RAIFFET 2008 La mise en place d’un curriculum de formation en affûtage face à la politique de transformation locale du bois au Gabon. Emmanuel Moudouma

La mise en place d’un curriculum de formation en affûtage face à la politique de transformation locale du bois au Gabon.Emmanuel Moudouma

La mise en place d’un curriculum de formation en affûtage face à la politique de transformation locale du bois au Gabon.
Emmanuel Moudouma

Summary

Following the example other developing countries, Gabon sets up a policy of diversification, which seems a way of fighting against the poverty and the precariousness of the populations. One of the axes of development is based on the policy of development of the wood field through the local transformation of wood, with, for discounted consequence, job creations supporting the professional insertion of the young people. Its implementation took in charge by association for the continuing education (AFC) which is one of the services of the management of technical and professional education (DETP). This project rested on a narrow partnership with the entrepreneurial sector, in the various technical fields. One of the training programs related to the qualifications for sharpening of the cutting tools in first transformation of wood. The program worked towards two ends: on the one hand, the continuing education of the personnel  employed in the various companies of the sector, and on the other hand the installation of the certificate of technician. To date, none of these two objectives was reached.

Keywords: saw sharpening, formal curriculum vitae, real curriculum vitae, didactisation of the technological knowledge, continuing education, professional insertion.

Introduction

En Afrique, plusieurs défis sont à relever, notamment celui du transfert des technologies. Mais ce transfert ne peut s’établir si au préalable, la voie ou l’autoroute de la formation au savoir et au savoir faire des ressources humaines n’a pas été balisée. Est-il besoin, une fois de plus, de démontrer l’importance croissante du rôle de la formation technologique et professionnelle pour compenser l’écart entre le rythme soutenu de l’évolution des technologies et celui, moins rapide, de l’évolution des compétences ? Pour opérer des choix pertinents et en regard de toutes ces préoccupations, les pays africains ont compris l’intérêt de créer des cadres de concertation pour définir et décider des choix qui leur seront sources du savoir et savoir-faire. Savoir comme facteur clé du développement, comme moteur de la croissance économique et du progrès technologique. Le progrès technologique, c’est aussi et avant tout, la formation technologique, et en matière de formation technologique, un réseau africain est né : le réseau africain des institutions de formation des formateurs pour l’enseignement technique (RAIFFET). Ce réseau regroupe des spécialistes de l’éducation et de la formation, des opérateurs économiques et de tous les acteurs préoccupés par la question du développement technologique en Afrique. Ils participent tous, à l’occasion des séminaires, conférences et colloques, à la diffusion et à la mise en œuvre du savoir, au renforcement des capacités techniques et technologiques. Ceci dans le but de réduire de manière significative la marginalisation de l’Afrique vis-à-vis de cet environnement mondial en pleine mutation et hautement concurrentiel. Le processus de mondialisation accélère les mutations de manière inégale. Au nord, elles créent des conditions de développement stables et durables, par contre au sud, elles créent des conditions précaires, sources du sous développement, avec son corollaire des maux tels la pauvreté, la famine, la corruption, le chômage, la guerre…

Après le colloque de Libreville, le thème général et les sous-thèmes retenus pour le colloque de Tunis témoignent l’engagement et le degré d’implication des acteurs du RAIFFET à trouver des voies et moyens pour soulager l’Afrique dans sa précarité. En regard du quatrième sous thème, à savoir : organisations scolaires et compétences professionnelles, nous saisissons l’occasion du présent colloque pour exprimer une expérience certes personnelle, mais d’intérêt général dans le contexte de la reforme de l’enseignement technique et professionnel au Gabon. Le projet sur La mise en place d’un curriculum de formation en affûtage face à la politique de transformation locale du bois au Gabon, initié depuis 1997 par les décideurs, n’a malheureusement pu aller à son terme. Un projet pourtant porteur d’espoir au regard des objectifs visés, à savoir : la création des nouveaux emplois dans le sens de l’insertion et la réinsertion professionnelle des jeunes, d’une part et d’autre part, la spécialisation et la requalification professionnelle des personnels en poste dans les différentes unités de transformation du bois. Tout ceci dans le souci de participer à la lutte contre la pauvreté et la précarité dont souffre l’Afrique d’aujourd’hui. Dans la présente communication, nous examinerons dans un premier temps le contexte historique de ce projet afin de cerner les tenants. Dans un second temps, nous évoquerons les temps forts de la mise en œuvre du projet avant d’exposer sur quelques perspectives qui nous conduiront à la discussion. De ces échanges vont découler (avec souhait) les principales propositions à consigner sous forme de recommandations du colloque de Tunis 2008.

