par Mohamed Rached Boussema Rached.boussema@enit.rnu.tn
RAIFFET Actes du 4e colloque international Éducation technologique, formation professionnelle et formation des enseignants Marrakech – 28-31 octobre 2014
Les méthodes d’enseignement et leur efficacité en matière d’apprentissage, pratiques enseignantes et organisations scolaires
Direction d’ouvrage : Jean-Sylvain Bekale Nze, Stéphane Brunel, Hélène Cheneval-Armand, Jacques Ginestié, Mourad Taha Janan
Résumé
Les changements apportés par la technologie et la mondialisation ont fait émerger de nouvelles missions à l’université, notamment vis-à-vis de ses liens avec la société, l’économie et l’environnement. Ce sont de nouveaux enjeux, de nouveaux écueils et de nouvelles perspectives qui s’ouvrent alors devant les enseignants.
Dans ce contexte, la formation des enseignants de l’enseignement supérieur est devenue un enjeu majeur pour tous les pays et plus particulièrement pour les pays en développement. Elle fait l’objet dans la plupart de ces pays de réformes profondes, de remises en question ou de remaniements.
En 2005, la Tunisie a décidé d’adopter la réforme LMD selon les principes du processus de Bologne. Un important effort a été fourni depuis pour la concevoir et la mettre en œuvre. Un double défi s’est alors rapidement dégagé concernant la reconnaissance des diplômes nationaux à l’échelle internationale : réussir le passage vers les diplômes LMD et améliorer la qualité des enseignements.
L’objectif n’est pas ici de traiter de la mise en œuvre de la réforme LMD en Tunisie, il s’agit plutôt de présenter quelques pistes de réflexion et d’actions qui ont accompagné cette mise en œuvre en termes de pédagogie universitaire et plus particulièrement en termes de formation des formateurs.
Mots clés
Formation des enseignants, réforme LMD, enseignement supérieur, pédagogie universitaire
Introduction
Il est admis aujourd’hui que « les changements apportés par la technologie et la mondialisation ont fait émerger de nouvelles missions à l’université, notamment vis-à-vis de ses liens avec la société, l’économie et l’environnement. Dans cette perspective, la formation des enseignants, enjeu majeur pour tous les pays, fait l’objet de réformes profondes, de remises en question ou de remaniements » (ministère de l’Éducation nationale de France, 2012). De son côté, Rollot (2013) parle de « la grande révolution de la pédagogie dans l’enseignement supérieur ». Déjà, en 2005, la Tunisie a décidé d’adopter la réforme LMD selon les principes du processus de Bologne. Depuis, un effort important a été effectué pour la concevoir et la mettre en œuvre. Un double défi s’est alors rapidement dégagé concernant la reconnaissance des diplômes nationaux à l’échelle internationale : réussir le passage vers les diplômes (L, M, D) et améliorer la qualité des enseignements.
Ainsi, l’adoption du système LMD allait permettre de mettre à plat les cursus, les programmes de formation ainsi que les méthodes et pratiques pédagogiques. L’enjeu était de taille pour un enseignement de qualité et la réforme était une excellente opportunité pour mener une réflexion sur les modalités pouvant assurer cette qualité.
L’objectif n’est pas ici de traiter de la mise en œuvre de la réforme LMD en Tunisie, il s’agit plutôt de présenter quelques pistes de réflexion et d’actions qui ont accompagné cette mise en œuvre concernant la pédagogie universitaire et plus particulièrement la formation des formateurs.
Le contexte tunisien de la réforme LMD
La situation qui prévalait dans l’enseignement supérieur tunisien était alors complexe. D’un côté, il y avait le contexte caractérisé par une forte massification et un taux d’encadrement relativement faible mais variant d’une université à une autre et d’un établissement universitaire à un autre ; une infrastructure non adaptée aux nouvelles évolutions technologiques, notamment l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ; un taux de chômage des diplômés du supérieur qui s’aggrave d’année en année ; un partenariat université-entreprise quasi inexistant. On peut dire que jusque-là, l’État n’a pas assumé cette massification et du coup, la question de la qualité a interpelé tout le monde.
D’un autre côté, la spécialité « sciences de l’éducation » n’existait pas dans les universités tunisiennes. Très peu de chercheurs s’étaient aventurés à s’attaquer à la question de la pédagogie universitaire surtout en puisant dans ses fondements théoriques à la base des différentes approches de l’enseignement et de l’apprentissage et liés entre autres à la psychologie, à la sociologie, à la philosophie et aux sciences cognitives (Kozanitis, 2005).
