WHICH STATUS FOR THE TECHNOLOGY CURRICULUM?
Doctorant en didactique de sciences physiques – ISEFC – Tunis, Tunisie – Professeur – Équipe Gestepro, UMR ADEF – Marseille, France
SUMMARY
Since 1956, the Government and the society give an absolute priority to education; thus, the Tunisian Nation devotes around 7% of its GDP to the education of its youth. In order to improve the Tunisian educational system effectiveness, the Ministry of Education and Training (MEF) implemented new national curricula based on the constructivist viewpoint. This qualitative change appears as revolutionary according to the epistemological Tunisian school syllabus. This shows that there is a real will of the MEF to renovate the programs, the didactic strategies, the teaching practices. However, the epistemological and pedagogical choices of a program must be clear and coherent: subject area delimitation, place of each subject regarding the others, the consideration about technology education among all the curricula, the lack of any interdisciplinary approach in secondary education. All these points focus on the synoptic table of the scientific subjects elaborated by Comte, the tree of the Porphyry science… and the old subject curricula based on a positive-realistic tradition that is the behaviourist tradition of the knowledge elaboration.
INTRODUCTION
Le nouveau programme d’enseignement de la technologie en Tunisie affirme s’inscrire dans une perspective constructiviste. Il s’agit d’un changement qualitatif, quasiment révolutionnaire, d’approche épistémologique des programmes scolaires tunisiens, traditionnellement ancrés tous dans une double approche du savoir positivo-réaliste et béhavioriste. Il faut voir dans cette démarche une réelle volonté du ministère de l’éducation et de la formation tunisienne de rénover simultanément les programmes, les stratégies didactiques et pédagogiques et les pratiques d’enseignement… Au-delà de ces affirmations, il est légitime de s’interroger sur la réalité de l’inscription de ce programme dans une perspective constructiviste/socioconstructiviste. Autrement dit, comment sont envisagés dans ce programme les apprentissages en technologie ? C’est cette question que nous abordons, de manière partielle, dans cet article.
LES DISCIPLINES SCIENTIFIQUES ET LA TECHNOLOGIE : STATUT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET PÉDAGOGIQUE DANS LES PROGRAMMES SCOLAIRES TUNISIENS
Historiquement, une discipline scolaire est une construction sociale qui s’impose en réponse à des situations sociales plus ou moins bien identifiées et pour lesquelles existent des modélisations particulières… La discipline scolaire porte ainsi toujours des projets et des intentions plus ou moins explicites. Pour certaines disciplines scientifiques, comme la physique, la chimie ou les mathématiques, ce mode de définition d’une épistémologie scolaire semble tout aussi inévitable que nécessaire. Ce caractère fort leur vaut l’attribution du statut de disciplines “ normalisées ” ou “ standardisées ”, ce qui renforce leur position de disciplines “ dures ” qui a tendance à totalement obérer le lent processus historique qui a conduit à cette standardisation et qui conduit à leur stabilisation telle que nous pouvons l’apprécier aujourd’hui. De fait, les objets d’étude de ces disciplines scientifiques portent sur des ensembles de situations sociales approchées selon une perspective particulière, soutenue par des ensembles de théories portées par des institutions scientifiques qui en assurent le développement, la diffusion et la validation que ce soit au travers des publications, des diplômes universitaires reconnus socialement ou des technologies développées. Nous sommes là dans le champ des sciences qualifiées de sciences pures ou sciences fondamentales et qui désignent des pratiques qui ne s’intéressent pas réellement aux utilisations possibles des résultats dans un contexte social, contrairement aux sciences appliquées. Par sciences appliquées, on désigne deux sens différents : le premier signale tout courant de pensée scientifique qui construit des représentations en vue de certains projets dans des contextes spécifiques ; le deuxième désigne les technologies en prétendant que celles-ci sont de simples applications des sciences fondamentales. Ce dernier sens est refusé par les sociologues et les épistémologues des technologies car ils estiment que les technologies sont des savoirs et des savoir-faire multiples, articulés à des projets et elles construisent des représentations d’une complexité au moins égale à celle des sciences fondamentales (Andreucci, Ginestié, 2002 ; Fourez et al, 1997).