Aperçu historique sur l’exploitation du bois au Gabon

L’exploitation du bois au Gabon a commencé bien avant l’indépendance. Selon un article écrit par deux ingénieurs forestiers en 1951, il était le pus grand exportateur en Afrique équatoriale française (AEF). Dans cet article, les auteurs rapportent les méthodes appliquées à la réception des grumes. Entre 1924 et 1929, l’okoumé connu son essor mais plus tard, entre 1930 et 1940, le marché devient défavorable au regard des stocks en consignation. Les commissionnaires recommandèrent aux réceptionnaires d’exclure le principe des coupes fraîches. Mais les indigents n’en tenaient compte et au moment de la réception, les bois étaient toujours déclassés. Jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, les transactions s’effectuaient toujours sous contrôle des commissionnaires. C’est après que l’administration coloniale prit désormais les choses en main avec l’office des bois de l’AEF (OBAEF) en standardisant les critères. Le déclassement ne sera guerre amélioré car les abattages se faisaient toujours avec des moyens dérisoires comme le passe-partout et parfois la hache. Il fallait désormais équarrir les bois déclassés. Selon un autre article écrit en 1952 par Aubreville, un progrès remarquable en équipement moderne est enregistré sur la cote ouest d’Afrique, consécutivement à la forte demande américaine en placage acajou et contre plaqué. Progressivement, les territoires de l’AEF furent gagnés par cet élan de modernisation. Ainsi, les deux pôles rivalisaient sur la qualité des équipements et sur la qualité des essences de bois destinées à l’exportation. Malgré la qualité des essences, les conditions en AEF restèrent précaires avec la désuétude des outillages qui n’ont pas permis de tenir devant cette concurrence. La rentabilité régresse, le déclin est prononcé et il faut vite réagir. Après son indépendance, le Gabon se démarque de l’OBAEF pour créer l’office national des bois du Gabon (ONBG). Cette démarcation tente de bouleverser les données quinze ans plus tard, le gouvernement va dans une nouvelle restructuration pour créer la société nationale des bois du Gabon (SNBG). Malgré toutes les tentatives, la filière bois gabonaise est en prise à de graves difficultés (malgré ses indicateurs clés) selon une étude commanditée par la banque mondiale et réalisée par le CERNA de l’ENSMP en 1995. Pour minimiser les effets, il décida la politique d’industrialisation de la filière bois par le biais de la transformation locale du bois. Un code forestier est adopté, intégrant les nouvelles priorités mondiales en matière d’environnement et de pérennité de la ceinture verte de la planète (les forets tropicales) conformément aux recommandations du sommet de la terre tenu à Rio de Janeiro en 1992.

Intérêt de l’activité d’affûtage

Pour qu’une industrialisation soutenue puisse avoir lieu, il faut que la demande en produits transformés soit satisfaite par une augmentation des importations et une croissance rapide de la productivité dans les unités transformatrices. C’est un préalable qui a poussé les opérateurs à réinvestir. Mais dans la plus part des entreprises, la priorité n’est accordée qu’aux équipements lourds, mettant en dernier lieu, l’aspect affûtage de l’outil de coupe. Sachant bien qu’il n’y a point de transformation de la matière sans un outil de coupe réunissant ses performances de coupe. L’affûtage consiste à conférer à un outil une arête tranchante ayant une tenue de coupe performante. Le non respect de ce critère expose les responsables à des surcoûts d’investissement dus aux dommages sur les équipements, à des prises en charge onéreuses liées aux accidents de travail, à la mévente des productions consécutive à la qualité médiocre des sciages, à la non rentabilité pour des raisons de non respect des délais et aux différentes pertes de temps, etc. L’investissement en matière d’affûtage scierie est très onéreux, mais il demeure une condition primordiale dans le nouvel environnement économique qui exige qualité, sécurité et compétitivité. La nouvelle société de première transformation de la matière ligneuse au Gabon doit s’y adapter.

