, nous noterons la minoration du rôle des manuels scolaires qui semblent, lorsqu’ils sont utilisés, ne servir qu’à confirmer l’opinion de l’enseignant. En revanche, le poids de l’expérience personnelle, de leurs propres connaissances et des ressources qu’ils ont déjà élaborées est particulièrement prégnant ; ces réponses permettent de comprendre la faible influence des prescriptions sur les pratiques des enseignants. La conception et la préparation d’un enseignement suppose que l’enseignant organise selon un modèle pragmatique les séances prévues ; pour cela, il a recours à des schèmes d’utilisation qui lui permettent de concrétiser son organisation au travers des dispositifs à mettre en œuvre. Dans le cadre de l’analyse fonctionnelle d’un système, cela suppose de prévoir et d’articuler des séances pratiques avec des apports de connaissances. La question suivante a permis de recueillir l’opinion de nos trois enseignants : « en considérant que vous avez acquis une certaine expérience dans la conduite et l’exécution des opérations pratiques, quelles sont, selon vous, les sources de cette expérience ? Est-ce à partir de vos cours de travaux pratiques organisés dans le cadre scolaire, ou à partir de vos travaux pratiques effectués en entreprise ou un autre contexte non scolaire ? » Cette question permet d’entendre comment l’enseignant construit sa propre expérience, c’est-à-dire comment, avec le temps, il élabore des savoir-faire, comment, à force de répétitions, une opération devient routinière et comment cette opération induit des réponses automatisées et systématiques. Cette opération organise les savoir-faire dans des schèmes d’utilisation qui induisent les réponses du sujet. Les réponses fournies pour deux des trois enseignants montrent la prégnance et l’importance de leur expérience personnelle construite lors des stages et périodes passées en entreprise lorsque l’autre considère que c’est le cursus de formation qui façonne son expérience personnelle. Ainsi, l’enseignant
B.A.N.01 déclare que :
« … donc l’expérience dans ce premier temps c’est sur le plan professionnel… sur le plan entreprise c’est l’expérience…là je peux dire qu’à 80% ou sinon 90% l’expérience en entreprise, et le reste l’expérience euh…l’expérience c’est sur le plan scolaire parce que nous apprenons des nouvelles méthodes etc. »
Le second sujet (M.Y.A.02) indique que son expérience résulte de son cursus de formation jusqu’à la vie active :
« Bon, déjà euh… il faut euh… dire que un enseignant avant qu’il ne soit enseignant il a d’abord été élève … Je prends mon cas, j’ai euh après ma classe de…après ma classe de CM je suis directement allé au secondaire dans l’enseignement technique : donc en première année euh CETI. Et ce ce qui fait que mon expérience est partie de tout ce que je pouvais recevoir comme cours sur le plan théorique et pratique, jusqu’à ce que je sois allé à l’université et le peu de contact que j’ai eu avec les entreprises… »
Le troisième sujet (D.M.03) indique que c’est de son passé en entreprise que vient son expérience :
« …quand je fais mes expériences, je tiens compte de mon expérience personnelle, l’expérience que j’ai eue moi-même en entreprise… »
La diversification des références qui fondent les pratiques des enseignants est moins diversifiée que pour le point précédent. Au regard des réponses, nous constatons qu’il existe des indices de diversification de la genèse instrumentale des pratiques enseignantes. Les processus qui contribuent à l’élaboration et à la production des pratiques ou de l’expérience sont très proches, ils intègrent à la fois les moments de vie scolaire, de vie en entreprise par le biais des stages pratiques et les instants de vie professionnelle en ateliers avec les élèves.