Aussi, la formation pédagogique des enseignants n’existait pas. Seule une formation élémentaire était dispensée aux étudiants dans le cadre de leur diplôme de master. Du coup, des enseignants bien formés dans leurs spécialités faisaient et continuent de faire de leur mieux pour assurer un enseignement supposé être de « qualité ». « La grande majorité des enseignants font donc leurs classes de pédagogie sur le tas, “craie en main” » (Conseil supérieur de l’éducation, 1990).
Notre objectif à travers ce diagnostic était plutôt d’éclairer concrètement les différentes dimensions qui ont pu exister en rapport avec l’enseignement dans les universités tunisiennes.
Notre constat était que la transmission vers l’étudiant posait un certain nombre de problèmes. Elle est demeurée classique. Elle se consacrait à une transmission du savoir plutôt que de viser à rendre les étudiants compétents. Ajouter à cela les nombreuses carences d’ordre institutionnel qui entravaient la mise en œuvre d’une véritable stratégie pour des pratiques pédagogiques appropriées à un bon apprentissage dans l’enseignement supérieur.
Ce diagnostic n’est certainement pas spécifique à la Tunisie. Une littérature abondante fait état de situations similaires notamment dans les pays en développement.
La pédagogie universitaire en liaison avec la réforme LMD
Dans son livre blanc sur l’École du Futur, Grenoble EM (2013) constate que
« Nous sommes arrivés aujourd’hui à la conjonction de progrès technologiques de différentes natures qui vont radicalement bouleverser des notions fondamentales dans l’enseignement tel que nous le connaissons aujourd’hui : le savoir, la pédagogie, la distance, la relation avec le professeur, l’évaluation, et la notion même de ce qu’est un cours ».
Rollot (2013) confirme en précisant que « À l’ère des MOOCs, du numérique, quand les jeunes générations veulent travailler autrement et les entreprises recruter des profils plus innovants, tous s’interrogent sur ce que doit devenir la pédagogie dans l’enseignement supérieur ».
Référentiel pour l’action pédagogique
Conscients de ces évolutions, nous avons exploré ce sujet lors de la conception de la réforme LMD et cherché à stratifier les différents champs pouvant concerner l’amélioration des pratiques pédagogiques. Nous avons alors constaté que :
- De nombreuses exigences pédagogiques étaient liées aux nouvelles missions de formation dans les universités, notamment celles liées à l’amélioration de l’employabilité des diplômés du supérieur.
- Une pédagogie de l’enseignement supérieur commune était envisageable de manière transversale à toutes les universités et spécialités.
- Les acteurs de la pédagogie sont nombreux : les enseignants, les étudiants, mais aussi l’ensemble des personnels de gestion et de soutien pédagogique.
- La pédagogie exige un environnement et une organisation matérielle favorables et peut être ou non entravée par un ensemble de conditions institutionnelles.
- Des lacunes pédagogiques majeures se situaient au niveau de l’enseignement du savoir-faire et du savoir-être.
Ce constat nous a conduits à cerner les conditions institutionnelles les plus favorables à la pédagogie et à préciser les axes d’une pratique pédagogique efficace en milieu universitaire. Cela s’est traduit par la mise en relief de quelques éléments d’un référentiel pour l’action pédagogique. Il a été ainsi préconisé que ce référentiel comporte un volet organisationnel qui peut se décliner entre autres en :
- un soutien à l’encadrement des étudiants sous forme de tutorat ou de cours d’appoint ;
- des aménagements horaires ;
- l’aménagement de locaux adéquats et salles de cours appropriées ;
- l’acquisition d’équipements pédagogiques appropriés et des ressources didactiques suffisantes ;
- l’organisation de stages de formation dans les
Sachant pertinemment qu’il y aura un décalage entre une vision idéale des choses et la réalité, il importait d’accomplir, même de manière imparfaite, le minimum qui assure une qualité acceptable. Il fallait tenir compte des nombreuses contraintes liées à la situation des étudiants, à la « condition enseignante » ou au contexte institutionnel de l’enseignement.