Cette idée que les sciences fondamentales apportent les connaissances qui rendent possibles les techniques, réduisant les technologies à de simples applications des sciences n’est pas fondée du point de vue épistémologique ; beaucoup de développements technologiques sont apparus bien avant et totalement indépendamment des théories scientifiques (Ginestié, 2003). Il y a une différence entre la maîtrise des principes scientifiques et l’élaboration d’une technologie. Ainsi, le processus technologique relève plutôt de la résolution de problèmes complexes qui relèvent de champs aussi divers que les champs ergonomiques, économiques, sociologiques, politiques…et techniques (Fourez et Larochelle, 2003, 93). Les techniques et les technologies sont des “ constructions technico- sociales ” (Ginestié, 2001) qui articulent des dimensions matérielles, psychologiques et sociales (Dentant et al, 1998). Le mythe encore vivace, qui considère que les technologies seraient de simples “ applications ” des sciences (Mathy, 2001), trouve ses origines historiques dans l’arbre de la science de Porphyre apparut au 3ème siècle. Selon cet arbre des sciences, le tronc est formé par les connaissances les plus fondamentales. On trouve, ensuite, les grosses branches qui, à leur tour, se subdivisent en rameaux. Ainsi, on aurait le tronc de la philosophie naturelle séparé en branches telle que les mathématiques et la physique… sur lesquelles prennent naissance les rameaux des sciences appliquées (Fourez, 1992, 168-169). Cette idée est très prégnante dans le tableau synoptique des disciplines scientifiques avancé par Auguste Comte (1828) qui hiérarchisait les six groupes de disciplines, en les disposant suivant un ordre de scientificité positive décroissante depuis la mathématique jusqu’à la physique sociale ou sociologie. Ce modèle du système de sciences est celui qui est généralement admis d’un point de vue institutionnel, modèle dont on notera l’adaptation aux usages socioéconomiques des connaissances. C’est ainsi qu’existe une correspondance quasi systématique entre chaque discipline, les applications qui en découlent et les métiers qui y sont associés. Ce système se révèle suffisamment souple pour être capable d’absorber des nouvelles disciplines (Le Moigne, 1995, 14).
Ce modèle joue un rôle capital dans le système scolaire tunisien puisqu’il sert de référence aux différents programmes scolaires. Ce modèle est largement fondé sur des bases d’une double tradition positivo-réalistes et béhavioristes. Il correspond à une conception particulière de la division sociale du travail qui valorise le travail intellectuel et considère les sciences fondamentales (Mathématiques, sciences physiques…) comme plus nobles que la technologie. C’est ainsi que les disciplines technologiques industrielles sont largement marginalisées sur les plans des diplômes, des contenus disciplinaires, de la place de la culture technique, ou encore au travers des coefficients attribués à cette discipline scolaire qui s’appelle, depuis une dizaine d’années, éducation technique (cette discipline est affectée d’un coefficient de 1 alors que les sciences physiques sont affectées d’un coefficient de 2,50 et les mathématiques d’un coefficient de 3) ! La mise en œuvre de nouveaux programmes, cette année, n’a pas affecté cette répartition de coefficients. De fait, ceci n’est pas sans conséquences pour les élèves et pour les professeurs, conséquences que nous pouvons situer aux niveaux pédagogiques et didactiques. Ces conséquences sont certainement néfastes car la pression exercée par l’examen est directement liée au poids de la discipline scolaire dans ce même examen. Dans cette perspective, on peut penser que les élèves attribuant un poids moins fort à l’éducation technique et l’on peut se poser la question des connaissances qu’ils construisent dans ces conditions. Quel rapport aux savoirs technologiques développeront-ils ? Peut-on, dans ces conditions, considérer que les programmes de technologie (et les autres) s’inscrivent dans une approche constructiviste ? Les nouveaux programmes sont organisés selon le découpage disciplinaire classique qui rappelle le tableau synoptique des disciplines scientifiques proposé par Auguste Comte. Dans cette perspective positiviste, les disciplines scientifiques sont mutuellement exclusives et se définissent en fonction des méthodes et des objets d’études spécifiques qui sont supposés correspondre à des morceaux de réalité (Jonnaert, 2001, 224). Par ailleurs, les nouveaux programmes ne s’écartent pas réellement du modèle béhavioriste et semblent être situés dans un paradigme positivo-réaliste, malgré les multiples références au constructivisme et à l’interdisciplinarité. Ils valorisent certaines disciplines aux dépens d’autres, valorisation qui se fonde sur des considérations historiques et sociales particulières bien plus que sur des considérations épistémologiques ou sur la réalité de la division sociale du travail. On peut ainsi se demander quelle est la conception de techno-science des concepteurs de ces nouveaux programmes ? Pour apporter quelques réponses à ces interrogations, nous allons examiner comment les programmes de technologie envisagent l’apprentissage de quelques contenus disciplinaires.
PROGRAMME DE TECHNOLOGIE ET APPRENTISSAGES DES ÉLÈVES
Le nouveau programme de technologie intègre une approche par compétences qui peut être compatible avec une approche socioconstructiviste de la cognition. Au-delà des déclarations d’intention, nous allons étudier comment les concepteurs du programme intègrent cette approche dans leur projet d’apprentissage des technologies. Les programmes de technologie spécifient les compétences terminales. Chaque compétence s’accompagne des contenus technologiques à enseigner, des recommandations pédagogiques et l’horaire prévu selon le schéma suivant.