Les situations et les contraintes
La question suivante permettait de recueillir l’avis de ces enseignants sur leur environnement et les contraintes physiques qui pesaient sur leurs pratiques : « que pensez-vous de la qualité, de la quantité et de la disponibilité de tous les supports didactiques mis à votre disposition pour vous permettre d’enseigner ? On parle notamment des manuels, des machines, de l’outillage, des matériaux, des équipements bureautiques, etc. ». Il s’agissait d’identifier les artefacts matériels mis à disposition des enseignants au-delà des bâtiments ou des salles spécialisés déjà étudiés dans le précédent questionnaire. Dans cette perspective, il était également intéressant d’apprécier comment ces enseignants se positionne dans leur environnement, comment ils perçoivent et organisent les informations qui le compose. Les réponses obtenues montrent que les enseignants interrogés sont satisfaits de la qualité des manuels scolaires mais qu’ils sont en nombre insuffisant ; cela interdit toute forme de prêt et oblige à une consultation in situ, pendant les heures de cours. Cette disponibilité réduite a une incidence sur les possibilités d’organisation du travail des élèves. Leurs avis sur les équipements matériels sont plutôt mitigés : les uns disent qu’ils sont de bonne qualité pendant que l’autre estime qu’ils sont vétustes. Ils sont plus unanime, d’une part, quant à l’alimentation électrique des ateliers qui est trop aléatoire et qui paralyse trop souvent l’utilisation des équipements et, d’autre part, à l’absence d’une liaison Internet fiable et de qualité ; ces problèmes sont souvent à l’origine d’une réduction voire d’une annulation des séances de travaux pratiques. L’approvisionnement tardif des matériaux et matériels est unanimement souligné ; livrés à la veille des examens de fin d’année, les enseignants doivent se « débrouiller » tout au long de l’année sans matière d’œuvre et sans support pour faire travailler leurs élèves. Enfin, les trois enseignants notent le manque de laboratoire opérationnel dans leurs établissements respectifs. Au-delà de ces contraintes matérielles aisément objectivables, les enseignants vont percevoir un certain nombre d’éléments de leur environnement qui renvoie plutôt à des normes sociales et constituent un ensemble de contraintes subjectives. Ces contraintes vont interagir avec les autres et influeront plus ou moins sur les pratiques des sujets selon l’influence de leurs points de vue individuel ou personnel. Pour apprécier cette dimension, nous leur avons posé la question suivante : « Quelle appréciation pouvez-vous donner à votre environnement humain de travail ? »
À travers cette question, nous avons apprécié le ressenti de l’enseignant au travers des échanges et des interrelations qu’il entretien dans son environnement de travail. Bien évidemment, les réponses obtenues montrent que la perception qu’ils ont dans ce domaine est très liée à leur propre personnalité et leur conception de leur propre rôle. Les trois enseignants restent mesurés en affirmant que les relations sont plus ou moins bonnes mais ils avancent leur rôle essentiel lorsqu’ils disent s’efforcer d’entretenir un climat de sérénité dans leur groupe de travail. Un rapprochement intéressant est avancé en regard des conditions matérielles puisque tous les trois estiment qu’il est nécessaire que les enseignants s’organisent entre eux pour assurer une maintenance des matériels et conserver un environnement matériel acceptable. Pour autant, ils restent impuissants et se désolent de cette situation face au manque de matière première.
Les ressources et les stratégies
La gestion des imprévus reste un indicateur fort de la capacité d’adaptation des enseignants lorsqu’ils sont confrontés à un changement de situation inattendu ; cela suppose d’adopter un changement de stratégie rapidement, en mobilisant d’autres ressources personnelles, en conservant l’objectif d’atteindre le but fixé tout en conservant la maitrise de la situation. C’est ce point que la question suivante visait à élucider : « En cas de manque ou d’indisponibilité d’un manuel scolaire ou de toute ressource documentaire sur un thème ou un sujet à développer avec les élèves, quelle stratégie adoptez-vous immédiatement ? ». Il s’agit de comprendre comment l’enseignant adaptait sa stratégie lorsqu’il constatait qu’il ne disposait pas d’une documentation lui permettant de préparer son enseignement. De manière globale, les réponses obtenues mettent en évidence soit une stratégie de renoncement – l’enseignant préfère reporter le cours – soit une stratégie d’évitement – l’enseignant reprend le cours précédent. On voit bien que la responsabilité de chacun pour assurer son enseignement est mise à mal dès que la situation devient difficile et le recours à une forme de génie pédagogique ne semble pas envisageable, tout au moins pour les enseignants interrogés. La dernière question que nous analysons dans cet article concerne le processus de prise de décision. Elle reprend en partie la précédente mais en la centrant sur un problème de disponibilité de matériel : « En cas de manque ou d’indisponibilité d’un matériel ou matériau pour développer une activité pratique avec les élèves, quelles dispositions prenez-vous immédiatement ? ». La gestion des imprévus prend ainsi une autre dimension puisque là il s’agit d’apprécier ce que disent les enseignants lorsqu’ils doivent faire face à une réorientation complète de leur séance dès lors qu’ils l’avaient conçus pour utiliser un type de matériel et que ce matériel n’est pas disponible.