Qualité de la formation
Par ailleurs, la qualité de la formation dispensée dans les établissements d’enseignement supérieur subissait les feux d’une critique constante notamment par les employeurs. Or, ce débat sur la qualité est aussi « pédagogique, dans la mesure où il remet en cause l’activité éducative elle-même, les objectifs qu’elle vise, les contenus qu’elle transmet, les méthodes qu’elle emploie et l’évaluation qu’elle pratique » (Conseil supérieur de l’éducation, 1990).
Ce souci de la qualité de la formation a été largement pris en compte lors de la mise en œuvre de la réforme LMD et a conduit à la nécessité d’élaborer des pratiques pédagogiques efficaces et soutenues dans les formations académiques et professionnelles, basées sur une évaluation crédible et appropriée. Elles sont censées répondre à une augmentation des exigences de la qualification académique et professionnelle des étudiants. Parmi ces enjeux, les compétences numériques, les capacités de créativité, d’innovation et de conception de plus haut niveau, revêtent de plus en plus d’importance et doivent constamment être actualisées. De manière plus globale, la professionnalisation est devenue un nouveau paradigme de formation incontournable en pédagogie universitaire, avec ce que cela implique comme problèmes à résoudre.
La formation des enseignants en liaison avec la réforme…
La professionnalisation de l’enseignement supérieur
Avant la réforme, le concept de professionnalisation était quasiment tabou dans nos universités. Cependant, les mutations profondes tant au niveau des métiers que du marché du travail nous dictent de professionnaliser l’enseignement supérieur. Mais comment professionnaliser ? Nos universités sont-elles prêtes à relever le défi et à introduire les changements exigés par la professionnalisation notamment en ce qui concerne les nouvelles pratiques pédagogiques exigées par l’ouverture sur le monde extérieur et l’établissement de partenariats université-entreprise ?
Les réponses sont reflétées à travers les expériences de coconstruction des licences appliquées et des masters professionnels conduites jusqu’à ce jour. Ces expériences ont permis l’élaboration de plusieurs types de référentiels dont notamment les référentiels métiers et les référentiels de compétences. Un guide méthodologique consigne la démarche complète incluant la formation des formateurs, l’encadrement des stages et le suivi-évaluation de la mise en œuvre de ces filières de formation. Ces expériences qui ont revêtu plusieurs formes, sont encore peu nombreuses et ont permis de mettre en lumière leurs limites dues essentiellement à une institutionnalisation très faible du partenariat.
L’une des difficultés majeures de cette dimension professionnalisante de la pédagogie renvoie à la question des stages et des partenariats permettant la formation en milieu professionnel, pouvantdéboucher sur des modèles de formation en alternance. Il était facile de constater que la massification constituait un frein essentiel à une bonne pédagogie de l’alternance etque les enseignants aussi n’étaient pas formés à ce type de pédagogies. La solution envisagée alors était de soutenir le système de la coconstruction afin de préparer les enseignants et les entreprises au partenariat sur un nombre restreint de licences et de masters pouvant être amplifié d’année en année jusqu’à provoquer un effet de boule de neige.
Renforcement de la formation des enseignants
Les compétences des enseignants
Dans un rapport publié en 2007 cité par le ministère de l’Éducation nationale de France (2012), McKinsey & Company constatait que « Les systèmes les plus performants sont la preuve qu’in fine, c’est le niveau de compétence des enseignants qui fait la qualité d’un système scolaire. »
Le Conseil supérieur de l’éducation (1990) précise qu’il s’agit de compétences
« à quatre volets, qu’il semble de plus en plus impossible de disjoindre : il s’agit des compétences culturelle, disciplinaire, didactique et pédagogique. Si l’une d’entre elles est absente, c’est évidemment la formation visée chez l’étudiant qui risque d’en souffrir, il va sans dire ».
Il poursuit en affirmant que : « C’est bien connu : les enseignants à l’enseignement supérieur sont engagés essentiellement sur la base de leur compétence disciplinaire. Ce qu’on leur reconnaît moins, c’est cette compétence didactique et pédagogique, pourtant essentielle à l’exercice de leur rôle d’éducateur professionnel ».
Dans ce contexte, lors de la mise en œuvre de la réforme LMD, les enseignants ont été amenés à s’interroger sur leurs pratiques pédagogiques et sur la stratégie la plus appropriée pouvant assurer leur perfectionnement pédagogique.