Tableau 13 : organisation et présentation des compétences
Composantes des compétences | Contenus | Recommandations | Horaire |
C 6.2- Contrôler les grandeurs électriques sur un montage électronique. | Les fonctions électroniques
Contrôle des grandeurs électriques : tension d’entrée et de sortie aux bornes d’un composant ou d’un bloc fonctionnel. |
Exploiter les logiciels de simulation électronique
Utiliser des plaques d’essai ou des maquettes pour réaliser une alimentation stabilisée Le contrôle des grandeurs électroniques est mené expérimentalement sur des maquettes ou des systèmes réels ou didactisés Initier l’élève aux règles de sécurité |
2H |
C’est à partir de situations “ significatives ”, c’est à dire, de situations prévoyant la mise en œuvre de systèmes techniques, de supports de matériels, de logiciels, de maquettes…, que l’apprentissage de technologie se fera. Il s’agit de favoriser une démarche inductive dans laquelle les élèves doivent observer et/ou expérimenter afin de découvrir le savoir qui leur est ainsi enseigné. Cette démarche s’inscrit dans un paradigme réaliste qui pose que le savoir existe, dans ce contexte, en dehors de celui qui apprend. La situation invoquée se réfère à un paradigme positivo-réaliste opposé au paradigme constructiviste auquel le nouveau programme prétend se référer ! Cette vision stipule qu’il y a “ une relation linéaire entre la situation préparée (l’habillage) par l’enseignant et l’acquisition de connaissances par les élèves ” (Joannert, 1996, 234) et qu’il suffit de modeler, de façonner un contenu disciplinaire pour que les élèves l’apprennent.
Quant à la démarche inductive préconisée, les nouveaux programmes considèrent que l’observation de l’élève doit être objective et neutre pour que la connaissance assimilée soit juste et vraie. Il est inutile dans ce cas de rappeler que l’observation de l’élève se fait suivant des théories et des connaissances acquises par leurs expériences antérieures et que ces connaissances ne sont pas nécessairement compatibles avec le savoir technologique. Cependant, ces connaissances demeurent viables et pertinentes dans les situations rencontrées par l’apprenant. Le programme doit tenir compte, entre autres, de ces connaissances erronées et de l’évolution de ces connaissances… De ce point de vue, une approche socioconstructiviste devrait avoir une incidence directe sur la forme et les contenus des programmes disciplinaires ; ils ne devraient pas seulement spécifier les savoirs disciplinaires à enseigner, les recommandations sur les situations à mettre en œuvre et l’horaire prévu pour chaque élément mais ils devraient indiquer les démarches de construction des connaissances des élèves et expliciter la nature des connaissances, leurs modes de construction ou de transformation et leur viabilité (Jonnaert et Vander Borght, 1999). De fait, les processus de construction des savoirs, notamment dans l’articulation accommodation assimilation, devraient être au cœur des préoccupations de ces programmes scolaires (Jonnaert, 2001, 226).
Dans la perspective socioconstructiviste, les connaissances construites au préalables, restent opérationnelles tant qu’elles sont valides pour l’apprenant ; autrement dit, tant que ces connaissances lui permettent de maîtriser les compétences nécessaires dans une série de situations. On voit, à travers cela, toute l’acuité du choix des situations scolaires qui doivent être signifiantes pour l’élève et pertinentes en regard des pratiques sociales. Ce sont les situations et les contextes liées à ces pratiques sociales (et non pas les contenus disciplinaires) qui permettent à l’élève de remettre ses connaissances en cause dans un processus de pratique réflexive. La construction sociale de la connaissance montre que le contexte et les situations (ainsi que la représentation de ces situations) déterminent la signification et le sens des connaissances construites. Elle montre aussi l’importance de la signification sociale des tâches d’apprentissage qui se fait à travers les interactions sociales de natures diverses (Jonnaert, 2002). Au-delà, Jonnaert et Vander Borght (1999) ajoutent une autre caractéristique constitutive de la construction de connaissances : l’interaction des anciennes connaissances de l’apprenant avec des éléments de son milieu, ce qui lui permet de construire de nouvelles connaissances en modifiant ses anciennes connaissances et en s’adaptant à ce milieu (Jonnaert, 2002). Nous pensons que le choix des situations d’apprentissage en technologie doit être lié à des pratiques sociales pertinentes pour les élèves. Ces situations peuvent :
- exploiter les erreurs et les conceptions erronées des élèves,
- être liées à des problèmes (ou au moins les situations doivent être problématisées) ce qui permet d’instaurer un conflit cognitif et un conflit sociocognitif permettant aux élèves de remettre en cause certaines conceptions erronées,
- être liées à des problèmes complexes qui ne peuvent être résolus qu’en utilisant une approche interdisciplinaire.