Il semble, au vue des réponses, que les difficultés matérielles chroniques conduisent les enseignants à faire face à ces absences en se constituant un stock d’équipements personnels qui lui permet de faire face en assurant son enseignement malgré tout. Si son stock personnel ne lui permet pas de faire face, il réajuste sa stratégie en adoptant une démarche différente de celle prévue ; il adapte certains matériaux et matériels non destinés à cet usage. En tous les cas, on voit se dessiner une très grande capacité d’adaptation fondée sur un principe de récupération ou sur des modalités d’autofinancement de certaines fournitures. Globalement, ces quelques réponses montrent que l’interaction schème, situation, instrument ne rentrent pas dans un modèle unique et uniforme des pratiques qui pourraient laisser penser que l’on pourrait fonder l’activité enseignante sur des organisations préétablies, comme semble l’indiquer les prescriptions institutionnelles.
Discussions, conclusions et perspectives
Les quelques résultats de cette étude consignés dans cet article montrent que la réduction de l’écart entre les savoirs professionnels et les savoirs scolaires est envisageable dès lors que l’on peut jouer sur quelques facteurs épistémologiques et pragmatiques. Ces facteurs sont liés à l’expérience des enseignants sur les situations d’alternance école-entreprise, sur leur mode de recrutement ou encore leur engagement dans les animations pédagogiques, dans des équipes pédagogiques interdisciplinaires ou dans la vie syndicale. Pour autant, nous noterons quelques facteurs qui, au contraire, tendent à accroitre cet écart : leur niveau d’entrée dans le cursus scolaire technique, leur première affectation, les moyens de transport disponibles, le positionnement par rapport au référentiel de formation ou encore les processus d’élaboration des contenus de cours. La diversité des organisations étudiées renvoient à la diversité des processus d’élaboration des instruments par chacun, en fonction des artefacts matériels, symboliques et conceptuels qui sont à sa disposition dans son environnement de travail. De fait, les stratégies adoptées sont largement différentes et les capacités d’adaptation montrent que les enseignants gabonais, tout au moins ceux de notre échantillon, font montre simultanément d’une forme de rigidité lorsque les conditions d’enseignement ne sont pas réunies, ils envisagent même de reporter leurs cours, et également d’une capacité de prévoyance importante en se constituant des réserves personnelles, qu’ils n’hésitent pas à autofinancer, pour faire face aux lacune matérielles.
Il serait toutefois présomptueux de penser que les quelques indications obtenues dans cette étude sont représentative des conditions de travail des enseignants gabonais ou encore des stratégies qu’ils adoptent et donc de leurs pratiques. La collecte des données n’est pas chose aisée et nous avons eu un très faibles taux de retour des questionnaires. De nature exploratoire, cette étude nous permet d’apprécier quelques-uns des éléments qui semblent agir sur les pratiques des enseignants de l’enseignement professionnel gabonais, tout autant dans les stratégies qu’ils développent que de leurs actions face à une situation matérielle qui ne permet pas d’organiser un enseignement compatible avec les objectifs atteints. On voit bien que l’attitude développée par ces enseignants reste partagée entre une attitude de renoncement, une capacité d’adaptation par la débrouille et le bricolage et une profonde indignation à ne pouvoir exercer leur métier dans des conditions honorables. De fait, cette prégnance contiguë dans le développement des pratiques professionnelles de postures aussi contradictoires et conflictuelles suppose d’être précisée et caractérisée dans toute perspective future, notamment dès lors qu’il s’agit de penser la formation de ces enseignants. Le rapport à la prescription institutionnelle prend un tour particulier, si l’on considère notamment non seulement la question de la distance entre savoirs professionnels et savoirs scolaires mais également celle des pratiques scolaires que ces prescriptions visent à induire en prévoyant par exemple l’usage d’équipements ou de matériels qui sont inexistants ou encore en établissant des relations avec des secteurs socioprofessionnels qui ne correspondent à aucune réalité des entreprises gabonaises. De ce point de vue, il y a un travail important dans la définition d’un point de vue curriculaire qui relève d’une mise à plat de ces référentiels pour qu’ils soient représentatifs des emplois gabonais et des conditions scolaires.