Stratégie de formation de formateurs
Il s’agissait d’abord de promouvoir l’acquisition de compétences permettant « d’enseigner efficacement ». Pour cela, il s’est avéré que le perfectionnement pédagogique continu en cours d’emploi pouvait en quelque sorte compenser l’absence d’une formation initiale en ce domaine. La volonté était alors de mettre en place un ensemble de mesures pour assurer au mieux et graduellement ce type de perfectionnements pédagogiques des enseignants. La transition pouvait se faire progressivement et de manière organisée, au travers de plusieurs étapes avant que ce développement ne devienne routinier.
C’est ainsi que la formation pédagogique des enseignants allait être un effort constant assuré par les universités chacune en ce qui l’intéresse ; un effort appuyé par le ministère grâce à des sessions de formation en rapport avec les secteurs d’innovation.
Ensuite, comme le déclare le Conseil supérieur de l’éducation (1990) : « Le pédagogue compétent est aussi celui qui maîtrise les trois grandes phases de l’activité pédagogique : la planification, l’organisation et l’évaluation. La planification a trait aux objectifs à atteindre ; l’organisation se réfère aux moyens, méthodes et stratégies utilisés ; l’évaluation concerne la vérification des apprentissages réalisés par les étudiants, mais fait aussi appel à un retour critique sur l’activité pédagogique elle- même. »
En d’autres termes, les enseignants devaient être suffisamment armés en techniques d’ingénierie de formation pour proposer les nouveaux cursus. À cette fin, l’occasion s’est présentée lors de l’élaboration des plans d’études de ces nouveaux cursus LMD. Ces plans d’études reflètent aujourd’hui les efforts investis par les enseignants pour expliciter la stratégie pédagogique mise en œuvre pour réaliser les objectifs poursuivis. Ils ont pu y introduire notamment une variété d’activités pédagogiques intégrant parfois de manière obligatoire les technologies nouvelles, la culture entrepreneuriale, les langues ainsi que des pratiques d’évaluation des apprentissages basées sur le contrôle continu.
Au niveau de chaque université ou groupe d’universités, des sessions de formations pédagogiques ont été organisées. Elles ont porté sur une formation transversale dans les méthodes d’enseignement et sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour la préparation des cours et l’évaluation du travail de l’étudiant. De nouvelles méthodes et pratiques pédagogiques d’accompagnement et de soutien des étudiants par les enseignants comme le tutorat ont été également abordées.
Conclusion
La pédagogie universitaire se fraie son chemin dans le monde universitaire. Le système d’enseignement supérieur cherche à se renforcer pour y accorder plus de place à l’acquisition de compétences pédagogiques. Les enseignants sont de plus en plus encouragés à s’y impliquer.
Toutefois, la pédagogie a besoin de ressources adéquates. Elle ne s’exerce plus en effet dans les mêmes conditions qu’autrefois. Les performances recherchées partout en matière éducative exigent un engagement financier très important. Il faut admettre qu’il y a là un problème crucial pour les pays en développement. Le défi y est majeur et la tâche n’est pas mince.
Bibliographie
Conseil supérieur de l’éducation (1990). La pédagogie, un défi majeur de l’enseignement supérieur. (Avis du ministère de l’Enseignement supérieur et de la science du Québec.) 64 p. http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0379.pdf
Grenoble EM (2013). Portrait de l’École du Futur. Livre blanc. (2e édition.) 84 p. http://www.grenoble-em. com/ressources/upload/fckEditor/File/Livre_Blanc_Ecole_du_futur.pdf
Kozanitis, A. (2005). Les principaux courants théoriques de l’enseignement et de l’apprentissage : un point de vue historique. Bureau d’appui pédagogique, École Polytechnique de Montréal. 14 p. http://www.polymtl.ca/bap/docs/documents/historique_approche_enseignement.pdf Ministère de l’Éducation nationale de France (2012). Concertation sur la refondation de l’école de la République. Formation des enseignants : éléments de comparaison internationale. 40 p.
http://www.education.gouv.fr/archives/2012/refondonslecole/wp-content/ uploads/2012/09/consulter_la_comparaison_internationale_sur_la_formation_des_ enseignants2.pdf
Rollot, O. (2013, 25 septembre). Enseignement supérieur : la grande révolution de la pédagogie. http://orientation.blog.lemonde.fr/2013/09/25/enseignement-superieur-la-grande- revolution-de-la-pedagogie/
Télécharger les actes du colloque RAIFFET Marrakech TUNISIE 2014
En savoir plus sur RAIFFET
Subscribe to get the latest posts sent to your email.