Mise en œuvre du projet

Transfert des compétences et transfert des technologies ne peuvent être dissociés. Dans cette dynamique de renouveau technologique, les organisations scolaires se mobilisent pour concevoir et mettre en œuvre, les mécanismes de transmission et d’acquisition des nouvelles compétences accompagnant le transfert des technologies. En 1995, le gouvernement, avec l’appui de la coopération française et des opérateurs économiques, avait commis le ministère de l’éducation, par le biais de la direction de l’enseignement technique et professionnelle (DETP) à mettre en œuvre, cette volonté politique. Pour matérialiser leur intention, les parties contractantes ont mis en place deux financements: le fond d’insertion et de qualification (FIQ) et le fond d’insertion et de réinsertion (FIR). Ces fonds devraient être gérés au sein d’une association pour la formation continue (AFC), un organe crée à cet effet et placé sous la présidence de la DETP. L’AFC coordonne des formations essentiellement destinées à l’insertion, la réinsertion et le perfectionnement des potentialités humaines dans les entreprises. Celles-ci visent le renforcement des compétences, la spécialisation et la qualification, afin d’assurer l’adéquation formation emploi tant adjurée par les opérateurs économiques. C’est dans ce cadre de reforme de l’enseignement technique et professionnelle au Gabon, que l’État a exprimé sa volonté d’intégrer, avec intéressement, la notion d’affûtage scierie, en tant que projet de formation, dans les programmes de formation initiale et continue.

Différentes phases du projet

Les activités de l’AFC étaient coordonnées par des assistants techniques de la coopération française (ATF) et de la coopération canadienne (ATC), avec la collaboration du service des relations avec les opérateurs économiques (SROE), un autre service de la DETP. La prospection et la définition des offres de formation étaient réalisées par des conseillers en formation continue (CFC), préalablement formés. La planification du projet devrait se dérouler en trois grandes phases : Phase 1 : formation des formateurs, Phase 2 : élaboration des plans et curriculum de formation et Phase 3 : lancement des formations.

La formation des formateurs

Les formateurs étaient recrutés parmi les enseignants justifiant d’une expérience professionnelle avérée dans les domaines prescrits. En 1997, nous avons été retenus pour effectuer un stage de spécialisation en affûtage scierie à FORMABOIS et à l’AFPA-VEIGNE (TOURS) en France. Ce stage visait deux objectifs : la formation des personnels en entreprise et la mise en place d’un curriculum de formation initiale en affûtage première transformation, dans le cadre du diplôme de brevet de technicien (BT), bois et matériaux associés du lycée technique national Omar Bongo de Libreville. A ce sujet, nous devrions servir de personne ressource à l’inspection pédagogique national (IPN), qui est l’organe étatique habilitée à élaborer les curricula de formation au Gabon. De retour de stage, un rapport (obligatoire) a été déposé à l’AFC en novembre 1997 (voir archives AFC). Dans la partie suggestions, il y a une nomenclature des savoirs associés au métier d’affûteur. Celle- ci devant être contextualisée. Les autres phases du projet n’ont malheureusement pas été mises en application pour diverses raisons qui vont être succinctement évoquées dans la partie qui va suivre.

Les aspects du blocage

D’entrée de jeu, il faut préciser que l’intention ici n’est pas de faire un procès sur le projet. Bien au contraire, le but recherché est d’éclairer sur les efforts qui ont été faits jusqu’à présent.