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Annexes
Annexe 1 : Matrice théorique sur le triplet de l’organisation de l’activité humaine
Dimensions | Composantes | Indicateurs |
Schème | Cognitif (schème d’action). | – Actions envisagées |
Pragmatique ou opératif (schème d’utilisation). | – Sources de l’expérience
– Pratiques de référence |
|
Situation | Artefacts (matériels, immatériels) | – Contraintes physiques
– Contraintes subjectifs |
Instrument | Ressources théoriques personnelles mobilisées | – Stratégies adoptées |
Ressources matérielles induites | – Prise de décision |
Annexe 2 : Matrice théorique sur le rôle du sujet dans l’organisation de son activité
Dimensions | Composantes | Indicateurs |
Histoire de la carrière | Cursus scolaire et universitaire | – Études secondaires
– Études supérieures – Stages scolaires |
Expérience professionnelle | – Mode de recrutement
– Année de recrutement – Premier lieu d’affectation – Autres lieux d’affection – Ancienneté dans le métier – Animation pédagogique – Inspection pédagogique – Stages professionnels – Gestion administrative – Activités de recherche – Situation actuelle |
|
Objets sur lesquels porte l’enseignement | Médiation avec l’objet de l’activité | – Médiation avec l’objet de l’activité |
Médiations réflexives | – Médiations réflexives (sur soi)
– Sur le métier professionnel – Sur le métier d’enseignant |
|
Médiations interpersonnelles | – Le personnel d’encadrement
– Les parents d’élèves – Les pairs |
|
Organisation scolaire préétablie | Situation géographique | – Zone (urbaine ou rurale)
– Éloignement – Accès (moyens de transport) |
Structures | – Bâtiments
– Salles de classe – Ateliers – Laboratoires |
|
Services | – Documentations
– Sociaux |
|
Prescriptions | – Référentiels
– Règlements – Planifications |
|
Processus de développement de l’activité | Enseignement | – Processus d’appropriation
– Mise en œuvre – Approvisionnements – Maintenance des structures et équipements |
Parascolaires | – Les activités socio-éducatives
– Les activités sociopolitiques |
Dimensions | Composantes | Indicateurs |
Cognitif (schème d’action). | – Actions envisagées | |
Schème | Pragmatique ou opératif (schème d’utilisation). | – Sources de l’expérience
– Pratiques de référence |
Situation | Artefacts (matériels, immatériels) | – Contraintes physiques
– Contraintes subjectifs |
Instrument | Ressources théoriques personnelles mobilisées | – Stratégies adoptées |
Ressources matérielles induites | – Prise de décision |
Résumé
Cet article rend compte des résultats d’une étude auprès d’enseignants gabonais en enseignement technologique et professionnel. Il s’agissait en effet de rendre compte du rôle de l’enseignant sur l’inévitable écart entre les savoirs à l’œuvre dans les activités de production industrielle en entreprise et ceux mis en œuvre dans les institutions de formation professionnelle. Sans prétendre l’annuler, toute tentative de réduction de cet écart vise à assurer à chaque apprenant, une chance de se construire un apprentissage significatif au travers de l’adéquation formation emploi. Pour notre part, nous nous intéressons à la manière, pour l’enseignant, d’orienter sa pratique quotidienne dans une approche de proximité environnementale susceptible d’engager ce processus de réduction.
Les résultats de cette étude ont mis en évidence les aspects épistémologiques et pragmatiques qui militent ou ne militent pas en faveur de cet engagement enseignant dans le cadre de l’organisation de son activité. En effet, pour que l’engagement enseignant soit effectif quant à la réduction de cet écart qui subsiste entre les savoirs issus du site de production et les savoirs mis en jeu dans l’organisation scolaire, il faut que l’organisation scolaire apporte des profondes réformes sur le niveau d’entrée dans le cursus scolaire technique, le premier lieu d’affectation, les conditions de transport, l’appropriation du référentiel de formation et les moyens d’élaboration des contenus de cours par l’enseignant.
Mots clés : Adéquation formation-emploi, épistémologie, identité professionnelle, insertion professionnelle, pratiques enseignantes, savoirs professionnels, savoirs scolaires
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