L’acquisition de connaissances nouvelles se fait au travers de la résolution de problèmes complexes, contextualisé dans des situations problèmes qui sont positionnées en limite supérieure de la zone proximale de développement. La résolution d’un problème complexe doit apporter des réponses pertinentes qui permettent aux élèves d’effectuer des tâches nouvelles, selon certaines pratiques qui ont une signification sociale pour lui. Pour concrétiser ce que nous venons de dire prenons deux exemples : le premier est celui du contrôle des grandeurs électriques préconisé par le programme de technologie. La situation abordée doit être significative et liée à des pratiques sociales telles que le dépannage d’un circuit électronique. Cette situation permet de contrôler les grandeurs électriques et de construire une représentation de la technologie avec le projet de dépanner le système technique et de pouvoir le remédier. Elle permet aussi d’identifier les pièces ou les composants et de connaître quels sont les composants endommagés… Une telle tâche d’apprentissage, qui a une signification sociale pour l’élève, peut donner aussi un sens au cours d’électrocinétique en sciences physiques. Un cours qui semble être fait d’une façon traditionnelle, au sens historique du terme, traitant l’élève en objet “ c’est à dire comme lieu d’une action qu’on exerce sur lui ” (Not, 1991, 2). “ Le professeur occupe une position centrale : c’est lui qui transmet les connaissances par le biais du cours …les élèves doivent suivre le professeur et “ comprendre ” les sciences physiques ! ” (Ouarda, 2000-2001, 169). Au lieu d’une logique du sens, le cours de sciences physiques se fait suivant une logique de répétition : l’élève doit apprendre et répéter son cours, c’est à dire ce que le professeur a déjà transmis ! Les exercices répètent ce que le professeur a transmis en cours ainsi que les autres tâches souvent faites aussi par le professeur! Ce professeur ne fait que répéter les connaissances qu’il a apprises en étudiant les sciences physiques et répétées par les livres ! Et ces livres et ces professeurs ne font que répéter les réponses aux problèmes scientifiques, c’est-à-dire les connaissances scientifiques inventées par les scientifiques qui sont prises comme des vérités absolues et qui sont présentées sans aucune problématisation.
Le deuxième exemple consiste à résoudre un problème complexe pour les élèves, faisant intervenir des champs disciplinaires différents tels que celui des sciences physiques et de la technologie. Le contrôle des grandeurs électriques et plus généralement celui des grandeurs physiques a pu être abordé en concevant, en construisant ou en dépannant des systèmes techniques utilisant des capteurs physiques. Ceci peut faciliter la compréhension par les élèves de ces objets techniques. Cette partie est abordée en début d’année, au travers de quatre heures d’enseignement. Lors de cet enseignement, les élèves abordent également d’autres objets, tels que les actionneurs, les effecteurs ou les pré-actionneurs… Par ailleurs, les élèves n’ont pas de connaissance scolaire particulière sur les grandeurs physiques, sur les grandeurs électriques, en particulier. De fait, l’entrée par cette catégorie d’objets techniques particuliers peut, selon l’exploitation qui en est faite, faire sens pour l’enseignement des sciences. Fourez (1999) regrette le manque de connexion entre les cours des sciences et les technologies, ce qui engendre un déficit de sens pour l’enseignement scientifique. Il ajoute “ l’esprit scientifique pourrait se développer tout autant à travers la construction de représentations des techniques qu’à travers la modélisation des phénomènes “naturels”. Après tout, les pratiques des ingénieurs ne font-elles pas traditionnellement partie des traditions scientifiques ? Au nom de quoi l’investigation scientifique se limiterait-elle aux phénomènes “naturels” en négligeant l’étude des artéfacts qui nous entourent et façonnent notre environnement ? Quelle différence fondamentale y aurait-il entre la compréhension d’un moteur de voiture et celle des lois de la physique ? ”. De fait, le découpage disciplinaire pose problème dans l’enseignement scientifique, notamment du point de vue des rapports entre sciences et technologie. Pour Fourez, il s’agit de dépasser la tradition “ selon laquelle enseigner sérieusement les sciences, ce serait enseigner les disciplines scolaires que sont la physique, la chimie et la biologie ” (1999). Malheureusement, c’est cette tradition qui est renforcée dans les nouveaux programmes tunisiens car ils n’intègrent aucune forme d’approche interdisciplinaire dans le secondaire, approche qui pourrait contribuer à donner du sens aux enseignements scientifiques.
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