Au niveau de l’organisation scolaire

A la fin du stage, il fallait travailler, d’un coté avec l’IPN en tant personne ressource pour l’élaboration du curriculum de formation, de l’autre côté avec l’AFC pour la formation continue en entreprise. La composante filière bois de l’IPN et l’équipe pédagogique associée du LTNOB, dans laquelle nous faisions partie, étaient sur l’élaboration du référentiel de la dominante menuiserie ébénisterie. A cet effet, les deux équipes ne pouvaient pas en même temps s’occuper du travail en cours et celui qui venait d’être initié. A l’AFC, quelques visites en entreprises, en compagnie des ATF n’ont déclenché aucune action de formation. Initialement, la dominante spécifique à l’affûtage dans le diplôme de BT bois était prévue, au même titre que la charpenterie-couverture, l’agencement-décoration, la tapisserie et la menuiserie-ébénisterie. Mais certaines observations s’élevaient contre, en proposant que cette notion soit considérée comme un simple module dans la dominante menuiserie- ébénisterie. Confondant ainsi affûtage de première transformation (affûtage en scierie) et affûtage de deuxième transformation (affûtage en atelier). Un éclairage a permis que la dominante soit reconsidérée en tant que telle, en attendant la mise en place de son curriculum de formation. En 2001, lors de l’élaboration du guide d’équipements du BT Bois (nous étions coordonnateur principal), les équipements en affûtage scierie ont été inscrits distinctement des équipements d’affûtage d’atelier prévus pour la dominante menuiserie ébénisterie. Le financement de l’Union européenne a permis le démarrage des enseignements dans la dominante de la menuiserie ébénisterie. Les autres dominantes attendent d’être équipées et démarrer les formations avec la promesse du financement de la banque africaine de développement (projet Educ III Gabon-BAD).

Au niveau des entreprises

Les missions de terrain effectuées dans les entreprises ont laissé apparaître une forte réserve de la part des responsables. Cette réserve trahit en voile de fond deux attitudes principales, un désintéressement et un désengagement vis-vis des actions de formation continue initiée par le biais de l’État, une préservation de leurs équipements qui seraient essentiellement focalisés dans la chaîne de production et non dans la formation. C’est ainsi qu’aucune formation ne fut entreprise, même si leur adhésion initiale avait permis, selon les CF et les ATF, d’élaborer les offres de formation au niveau de l’AFC.

Perspective à court terme: amorcer un projet de recherche

Au regard des enjeux de ce projet, il serait pertinent que les responsables administratifs soient édifiés, dans leurs prises de décision, par des arguments basés sur une étude scientifique préalable. Ceci pour éviter de retomber dans ce que l’on peut qualifier ici de mettre la charrue avant les bœufs. A cet effet, il est envisagé que le même projet soit réétudié dans une perspective scientifique. Il est d’ailleurs actuellement en germination et se situe encore dans sa phase des conjectures théoriques.

Public visé : le projet proposé vise les unités de première transformation locale du bois en tant fournisseurs mais également les unités de seconde transformation en tant que consommateurs.

Contexte : l’expérience qui vient d’être exposée servira de cadre de référence pratique.

Question de départ : faut-il nécessairement transposer didactiquement les savoirs professionnels d’affûtage scierie en terme de curriculum de formation pour donner de l’efficience à la nouvelle politique de transformation locale du bois au Gabon ?

Cadre théorique

Pour donner réponse à cette question de départ, il faut se baser sur des réflexions et des raisonnements scientifiques déjà entreprises dans le domaine de l’éducation notamment sur les concepts de curriculum de formation professionnelle et de transposition didactique. A cet effet, il faut noter que le concept de curriculum trouve ses origines dans l’univers anglo- saxon depuis la fin du XIXe siècle. Comme le souligne Lenoir (2006) le mot curriculum a été jusqu’à ces dernières années d’un usage relativement rare en Europe francophone, alors qu’il est central depuis un bon siècle dans l’univers anglo-saxon, en Amérique du Nord en particulier. La conception francophone fait traditionnellement appel à la notion de cursus. Forquin (1984) dit qu’il s’agit d’un programme ou ensemble de programmes d’apprentissage organisés en cursus. Cette conception rejoint celle de Perrenoud qui considère que dans les pays anglo-saxons, on parle de curriculum pour désigner le parcours éducatif proposé aux apprenants, alors qu’en français on dira plus volontiers plan d’études, programmes ou cursus, selon qu’on met plutôt l’accent sur la progression dans les connaissances, les contenus successifs ou la structuration de la carrière scolaire. Au-delà de ces divergences historiques qui ont nourrit des grands débats au tournant du XXe siècle, il y eu des courants dits progressifs (child-study movement de Parker) et les courants dits béhavioristes (progressive education movement de Dewey) qui se sont accordé dans l’impulsion d’une nouvelle conception qui voudrait que l’école puisse répondre adéquatement aux nouveaux besoins et attentes sociales découlant de l’industrialisation massive et rapide de l’époque. Au cours des trois décennies qui suivirent, le curriculum connut des critiques violentes, rentrant ainsi dans une phase de re-conceptualisation radicale.

Dans une perception dialectique, deux approches se profilent dans les deux contextes. Dans le contexte anglo-saxon, particulièrement aux États-Unis, selon une longue tradition esquissée par Lenoir (2006), la fonction enseignante est centrée sur la mise en œuvre des pratiques enseignantes, sur les questions pédagogiques, le comment faire. La centration est portée sur la manière dont on organise les apprentissages pour forger l’être humain. Dans ses tendances dominantes, il se préoccupe de l’insertion sociale de l’individu dans la société par l’inculcation de valeurs et de symboles socialement privilégiés lui permettant l’acquisition du savoir requis comme le note encore Lenoir, en s’appuyant sur les travaux de Tanner et Tanner (1995), le curriculum scolaire est conçu non seulement pour inculquer à chaque membre de la génération montante les meilleurs éléments du savoir, systématiquement organisés ou codifiés depuis l’aube de la civilisation, mais aussi pour rendre capable chaque membre de la génération montante d’utiliser le savoir afin d’améliorer le cadre de vie de l’individu et celle de la société. Dans le contexte francophone, le concept est beaucoup plus centré sur le savoir, le programme organisé en cursus. Il s’appuie fortement sur la didactique des disciplines. Lenoir (2006), en référence aux travaux de Jean-Marie Barbier, note que ce dernier se place du point de vue de la compréhension des savoirs professionnels en tant que phénomène à étudier plutôt que celui d’une recherche des modalités de leur mise en œuvre dans un processus de formation. Il s’intéresse à la culture de professionnalisation et de compétence, d’accompagnateur et de praticien qui se caractérise par la didactisation et la théorisation du savoir à enseigner. Vergnaud (1992b) envisage cette didactique dans le modèle du triangle didactique: la didactique comme une opérationnalisation des savoirs pour en faire des savoirs enseignables et enseignés, ce que l’on appelle la transposition didactique, et englobe, par voie de conséquence, dans les savoirs sociaux de référence, les savoirs savants (objet des didactiques disciplinaires) et les pratiques sociales professionnelles.

Perrenoud (1998) évoque également cette articulation entre savoirs professionnels et curriculum de formation: Enfin, comme sociologue du curriculum, il nous semble que la transformation de la culture en curriculum formel et celle de ce dernier en curriculum réel devraient être pensées – parmi d’autres perspectives- sous l’angle d’une théorie élargie de la transposition didactique, qu’il s’agisse de savoirs, de compétences, de pratiques et même de normes, de valeurs ou d’attitudes. Il y fait également allusion lorsqu’il parle de partir des pratiques pour identifier des compétences, c’est à dire à leur repérage : en effet, il dit que les pratiques ne sont pas des objets immédiatement lisibles. Leur repérage exige un travail de repérage et d’explicitation, qui se heurte à deux ordres au moins de difficultés. Les unes sont conceptuelles: les pratiques sont souvent désignées par des étiquettes et des emblèmes qui ne disent pas exactement de quoi elles sont faites. Il y donc un immense travail de description fine des gestes professionnels et donc aussi des situations de travail, (…). Le second type de difficulté se rapporte aux compromis, embellissements, censures, non-dits et incohérences qu’il faut accepter pour établir un consensus. (…) C’est ce qui conduit certains virtuoses à ouvrir leur propre école, ce qui leur permet de maîtriser en personne toute la chaîne de transposition.

Du point de vue de la transposition didactique, il sera fait référence au concept développé par Chevallard (1985a) lorsqu’il aborde la notion de processus de transformation des savoirs, Les savoirs mis en jeu dans une situation didactique subissent une transformation pour passer du savoir savant au savoir enseigné. Plus loin, les travaux de Johsua et Dupin (1993) sur la didactique des sciences et des mathématiques vont servir également d’appui. Ils évoquent les caractéristiques générales de la transposition didactique: la spécificité des contributions didactiques avec la transformation suivante: objet de savoir, objet à enseigner, objet d’enseignement. Ils mettent également un accent sur la mise en texte du savoir qui assure la dépersonnalisation, la décontextualisation et la désyncrétisation car quand on produit le savoir savant, il est d’abord personnel, contextuel et syncrétique avant qu’il soit réorganisé dans la noosphère. Pour être plus proche du domaine de réalité visé, il sera fait référence aux travaux de Ginestié lorsqu’il parle des éléments de recherche en didactique des disciplines technologiques, notamment les curricula d’enseignement technologiques et les travaux sur le processus de transmission-appropriation des savoirs ; transmission, parce les savoirs existent ailleurs que dans le système scolaire et qu’il faut mettre en relation les élèves et ces savoirs; appropriation, parce que les élèves, les adultes en formation rencontrent des difficultés à faire leur les connaissances sociales qu’on veut leur enseigner. Cette brève revue de la littérature sur le concept de curriculum de formation en lien avec la transposition didactique donnera de l’intelligibilité dans l’orientation de la présente étude. Cette intelligibilité sera davantage renforcée en s’inspirant du modèle proposé par Cheneval-Armand (2005) lorsqu’elle schématise le processus d’élaboration des savoirs et transposition didactique des savoirs dans le domaine de la prévention des risques professionnels (PRP). Étant donné qu’il s’agit ici d’un curriculum de formation professionnelle, il ressort que l’approche anglo-saxonne ne cadre pas car il ne s’agit pas ici d’inculquer à l’individu, des valeurs sociales. Il s’agit plutôt des valeurs professionnelles lui permettant de s’exprimer valablement dans son activité professionnelle. Au niveau actuel de la lecture scientifique, l’approche francophone trouverait bien sa raison d’être considérée comme concept théorique à la présente étude. En effet, il faut que la noosphère se donne le devoir de contextualiser ces savoirs (faire passer le savoir d’une institution savante à une institution scolaire) afin que celui-ci ne demeure dans le domaine des écologies des savoirs.

Hypothèses

Un technicien affûteur, formé sur des bases didactiques d’un curriculum de formation professionnelle est susceptible d’apporter une amélioration dans la productivité et dans les conditions sécuritaires d’une unité de transformation.

La formation des techniciens sur la base d’un curriculum de formation peut augmenter l’offre d’emploi car, si la productivité est améliorée, l’entreprise enregistrera une rentabilité soutenue et entraînera une diversification qui va nécessairement entraîner l’offre d’emploi.

Perspectives à moyen ou long terme : Une fois cette étude terminée, elle donnera de l’intelligibilité aux différentes décisions et démarches liées à l’affûtage de première transformation au Gabon. Envisager, même à moyen ou long terme, la création d’une école interentreprises en affûtage scierie dont les conditions et modalités de création, de financement, de fonctionnement administratif et pédagogique pourraient toutefois faire l’objet de plusieurs grands projets de recherche.

Discussions

En dehors de quelques éclairages qu’il faudra apporter sur le vécu du projet, le souhait dans la présente communication est que les débats viennent à nourrir et enrichir les points suivants : (i) l’intérêt et les enjeux de l’activité d’affûtage – en effet, nous voulons dans cette démarche participer à la vulgarisation de la notion d’affûtage dans la sphère commune pour qu’elle soit perçue comme un savoir dans le savoir, (ii) la pertinence des perspectives envisagées – les critiques et suggestions sur le projet de recherche seront d’une grande utilité dans la mesure où elles permettront de conforter le cadre exploratoire et le niveau actuel des conjectures théoriques de l’étude – et (iii) les éventuelles recommandations – définir ensemble, les éventuelles recommandations qui seront le fruit des discussions.

Conclusion

Que ce soit au niveau de l’organisation scolaire ou au niveau des entreprises, ce projet est resté dans son état initial. Hormis l’effort qui a été fourni au niveau de la mise en stage des formateurs et du guide d’équipement, l’élaboration du curriculum de formation n’est toujours pas d’actualité. Quand on sait que le financement de la BAD ne saurait tarder. Dans tous les cas, ceci donne l’impression qu’aucune étude sérieuse n’avait pas été menée sur le terrain avant d’envisager la mise en route du projet. A-t-on mis la charrue avant les bœufs ? C’est pourquoi il est envisagé d’engager des discussions lors du présent colloque pour dégager des nouvelles perspectives à proposer aux décideurs afin que ce projet donne de l’efficience à la nouvelle politique de transformation locale du Bois au Gabon.

Bibliographie

Aubreville, (1952), Des progrès remarquables de l’exploitation forestière sur la côte ouest d’Afrique dans la revue: Bois et Forets des tropiques, n°23 Mai-Juin, p171-174.

Carret, J-C., (1995), La substitution ressource-capital dans la filière bois gabonaise: un dysfonctionnement des instruments de contrôle étatique? Rapport du CERNA pour la Banque Mondiale.

Cermak, F., (1951) et le Dr J.G. Zenaty, Les méthodes actuelles de la réception des grumes en AEF dans la revue : Bois et forêts des tropiques, 4e trimestre, p209-226.

Cheneval-Armand, H., (2005). Approche didactique de l’enseignement de la prévention des risques professionnels en baccalauréat professionnel énergétique. Mémoire de Dewey, J. (1968). Expérience et éducation. Paris: Armand Colin.

Forquin, J.-C., (1984). La sociologie du curriculum en Grande-Bretagne: une nouvelle approche des enjeux sociaux de scolarisation. Revue française de sociologie, XXV, 211-232.

Johsua, S., Dupin, J-J., (1993), Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques, PUF, Paris.

Lenoir, Y. et M-H. Bouillier-Oudot (2006), Savoirs professionnels et curriculum de formation. Les Presses de l’Université de Laval.

Perrenoud, P.(1994), Curriculum: le formel, le réel et le caché. In J. Houssaye (dir.), La pédagogie: une encyclopédie pour aujourd’hui (2e éd.) Paris : ESP (1re éd.1993).

Perrenoud, P.(1998), La transposition didactique à partir de pratiques: des savoirs aux compétences.

Revue des sciences de l’éducation, Vol.14, n°3, p.487 à 514

Vergnaud, G. (1992b). Qu’est ce que la didactique? En quoi peut-elle intéresser la formation des adultes peu qualifiés ?, Éducation permanente, 111,19-31.

Résumé

À l’instar d’autres pays en développement, le Gabon met en place une politique de diversification, qui apparaît comme un moyen de lutter contre la pauvreté et la précarité des populations. Un des axes de développement repose sur la politique de mise en valeur de la filière bois par le biais de la transformation locale du bois, avec, pour conséquence escomptée, la création d’emplois locaux favorisant l’insertion professionnelle des jeunes. Sa mise en œuvre a été assurée par l’association pour la formation continue (AFC) qui est un des services de la direction de l’enseignement technique et professionnelle (DETP). Ce projet reposait sur un partenariat étroit avec le secteur entrepreneurial dans les différentes filières techniques. Un des programmes de formation envisagé portait sur les qualifications liées à l’affûtage des outils de coupe en première transformation du bois. Le programme poursuivait deux buts : d’une part, la formation continue des personnels employés dans les différentes entreprises du secteur, et d’autre part la mise en place du Brevet de Technicien. À ce jour, aucun de ces deux objectifs n’a été atteint.

Mots-clés : affûtage scierie, curriculum formel, curriculum réel, didactisation des savoirs technologiques, formation continue, insertion professionnelle.

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